

Le figuier d’Inde ou de Barbarie (Opuntia).

Il fico indiano (Mattioli)
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Un anachronisme apparent.
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Par sept fois, Maria
Valtorta évoque le figuier d’Inde (fichi d’India) que nous connaissons aussi sous l’appellation
de figuier de Barbarie. Son nom botanique est l'Opuntia ficus indica. C’est une
plante emblématique des paysages méditerranéens.
Cependant, on apprend que les cactus, originaires du Mexique, ont été
apportés en Europe par Christophe Colomb, où ils proliférèrent. Il s’agirait
donc d’un anachronisme grossier et réitéré de Maria Valtorta. La messe serait
dite : ses visions sont imaginatives !
Ce n’est pas si simple.
- D’abord parce que les affirmations concernant ce figuier de Barbarie ou
d’Inde sont loin d’être cohérentes ou convaincantes.
- Ensuite parce que d’autres sources attestent de l’existence de cette plante
sur le pourtour méditerranéen, dès l’Antiquité.
Pour y voir clair, il convient, là encore, de se retourner vers les travaux
de Jean-François Lavère.
Une vérité assénée qui ne s’impose pas
d’évidence.
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L’hypothèse selon laquelle
l'Opuntia ficus indica,
comme toutes les cactées, serait originaire du Mexique est relativement
récente. Elle a été formulée au tout début du XIXe siècle par un botaniste
suisse de renom, Augustin de Candolle (1778-1841). Dès lors l’explication fut
reprise telle quelle.
Mais Christophe Colomb n'a
jamais été au Mexique ! On corrige donc : la plante vient des
Antilles. Mais la mer des Caraïbes n’est pas le Mexique ! On finit par
répondre plus évasivement qu’elle fut importée «par des espagnols».
Les conquistadores rempliraient
donc leurs galions, de bois précieux, d’épices, de tabac, de café, de cacao,
de pierres précieuses, d’or, … de coussin-de-belle-mère
et de figuier d’Inde. On les croyait brutaux et âpres au gain, on les
découvre sensibles à la nature.
La plante aurait été si populaire qu’en quelques décennies on la signale sur
tous le pourtour méditerranéen, puis en Inde (d’où l’un de ses noms) et
bientôt jusqu’en Afrique du sud, selon le progrès des explorateurs.
Le moins que l’on puisse dire c’est que cette plante invasive n’est en rien
appréciée : Cervantès (1547-1616) la surnomme «châtaignes à cochons» et
Lope de Vega (1562-1635) parle de «la figue du diable».
Comment justifier alors sa prolifération ? L’explication est toute
trouvée : Le figuier d’Inde se serait répandu comme une trainée de
poudre, sous l’effet de deux agents : les marins, dont le fruit soignait
le scorbut, et les oiseaux qui essaimèrent les graines.
On doit donc imaginer les ottomans, maîtres des deux-tiers de la Méditerranée
au XVIe siècle, se préoccuper de la santé des marins chrétiens en plantant
pour eux la karthous nozura (la
figue des chrétiens), terme méprisant qui prouve que pour eux aussi ce
n’était pas une plante appréciée
Quant aux oiseaux on se demande pourquoi ils débordent d’énergie dans le
pourtour méditerranéen où la plante prolifère et qu’ils se laissent aller à
l’oisiveté au Mexique dont les espaces couverts de cactées sont si
désertiques.
On voit la fragilité de telles vérités assénées. D’autant que de multiples
sources attestent de l’existence du figuier d’Inde en méditerranée bien avant
Christophe Colomb.
Une plante connue dès l’Antiquité.
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Le mot
cactus vient du grec Kaktos, un nom donné par le
botaniste Théophraste (371-287 av. J.-C.) dans son Historia plantarum à une
plante alimentaire épineuse croissant en abondance en Grèce et en Sicile.
De même, le nom botanique du figuier d’Inde ou de Barbarie (Opuntia ficus indica) vient
d’un nom, Herba opuntia, que ce
même Théophraste comme le naturaliste Pline (23-79) emploient.
Pour ne pas contredire l’origine américaine, on voulut conclure que cette
appellation antique n’était qu’un autre nom du figuier commun (ficus). Mais opuntia traduit
bien le figuier de Barbarie, pays qui désigne alors l’Afrique du nord (Berbèrie). On se
demande d’ailleurs pourquoi on aurait pris un nom dérivé d’Oponte, ville
de la Locride, une région désertique de Grèce, pour rebaptiser une plante
aussi commune dans le bassin méditerranéen que le figuier ?
Pierandrea Mattioli
(1500-1577), un botaniste italien contemporain des conquistadores, mentionne dans son ouvrage Di Pedacio Dioscoride Anazarbeo
(1544) "l'Opuntia
de Pline et de Théophraste", pas celle de Christophe Colomb.
L’illustration qu’il joint ne laisse aucun doute : c’est la plante
décrite par Maria Valtorta (voir ci-contre).
En 1724 dans Le Dictionnaire de Trévoux,
un ouvrage historique synthétisant les dictionnaires français du XVIIe siècle
rédigé sous la direction des Jésuites entre 1704 et 1771, confirme lui aussi
que cette plante était connue «de Pline, de Théophraste et de Strabon».
Louis de Jaucourt (1704-1779), principal rédacteur de l’encyclopédie de
Diderot, cite quelques années avant Augustin de Candolle, à la
rubrique Opuntia, les travaux de deux botanistes : Philipp Miller (1691-1771) et Joseph Pitton
de Tournefort (1656-1708). Tournefort distingue neuf variétés d’Opuntia qu’il
connaissait en tant que familier de la méditerranée et de l’histoire antique.
Miller en distingue onze «entre lesquelles il y en a dix étrangères, et
natives des Indes occidentales (l’Amérique centrale) ». Une de celles
qu’il cite, ne l’était donc pas.
On recense aujourd’hui 250 variétés d’Opuntia. Quant au Mexique, une agence touristique de ce
pays vante les 700 espèces de cactus qu’on y trouve, dont seulement 518 sont
d’origine mexicaine.
On est donc loin de la vue étriquée qui voudrait interdire au figuier d’Inde
d’avoir proliféré au bord de la méditerranée, au temps de Jésus, bien avant
le découverte du Mexique.
Où en parle-t-on dans l’œuvre ?
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À Nazareth (EMV 14.1).
d’énormes groupes de cactus aux feuilles grosses et plates,
toutes hérissées d’aiguillons et garnies d’énormes groupes de fruits bizarres
poussés sans ordre à l’extrémité des feuilles.
À Sychar (EMV 147.1).
une haie de cactus qui, se moquant de toutes les autres plantes
dépouillées, brillent au soleil avec leurs grosses palettes épineuses sur
lesquelles il reste quelques fruits que le temps a rendus rouge brique ou sur
lesquelles déjà rit quelque fleur précoce jaune teintée de cinabre.
Ailleurs
encore :
(EMV
217.4).
Ils trouvent finalement une haie de figuiers d'Inde aux sommets desquels,
hérissées de piquants, il y a des figues qui commencent à mûrir. Mais tout est
bon pour qui a faim et, en se piquant les doigts, ils cueillent les plus
mûres"
(EMV
221.1).
les cactées de la plaine ou des bas coteaux revêtent de couleurs de jour en
jour plus gaies les ovules de corail bizarrement posés par un joyeux
décorateur au sommet des spatules charnues qui semblent des mains qui forment
en se fermant des étuis piquants qui tendent vers le ciel les fruits qu'elles
ont fait croître et mûrir "
(EMV
254.4).
une haie de figuiers d'Inde, qui sont plus en arrière avec leurs palettes qui
sont dures autant que les branches des autres plantes sont flexibles...
…
Cela fait cinq jours que je vis dans ces buissons cueillant la nuit des mûres
et des figues d'Inde"
(EMV
335.1).
montrent leur couleur verte, un vert pâteux de céramiques à peine teintées,
les feuilles grasses des cactées.
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