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   Le lundi 14 août
  1944. 
  139/140>   377.1 – Je comprends tout de suite que l'on est encore autour de
  la figure de Marie-Madeleine car c'est
  elle que je vois tout d'abord en un simple vêtement de couleur lilas comme la
  fleur de la mauve. Aucun ornement précieux. Les cheveux sont simplement
  rassemblés en tresses sur la nuque. Elle paraît plus jeune qu'à l'époque où
  elle était un vrai chef-d’œuvre de toilette. Elle n'a plus le regard effronté
  du temps où elle était la "pécheresse", ni le regard humilié du
  moment où elle écoutait la parabole de la brebis perdue, ni celui honteux et
  mouillé de larmes du soir où elle était dans la salle du pharisien...
  Maintenant elle a l’œil paisible, redevenu limpide comme celui d'un enfant,
  et où brille un sourire plein de paix.           
   
  Elle est appuyée contre un arbre à la limite de la propriété de Béthanie et
  elle regarde vers le chemin. Elle attend. Et puis elle pousse un cri de joie.
  Elle se tourne vers la maison et puis elle crie très fort pour qu'on
  l'entende, elle crie de sa voix splendide veloutée et passionnée,
  unique : "Il arrive !... Marthe, ils nous l'ont bien dit. Le
  Rabbi est ici ! " et elle court pour ouvrir le lourd portail
  qui grince. Elle ne donne pas le temps aux serviteurs de le faire, et elle
  sort sur la route, les bras tendus comme un enfant qui va vers sa maman et
  avec un cri de joie affectueuse, elle s'écrie : "O mon Rabbouni  ! " (je note “ Rabbouni ” parce que je
  vois que c’est l’orthographe de l’Évangile. Mais chaque fois que j’ai entendu
  Marie-Madeleine l’appeler, j’ai eu l’impression qu’elle disait “Rabbomi”,
  avec un m et non un n), et elle se prosterne aux pieds de
  Jésus, qu'elle baise dans la poussière de la route.      
   
  "Paix à toi, Marie. Je viens me reposer sous ton
  toit."           
   
  "O mon Maître ! " répète Marie en levant son visage avec
  une expression de respect et d'amour qui dit tant de choses... C'est
  remerciement, c'est bénédiction, c'est joie et invitation à entrer et
  jubilation parce qu'il entre...         
   
  Jésus lui a mis la main sur la tête et il semble encore l'absoudre.   
   
    377.2 – Marie
  se lève et à côté de Jésus elle entre dans l'enceinte de la propriété.
  Pendant ce temps, les serviteurs et Marthe sont accourus. Les serviteurs avec des amphores et des
  coupes, Marthe avec son seul amour. Mais il est si grand.   
   
  Les
  apôtres, échauffés boivent les
  rafraîchissements que les serviteurs leur servent. Ils voudraient les offrir tout
  d'abord à Jésus, mais Marthe les a devancés. Elle a pris une coupe de lait et
  l'a offerte à Jésus. Elle doit savoir que cela Lui plaît beaucoup.   
   
  Quand les disciples se sont désaltérés, Jésus leur dit :          
   
  "Allez prévenir les fidèles. Ce soir je leur parlerai."    
   
  Les apôtres, sitôt hors du jardin, s'éparpillent en diverses directions.       
   
  Jésus avance entre Marthe et Marie.    
   
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  141> "Viens, Maître, dit Marthe. En attendant Lazare, restaure-toi et prends du repos."         
   
  Pendant qu'ils pénètrent dans une pièce fraîche qui donne sur le portique
  ombragé, Marie, qui s'était éloignée rapidement, revient avec un broc d'eau,
  suivie d'un serviteur qui porte un bassin. Mais c'est Marie qui veut laver
  les pieds de Jésus. Elle délace ses sandales poussiéreuses et les donne à un
  serviteur pour qu'il les rapporte nettoyées en même temps que son manteau
  pour qu'il en secoue la poussière. Puis elle plonge les pieds dans l'eau que
  des aromates rendent légèrement rosé, les essuie, les baise. Ensuite elle
  change l'eau et en apporte de la propre pour les mains. Pendant qu'elle
  attend le serviteur avec les sandales, accroupie sur le tapis aux pieds de
  Jésus, elle les caresse, et avant de Lui mettre les sandales, elle les baise
  encore en disant :       
   
  "Pieds saints qui avez tant marché pour me chercher ! "      
   
  Marthe, plus pratique dans son amour, pense à ce qui est humainement utile et
  demande :   
   
  "Maître, qui viendra en plus de tes disciples ? "          
   
  Et Jésus répond :   
   
  "Je ne sais pas encore au juste, mais tu peux préparer pour cinq autres,
  en plus des apôtres."          
   
  Marthe s'en va.      
   
    377.3 – Jésus
  sort dans le jardin ombragé et frais. Il a simplement son habit bleu foncé . Le manteau, replié avec soin par Marie, reste sur un
  banc de la pièce.    
   
  Marie sort avec Jésus. Ils vont par des allées bien entretenues, entre des
  parterres de fleurs, jusqu'à un vivier qui semble un miroir tombé dans la
  verdure. L'eau très limpide est à peine remuée çà et là par le frétillement
  d'un poisson ou la pluie très fine du jet d'eau qui est au centre. Il y a des
  sièges près de la large vasque qui semble un petit lac d'où partent des
  petits canaux d'irrigation. Je crois même que l'un d'eux alimente le vivier
  et que les autres, plus petits, servent à l'écoulement pour l'irrigation.  
   
  Jésus s'assoit sur un siège placé exactement sur le bord de la vasque. Marie
  s'assoit à ses pieds sur l'herbe verte et bien entretenue. Au début, ils ne
  parlent pas. Jésus jouit visiblement du silence et du repos dans la fraîcheur
  du jardin. Marie se délecte de le regarder.  
   
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  142>
  Jésus joue avec l'eau limpide de la vasque. Il y plonge les doigts. Il la
  peigne en la séparant en petits sillages et puis il laisse la main s'y
  plonger toute entière dans sa fraîcheur.  
   
  "Comme elle est belle cette eau limpide ! " dit-il.        
   
  "Maître, elle te plaît tellement ? " dit Marie.    
   
  "Oui, Marie, parce qu'elle est si limpide. Regarde. Pas une trace de
  boue. C'est de l'eau, mais elle est si pure qu'il semble qu'il n'y ait rien,
  comme si elle n'était pas un élément mais esprit. Nous pourrions lire sur le
  fond les paroles que se disent les petits poissons..."        
   
  "Comme on lit au fond des âmes pures, n'est-ce pas,
  Maître ? " et Marie soupire avec un regret caché.        
   
    377.4 – Jésus remarque le soupir qu'elle étouffe, et il lit le regret
  que voile un sourire. Il guérit tout de suite la peine de Marie.        
   
  "Les âmes pures, où y en a-t-il, Marie ? Il est plus facile à une
  montagne de se déplacer qu'à une créature de savoir se maintenir pure des
  trois impuretés. Trop de choses s'agitent et fermentent autour d'un adulte.
  Et il ne peut toujours empêcher qu'elles pénètrent à l'intérieur.   Il n'y a que les enfants qui ont l'âme
  angélique, l'âme préservée par leur innocence des connaissances qui peuvent
  se changer en fange. C'est pour cela que je les aime tant. Je vois en eux un
  reflet de la Pureté infinie. Ce sont les seuls qui portent avec eux ce
  souvenir du Ciel.        
   
    Ma
  Mère est la femme à l'âme d'enfant. Plus encore. Elle est la
  Femme à l'âme angélique. Telle Ève sortie des mains du Père. Imagines-tu,
  Marie, ce qu'aura été le premier lys fleuri dans le jardin terrestre ?
  Ils sont si beaux aussi ceux qui conduisent à cette eau. Mais le premier
  sorti des mains du Créateur ! Était-ce une fleur ou un diamant ?
  Était-ce des pétales ou des feuilles d'argent très pur ? Eh bien, ma
  Mère est plus pure que ce premier lys qui a parfumé les vents. Et son parfum
  de Vierge inviolée emplit le Ciel et la Terre, et c'est derrière elle que
  marcheront ceux qui seront bons dans les siècles des siècles.          
   
  Le Paradis est lumière, parfum et harmonie. Mais si en lui le Père ne se
  délectait pas dans la contemplation de la Toute Belle qui fait de la Terre un
  paradis, mais si le Paradis devait dans l'avenir ne pas posséder le Lys
  vivant dans lequel se trouvent les trois pistils de feu de la Divine Trinité,
  lumière, parfum et harmonie, la joie du Paradis seraient amoindris de moitié.
  La pureté de la Mère sera la gemme du Paradis .       
   
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  143>
  Mais le Paradis est sans limites ! Que dirais-tu d'un roi qui n'aurait
  qu'une gemme dans son trésor ? Même si c'était la gemme par
  excellence ?         
   
  Quand j'aurai ouvert les portes du Royaume des Cieux... - ne soupire pas, Marie, c'est pour cela que je
  suis venu - beaucoup de justes et de petits entreront, troupe candide
  derrière la pourpre du Rédempteur. Mais ce sera encore peu pour peupler les
  Cieux de gemmes et former les citoyens de la Jérusalem éternelle. Et
  ensuite... lorsque la Doctrine de Vérité et de Sanctification sera connue par
  les hommes, lorsque ma Mort aura redonné la Grâce aux hommes, comment les
  adultes pourraient-ils conquérir les Cieux, si la pauvre vie humaine est une
  fange continuelle qui rend impur ? Alors donc est-ce que mon Paradis
  appartiendra aux seuls petits ? Oh ! non ! Il faut savoir
  devenir des enfants, mais c'est aussi aux adultes qu'est ouvert le Royaume.
  Comme des petits... Voilà la pureté.         
   
  Tu vois cette eau ? Elle paraît si limpide, mais observe : il
  suffit qu'avec un jonc j'en remue le fond pour qu'elle se trouble. Des
  détritus et de la boue affleurent. Son cristal devient jaunâtre et personne
  n'en boirait plus. Mais si j'enlève le jonc, la paix revient et l'eau revient
  peu à peu à sa limpidité et à sa beauté. Le jonc c'est le péché. Il en est
  ainsi des âmes. Le repentir, crois-le, est ce qui purifie les âmes..."  
   
    377.5 – Marthe
  survient toute essoufflée :        
   
  "Tu es encore ici, Marie ? Et moi je me fais tant de
  soucis !... L'heure avance. Les invités seront bientôt là, et il y a
  tant à faire. Les servantes sont au pain, les serviteurs découpent et font
  cuire les viandes. Moi je prépare les nappes, les tables et les boissons. Mais
  il y a encore les fruits à cueillir et l'eau de menthe et de miel à
  préparer..."        
   
  Marie écoute tant soit peu les lamentations de sa sœur. Avec un sourire
  bienheureux, elle continue de regarder Jésus sans bouger de place.          
   
  Marthe réclame l'aide de Jésus :            
   
  "Maître, regarde comme je suis échauffée. Te paraît-il juste que je sois
  seule à faire les préparatifs ? Dis-lui, Toi, de m'aider."           
   
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  144>
  Marthe est vraiment énervée.       
   
  Jésus la regarde avec un sourire qui est à moitié doux, à moitié un peu
  ironique, ou plutôt moqueur.          
   
  Marthe s'offense un peu :            
   
  "Je parle sérieusement, Maître. Regarde-la comment elle est oisive
  pendant que je travaille. Et elle est ici à regarder..."  
   
  Jésus prend un air plus sérieux :            
   
  "Ce n'est pas de l'oisiveté, Marthe. C'est de l'amour. L'oisiveté,
  c'était avant. Et tu as tant pleuré pour cette oisiveté indigne. Tes
  larmes ont rendu encore plus agile ma démarche pour la sauver pour Moi et la
  rendre à ton honnête affection. Voudrais-tu lui disputer l'amour qu'elle a
  pour son Sauveur ? Préférerais-tu alors qu'elle soit loin d'ici pour ne
  pas te voir travailler, mais aussi loin de Moi ? Marthe, Marthe !
  Dois-je donc te dire qu'elle (et Jésus lui met la main sur la tête), venue de
  si loin, t'a surpassée en amour ? Dois-je donc dire qu'elle, qui ne
  savait pas une seule parole de bien, est maintenant savante dans la science
  de l'amour ? Laisse-la à sa paix ! Elle a été si malade !
  Maintenant c'est une convalescente qui revient à la santé en buvant les
  boissons qui la fortifient. Elle a été tellement tourmentée... Maintenant,
  sortie du cauchemar, elle regarde autour d'elle et en elle, et elle se
  découvre nouvelle et elle découvre un monde nouveau. Laisse-la s'en
  donner la sécurité. C'est avec son "nouveau" qu'elle doit oublier
  le passé et se conquérir l'éternité... Elle ne sera pas seulement conquise
  par le travail, mais aussi par l'adoration. Il aura une récompense celui qui
  aura donné un pain à l'apôtre et au prophète, mais double récompense aura
  celui qui aura oublié même de se nourrir pour m'aimer, parce qu'il aura eu
  l'esprit plus grand que la chair, un esprit qui aura crié plus fort que les
  besoins humains, même licites. Tu te préoccupes de trop de choses, Marthe.
  Pour elle, il n'y en a qu'une seule. Mais c'est celle qui suffit à son esprit
  et surtout à son Seigneur qui est aussi le tien. Laisse tomber les choses
  inutiles. Imite ta sœur. Marie a choisi la meilleure part. Celle qui ne lui
  sera jamais ôtée. Quand toutes les vertus seront dépassées, parce qu'elles ne
  seront plus nécessaires aux citoyens du Royaume, la seule qui restera sera la
  Charité. Elle restera toujours. Elle seule, souveraine. Marie, elle l'a
  choisie, elle l'a prise comme écu et comme bourdon. Avec elle, comme sur des
  ailes d'anges, elle arrivera dans mon Ciel."        
   
    377.6 – Marthe, mortifiée, baisse la tête et s'en va.     
   
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  145>
  "Ma sœur t'aime beaucoup et se donne du mal pour te faire
  honneur..." dit Marie pour l'excuser.        
   
  "Je le sais et elle en sera récompensée. Mais elle a besoin d'être
  purifiée, comme s'est purifiée cette eau, de sa façon de penser humaine.
  Regarde comme l'eau est redevenue limpide pendant que nous parlions. Marthe
  se purifiera grâce aux paroles que je lui ai dites. Toi... toi, par la
  sincérité de ton repentir..."      
   
  "Non, par ton pardon, Maître. Mon repentir ne suffisait pas pour laver
  mon grand péché..."       
   
  "Il suffisait et il suffira pour toutes tes sœurs qui t'imiteront. Pour
  tous les pauvres infirmes de l'esprit. Le repentir sincère est un filtre qui
  purifie; l'amour ensuite est la substance qui préserve de toute nouvelle
  souillure. Voilà la raison pour laquelle ceux que la vie a rendus adultes et
  pécheurs pourront redevenir innocents comme des enfants et entrer comme eux
  dans mon Royaume. Allons maintenant à la maison. Que Marthe ne reste pas trop
  dans sa douleur. Apportons-lui notre sourire d'Ami et de sœur." 
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