| 610> Car nul
  homme ne fut aussi saint que le Fils de l’Homme. Il a donc un corps rendu
  lumière "pareil à une lueur et au feu", dit Ezéchiel (Ez 1, 27-28),
  "semblable au jaspe et à la sardoine", dit Jean, et tous deux
  terminent: « entouré d’un éclat pareil à l’arc-en-ciel. »
  (Apocalypse 1, 3).   
 D’autres prophètes également l’avaient vu ainsi, resplendissant, vêtu de lin,
  semblable à du bronze ou à un autre métal ardent, lui, le Fils de Dieu et de
  l’homme depuis qu’il était encore le Verbe dans le sein du Père; et des
  siècles devaient s’écouler avant qu’il ne prenne chair humaine et que cette
  chair, glorifiée après son sacrifice parfait, monte au ciel pour y demeurer,
  en tant que Dieu Homme, Roi éternel, Juge universel, Grand-prêtre et Agneau,
  Vainqueur du mal, de la mort, du temps, de tout ce qui est, parce que le Père
  lui a remis tout pouvoir et toute primauté.
 
 Mais si les anciens prophètes ne virent que l’Homme-Dieu, quelques autres
  virent l’Homme-Dieu porté sur son trône par ses principaux confesseurs, les
  quatre évangélistes, dont l’aspect symbolisait leur nature spirituelle:
  Matthieu, l’homme, entièrement homme par le passé et homme pour décrire le Fils
  de l’Homme; Marc, le lion, par son annonce du Christ aux païens plus encore
  que par sa description du temps du Christ par son évangile, dans lequel
  pourtant, en lion, il préféra faire ressortir la figure du divin Thaumaturge
  plutôt que celle de l’Homme-Dieu comme Matthieu l’avait fait. Et cela dans le
  but de stupéfier et de conquérir les païens, toujours séduits par ce qui
  tenait du prodige.
 
 Luc, patient et fort comme le bœuf pour compléter, par des recherches
  patientes jusque sur ce qui avait précédé l’œuvre apostolique proprement dite
  du Christ et de ses disciples, l’œuvre de Dieu pour le salut de l’humanité.
  Car cette œuvre d’amour infini a débuté par la conception immaculée de Marie,
  par la plénitude de la grâce qui lui a été accordée, par la continuelle
  communion de Marie à son Seigneur qui, après l’avoir créée, en Père, avec une
  perfection unique par rapport à tous les corps nés d’un homme et d’une femme,
  comme sa fille bien-aimée, la combla ensuite de sa lumière: le Verbe.
  Celui-ci s’était révélé à elle par des leçons divines et intimes qui lui
  permirent de devenir le siège de la Sagesse dès ses plus tendres années,
  tandis que l’Esprit Saint, dans son amour éternel des purs, déversait en elle
  les feux de sa charité parfaite et, faisant d’elle un autel et une arche plus
  sainte et bien-aimée que ceux du Temple, trouvait en elle son repos et y
  rayonnait de tout l’éclat de sa gloire.
 
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 611> Dans les temps anciens, quand le
  Tabernacle fut construit, une nuée de feu le couvrait nuit et jour (Nb 9,
  15-23) qu’il soit immobile ou en pèlerinage vers sa destination, et le peuple
  de Dieu s’arrêtait ou avançait selon ce que faisait la nuée, qui n’était
  autre que le témoignage de la gloire du Seigneur et de sa présence.
 
 Au début des temps nouveaux, du temps de la grâce, la nuée de feu du Seigneur
  — ce feu qui envahit et protège de tout assaut de l’éternel Adversaire, plus
  actif que jamais puisqu’il se rendait compte de sa défaite prochaine —
  couvrit un Tabernacle bien plus saint, en attendant de le couvrir d’une
  manière plus grande pour dissimuler le plus grand mystère des noces fécondes
  entre Dieu et la Vierge, dont le fruit fut l’incarnation du Verbe.
La gloire du Seigneur ne cessa de couvrir la Vierge inviolée,
  la Mère déipare, qu’elle soit immobile ou qu’elle se déplace sur l’ordre de
  Dieu qui la conduisit de Nazareth au Temple, du Temple à Nazareth comme
  vierge et épouse, de Nazareth à Hébron et à Bethléem comme vierge et mère, et
  de Bethléem à Jérusalem pour confirmer la prophétie de Siméon, puis de
  Bethléem en Egypte pour la protection de celle qui était haïe parce que Mère
  de Dieu, de Nazareth à Jérusalem pour la conduire là où l’Enfant se tenait au
  milieu des docteurs, de Nazareth à tel ou tel endroit où son Fils-Maître
  était persécuté et affligé, de Nazareth à Jérusalem et au Golgotha pour
  participer à la rédemption, de là au mont des Oliviers d’où le Fils monta
  vers son Père, enfin du mont des Oliviers au ciel dans l’extase finale par
  laquelle le Feu allait aspirer à lui sa Marie comme le soleil aspire à lui
  une goutte pure de rosée.       
 Luc, seul et patient, interrogea et mit aussi par écrit ce que l’on peut
  qualifier de prologue de l’Évangile, ce qui signifie annonce, si l’on parle
  de Notre-Dame de l’Annonciation sans laquelle — et sans l’obéissance absolue
  de laquelle — la rédemption n’aurait pu s’accomplir.
 
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 612> C’est le propre du bœuf de ruminer ce qui a été avalé depuis
  un certain temps. Luc l’imite. Le temps avait englouti depuis plusieurs
  années les épisodes préliminaires à la venue du Messie en tant que tel, à savoir comme Maître, Sauveur et Rédempteur.
  Luc les ramène à la surface. Il nous montre la Vierge comme l’instrument
  nécessaire pour que nous ayons Jésus Christ, l’Homme-Dieu. Il nous révèle la
  femme très humble et pleine de grâce, très obéissante par son: "Qu’il me
  soit fait selon ta parole " (Lc 1,
  38), très charitable lorsqu’elle court avec une sainte hâte chez sa
  cousine Elisabeth pour lui servir de réconfort, d’aide et — sans s’en douter
  — de sanctification pour celui qui devait préparer la route au Seigneur
  Jésus, son Fils; elle est aussi la femme très pure et inviolée physiquement,
  moralement et spirituellement, de sa conception à son passage extatique de la
  terre au ciel.
 
 « Cette porte sera fermée. On ne l’ouvrira pas, on n’y passera pas, car
  Yahvé, le Dieu d’Israël, y est passé. Aussi sera-t-elle fermée. Mais le
  prince, lui, s’y assiéra pour y prendre son repas en présence de Yahvé. C’est
  par le vestibule de la porte qu’il entrera et par là qu’il sortira" (Ez 44, 2-3). Paroles mystérieuses au
  sens obscur jusqu’à ce que la conception de Marie et sa maternité divine les
  rendent claires à ceux qui, sous le rayon de la lumière éternelle, surent en
  reconnaître la juste signification.
 
 Marie était vraiment cette porte fermée,
  cette porte extérieure du sanctuaire tournée vers l’Orient. Porte fermée, car rien de terrestre
  n’entra jamais en celle qui était la Pleine de grâce. Porte extérieure parce
  qu’elle se tenait entre le ciel — la demeure du Dieu un et trine — et le
  monde, si près de Dieu qu’elle était semblable à la porte qui, du Saint des
  Saints, s’ouvrait sur le Saint. Marie fut et demeure réellement une porte
  pour les hommes, afin qu’ils passent par le Saint pour entrer dans le Saint
  des Saints et y établissent leur demeure éternelle avec celui qui y habite. Porte tournée vers l’Orient, autrement
  dit vers Dieu seul, que les hommes inspirés de l’Antiquité appelaient
  l’Orient. Et, en vérité, Marie avait les yeux de son âme fixés sur Dieu.
 
 Porte fermée par laquelle personne
  n’allait entrer, hormis le Seigneur pour l’aimer comme Père, comme Fils et
  comme Esprit, pour la rendre féconde sans lésion, pour se nourrir d’elle et
  prendre corps, se nourrir devant son Père divin; ainsi accomplis sait-il son
  premier acte d’obéissance de Fils de l’Homme qui, dans l’obscurité d’un sein
  de femme, ferme et limite son immensité et sa liberté divines pour
  s’assujettir à toutes les phases qui règlent une gestation de même que,
  ensuite et toujours en se nourrissant d’elle, il suivra toutes les phases de
  la croissance pour passer de la condition de bébé à celle d’enfant.
 
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 613> Porte fermée qui ne s'ouvrit pas même pour la plus sainte des
  maternités: en effet, tout comme Dieu passa par le vestibule brûlant d’amour
  de Marie pour entrer en elle par un moyen connu de lui seul, il vint à la
  lumière de la même manière, lui qui est la Lumière et l’Amour infinis, tandis
  l’ardeur de l’extase brûlait en Marie et faisait d’elle un autel étincelant
  sur lequel l’Hostie fut déposée et offerte pour apporter le salut aux hommes.
 
 Bien des siècles après Ezéchiel, Paul dira, dans sa lettre aux Hébreux:
  « Le Christ..., traversant le tabernacle le plus grand et le plus
  parfait qui n’est pas fait de main d’homme » (Hébreux 9, 11).
 
 Ce texte fit l’objet de nombreuses interprétations, d’ailleurs justes. Mais
  il en est une autre. La voici: Jésus vint aux hommes, parmi les hommes, en traversant un tabernacle plus grand, à la
  beauté surnaturelle, et plus parfait que celle qui était le but des Hébreux
  de Palestine et de la Diaspora: celui-ci, en effet, n’est pas parfait du
  point de vue architectural, mais par sa sainteté; il n’était pas fait de main
  d’homme avec du marbre, de l’or et des vélariums ornés, mais créé — on
  pourrait presque dire "fait" par Dieu tant il veilla sur sa
  formation afin que le Verbe trouve, le temps de son Incarnation venu, un
  tabernacle en bon état, saint, choisi, parfait en tout point, digne
  d’accueillir sa divine sainteté et d’en être la demeure temporaire —.
 
 Luc qui, en plus d’être évangéliste était médecin, nous présente la Mère
  après une patiente étude de médecin qui ne s’arrête pas aux faits objectifs
  et au sujet étudié, mais examine le milieu de vie et l’hérédité dans lesquels
  le sujet a vécu, dont il a pu prendre les caractères psychophysiques. Il
  désire nous présenter ainsi le Dieu incarné, le Fils de l’Homme, et nous
  faire mieux comprendre sa douceur — même s’il sait être fort si nécessaire —,
  sa tendresse pour les malades et les pécheurs désireux de guérison physique
  ou spirituelle, son obéissance parfaite jusqu’à la mort, son humilité qui ne
  recherchait pas les éloges mais conseillait au contraire: « Ne parlez
  pas de ce que vous avez vu », sa force qui savait dépasser toute
  affection ou peur humaines pour mener à bien sa mission, et sa pureté grâce à
  laquelle rien ne pouvait ébranler ses sens ni nourrir en lui, même
  fugitivement, la moindre passion qui ne soit pas bonne. Or sa Mère forma toute seule son Fils et lui transmit,
  avec son seul sang qui devait le revêtir de chair, sa ressemblance, et même
  davantage; en tant qu’homme, les traits et les manières de Jésus étaient plus
  virils; en tant que femme, l’apparence et le style de Marie étaient plus
  doux.
 
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 614> Mais on reconnaît bien chez l’enfant qui sait répondre:
  « Pourquoi donc me cherchiez-vous? Ne saviez-vous pas que je dois être
  dans la maison de mon Père? » (Luc
  2, 49) comme chez l’adulte qui dit: « Que me veux-tu, femme ? »
  (Jean 2, 4) et affirme: « Qui
  est ma mère et qui sont mes frères ?... Quiconque fait la volonté de mon
  Père » (Mt 2, 48-50), la force
  qui lui est communiquée par celle qui a toujours su souffrir fortement et
  pour bien des raisons: la mort de ses parents, la pauvreté, le soupçon de
  Joseph, le voyage à Bethléem, la prophétie de Siméon, la fuite et l’exil en
  Egypte, la perte de Jésus, la mort de son époux, l’abandon de son Fils qui
  entreprend sa mission, la haine du monde juif envers lui, enfin le martyre de
  son fils sur le Golgotha.
 
 On reconnaît bien dans la douceur du fils la douceur héritée de sa Mère, et
  il en va de même de son humilité, de son obéissance ou de sa pureté. Toutes
  les vertus les plus élevées de la Mère se retrouvent chez le Fils. Jésus nous
  révèle le Père, c’est vrai, mais Marie nous le révèle aussi. L’on peut donc
  affirmer que celui qui veut connaître Marie — que les évangélistes et les
  Actes des apôtres nous révèlent trop peu — doit regarder son Fils qui a tout
  pris d’elle, et d’elle seulement,
  excepté sa nature divine de Premier-né et de Fils unique du Père.
 
 « Que la volonté de Dieu soit faite ", dit Marie en Lue 1,
  38. « Que ta volonté soit faite », dit Jésus en Luc 22, 42.
  « Bienheureuse celle qui a cru », dit Elisabeth à Marie (Lc 1, 45). Et Jésus loue ceux qui
  savent croire à bien des reprises au cours de sa période d’évangélisation.
 
 « Il renverse les puissants de leur trône et il élève les
  humbles », professe Marie dans son Magnificat (Lc 1, 52) ; et Jésus dit: « Je te remercie, Père, d’avoir
  caché ces choses aux sages et aux puissants et de les avoir révélées aux
  petits. » (Lc 10, 21 - Mt 11, 25)
 
 Le Verbe, la Sagesse du Père, fit de sa Mère un maître en sagesse. Et cette
  dernière transmit à son Fils, avec son seul sang, son lait et ses soins
  maternels, les pensées élevées qui avaient toujours occupé son intelligence
  sans faille ainsi que les sentiments éminents qui, seuls, vivaient dans son
  cœur sans tache.
 
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 615> Jean,
  le quatrième évangéliste, est l’aigle. Il tient de l’aigle le vol haut,
  puissant et solitaire, ainsi que la capacité à fixer le soleil. On retrouve
  chez Jean l’évangéliste la noblesse de cet oiseau royal, son vol puissant et
  le pouvoir de fixer le soleil divin, Jésus — Lumière du monde, Lumière du
  ciel, Lumière de Dieu, Splendeur infinie —, le pouvoir de s’élever à des hauteurs
  surnaturelles qu’aucun autre évangéliste ne sut atteindre comme, par cette
  ascension, le pouvoir de pénétrer le mystère, la vérité et la doctrine, tout
  sur l’Homme qui était Dieu.
 
 En planant comme un aigle royal bien haut au-dessus des réalités de la terre
  et de l’humanité, il a vu le Christ sous sa véritable nature de Verbe de
  Dieu. Plus que le thaumaturge et le martyr Jean nous présente "le Maître″,
  l’unique Maître parfait que le monde ait connu. Le Maître-Dieu, la Sagesse
  faite chair et enseignante orale des hommes, le Verbe ou Parole du Père,
  autrement dit la Parole qui rend sensibles aux hommes les pensées de son
  Père, la Lumière venue éclairer les ténèbres et faire fuir la pénombre.
 
 L’évangile de Jean nous présente sincèrement les vérités les plus sublimes,
  les plus suaves, les plus profondes, comme les vérités les plus rudes. De son
  œil d’aigle et par l’élévation de son esprit à la suite de l’esprit du
  Maître, il a vu de haut les grandeurs sublimes comme les extrêmes bassesses,
  il a mesuré toute l’étendue de l’amour du Christ et de la haine du monde juif
  pour le Christ; il a vu le combat entre la lumière et les ténèbres — ces
  ténèbres trop nombreuses —, c’est-à-dire celles de trop d’ennemis de son
  Maître, parmi lesquels se trouve même un disciple et apôtre que Jean désigne
  clairement, dans son évangile de la vérité et de la lumière, par un de ses
  vrais noms: "voleur"; il a vu les complots obscurs, les pièges
  subtils employés pour faire que le Christ soit mal vu des Romains, des juifs
  et de ces "petits" qui formaient le troupeau des fidèles du Christ.
  Il les connaît toutes et les fait connaître, tout en montrant Jésus dans sa
  sainteté sublime, non seulement de Dieu mais aussi d’homme.
 
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 616> C’est un Homme qui ne fait pas de compromis avec ses
  amis pour gagner leur amitié. Un Homme qui sait dire la vérité aux puissants
  et démasquer leurs fautes et leurs hypocrisies. Sans empêcher les personnes
  méritantes de l’approcher si elles sont poussées par un vrai désir de l’âme
  d’être sauvées, il sait jeter l’anathème sur ceux qui, même s’ils sont
  puissants, cherchent à le circonvenir par de fausses professions d’amitié
  pour pouvoir le prendre en faute. Il respecte la Loi mais écrase tout ce qu’on
  y surajoute, les "fardeaux" que les pharisiens font peser sur les
  petits. Il refuse le royaume et la couronne terrestres et les fuit pour s’en
  libérer, mais ne cesse de proclamer son Royaume spirituel (Jean 6, 15), et il prend la couronne
  du Rédempteur pour confirmer par son propre sacrifice son enseignement sur le
  sacrifice; il est l’Homme très saint qui a tout voulu connaître de l’homme,
  sauf le péché.
 
 L’aigle ne chante pas, au contraire des autres oiseaux, plus ou moins
  mélodieusement, mais il lance un cri strident à faire trembler le cœur des
  hommes et des animaux tant il est affirmation de puissance. Jean, de même, ne
  chante pas avec douceur l’histoire du Christ, mais il lance un cri strident
  pour célébrer le Héros, un cri si puissant pour affirmer la divinité et la
  sagesse lumineuse du Christ qu’il en fait trembler l’âme et le cœur dès les
  premiers mots de son prologue.
 
 L’aigle aime les sommets solitaires sur lesquels le soleil darde tous ses
  feux, et plus le soleil resplendit plus l’aigle le fixe, comme fasciné par
  son éclat et sa chaleur. Jean était lui aussi un solitaire, même s’il vivait
  avec ses compagnons aussi bien avant qu’après la Passion et l’Ascension du
  Maître; c’était vraiment un apôtre différent, un homme et un disciple unique
  sous bien des aspects, qui n’était uni aux autres que par un très vif amour.
  Lui aussi, à l’instar de l’aigle, aimait à se tenir sur les sommets, sous
  l’incendie de son Soleil et ne regarder que lui, en écouter chaque parole
  prononcée ou secrète, c’est-à-dire les leçons et les conversations profondes
  et aimables du Christ, comme ses effusions solitaires, ses prières et
  communions au Père, dans le silence de la nuit ou au plus profond des bois,
  là où le Christ — ce grand solitaire,
  puisque grand inconnu et incompris — s’isolait pour trouver quelque
  réconfort dans l’union à son Père.
 
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 617> Jésus est le Soleil de l’Amour, Jean celui qui aime le Soleil
  de l’Amour, l’homme vierge épousé par l’Amour, attiré, lui le pur, par Jésus,
  qui est pureté parfaite. L’amour permet de comprendre d’une façon toute
  particulière. Et plus l’amour est fort, plus celui qui aime comprend les
  mouvements intimes de l’être aimé. Jean, qui fut si fidèle à Jésus en tant
  que Dieu et homme et l’a tant aimé, comprit toutes choses comme lui, comme
  s’il ne se trouvait pas sur son divin cœur, mais dans son cœur.
 
 Personne n’a compris le Christ intime aussi bien que Jean. Il en a connu
  toutes les perfections. Il a pénétré dans le mystère et l’océan de ses vertus
  et a vraiment mesuré la hauteur, la largeur et la profondeur de ce Temple
  vivant non fait de main d’homme et que les hommes cherchaient en vain à
  détruire. Des dizaines d’années plus tard, il les a écrites et décrites, nous
  laissant l’évangile le plus parfait en véridicité historique, le plus
  puissant en doctrine, le plus lumineux de lumières sapientielles et
  caritatives, le plus fidèle pour décrire les épisodes et les caractères,
  capable de dépasser les étroitesses d’esprit des juifs et de décrire même ce
  que les autres évangélistes n’avaient pas osé dire: la Samaritaine,
  l’officier royal, le scandale, la fuite et la révolte des disciples contre le
  Maître après le discours sur le Pain descendu du ciel, et encore la femme
  adultère, les discussions ouvertes avec les juifs, les pharisiens, les
  scribes et les docteurs de la Loi, le fait qu’il se soit réfugié en Samarie à
  Ephraïm, ses contacts avec les païens, la vérité sur Judas "qui était un
  voleur", ou bien d’autres choses encore.
 
 Lorsqu’il écrivit son évangile, Jean était plus qu’un homme mûr puisqu’il
  avait atteint un âge avancé, mais il est toujours resté jeune en raison de sa
  pureté et toujours aussi brûlant d’amour pour le Christ, car nul autre amour
  humain n’avait détourné la moindre flamme de son amour pour l’Aimé; Jean,
  l’aigle aimant du Christ, nous a révélé le Christ avec une puissance
  supérieure à toute autre, uniquement inférieure à celle du Christ nous
  révélant son Père, laquelle était infinie puisque c’était la puissance même
  de Dieu.
 
 Les quatre Vivants qui se tenaient autour du trône étaient constellés d’yeux
  (Apocalypse 4, 7-8). Ils étaient en
  effet les contemplatifs, ceux qui avaient bien contemplé le Christ pour bien
  pouvoir le décrire et le confesser.
 
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 618> Mais Jean, l’aigle, l’avait contemplé en aigle de ses
  yeux mortels et immortels, en pénétrant d’un regard d’aigle dans l’ardent
  mystère du Christ. Par-delà la vie sur terre, désormais aux côtés de l’Aimé,
  il le fixe d’un regard parfait qui pénètre jusqu’au cœur du mystère et
  entonne l’hymne de louange que les autres Vivants et les vingt-quatre autres
  vieillards suivent, pour encourager leur âme à annoncer les événements des
  derniers temps: l’horreur suprême, la persécution suprême, les fléaux ultimes
  et les suprêmes victoires du Christ, ainsi que les joies suprêmes et
  éternelles de ses disciples fidèles.
 
 Les premiers mots de son cantique évangélique constituent une louange à la
  Lumière. Les derniers mots de l’Apocalypse sont un cri de réponse aimante en
  même temps qu’un appel aimant: « Oui, mon retour est
  proche! »,  « Viens, Seigneur
  Jésus! » Plus que tout, ces deux cris, celui de l’être aimé et celui de
  l’être aimant, nous dévoilent qui était Jean pour Jésus, et Jésus pour Jean.
  Il était: l’Amour.
 
 Cet homme porté par un amour ardent qui s’éleva par l’esprit et
  l’intelligence en des sphères éminentes et pénétra les mystères les plus
  élevés comme aucun autre apôtre ou évangéliste, comparons-le à l’homme, à
  Matthieu. Jean était tout esprit, de plus en plus esprit; Matthieu était
  matière, complètement matière jusqu’à ce que le Christ le convertisse et en
  fasse son disciple. Jean était un ange à l’apparence humaine, mieux, un
  séraphin dont les ailes d’aigle l’emportaient là où il est donné à bien peu
  de personnes de s’élever; Matthieu était un homme, même après sa conversion
  qui le fit passer de l’état de pécheur à celui d’homme de Dieu, c’est-à-dire
  un homme à nouveau élevé à l’état de créature raisonnable et destiné à la vie
  éternelle du ciel. Mais il reste un homme, sans la culture de Luc, sans la
  sagesse surnaturelle de Jean, sans la force de lion de Marc. Sur l’échelle
  mystique des évangélistes, on peut placer Matthieu au premier degré, Marc au
  quart de l’échelle, Luc à mi-hauteur et Jean au sommet.
 
 Mais le fait d’être resté "homme" ne lui porta pas tort, bien au
  contraire: cela servit à le faire grandir en perfection tout en le gardant humble,
  repentant de son passé, de même que sa description du Verbe fait chair,
  "homme" plus que Maître, thaumaturge ou Dieu, servit, à l’époque et
  dans les siècles à venir, à rappeler, confesser et affirmer la vraie nature
  du Christ, qui était éternellement le Verbe du Père mais aussi l’Homme
  réellement incarné, par un miracle unique et divin, dans le sein de la Vierge
  pour devenir le Maître et Rédempteur pour les siècles des siècles.
 
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 619> Il n’a connu ni les extases d’amour de Jean ni
  l’admirable économie de Luc, qui ne s’est pas borné à parler du Christ Maître
  mais nous relate même ce qui constitue la préparation au Christ, à savoir sa
  Mère et les événements qui ont précédé les manifestations publiques de Jésus
  Christ, pour nous faire tout connaître, pour confirmer les prophètes et pour
  détruire — par le récit exact de la vie cachée de Jésus, de Marie et de
  Joseph — les futures hérésies qui allaient survenir, et ne sont d’ailleurs
  pas toutes éteintes. Ces dernières altèrent la vérité sur le Christ, sur sa
  vie, sur son enseignement et sur sa personne qui était en bonne santé, forte,
  patiente, héroïque comme nulle autre ne le fut jamais.
 
 Qui nous montre aussi bien que Luc le Christ sauveur et rédempteur qui
  commence sa Passion par la sueur de sang de Gethsémani? Mais si Luc est
  l’historien érudit, Marc est l’impulsif qui impose le Christ aux foules
  païennes en mettant en évidence la puissance surnaturelle, et même divine, de
  ses miracles de toutes sortes.
 
 Chaque évangéliste a servi à composer la mosaïque qui nous révèle Jésus
  Christ Homme-Dieu, sauveur, maître, rédempteur, vainqueur de la mort et du
  démon, juge éternel et Roi des rois pour l’éternité. C’est la raison pour
  laquelle, dans la théophanie décrite par l’apôtre Jean dans son Apocalypse,
  ils servent tous les quatre, sous l’aspect propre à chacun, de fondement et
  de couronne au Trône où siège celui qui est, qui était et qui doit venir, et
  qui est l’Alpha et l’Oméga, le principe et la fin de tout ce qui était, est
  et sera (Apocalypse 4, 5-9); et
  leurs voix, unies à celles des vingt-quatre vieillards — c’est-à-dire des
  douze principaux patriarches et des douze plus grands prophètes, ou prophètes
  majeurs — chantent un hymne de louange éternel à celui qui est très saint et
  tout-puissant.
 
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 620> Douze plus douze: ce nombre était un nombre sacré pour
  les juifs. Il y a douze patriarches, douze fils de Jacob, douze tribus
  d’Israël; et s’il n’y a que dix commandements de la Loi — les commandements
  donnés par Dieu le Père à Moïse au Sinaï (Ex
  20) —, ils sont en réalité au nombre de douze depuis que le Verbe du
  Père, la sagesse éternelle et parfaite, a complété et perfectionné la Loi en
  enseignant les commandements des commandements: « Aime Dieu de tout ton
  être et ton prochain comme toi-même. » Car ces deux premiers
  commandements — les principaux — servent en réalité de fondement de vie aux
  dix autres: en effet, les trois premiers ne peuvent être pratiqués si l’on
  n’aime pas Dieu de tout son être, de toutes ses forces et de toute son âme,
  de même que les sept autres ne peuvent l’être à moins d’aimer le prochain
  comme soi-même en ne manquant pas à l’amour, à la justice, à l’honnêteté dans
  aucun domaine et à l’égard de toute autre personne.
 
 La Loi prescrivait qu’un enfant juif devait avoir douze ans pour devenir un
  fils de la Loi. Et Jésus, fidèle à la Loi, voulut douze apôtres pour le
  suivre, parce que ce nombre était sacré. Si par la suite un rameau pourri est
  tombé et que la nouvelle plante en a gardé onze seulement, un nouvel et saint
  rameau ne tarda pas à renaître sur la plante du christianisme, de manière à
  rétablir le nombre sacré.
 
 Que de nombres sacrés en Israël! Chacun fut ensuite transféré à la nouvelle
  Église avec son symbolisme: le trois, le sept, le douze, le soixante-douze.
  Et la vérité resplendira dans les temps futurs sur les nombres encore obscurs
  que contient l’Apocalypse, nombres qui tendent à indiquer d’un côté la
  perfection et la sainteté infinies, de l’autre l’impiété elle aussi sans
  mesure.
 
 Jehoshua = Perfection, sainteté, salut est un mot à huit lettres. Satana = Impiété, ennemi du genre humain, perfection du mal,
  est un mot à six lettres.
 
 Or puisque le premier est le nom du Bien parfait et le second celui du Mal
  parfait, c’est-à-dire sans mesure, chacun d’eux multiplie par trois (chiffre
  de la perfection) le nombre de ses lettres, le premier devenant ainsi huit
  cent quatre-vingt-huit et le second six cent soixante-six. Malheur, quatre
  fois malheur à ces jours où le Bien infini et le Mal infini se livreront
  l’ultime combat avant la victoire définitive du Bien et des bons, et la
  défaite définitive du Mal et de ses serviteurs!
 
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 621> Tout ce qui a pu exister d’horreur et de sang depuis la
  création de la terre ne sera rien en comparaison de l’horreur de cet ultime
  combat. C’est pourquoi Jésus, le Maître, a parlé si clairement à ses
  disciples lorsqu’il a prédit les derniers temps: pour préparer les hommes à
  ces combats ultimes où seuls ceux qui auront une foi intrépide, une charité
  ardente et une espérance inébranlable pourront persévérer sans tomber sous le
  coup de la damnation et mériteront ainsi le ciel.
 
 Or le monde ne cesse de descendre vers l’abîme, vers la non-foi ou une foi
  trop faible; la charité et l’espérance s’affaiblissent chez un trop grand
  nombre de personnes — elle est même déjà morte chez beaucoup —; c’est
  pourquoi il faudrait utiliser tous les moyens possibles pour que Dieu soit
  mieux connu, aimé et suivi. Ce qu’un prêtre, fui ou non écouté par trop de
  gens, ne peut obtenir, la presse, les livres par lesquels il faut à nouveau présenter
  la Parole de Dieu aux foules, le peuvent.
 
 Un mot suffit parfois à relever un esprit abattu, à ramener sur le droit
  chemin une âme égarée, à empêcher le suicide définitif d’une autre.
 
 C’est la raison pour laquelle Dieu, qui voit et sait tout des hommes, révèle
  par les moyens de son amour infini ses pensées et ses désirs à des âmes
  choisies par lui pour cette mission; il veut que son aide ne reste pas
  inféconde et souffre de voir ce qui est destiné à être nourriture de salut
  pour beaucoup ne pas leur être transmis.
 
 Le besoin des âmes faibles d’obtenir quelque nourriture spirituelle ne cesse
  d’augmenter. Mais le grain élu, donné par Dieu, demeure enfermé et inutile,
  de sorte que la faiblesse s’accroît, ainsi que le nombre de personnes qui
  périssent, moins dans cette vie que dans l’autre.
 
 Quand une connaissance plus vraie, plus étendue, plus profonde du Christ
  permettra-t-elle, une fois levés enfin les sceaux mis sur ce qui est source
  de vie, de sainteté et de salut éternel, à une multitude d’âmes de chanter
  l’hymne de joie, de bénédiction, de gloire à Dieu qui les aura aidées à se
  sauver et à faire partie du peuple des saints?
 
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 622> Avec quels mots et quels regards le Juge éternel s’adressera-t-il
  à ceux qui auront empêché nombre d’âmes de se sauver, et ce de leur propre
  volonté? Comment leur demandera-t-il compte de ceux qui n’auront pu aller au
  ciel parce qu’eux, à l’instar des scribes et des pharisiens d’autrefois, leur
  ont fermé à la figure la route qui pouvait les mener au Royaume des cieux
  (Matthieu 23,13) et, s’aveuglant volontairement et endurcissant leur cœur
  (Isaïe 6,10), ont refusé de voir et de comprendre?
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