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Les visions de scènes de l'Evangile
par Maria Valtorta n'est pas un cas unique. De grandes saintes en ont
bénéficié : sainte Marie Madeleine de Pazzi, sainte Brigitte de Suède, sainte
Thérèse d'Avila, sainte Hildegarde de Bingen, sainte Gertrude de Helfta, sainte Angèle de Bohême.
Quatre voyantes ont bénéficié de visions plus complètes de scènes de la vie
de la Vierge Marie ou de scènes de l'Évangile :
Marie d'Agreda, espagnole
(1602-1665). Ses visions de la vie de la Vierge Marie, reçues à l'âge de 25
ans, ont été regroupées dans l'ouvrage "la Cité mystique de Dieu".
Sa rédaction a été faite une première fois par Maria d'Agreda après bien des
réticences en 1637, puis brûlée par elle-même, avant d'être rédigée une
seconde fois quelques années plus tard en 1660, peu de temps avant sa mort.
Anne-Catherine Emmerich, allemande
(1774-1824). Ses visions ont été recueillies par une tierce personne, Clemens
Brentano. Elles ont générées pas moins de 16.000 feuillets de sa part mais
leur publication n'a pas été faite du vivant de la voyante et donc sous son
contrôle. Au contraire leur publication a donné lieu a de nombreuses péripéties. Un premier livre
"La Passion" est publié par Brentano en 1833 à partir de ses notes.
Il sera suivi d'une "Vie de la Sainte vierge Marie" qui n'aboutira
que dix ans après la mort de Clemens Brentano en 1852 par des parents et amis
qui remanieront énormément les notes, faisant subir à cette fresque
historique une énorme déformation.
Maria Valtorta, italienne
(1897-1961), son œuvre abondante (122 cahiers et 15.000
pages manuscrites) a été écrite par elle-même et immédiatement. Elle se
divise en trois parties : "l'Évangile tel qu'il m'a été révélé"
écrit entre 1943 et 1945, une catéchèse consignée dans les
"Cahiers" écrit entre 1943 et 1950, ainsi que d'autres œuvres annexes dont sa biographie.
Ce site publie en ligne les dix volumes de "l'Évangile
tel qu'il m'a été révélé" qui recouvrent la Vie Publique de Jésus ainsi
que des scènes de l'enfance de Marie et de Jésus.
Consuelo (contemporaine
hispanophone). Cette mère de famille anonyme a reçu par locutions internes des
enseignements de la Vierge Marie consignés dans une
premier ouvrage "Marie, Porte du Ciel" écrit en trois mois en 1987,
puis un second ouvrage "Marie, étoile de l'évangélisation" écrit en
1990. Ces deux ouvrages comportent des scènes de la vie de Marie. Un dernier
ouvrage "Marie, Trône de la Sagesse" ....
Si les quatre voyantes sont supposées avoir reporté une seule et même chose,
la vie de Marie et de Jésus, on peut cependant les différencier selon cinq
critères :
1 – Le statut des
auteurs
Si les voyantes sont toutes des femmes, dans la lignée historique des
voyantes, une seule est mère de famille, Consuelo. Deux sont atteintes de
souffrances physiques apparentes : Anne-Catherine Emmerich, stigmatisée, et
Maria Valtorta, clouée au lit. Ce sont ces deux qui recevront les visions les
plus complètes de la vie de Jésus. Deux sont religieuses, Maria d'Agreda et
Anne-Catherine Emmerich, toutes les deux honorées comme Vénérables par
l'Église. Encore faut-il noter que pour Anne-Catherine Emmerich ses visions
ne sont pas rapportées par elle-même, au contraire des trois autres, mais par
un tiers, le poète et confident Clemens Brentano. La canonisation
d'Anne-Catherine Emmerich n'est donc pas une caution apportée à une œuvre
qu'elle n'a ni écrite, ni corrigée elle-même.
2 – Les vies
observées
Les voyantes diffèrent sur les vies observées. Maria d'Agreda, Anne-Catherine
Emmerich et Consuelo décrivent principalement la vie de Marie, cette période
comprenant l'enfance de Marie et celle de Jésus, puis la période allant de la
Passion de Jésus à l'Assomption de Marie, à l'exception des Noces de Cana.
Une seule, Maria Valtorta, décrit non seulement les périodes couvertes par
les autres voyantes, mais aussi la Vie Publique de Jésus. Ceci explique
l'énorme différence entre les vies de Marie généralement reportées en environ
600 pages et la vie de Jésus décrite en près de 4.000 pages par Maria
Valtorta. Cela souligne aussi l'importance des visions de Maria Valtorta qui
est la seule a rapporter complètement la Vie Publique
de Jésus.
Encore convient-il de noter que les visions d'Anne-Catherine Emmerich,
consignées par Clemens Brentano sur 16.000 feuillets annotés, devaient
probablement couvrir aussi l'ensemble de la Vie Publique de Jésus. Après la
"Passion" publiée de son vivant et la "Vie de Marie",
publiée malheureusement dix ans après sa mort, Clemens Brentano avait
envisagé de publier une "Vie publique de Jésus" qui devait clore la
trilogie. C'est ce projet avorté que tentera de reprendre plus tard le
rédemptoriste Karl Erhard Schmoeger en compilant la
somme des documents emmerickiens dans une même
œuvre très contestée : "la vie de Jésus".
3 - Les finalités
de l'œuvre
Les différentes œuvres comportent une proportion différente de scènes vues et
rapportées par les voyantes, et de commentaires ou enseignements reçus de
Marie ou Jésus. Cette proportion différente donne deux principales finalités
: une visant à la reconstitution des faits et une autre visant à la
catéchèse.
Les deux voyantes hispanophones, Maria d'Agreda et Consuelo font
systématiquement alterner la vision des scènes de la Vie de Marie avec une
catéchèse (ou commentaires) de la Vierge Marie. Avec ces œuvres, on se trouve
sur une construction qui n'est pas sans rappeler le rosaire en ce qu'elles
développent systématiquement une méditation suivant la contemplation d'un
fait.
Cette méditation prend chez Consuelo une part prépondérante. Dans le Prologue
de "Marie Porte du Ciel", la Vierge Marie précise d'ailleurs ses
instructions : "Tu ne dois pas prêter attention aux dates ni aux
chiffres, car ce livre n'est pas fait pour susciter des discussions ni des
disputes entre mes fils, mes enseignements doivent pénétrer plus profondément
dans les peuples de la terre". Le Cardinal équatorien Ruíz, préfaçant le second tome de l'œuvre de Consuelo, la
présente d'ailleurs explicitement comme "un ouvrage de spiritualité
chrétienne totalement imprégné de l'Écriture Sainte et destiné
particulièrement aux groupes de prière". Il n'est pas étonnant, dans ce
contexte, que les visions reçues par Consuelo soient les seules à avoir
générées un mouvement religieux, "Janua Caeli", Porte du Ciel.
A l'inverse la description de scènes vécues est très importante chez
Anne-Catherine Emmerich et chez Maria Valtorta. Les détails sur les lieux,
les personnages, les circonstances, y abondent. Avec elles, le lecteur fait
un saut dans le temps pour se retrouver deux mille ans en arrière. Cela
n’élimine pas les catéchèses pour Maria Valtorta, qui sont consignées dans
une œuvre
séparée : "les Cahiers". Dans "l'Évangile tel qu'il m'a été
révélé" les catéchèses sont donc moins systématiques que dans les
visions des deux hispanophones. Enfin, chez Maria Valtorta les
catéchèses sont souvent données par Jésus alors que pour Maria d'Agreda et
pour Consuelo, il s'agit principalement d'une catéchèse de la Vierge Marie.
La catéchèse ne figure pas explicitement dans les visions d'Anne-Catherine
Emmerich et cela tient probablement à l'histoire de cette œuvre. Elle n'en
est pas moins, pour autant, un ouvrage de spiritualité : l'enseignement se
déduit librement de la contemplation des scènes décrites.
Dans une œuvre donnée donc, l'importance de la catéchèse donnera à celle-ci
une ambiance plus intimiste propre à la méditation alors que l'importance des
scènes vécues conférera à celle-là un contexte de scènes vivantes propre à la
contemplation.
Pour schématiser, on pourrait dire que dans un cas les œuvres pourraient être
passées au crible de la critique théologique parce que l'enseignement en est
la finalité apparente et dans l'autre elles pourraient l'être à celui de la
critique historique car la restitution d'une véracité de faits en semble le
but principal. Bien évidemment, dans tous les cas, les œuvres particulières
ne peuvent contredire la Révélation publique consignée dans les quatre
Évangiles.
4 – Les
références bibliques
Les références à la Bible, ou les citations, sont là aussi en proportion
différentes. Chez Maria d'Agreda, les références aux textes de la Bible
apparaissent en contrepoint dans les commentaires dont elle ponctue ses
descriptifs de scènes. On sent que Maria d'Agreda, qui réécrit ses visions à
plusieurs années de distance, a conservé précieusement dans son cœur visions
et enseignements et que cette méditation constante a produit le style concis,
méthodique et argumenté qui lui est propre.
Dans l'œuvre de Consuelo, qui par beaucoup d'aspects rappelle l'œuvre de
Maria d'Agreda qu'elle cite d'ailleurs, les références bibliques abondent.
Elles sont reproduites in extenso, mais toujours à propos. C'est l'effet de
la catéchèse qui caractérise tant cette œuvre : il y a un lien constant et
voulu entre ce qui a été annoncé dans l'Écriture et sa réalisation dans
l'histoire de la Rédemption.
Dans l'œuvre de Maria Valtorta, les références à l'Ancien Testament, textes
et pages d'histoire, abondent tout au long des sept cents scènes de l'œuvre,
mais dans un contexte bien différent : elles y confortent l'enseignement d'un
Jésus parlant à des compatriotes éduqués à la parfaite connaissance de
l'Écriture. Il est donc rare de trouver un chapitre sans références allusives
ou explicites à la Torah, aux différents prophètes, grands comme petits, et
aux livres historiques ou sapientiaux. Certains passages sont tellement
contextualisés qu'il ne serait plus possible de donner ces enseignements à
notre époque, sans rappeler les textes et les faits historiques dont il est
question, à moins d'avoir à faire à un public particulièrement averti.
Dans l'œuvre d'Anne-Catherine Emmerich, cela sera moins présent, mais c'est
sans doute du au contexte de l'écriture de ses
visions.
5 – Les
déformations éventuelles par rapport aux visions initiales
Si chacune des quatre voyantes semble avoir eu des visions (comme le
déroulement d’un film, précise Maria Valtorta, grâce à des locutions internes
pour Consuelo), Marie d’Agreda les vit elle-même mais les rapporte quelques
années plus tard. En effet reçues à l'âge de 25 ans, ses visons ne seront
réellement retranscrites 33 ans plus tard, peu de
temps avant sa mort. Entre temps, elle a beaucoup médité sur ces visions et
cela se sent dans sa rédaction qu'elle agrémente de commentaires personnels.
Anne-Catherine Emmerich a sans doute vu différemment, mais sa rédaction n'est
pas faite par elle-même. Elle la raconté ses visions à Brentano. Brentano les
a notées chaque soir (non sous dictée) et une seconde rédaction a été faite à
partir de ces notes, après la mort de Clemens Brentano par ses parents et
amis. "Assurément, le manuscrit inachevé laissé en l'état par Brentano a
été non seulement complété à partir de ses propres notes, mais profondément
retouché, sans que l'on soit en mesure de déterminer dans quelle mesure
exacte : une étude critique du texte reste encore à faire" conclut
Joachim Bouflet dans sa présentation de "La
vie de la Vierge Marie" (Presses de la Renaissance, 2006). Ce même
auteur commente plus loin le résultat de ces tribulations : "Autant
"La Passion" se présentait comme un ensemble cohérent qui, suivant
la trame évangélique, ne prêtait à aucune critique quant à l'orthodoxie du
texte non plus qu'à l'exactitude des faits historiques relatés, autant la Vie
de la Sainte Vierge Marie n'a d'autres repères que les apocryphes et
d'antiques traditions sujettes à caution".
Maria Valtorta elle, a écrit aussitôt sur son lit de malade au fur et à
mesure qu’elle recevait les visons sans ordre chronologique. Elle notait le
puzzle d’information au fur et à mesure et Jésus guidait sa rédaction et qui
lui en donnera le plan ultérieurement. Ses 122 cahiers manuscrits, soit près
de 15.000 pages comportant ces visions notées dans le désordre et sans
ratures, sont conservés en archives au Centro Editoriale Valtortiano.
Donc quatre expressions successives avec d’inévitables transpositions que
notre confrontation manifeste à chaque pas.
Alors que le Protévangile tient en une trentaine de pages en allant seulement
jusqu’à l’Annonciation, les visions de Marie d’Agreda sont consignées dans un
livre faisant 450 pages environ. Celles d'Anne-Catherine Emmerich, reçues par
Brentano, sont aussi de cette taille dans l’édition récente préfacée par
Joachim Bouflet, mais il faut lui ajouter la
narration des scènes de la Passion qui font l'objet d'une œuvre séparée. Celles de Maria Valtorta occupent près de
4.000 pages réparties en dix volumes et couvre l'ensemble de la Vie Publique
de Jésus. Les locutions intérieures reçues par Consuelo sont consignées dans
900 pages réparties en deux (trois?) volumes.
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