| Le jeudi 5 juillet 1945. 399>  209.1 – La nouvelle qu'Élise s'est
  décidée à sortir de sa mélancolie tragique s'est répandue dans le pays. C'est
  au point que, quand Jésus suivi des apôtres et des disciples va vers la
  maison en traversant le pays, beaucoup de gens l'observent attentivement et
  même interrogent tel et tel berger à son sujet, sur sa venue, sur ceux qui
  sont avec Lui, et qui est l'enfant, et quelles sont les femmes, et quel
  remède il a donné à Élise pour la tirer de la nuit de la folie, si vite, dès
  qu'apparu, et ce qu'il fera, et ce qu'il dira... C’est à qui a le plus envie
  de poser des questions... 
 En dernier lieu on pose la question :
 
 "Ne pourrions-nous pas venir, nous aussi ?"
 
 Ce à quoi les bergers répondent :
 
 "Cela nous ne le savons pas. Il faut le demander au Maître.
  Allez-y."
 
 "Et, s'il nous reçoit mal ?"
 
 "Il ne reçoit jamais mal, pas même les pécheurs. Allez, allez. Il en
  sera content."
 
 Haut
  de page.
 
 400>
  209.2 – Un groupe de personnes :
  femmes et hommes, la plupart assez âgés comme Élise, s'interrogent et puis
  s'avancent, s'approchent de Jésus qui parle avec Pierre et Barthélemy et
  l'appellent, pas très sûrs d'eux : 
 "Maître..."
 
 "Que voulez-vous ?" demande Barthélemy.
 
 "Parler avec le Maître, pour demander..."
 
 "La paix vienne à vous. Quelles questions voulez-vous me
  poser ?"
 
 Les gens s'enhardissent en le voyant sourire et disent :
 
 "Nous sommes tous des amis d'Élise, de sa maison. Nous avons entendu
  dire qu'elle est guérie. Nous voudrions la voir. Et t'entendre. Pouvons-nous
  venir ?"
 
 "Pour m'entendre, certainement. Pour la voir, non, amis. Mortifiez votre
  amitié et aussi votre curiosité, car il y a de cela aussi. Respectez une
  grande douleur qu'il ne faut pas troubler."
 
 "Mais, n'est-elle pas guérie ?"
 
 "Elle revient à la Lumière. Mais lorsque cesse la nuit, est-ce que le
  plein midi arrive tout d'un coup ? Et quand on rallume un feu éteint, la
  flamme est-elle puissante, tout de suite ? C'est la même chose pour
  Élise. Et si un vent intempestif souffle sur la petite flamme qui surgit, ne
  l'éteint-il pas peut-être ? Soyez donc prudents. La femme n'est qu'une
  plaie. Même l'amitié pourrait l'exaspérer, car elle
  a besoin de repos, de silence, de solitude non plus tragique comme était
  celle d'hier, mais d'une solitude résignée pour se retrouver elle-même..."
 
 "Alors quand donc la verrons-nous ?"
 
 "Plus tôt que vous ne pensez. Parce que désormais elle se trouve dans le
  sillage du salut. Mais si vous saviez ce que c'est que de sortir de ces ténèbres !
  Elles sont pires que la mort. Et qui en sort, au fond, a honte d'y avoir été
  et que le monde le sache."
 
 "Tu es médecin ?"
 
 "Je suis le Maître."
 
 Ils sont arrivés devant la maison.
 
 Jésus se tourne vers les bergers :
 
 "Allez dans la cour. Que vienne avec vous qui veut. Mais que personne ne
  fasse de bruit et n'aille plus loin que la cour. Veillez-y, vous aussi"
  dit-il aux apôtres, "pour que tout se passe bien. Et vous (il parle à
  Salomé et à Marie d'Alphée) faites attention que l'enfant ne fasse pas de
  vacarme. Adieu !"
 
 Haut
  de page.
 
 401> Il frappe à la
  porte, pendant que les autres prennent un sentier et s'en vont à l'endroit
  convenu.
 
 
  209.3 – La servante ouvre. Jésus entre
  au milieu des courbettes répétées de la servante. 
 "Où est ta maîtresse ?"
 
 "Avec ta Mère... et, pense ! elle est descendue au jardin !
  Quelle affaire ! Quelle affaire ! Et hier soir, elle est venue dans
  la salle à manger... Elle pleurait, mais elle est venue. J'aurais voulu
  qu'elle prenne aussi de la nourriture, au lieu de la goutte de lait
  habituelle, mais je n'y suis pas arrivée !"
 
 "Elle la prendra. N'insiste pas. Sois patiente aussi dans ton amour pour
  ta maîtresse."
 
 "Oui, Sauveur, je ferai tout ce que tu dis."
 
 Je crois qu'en effet si Jésus avait commandé à la femme de faire les choses
  les plus étranges, elle les aurait faites sans discuter, tant elle est
  persuadée que Jésus est Jésus et que tout ce qu'il fait est bien.
 
 Pendant ce temps, elle l'accompagne dans un vaste jardin plein d'arbres
  fruitiers et de fleurs. Mais si les arbres fruitiers ont pensé par eux-mêmes
  à se revêtir de feuilles et à fleurir, à nouer les fruits et les faire
  grossir, les pauvres fleurs, dont on ne s'occupe plus depuis un an, sont
  devenues un bosquet nain et enchevêtré où les plantes les plus faibles et les
  moins hautes étouffent sous le poids des plus vigoureuses. Parterres,
  sentiers, tout disparaît dans un enchevêtrement chaotique. Dans le fond du
  jardin seulement, où la servante a fait pousser pour ses besoins des salades
  et des légumes, il y a un peu d'ordre.
 
 Marie est avec Élise sous une tonnelle toute ébouriffée de sarments et de
  vrilles qui descendent jusqu'à terre. Jésus s'arrête et regarde sa jeune Mère
  qui avec beaucoup de finesse éveille la pensée d'Élise et la dirige vers des
  objets bien différents de ceux qui jusqu'à hier accaparaient les pensées de
  la femme désolée.
 
 La servante va trouver sa maîtresse et lui dit :
 
 "Le Sauveur est venu."
 
 Les femmes se retournent en allant vers Lui, l'une avec son doux sourire,
  l'autre avec son visage fatigué et égaré.
 
 "La paix soit à vous. C'est un beau jardin..."
 
 "Il était beau..." dit Élise.
 
 Haut
  de page.
 
 402> "Et la terre
  est fertile, regarde quels beaux fruits se préparent à mûrir ! Et que de
  fleurs sur ces rosiers ! Et là ? Ce sont des lis ?"
 
 "Oui, autour du bassin où mes enfants se sont tant amusés. Mais alors il
  était en ordre... Maintenant, ici, tout est en ruines. Il ne me semble plus
  que ce soit le jardin de mes fils."
 
 "En peu de jours, il redeviendra comme auparavant. Moi je t'aiderai.
  N'est-ce pas, Jésus ? Tu vas me laisser ici quelques jours avec Élise.
  Nous avons tant à faire..."
 
 "Tout ce que tu veux, je le veux."
 
 Élise le regarde et murmure :
 
 "Merci."
 
 Jésus caresse sa tête blanchie et puis prend congé pour aller vers les
  bergers.
 
 
  209.4 – Les femmes restent au jardin
  mais, peu après, quand elle entend la voix de Jésus, saluant les personnes
  présentes, qui se répand dans l'air tranquille, Élise, comme attirée par une
  force irrésistible, s'approche lentement d'une haie très haute qui sépare le
  jardin de la cour. Jésus parle d'abord aux trois bergers. Il se trouve tout
  près de la haie, avec, en face de Lui, les apôtres et les habitants de
  Bet-Çur qui l'ont suivi. Les Marie, avec l'enfant, sont assises dans un coin. 
 
  Jésus dit aux bergers : 
 "Mais, êtes-vous liés par contrat ou bien pouvez-vous quitter votre
  emploi n'importe quand ?"
 
 "Voilà, en réalité nous sommes des serviteurs libres, mais quitter tout
  d'un coup, maintenant que les troupeaux réclament tant de soins et qu'il est
  difficile de trouver des bergers, cela ne nous paraît pas beau."
 
 "Non, ce ne serait pas beau, mais il n'est pas nécessaire que ce soit
  tout de suite. Je vous le dis à l'avance pour que vous prépariez un juste
  arrangement. Je vous veux libres pour vous unir aux disciples et m'apporter
  votre aide..."
 
 "Oh ! Maître… !"
 
 Les trois sont dans une extase de joie.
 
 "Mais, serons-nous
  capables ?" disent-ils ensuite.
 
 "Je n'en doute pas. Alors, c'est entendu. Dès que possible, vous vous
  unissez à Isaac."
 
 "Oui, Maître."
 
 Haut
  de page.
 
 403> "Allez, vous
  aussi, avec les autres.
 
  209.5 – Je parlerai aux gens." 
 Et, les bergers congédiés, il se tourne vers la foule.
 
 "La paix soit avec vous.
 
 Hier, j'ai entendu parler deux grands infortunés. L'un à l'aurore de la vie,
  l'autre à son crépuscule :
  deux âmes que faisait pleurer leur désolation. Et j'ai pleuré en mon cœur
  avec eux en voyant combien de souffrances il y a sur la terre et comment Dieu
  seul peut les soulager. Dieu ! La connaissance exacte de Dieu, de sa
  grande, de son infinie bonté, de sa présence continuelle, de ses promesses.
  J'ai vu comment l'homme peut être torturé par l'homme et comment il peut être
  entraîné par la mort en des désolations sur lesquelles travaille Satan pour
  augmenter la douleur et pour créer des ruines. Je me suis dit alors :
  "Les fils de Dieu ne doivent pas souffrir de cette torture dans leurs
  tortures. Donnons la connaissance de Dieu à celui qui l'ignore, rendons-la à
  celui qui l'a oubliée sous les bourrasques de la douleur". Mais j'ai vu
  aussi que Moi seul je ne suffis plus aux besoins infinis des frères. Et j'ai
  décidé d'en appeler beaucoup, un nombre toujours plus grand pour que tous
  ceux qui ont besoin du réconfort de la connaissance de Dieu puissent l'avoir.
 
 Ces douze sont les premiers. En m'aidant, ils sont capables d'amener à Moi,
  et par conséquent au réconfort, tous ceux qu'accable le poids trop grand de
  la douleur. En vérité, je vous le dis :
  venez à Moi, vous tous qui êtes
  affligés, dégoûtés, qui avez le cœur blessé, qui êtes fatigués, et je
  partagerai votre douleur et vous donnerai la paix.
  Venez, par l'intermédiaire de mes apôtres, de mes disciples, hommes et
  femmes, dont le nombre s'accroît chaque jour de nouveaux volontaires. Vous
  trouverez le réconfort dans vos douleurs, une compagnie dans vos solitudes,
  l'amour des frères, pour vous faire oublier la haine du monde. Vous
  trouverez, élevé au-dessus de tous, suprême consolateur, compagnon parfait,
  l'amour de Dieu. Vous ne douterez plus de rien. Vous ne direz jamais
  plus : "Tout est fini pour moi !", Mais vous direz :
  "Tout pour moi commence dans un monde spirituel qui abolit les distances
  et supprime les séparations", un monde où les orphelins seront unis à
  leurs parents montés jusqu'au sein d'Abraham, où les pères et mères
  retrouveront les enfants qu'ils ont perdus, où les épouses et les veufs
  retrouveront leur conjoint. 
 Haut
  de page.
 
 404>
  209.6 – C'est en cette terre de Judée,
  proche encore de la Bethléem de Noémi, que je vous rappelle comment l'amour
  soulage la douleur et rend la joie. 
 Regardez, vous qui pleurez, la désolation de Noémi
  après que sa maison resta sans hommes. Écoutez ses paroles d'adieu découragé
  à Orpha et Ruth : "Retournez à la maison
  de votre mère, que le Seigneur use de miséricorde envers vous comme vous avez
  usé de miséricorde avec ceux qui sont morts et avec moi..." Écoutez ses
  paroles lasses et insistantes. Elle n'espérait plus rien de la vie, elle qui
  autrefois était la belle Noémi et qui maintenant était la Noémi tragique,
  brisée par la douleur. Elle pensait seulement à retourner, pour y mourir, aux
  lieux où elle avait été heureuse au temps de sa jeunesse entre l'amour de son
  mari et les baisers de ses fils. Elle disait : "Allez, allez.
  Inutile de venir avec moi... Je suis comme une morte... Ma vie n'est plus
  ici, mais là-bas dans la vie de l'au-delà où eux se trouvent. Ne
  sacrifiez plus votre jeunesse à côté d'une chose qui meurt, car réellement je
  ne suis plus qu'une 'chose'. Tout m'est indifférent. Dieu m'a tout pris... Je
  suis une angoisse. Et je ferais votre angoisse... et elle me pèserait sur le
  cœur. Et le Seigneur m'en demanderait réparation, Lui qui m'a déjà tant
  frappée, car vous retenir vous qui êtes vivantes près de moi qui suis morte
  serait de l'égoïsme. Retournez chez vos mères..."
 
 Mais Ruth resta pour soulager cette douloureuse vieillesse. Ruth avait
  compris qu'il y a des douleurs plus grandes que celles qu'on a à supporter et
  que sa douleur de jeune veuve était moins lourde que la douleur de celle qui,
  en plus de son mari, avait perdu ses deux fils. Comme la douleur de
  l'orphelin, réduit à vivre de mendicité sans jamais plus de caresses, sans
  jamais plus de bons conseils, est bien plus grande que celle de la mère qui a
  perdu ses enfants. Comme la douleur de celui qui, par un ensemble de motifs,
  arrive à haïr le genre humain et voit en tout homme un ennemi dont il a à se
  défendre et qu'il doit craindre, est encore plus grande que les autres
  douleurs parce qu'elle affecte non seulement la chair, le sang, la mentalité,
  mais l'esprit avec ses devoirs et ses droits surnaturels et l'amène à sa
  perdition.
 
 Haut
  de page.
 
 405> Combien, dans le
  monde, il y a de mères sans enfants et d'enfants sans mères ! Combien il
  y a de veuves sans enfants qui pourraient assister les vieillesses
  solitaires ! Combien il y en a qui, privés d'amour parce que ce sont
  tous des malheureux, pourraient employer leur besoin d'aimer et combattre la
  haine en donnant, donnant, donnant de l'amour à l'Humanité malheureuse qui
  souffre toujours plus parce qu'elle hait toujours plus !
 
 
  209.7 – La douleur est une croix, mais
  elle est aussi une aile. Le deuil nous dépouille, mais pour nous revêtir.
  Debout, vous qui pleurez ! Ouvrez vos yeux, sortez des cauchemars, des
  ténèbres, des égoïsmes ! Regardez... Le monde est une lande où l'on
  pleure et où l'on meurt. Et le monde crie : "Au
  secours !" par la bouche des orphelins, des malades, des solitaires,
  de ceux qui doutent, par la bouche de ceux qu'une trahison, une cruauté font
  prisonniers de la rancune. Allez vers ceux qui crient ! Oubliez-vous au
  milieu de ceux qui sont oubliés ! Guérissez-vous au milieu des
  malades ! Espérez au milieu des désespérés ! Le monde est ouvert à
  toutes les bonnes volontés qui veulent servir Dieu dans le prochain et
  conquérir le Ciel : s'unir à Dieu et s'associer à ceux qui pleurent. Ici
  c'est l'entraînement fécond, là c'est le triomphe. Venez. Imitez Ruth auprès
  de toutes les douleurs. Dites, vous aussi : "Je serai avec vous
  jusqu'à la mort". Même s'ils vous répondent ces infortunés qui se
  croient incurables : "Ne m'appelez plus Noémi, mais appelez-moi Mara car Dieu m'a remplie d'amertume",
  persistez. Et Moi, je vous dis qu'en vérité un jour, grâce à votre
  insistance, ces malheureux s'exclameront : "Béni soit le Seigneur
  qui m'a sorti de l'amertume, de la désolation, de la solitude par les soins
  d'une créature qui a su faire fructifier sa douleur en bonté. Que Dieu la
  bénisse éternellement car elle a été pour moi le salut". |