Le lundi 4 juin
1945
164> 179.1 – Jésus me dit en me montrant le
cours du Jourdain, ou plutôt l'endroit où il débouche dans le lac de
Tibériade, là où s'étend la cité de Bethsaïda sur la rive droite du fleuve
par rapport à celui qui regarde le nord :
"Maintenant la ville ne semble plus être sur les rives du lac mais un
peu vers l'intérieur dans les terres et cela déconcerte les spécialistes. On
doit chercher l'explication dans le fait que de ce côté le lac a été comblé
par vingt siècles d'alluvions apportées par le fleuve et par les éboulis
descendus des collines de Bethsaïde.
La ville était alors exactement à l'embouchure du fleuve dans le lac et même les
barques les plus petites, aux saisons où les eaux du fleuve étaient plus
hautes, remontaient sur un assez long parcours jusqu'à la hauteur de
Chorazeïn, le fleuve lui-même qui servait cependant toujours de port et
d'abri aux barques de Bethsaïda aux jours de tempête sur le lac. Ceci n'est
pas pour toi à qui la chose importe peu, mais pour les docteurs difficiles.
Et maintenant va de l'avant."
179.2 – Les barques des apôtres, après
avoir parcouru la portion assez courte du lac qui sépare Capharnaüm de
Bethsaïde,
amarrent dans cette ville. Mais d'autres barques les ont suivies et beaucoup
de gens en descendent et s'unissent à ceux venus de Bethsaïde pour saluer le
Maître qui entre dans la maison de Pierre où... se trouve de nouveau son
épouse qui a préféré vivre seule plutôt que d'entendre les plaintes
constantes de sa mère envers son mari.
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165> Les gens, au
dehors, réclament à grands cris le Maître. Cela ennuie Pierre qui monte sur
la terrasse et harangue ses concitoyens ou du moins, leur dit qu'il faudrait
un peu de respect et de politesse. Lui, maintenant qu'il l'a dans sa maison,
voudrait bien jouir un peu paisiblement de la présence du Maître. Au contraire,
il n'a pas le temps et le plaisir de Lui offrir seulement un peu d'hydromel
parmi les nombreuses choses qu'il a dit à sa femme d'apporter, et il
grommelle quelque peu.
Jésus le regarde en souriant et hoche la tête en disant :
"On dirait que tu ne me vois jamais et qu'il est exceptionnel de se
trouver ensemble !"
"Mais il en est ainsi ! Quand nous sommes par le monde, sommes-nous
par hasard Toi et moi ? Jamais de la vie ! Entre Toi et moi, il y a
le monde avec ses malades, avec ceux qui sont dans l'affliction, avec les
auditeurs, les curieux, les calomniateurs, les ennemis, mais nous ne sommes
jamais Toi et moi. Aujourd'hui, au contraire, tu es avec moi, dans ma maison
et ils devraient le comprendre !"
Il est vraiment fâché.
"Mais je ne vois pas de différence, Simon. Mon amour est le même. Ma
parole est la même. Que je te la dise à toi en privé, ou que je la dise pour
tous, n'est-ce pas la même chose ?"
179.3 – Pierre avoue alors sa grande
peine :
"C'est que je suis têtu et que je suis facilement distrait. Quand tu parles sur une place, sur une
montagne, au milieu d'une si grande foule, moi, je ne sais pourquoi, je
comprends tout mais je ne me rappelle de rien. Je l'ai dit aussi aux
compagnons et ils m'ont donné raison. Les autres, je veux dire le peuple qui
t'écoute, te comprend et se souvient de ce que tu dis. Combien de fois nous
avons entendu quelqu'un avouer : "Je n'ai plus fait cette chose
parce que tu l'as dit", ou encore : "Je suis venu parce qu'une
fois je t'ai entendu dire telle autre chose dont mon esprit a été
frappé". Nous, au contraire... hum ! c'est comme un courant d'eau
qui passe sans s'arrêter. La rive ne l'a plus, cette eau qui est passée. Il
en vient d'autre, toujours d'autre, et toujours tant. Mais elle passe, passe,
passe... Et moi, je pense avec terreur que, s'il en est comme tu dis, que
viendra le moment que tu ne seras plus là pour jouer le rôle du fleuve et...
et moi... Qu'aurai-je à donner à ceux qui ont soif, si je ne garde pas une
seule goutte de ce que tu me donnes ?"
Les autres aussi appuient les plaintes de Pierre, se lamentant de ne jamais
rien retrouver de ce qu'ils entendent quand ils voudraient le retrouver pour
répondre aux nombreuses personnes qui les interrogent.
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166> Jésus sourit et répond :
"Mais il ne me semble pas. Les gens sont très contents de vous
aussi..."
"Oh ! oui ! Pour ce que nous faisons ! Te faire de la
place, et pour cela jouer des coudes, porter les malades, recueillir les
oboles et dire : "Oui, le Maître c'est celui-ci !" C'est
du propre, en vérité !"
"Ne te rabaisse pas trop, Simon."
"Je ne me rabaisse pas, je me connais."
"C'est la plus difficile des sagesses. Mais je veux t'enlever
cette grande peur. Quand j'ai parlé et que vous n'avez pu tout comprendre et
retenir, demandez-moi sans craindre de paraître ennuyeux ou de me décourager.
Nous avons toujours des heures d'intimité. Ouvrez-moi alors votre cœur. Je
donne tant à tant de gens. Et que ne vous donnerais-je pas à vous que j'aime
comme Dieu ne le pourrait davantage ? Tu as parlé du courant qui passe
sans que la rive n'en garde rien. Un jour viendra où tu t'apercevras que
chaque flot t'a déposé une semence et que chaque semence t'a donné une
plante. Tu trouveras à ta portée fleurs et plantes pour tous les cas, et tu
seras étonné de toi-même en disant : "Mais, que m'a fait le
Seigneur ?" car alors tu seras racheté de l'esclavage du péché et
tes vertus actuelles se seront élevées à une haute perfection."
"Tu le dis, Seigneur, et je me repose sur cette parole."
179.4 – "Maintenant allons
trouver ceux qui nous attendent. Venez. Paix à toi, femme. Je serai ton hôte
ce soir."
Ils sortent, et Jésus se dirige vers le lac pour n'être pas bousculé par la
foule. Pierre a soin d'éloigner la barque de quelques mètres de la rive de
façon que tous puissent entendre la voix de Jésus,
mais qu'il y ait un peu d'espace entre Lui et les auditeurs.
"De Capharnaüm jusqu'ici, j'ai réfléchi à ce que j'allais vous dire. Et
j'ai trouvé des indications dans les événements de la matinée.
Vous avez vu venir vers Moi trois hommes.
L'un spontanément, l'autre parce que je le sollicitais, le troisième pris par
un enthousiasme soudain. Et vous avez vu aussi que des trois je n'en ai pris
que deux. Pourquoi ? Est-ce que par hasard j'ai vu un traître dans le
troisième ? Non, en vérité. Mais il n'était pas préparé. Apparemment
paraissait moins préparé celui qui est à côté de Moi, qui allait ensevelir
son père. Au contraire le moins préparé c'était le troisième. Le second était
si préparé, à son insu, qu'il a su accomplir un sacrifice vraiment héroïque.
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167> L'héroïsme pour suivre Dieu est toujours la preuve d'une forte
préparation spirituelle. Cela explique certains faits surprenants
survenus autour de Moi. Les plus préparés à
recevoir le Christ, quelles que soient leur caste et leur culture, viennent à
Moi avec une promptitude et une foi absolue. Les moins préparés m'observent
comme un homme qui sort de l'ordinaire, ou bien ils m'étudient avec méfiance
et curiosité ou bien encore ils m'attaquent et me dénigrent par des
accusations variées. Les différents comportements sont en proportion de
l'impréparation des esprits.
Dans le peuple élu, on devrait trouver partout des esprits prompts à recevoir
ce Messie dans l'attente duquel les Patriarches et les Prophètes se sont
consumés d'angoisse, ce Messie venu finalement précédé et accompagné de tous
les signes annoncés par les Prophètes, ce Messie dont la physionomie
spirituelle se dessine toujours plus claire à travers les miracles visibles
sur les corps et sur les éléments et à travers les miracles invisibles sur les
consciences qui se convertissent et sur les gentils qui se tournent vers le
Vrai Dieu. Mais il n'en est pas ainsi, au contraire. La promptitude à suivre
le Messie est fortement contrée justement chez les enfants de ce peuple et,
chose douloureuse à dire, elle l'est d'autant plus qu'on s'élève dans les
classes de sa société. Je ne le dis pas pour vous scandaliser mais pour vous
amener à prier et à réfléchir.
Pourquoi cela arrive-t-il ? Pourquoi les gentils et les pécheurs font
plus de chemin sur ma route ? Pourquoi eux accueillent ce que je dis et
les autres pas ? Parce que les enfants d'Israël sont ancrés ou plutôt
sont incrustés comme des huîtres perlières sur le banc où elles sont nées.
Parce qu'ils sont saturés, remplis, gonflés de leur sagesse et ne
savent pas faire place à la mienne en rejetant le superflu pour accueillir le
nécessaire. Les autres ne subissent pas cet esclavage. Ce sont de pauvres
païens ou de pauvres pécheurs qu'aucune ancre ne maintient en place,
semblables à des bateaux en dérive. Ce sont des pauvres qui n'ont pas de
trésors à eux mais seulement des fardeaux d'erreurs et de péchés. Ils s'en
défont joyeusement dès qu'ils arrivent à comprendre ce qu'est la Bonne
Nouvelle et ils en goûtent le miel fortifiant bien différent de la dégoûtante
mixture de leurs péchés.
179.5 – Écoutez,
et peut-être vous comprendrez mieux comme peuvent être différents les fruits
d'un même travail.
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168> Un semeur s'en alla semer. Ses
champs étaient nombreux et de différentes valeurs. Certains étaient un
héritage de son père et la négligence y avait laissé proliférer les plantes
épineuses. D'autres, c'était lui qui les avait acquis : il les avait
achetés tels quels à un homme négligent et les avait laissés dans cet état.
D'autres encore étaient coupés de routes car cet homme aimait le confort et
il ne voulait pas faire beaucoup de chemin pour aller d'une pièce à l'autre.
Enfin il y en avait quelques-uns, les plus proches de la maison auxquels il
avait consacré tous ses soins pour avoir une vue agréable devant sa demeure.
Ces derniers étaient bien débarrassés des cailloux, des ronces, du chiendent
et d'autres encore.
L'homme prit donc son sac de grains de semence, les meilleurs des grains, et
il commença l'ensemencement. Le grain tomba dans la bonne terre ameublie,
labourée, propre, bien fumée des champs les plus proches de la maison. Il
tomba sur les champs coupés de chemins et de sentiers, en y amenant de plus
la crasse de poussières arides sur la terre fertile. Une autre partie tomba
sur les champs où l'ineptie de 1'homme avait laissé proliférer les plantes
épineuses. Maintenant la charrue les avait bousculées, il semblait qu'elles
n'existaient plus, mais elles étaient toujours là parce que seul le feu, la radicale destruction des mauvaises
plantes les empêche de renaître. Le reste de la semence tomba sur les
champs achetés depuis peu et qu'il avait laissés comme ils étaient sans les
défricher en profondeur, sans les débarrasser de toutes les pierres répandues
dans le sol qui y faisait un pavage où les racines tendres ne pouvaient
pénétrer. Et puis, après avoir tout emblavé, il revint à la maison et dit :
"Oh ! c'est bien ! Maintenant je n'ai plus qu'à attendre la
récolte".
179.6 – Et puis il se délectait parce
qu'au fil des jours il voyait lever épais le grain dans les champs proches de
la maison, et cela poussait... oh ! le soyeux tapis ! et puis les
épis... oh ! quelle mer ! puis les blés blondissaient et
chantaient, en battant épi contre épi, un hosanna au soleil. L'homme
disait : "Tous les autres champs vont être comme ceux-ci !
Préparons les faux et les greniers. Que de pain ! Que d'or !"
Et il se délectait... Il coupa le grain des champs les plus proches et puis
passa à ceux hérités de son père, mais laissés sans culture. Et il en resta
bouche bée. Le grain avait abondamment poussé car les champs étaient bons et
la terre, amendée par le père, était grasse et fertile. Mais sa fertilité
avait agi aussi sur les plantes épineuses, bousculées mais toujours vivaces.
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169> Elles avaient repoussé et avaient
formé un véritable plafond de ramilles hérissées de ronces au travers duquel
le grain n'avait pu sortir qu'avec quelques rares épis. Le reste était mort
presque entièrement, étouffé.
L'homme se dit : "J'ai été négligent à cet endroit, mais ailleurs
il n'y avait pas de ronces, cela ira mieux". Et il passa aux champs
récemment acquis. Sa stupeur fit croître sa peine. Maigres et maintenant
desséchées les feuilles du blé gisaient comme du foin sec répandu de partout.
Du foin sec. "Mais comment ? Mais comment ?" disait
l'homme en gémissant. "Et pourtant, ici il n'y a pas d'épines ! Et
pourtant la semence était la même ! Et pourtant le blé avait poussé
épais et beau ! On le voit aux feuilles bien formées et nombreuses.
Pourquoi alors tout est-il mort sans faire d'épis ?" Et avec
douleur il se mit à creuser le sol pour voir s'il trouvait des nids de taupes
ou autres fléaux. Insectes et rongeurs non, il n'y en avait pas. Mais, que de
pierres, que de pierres ! Un amas de pierraille. Les champs en étaient
littéralement pavés et le peu de terre qui les recouvrait n'était qu'un
trompe-l’œil. Oh ! s'il avait creusé le terrain quand c'était le
moment ! Oh ! s'il avait creusé avant d'accepter ces champs et de
les acheter comme un bon terrain ! Oh ! si au moins, après avoir
fait l'erreur de les acheter au prix proposé sans s'assurer de leur qualité,
il les avait améliorés en se fatiguant ! Mais désormais c'était trop
tard et les regrets étaient inutiles.
L'homme se releva humilié et il se rendit aux champs qu'il avait coupés de
petits chemins pour sa commodité... Et il déchira ses vêtements de douleur.
Ici, il n'y avait rien, absolument rien... La terre foncée du champ était couverte
d'une légère couche de poussière blanche... L'homme tomba sur le sol en
gémissant: "Mais ici, pourquoi ? Ici il n'y a pas d'épines ni de
pierres, car ce sont nos champs. L'aïeul, le père, moi-même, nous les avons
toujours possédés et pendant des lustres et des lustres nous les avons rendus
fertiles. J'y ai ouvert les chemins, j'ai enlevé de la terre aux champs, mais
cela ne peut les avoir rendus stériles à ce point..." Il pleurait encore
quand une réponse à ses plaintes douloureuses lui fut donnée par une bande de
nombreux oiseaux qui s'abattaient des sentiers sur le champ et du champ sur
les sentiers pour chercher, chercher, chercher des graines, des graines, des
graines... Le champ, devenu un canevas de sentiers sur les bords desquels
était tombé du grain, avait attiré une foule d'oiseaux qui avaient mangé
d'abord le grain tombé sur les chemins et puis celui du champ jusqu'au
dernier grain.
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170> Ainsi l'ensemencement, le même pour
tous les champs, avait donné ici le cent pour un, ailleurs soixante, ailleurs
trente, ailleurs rien. Entende qui a des oreilles pour entendre. La semence
c'est la Parole: elle est la même pour tous. Les endroits où elle
tombe : ce sont vos cœurs. Que chacun en fasse l'application et
comprenne. La paix soit avec vous."
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179.7 – Puis,
se tournant vers Pierre, il lui dit :
"Remonte aussi haut que tu peux et amarre de l'autre côté."
Et pendant que les deux barques avancent un peu sur le fleuve pour s'arrêter
ensuite près de la rive, Jésus s'assoit et demande au nouveau disciple :
"Qui reste-t-il maintenant chez toi ?"
"Ma mère avec mon frère aîné marié depuis cinq ans. Mes sœurs sont
dispersées dans la région. Mon père était très bon et ma mère le pleure,
désolée."
Le jeune homme s'arrête brusquement car il sent un sanglot qui lui monte du
cœur.
Jésus le prend par la main et lui dit :
"J'ai connu Moi aussi cette douleur et j'ai vu pleurer ma Mère. Je te
comprends donc bien..."
Le frottement de la barque sur le gravier interrompt la conversation et l’on
débarque. Ici, ce ne sont plus les collines basses de Bethsaïde qui plongent
pour ainsi dire leurs nez dans le lac, mais une plaine avec de riches
moissons s'étend sur cette rive en face de Bethsaïde vers le nord.
"Nous allons à Mérom ?" demande Pierre.
"Non. Nous prenons ce sentier à travers champs."
Les champs, beaux et bien entretenus, montrent leurs épis, encore tendres
mais déjà formés.
Ils sont tous au même niveau et avec le léger ondoiement que leur imprime un
vent frais qui vient du nord, ils semblent former un autre petit lac où font
office de voiles les arbres qui se dressent ça et
là pleins de pépiements d'oiseaux.
"Ces champs ne sont pas comme ceux de la parabole" observe le
cousin Jacques.
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171> "Non, assurément ! Les
oiseaux ne les ont pas dévastés, il n'y a pas d'épines ni de cailloux. Un
beau grain ! D'ici un mois il sera déjà blond... et d'ici deux mois il
sera prêt pour la faux et le grenier"
dit Judas Iscariote.
"Maître... je te rappelle ce que tu as dit chez moi. Tu as si bien
parlé. Mais je commence à avoir dans la tête des nuages embrouillés comme
là-haut..." dit Pierre.
"Ce soir je te l'expliquerai.
179.8 – Maintenant nous sommes en vue
de Chorazeïn."
Jésus fixe le nouveau disciple et lui dit :
"On donne à celui qui donne et la possession n'enlève pas le mérite du
cadeau. Conduis-moi à votre tombeau et chez ta mère."
Le jeune homme s'agenouille en baisant tout en larmes la main de Jésus.
"Lève-toi. Allons. Mon esprit a ressenti ton chagrin. Je veux par mon
amour te fortifier dans l'héroïsme."
"Isaac,
l'Adulte, m'avait raconté à quel point tu étais bon. Isaac, tu sais ?
Celui dont tu as guéri la fille.
Il a été mon apôtre. Mais je vois que ta bonté est encore plus grande que ce
qu'il m'avait dit."
"Nous allons aussi saluer l'Adulte pour le remercier de m'avoir donné un
disciple."
On arrive à Chorazeïn et c'est justement la maison d'Isaac la première que
l'on rencontre. Le vieil homme qui rentre chez lui, quand il voit le groupe
de Jésus avec les siens, et parmi eux le jeune homme de Chorazeïn, il lève
les bras, avec son bâtonnet en mains, et en a le souffle coupé, et il reste
bouche bée. Jésus sourit et son sourire rend la parole au vieillard.
"Dieu te bénisse, Maître ! Mais d'où me vient cet
honneur ?"
"C'est pour te dire "merci".
"Mais de quoi, mon Dieu ? C'est moi qui dois te dire cette parole.
Entre, entre. Oh ! quelle douleur que ma fille soit au loin pour
assister sa belle-mère ! Car elle est mariée, sais-tu ? Toutes les bénédictions
depuis que je t'ai rencontré ! Elle guérie, et tout de suite après ce
riche parent revenu de loin, veuf, avec ces petits qui ont besoin d'une
mère... Oh ! mais je t'ai déjà dit ces choses !
Ma tête est vieille ! Pardonne-moi."
"Ta tête est sage et elle oublie aussi de se glorifier du bien qu'elle
fait pour son Maître. Oublier le bien que l'on a fait c'est de la sagesse.
Elle manifeste l'humilité et la confiance en Dieu."
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172/173> "Mais moi...
je ne saurais..."
"Et ce disciple, n'est-ce pas par toi que je l'ai ?"
"Oh !... mais je n'ai rien fait, sais-tu ? Je lui ai seulement
dit la vérité... et je suis content qu'Élie soit avec Toi."
Il se tourne vers Élie et lui dit :
"Ta mère, après le premier moment de stupeur, a essuyé ses larmes quand
elle a su que tu étais auprès du Maître. Ton père a eu, malgré cela, un deuil
plein de dignité. Il est depuis peu au tombeau."
"Et mon frère ?"
"Il se tait... sais-tu... cela lui a été un peu dur de te voir absent...
à cause du pays... Il pense encore ainsi..."
Le jeune homme se tourne vers Jésus :
"Tu l'as dit. Mais moi, je ne voudrais pas qu'il fût mort... Fais qu'il
devienne vivant comme moi, et à ton service."
Les autres ne comprennent pas et regardent d'un air interrogateur, mais Jésus
répond :
"Ne désespère pas et persévère."
Ensuite il bénit Isaac et s'en va malgré l'instance d'Isaac.
179.9 – Ils restent d'abord près du
tombeau fermé et ils prient. Puis, à travers un vignoble à demi-dépouillé,
ils vont vers la maison d'Élie.
La rencontre entre les deux frères est plutôt réservée. L'aîné se juge
offensé et veut le faire remarquer. Le cadet se sent humainement coupable et
ne réagit pas. Mais la mère arrive. Sans un mot, elle se prosterne et baise
le bord du vêtement de Jésus. Son arrivée rassérène l'atmosphère et les
esprits au point qu'on veut faire honneur au Maître.
Pourtant Jésus n'accepte rien et dit seulement :
"Que vos cœurs soient justes, l'un envers l'autre, comme était juste
celui que vous pleurez. Ne donnez pas un sens humain à ce qui est
surhumain : la mort et l'appel à une mission. L'âme du juste ne s'est
pas troublée de voir que le fils n'était pas à la sépulture de son cadavre.
Mais, au contraire, elle s'est apaisée en pensant à la sécurité de l'avenir
de son Élie. Que l'opinion du monde ne trouble pas la grâce de la vocation.
Si le monde a pu s'étonner de ne pas le voir près du cercueil de son père,
les anges ont exulté de le voir à côté du Messie. Soyez justes. Et toi,
fière, que ton fils te console. Tu l'as élevé avec sagesse et ton fils a été
appelé par la Sagesse. Je vous bénis tous. La paix soit avec vous, maintenant
et toujours."
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