Vision du mercredi 27
juin 1945
365> La veille de Pâque. Seul avec
ses disciples car les femmes ne sont pas avec le groupe, Jésus attend le
retour de Pierre qui a emmené l'agneau pascal à son sacrifice. Pendant qu'ils
attendent et que Jésus parle à l'enfant de Salomon,
voilà Judas qui traverse la grande cour. Il est avec un groupe de jeunes et
il parle avec de grands gestes grandiloquents, en prenant des poses
inspirées. Son manteau ne cesse de s'agiter et lui se drape avec des poses
savantes... Je crois que Cicéron n'était pas plus pompeux quand il prononçait
ses discours...
366> "Regarde
là-bas Judas !" dit Thaddée.
"Il est avec un groupe de saforim"
observe Philippe.
Et Thomas dit : "Je vais écouter ce qu'il dit" et il va sans
attendre que Jésus exprime son refus prévisible.
Jésus... oh ! quel visage a Jésus ! Il exprime une vraie souffrance
et un sévère jugement. Margziam, qui le regardait jusqu'alors pendant qu'avec
douceur et une légère tristesse il lui parlait du grand roi d'Israël, voit ce
changement et s'en épouvante presque. Il secoue la main de Jésus pour le
rappeler à lui et il dit : "Ne regarde pas ! Ne regarde
pas ! Regarde vers moi qui t'aime bien."...
Thomas réussit à rejoindre Judas sans être vu de lui et le suit pendant
quelques pas. Je ne sais ce qu'il lui entend dire. Je sais qu'il pousse à
l'improviste une exclamation de tonnerre qui fait se retourner plusieurs
personnes et spécialement Judas qui devient blême de rage : "Mais que
de rabbins a Israël ! Je me félicite avec toi, nouvelle lumière de
sagesse !"
"Je ne suis pas une pierre, mais une éponge, et j'absorbe. Et quand le
désir de ceux qui sont affamés de sagesse le réclame, voilà que je me presse
pour me donner avec tous mes sucs vitaux." La parole de Judas est
ampoulée et méprisante.
"Tu sembles un écho fidèle. Mais l'écho, pour subsister, doit rester
près de la Voix. Autrement il meurt, ami. Toi, il me semble que tu t'en
éloignes. Il est là. Tu ne viens pas ?"
Judas devient de toutes les couleurs avec le visage haineux et répugnant de
ses pires moments. Mais il se domine et il dit : "Je vous salue,
amis. Me voici avec toi, Thomas, mon cher ami. Allons tout de suite vers le
Maître. Je ne savais pas qu'il était au Temple. Si je l'avais su, je me
serais mis à sa recherche" et il passe le bras au cou de Thomas, comme
s'il avait pour lui une grande affection.
Mais Thomas, tranquille mais pas niais, ne se laisse pas embobiner par ces
protestations... et il demande, un peu sournois: "Comment ? Tu ne
sais pas que c'est Pâque ? Et tu penses que le Maître n'est pas fidèle à
la Loi ?"
"Oh ! jamais ! Mais l'an passé, il se montrait, il parlait...
Je me souviens justement de ce jour. Il m'a attiré par sa violence royale...
Maintenant... il me semble être quelqu'un qui a perdu sa vigueur. Ne te
semble-t-il pas ?"
"À moi, non. Il me semble quelqu'un qui a perdu confiance."
"En sa mission, voilà, tu dis bien."
Haut
de page
367> "Non, tu
comprends mal. Il a perdu confiance dans les hommes. Et tu es un de ceux
qui y contribuent. Honte à toi !"
Thomas ne rit plus ! Il est sombre, et son "honte à toi" est
cinglant comme un coup de fouet.
"Attention à tes paroles !" dit l'Iscariote menaçant.
"Attention à ta conduite. Ici, nous sommes deux juifs, sans témoins et
c'est pour cela que je parle et je te redis : "Honte à
toi !" Et maintenant tais-toi. Ne fais pas le tragique ni le
pleurnicheur, car autrement je parle devant tous. Voilà le Maître là-bas et
les compagnons. Remets-toi."
"La paix à toi, Maître..."
"La paix à toi, Judas de Simon."
"Il m'est si doux de te trouver ici... J'aurais à te parler..."
"Parle."
"Tu sais... je voulais te dire... Ne peux-tu m'entendre à
part ?"
"Tu es parmi les compagnons."
"Mais je voulais te parler à Toi seul"
"À Béthanie, je suis seul avec qui me veut et me cherche, mais tu ne me
cherches pas. Tu me fuis..."
"Non, Maître, tu ne peux pas le dire."
"Pourquoi hier as-tu offensé Simon et Moi avec lui, et avec nous Joseph
d'Arimathie, tes compagnons, et ma Mère et les autres ?"
"Moi ? Mais je ne vous ai pas vus !"
"Tu n'as pas voulu nous voir. Pourquoi n'es-tu pas venu comme c'était
convenu afin de bénir le Seigneur pour un innocent accueilli dans la
Loi ? Réponds ! Tu n'as même pas éprouvé le besoin de prévenir que
tu ne serais pas venu."
"Voici mon père !" crie Margziam qui aperçoit Pierre de retour
avec son agneau égorgé, éventré, enveloppé dans sa peau. "Oh ! avec
lui, il y a Michée et les autres ! J'y vais, je puis aller à leur rencontre
pour avoir des nouvelles du vieux père ?"
"Va, fils" dit Jésus en le caressant et il ajoute en touchant
l'épaule de Jean d'Endor: "Je t'en prie, accompagne-le et... retiens-
les un peu." Il se tourne de nouveau vers Judas : "Réponds
donc ! J'attends."
"Maître... une nécessité imprévue... inéluctable... J'en ai souffert...
mais..."
"Mais, il n'y avait pas dans tout Jérusalem quelqu'un qui pût apporter
ton excuse, en admettant que tu en avais une ? Et c'était déjà une
faute. Je te rappelle que récemment un homme s'est dispensé d'ensevelir son
père pour me suivre, et que mes frères ont, au milieu des anathèmes, quitté
la maison paternelle pour me suivre, et que Simon et
Thomas et avec eux André, Jacques, Jean, Philippe et Nathanaël ont quitté
leurs familles, et Simon le Cananéen sa fortune pour me la donner, et Mathieu
le péché pour me suivre. Et je pourrais continuer en te citant cent noms.
Haut
de page
368> Il en est qui
ont quitté la vie, la vie elle-même, pour me suivre au Royaume des
Cieux. Mais, puisque tu manques à ce point de générosité, sois au moins poli.
Tu n'as pas la charité, mais respecte au moins les convenances. Imite,
puisqu'ils te plaisent, les pharisiens faux qui me trahissent, qui nous
trahissent en se montrant polis. Ton devoir était de te réserver pour nous
hier, pour ne pas offenser Pierre et j'exige qu'il soit respecté de tous. Mais
au moins tu devais prévenir."
"Je me suis trompé, mais maintenant je suis venu exprès à ta recherche
pour te dire que, toujours pour la même raison, je ne puis venir demain. Tu
sais... J'ai des amis de mon père et je..."
"Assez. Va donc avec eux. Adieu."
"Maître... Tu es en colère contre moi ? Tu m'as dit que tu me
servirais de père... Je suis un étourdi, mais un père pardonne..."
"Je te pardonne, oui. Mais va-t-en. Ne fais pas attendre plus longtemps
les amis de ton père, comme moi je ne fais pas attendre davantage les amis du
saint Jonas."
"Quand quitteras-tu Béthanie ?"
"À la fin des Azymes. Adieu."
Jésus tourne le dos et va vers les paysans qui sont en extase devant Margziam
si différent. Il fait quelques pas et puis s'arrête à cause de la réflexion
de Thomas : "Par Jéhovah ! Il voulait te voir dans ta violence
royale ! Tu l'as servi !..."
"Je vous prie d'oublier tous l'incident, comme je m'efforce de le faire
moi-même. Et je vous ordonne le silence avec Simon de Jonas, Jean d'Endor et
le petit. Pour des motifs que votre intelligence est en mesure de
comprendre, il convient de ne pas les contrister ni les scandaliser. Et,
silence à Béthanie, avec les femmes. Il y a ma Mère. Souvenez-vous-en."
"Sois tranquille, Maître."
"Nous ferons tout pour réparer."
"Et pour te consoler, oui" disent tous ceux qui sont là.
"Merci... Oh ! La paix à vous tous. Isaac vous a trouvés. J'en suis
heureux. Jouissez en paix de votre Pâque. Mes bergers seront autant de bons
frères avec vous. Isaac, avant qu'ils ne partent, amène-les-Moi. Je veux les
bénir encore. Avez-vous vu l'enfant ?"
Haut
de page
369> "Oh !
Maître, comme il est bien ! Sa santé est déjà plus florissante! Oh ! nous le dirons au vieux père. Comme il en sera
heureux ! Ce juste nous a dit que maintenant Jabé est son fils... C'est
providentiel ! Nous dirons tout, tout."
"Et aussi que je suis fils de la Loi. Et que j'en suis heureux. Et que
je pense toujours à lui. Qu'il ne pleure pas pour moi ni pour maman. Elle
m'est toute proche et elle est un ange pour lui également et qu'on l'aura
aussi à l'heure de la mort. Si Jésus aura déjà ouvert les portes des Cieux,
voici alors que maman, plus belle qu'un ange, viendra à la rencontre du vieux
père et le conduira à Jésus. Il l'a dit, Lui. Vous le lui direz ?
Saurez-vous bien le dire ?"
"Oui, Jabé."
"Non, maintenant je m'appelle Margziam. Ce nom c'est la Mère du Seigneur
qui me l'a donné. C'est comme si on disait son nom. Elle m'aime tant. Elle me
met au lit tous les soirs et me fait dire les prières qu'elle faisait dire à
son Enfant. Et puis, elle m'éveille par un baiser, et elle m'habille, et
m'enseigne tant de choses. Et Lui aussi. Mais elles pénètrent si doucement à
l'intérieur qu'on apprend sans peine. Mon Maître !!!" L'enfant se
serre contre Jésus dans un tel mouvement d'adoration que son expression vous
émeut.
|