Vision
du jeudi 18 octobre 1945
539> Le soir tombe vite en
décembre, et on allume de bonne heure les lampes et la famille se réunit dans
une seule pièce. Il en est de même dans la petite maison de Nazareth, et
pendant que les deux femmes travaillent l'une au métier à tisser et l'autre à
la couture, Jésus assis près de la table avec Jean
d'Endor parle
doucement avec lui pendant que Margziam achève de polir deux coffres posés par terre.
L'enfant y emploie toutes forces jusqu'au moment où Jésus, s'étant levé et
penché sur le bois, dit en le touchant : "Maintenant cela suffit.
Il est bien poli et nous pourrons le vernir demain. Maintenant range tout
pour que demain nous travaillions encore." Et pendant que Margziam sort
avec les outils de polissage - spatules dures avec clouées dessus des peaux
rugueuses de poissons, qui remplissent l'office de notre papier de verre, et
des espèces de couteaux qui ne sont sûrement pas en acier employés pour le
même travail - Jésus prend dans ses bras robustes un des coffres et le porte
à l'atelier, où certainement on a travaillé car il y a de la sciure et des
copeaux près de l'un des établis remis pour la circonstance au milieu de la
pièce. Margziam a remis ses outils en place sur leurs supports et maintenant
il ramasse les copeaux pour les jeter dans le feu, et il voudrait enlever la
sciure, mais Jean d'Endor préfère le faire.
Tout est en ordre maintenant quand Jésus revient avec le second coffre qu'il
place près du premier. Et tous les trois vont sortir quand on entend frapper
à la porte de la maison et, tout de suite après, la voix grave du Zélote résonne dans un salut profond donné à Marie : "Je te salue, Mère de mon
Seigneur, et je bénis votre bonté qui me permet d'habiter sous votre toit."
"Simon est arrivé. Maintenant nous allons savoir le pourquoi de son
retard. Allons..." dit Jésus.
Quand ils entrent dans la petite pièce où l'apôtre se trouve avec les femmes,
il est en train de déposer un gros paquet qu'il a sur ses épaules.
"La paix à toi, Simon..."
"Oh ! Maître béni ! Je suis en retard, n'est-ce pas ?
Mais j'ai tout fait et bien fait..."
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540> Ils s'embrassent. Puis Simon
continue son exposé: "Je suis allé chez la veuve du menuisier. Tes
secours sont très utiles. La vieille femme est très malade et par conséquent
les dépenses augmentent. Le petit menuisier s'ingénie à travailler sur des
objets petits comme lui et se souvient toujours de Toi. Tous te bénissent.
Puis je suis allé chez Nara,
Samira et Sira. Le frère est plus dur
que jamais. Mais
elles sont en paix, comme des saintes qu'elles sont, et elles mangent leur
pauvre pain assaisonné de larmes et de pardon. Elles te bénissent pour le
secours envoyé. Mais elles te supplient de prier pour que leur dur frère se
convertisse. La vieille Rachel aussi te bénit pour l'obole. Enfin je suis
allé à Tibériade pour les achats. J'espère avoir bien fait. Maintenant les
femmes observeront... Mais à Tibériade j'ai été retenu par certains qui me
croyaient ton estafette : Ils m'ont séquestré pendant trois jours...
Oh ! une prison dorée, si l'on veut ! Mais tout de même une
prison... Ils voulaient savoir tant de choses… J'ai dit la vérité en disant
que tu nous avais congédiés tous, te retirant de ton côté pour le plus fort
de l'hiver... Quand ils ont été persuadés que c'était vrai, parce qu'ils sont
allés chez Simon de Jonas et Philippe sans te trouver et sans apprendre rien
de plus, ils m'ont laissé aller. Même l'excuse du mauvais temps était tombée
avec ces belles journées. Voilà pourquoi j'ai tardé."
"Peu importe. Nous aurons du temps pour rester ensemble. Je te remercie
de tout... Mère, regarde avec Sintica ce qu'il y a dans le paquet, et dis-moi
s'il te paraît que cela suffise pour ce que tu sais..." et, pendant que
les femmes défont le paquet, Jésus s'assied pour parler avec Simon.
"Et Toi, qu'as-tu fait, Maître ?"
"J'ai fait deux coffres pour ne pas rester oisif et parce qu'ils seront
utiles. Je me suis promené, j'ai joui de ma maison..." Simon le regarde
fixement, fixement... mais il ne dit rien. Les exclamations de Margziam qui
voit sortir du paquet de la toile, de la laine, des sandales, des voiles et
des ceintures, font tourner de ce côté Jésus et les deux compagnons.
Marie dit : "Tout va bien, très bien. Nous nous mettrons tout de
suite au travail, et bientôt tout sera cousu."
L'enfant demande : "Tu te maries, Jésus !"
Tous rient et Jésus demande : "D'où te vient cette
idée ?"
"De ce trousseau qui est pour homme et pour dame, et des deux coffres
que tu as faits.
C'est pour ton trousseau et celui de l'épouse. Tu me la feras
connaître ?"
"Tu veux vraiment connaître mon épouse ?"
"Oh ! oui ! Qui sait comme elle sera belle et bonne !
Comment s'appelle-t-elle ? ..."
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541> "C'est un secret, pour
le moment, car elle a deux noms, comme toi qui d'abord étais Jabé, puis Margziam."
"Et je ne peux pas les savoir ?"
"Pour le moment, non. Mais un jour, tu les sauras."
"Tu m'inviteras au mariage ?"
"Ce ne sera pas une fête pour les enfants. Je t'inviterai pour la fête
nuptiale. Tu seras un des invités et des témoins. Cela te
va-t-il ?"
"Mais dans combien de temps ? Un mois ?"
"Oh ! Beaucoup plus !"
"Et alors pourquoi as-tu travaillé au point de t'amener des ampoules aux
mains ?"
"Elles sont venues parce que je ne travaille plus des mains. Tu vois, enfant, que l'oisiveté est
pénible ? Toujours. Quand ensuite on se remet au travail, on souffre
doublement parce qu'on est devenu trop délicat. Réfléchis ! Si cela nuit
pareillement aux mains, quel mal cela fera à l'âme ? Vois-tu ? Moi,
ce soir, j'ai dû te dire : "aide-moi" parce que je souffrais
tellement que je ne pouvais tenir la râpe, alors qu'il y a seulement deux
ans, je travaillais jusqu'à quatorze heures par jour sans éprouver de
souffrance. C'est la même chose pour celui qui s'attiédit dans la ferveur,
dans sa volonté. Il se rend mou, il s'affaiblit. il se lasse plus facilement
de tout. Avec plus de facilité, à cause de sa faiblesse, pénètrent en lui les
poisons des maladies spirituelles. C'est avec une
double difficulté, au contraire, qu'il accomplit les œuvres bonnes dont
l'exécution ne lui coûtait pas auparavant parce qu'il était entraîné.
Oh ! il ne faut pas rester oisif, en disant : "Une fois cette
période passée, je me remettrai plus dispos au travail" On n'y
réussirait jamais, ou bien ce serait avec une très grande fatigue."
"Mais Toi, tu n'as pas pressé !"
"Non, j'ai fait d'autre travail. Mais tu vois que l'oisiveté de mes
mains leur a été nuisible." Et Jésus montre ses paumes rougies avec çà
et là des ampoules.
Margziam les baise en disant : "Ma mère me faisait cela quand
j'avais mal, parce que l'amour guérit."
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