Vision
du mercredi 23 janvier 1946
407> C'est à peine un début d'aurore.
Mais déjà les hommes rivalisent avec les oiseaux qui s'agitent dans les
premiers vols, les premiers travaux et les premiers chants du jour. La maison
du Gethsémani s'éveille tout doucement et se trouve devancée par le Maître
qui déjà revient de la prière qu'il a faite aux premières lueurs de l'aube,
si toutefois il ne rentre pas après une nuit entière de prière.
C'est le lent réveil du Champ des Galiléens tout proche, sur le plateau du
Mont des Oliviers. Les cris et les appels traversent l'air serein, atténués
par la distance, mais assez nets pour faire comprendre que les pieux
pèlerins, qui sont réunis là, vont reprendre les cérémonies pascales
interrompues le soir précédent.
La ville se réveille là-bas; c'est le
commencement de la clameur qui va la remplir en ces jours de presse, avec le
braiment des ânes, les cris des maraîchers et des marchands d'agneaux qui se
pressent aux portes pour entrer, et avec la plainte si émouvante des
centaines d'agneaux qui sur des chars, sur des bâts, sur des bâtons ou sur
les épaules, vont à leur tragique destin et appellent leurs mères, pleurant
son éloignement, et ne sachant pas qu'ils devraient pleurer pour leur vie
arrivée à une fin si précoce. Puis la rumeur croît de plus en plus dans
Jérusalem, avec le piétinement dans les rues, les appels d'une terrasse à
l'autre et de celles-ci à la rue, ou en sens inverse. Et la rumeur arrive
comme celle de la marée atténuée par la distance jusqu'à la cuve tranquille
du Gethsémani.
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408> Un premier rayon de soleil frappe directement une des
riches coupoles du Temple et l'allume toute entière comme si le soleil était
descendu sur la Terre, un petit soleil posé sur un blanc piédestal, mais si
beau dans sa petitesse.
Les disciples, hommes et femmes, regardent avec admiration ce point d'or.
C'est la Maison du Seigneur ! C'est le Temple ! Pour comprendre ce
qu'était cet endroit pour les Israélites, il suffit de voir leurs regards qui
le fixent. Il semble qu'ils voient, à travers l'éclat de l'or
embrasé par le soleil, s'illuminer la Face Très Sainte de Dieu. Adoration et amour
de la patrie, sainte fierté d'être hébreux se manifestent dans ces regards
plus que si les lèvres parlaient.
Porphyrée, qui
n'a pas été à Jérusalem depuis tant d'années, en a les larmes aux yeux
d'émotion alors qu'inconsciemment elle serre le bras de son mari qui lui indique je ne sais quoi de la main. Elle s'abandonne un
peu à lui, ressemblant à une nouvelle épouse, énamourée de son époux, pleine
d'admiration pour lui, heureuse d'être instruite par ses soins.
Pendant ce temps, les autres femmes parlent doucement, par monosyllabes, pour
s'informer de l'emploi du temps de la journée. Anastasica, pas encore au courant et un
peu dépaysée, se tient légèrement de côté, absorbée dans ses pensées. Marie, qui parlait avec Margziam, la
voit et l'aborde en lui passant un bras autour de la taille.
"Tu te sens un peu seule, ma fille ? Mais aujourd'hui cela ira
mieux. Tu vois ? Mon Fils est en train de commander aux apôtres d'aller
chez des femmes disciples pour
les avertir de se rassembler et de l'attendre dans l'après-midi chez Jeanne. Il
veut certainement nous parler, spécialement à nous les femmes, et
certainement auparavant il t'aura déjà donné une
mère. Bonne, sais-tu ? Je la connais depuis le temps où
j'étais au Temple. C'était dès ce temps-là une mère pour les plus petites
d'entre les jeunes filles. Et elle comprendra ton cœur parce qu'elle aussi a
beaucoup souffert. Mon Fils l'a guérie, l'an dernier, d'une mélancolie
mortelle qui s'était emparée d'elle après la mort de ses deux fils. Je t'en
parle pour que tu saches quelle est celle qui dorénavant t'aimera et que tu
aimeras. Cependant, de même que l'an passé j'ai dit à Simon Pierre qui
recevait Margziam pour fils, je te le dis à toi : "Que cette
affection n'alanguisse pas ton cœur dans sa volonté de servir Jésus".
S'il en était ainsi, le don de Dieu te serait dommageable plus que la lèpre,
puisqu'il éteindrait en toi la volonté sincère qui doit te donner un jour la
possession du Royaume."
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409> "Ne crains pas, ô Mère. Pour autant que cela dépend de moi, je ferai de cette affection une flamme pour
m'enflammer toujours plus au service du Seigneur. Je ne m'alanguirai pas en
elle et je n'appesantirai pas Élise, mais
ensemble, plutôt, nous nous soutiendrons et en nous encourageant par une
sainte émulation, nous volerons sur le chemin du Seigneur avec son
aide."
Pendant qu'elles parlent, du Champ des Galiléens, de la ville, des maisons
éparses sur les pentes ou du faubourg attenant à la ville, sur une des deux
routes qui vont de Jérusalem à Béthanie, et précisément sur la plus longue
que Jésus suit rarement, surviennent des disciples anciens et nouveaux, et
les derniers qui arrivent ce sont Philippe avec
sa famille, Thomas seul, Barthélemy avec sa femme.
"Où sont les fils
d'Alphée, et Simon et Mathieu ?"
demande Thomas qui ne les voit pas.
"Ils sont allés en avant. Les deux derniers à Béthanie pour prévenir les
sœurs de se trouver dans l'après-midi chez Jeanne; les deux premiers chez
Jeanne et Annalia pour leur dire que
dans l'après-midi elles seront chez Jeanne. Nous nous trouverons à l'heure de
tierce à la Porte Dorée.
Allons, en attendant, donner l'obole aux mendiants et aux lépreux. Que Barthélemy
aille avec André en avant acheter des vivres pour ces derniers. Nous les
suivrons lentement, en nous arrêtant au faubourg d'Ophel,
près de la Porte, pour aller ensuite vers les pauvres lépreux."
"Tous ?" disent quelques-uns peu enthousiastes.
"Tous et toutes. La Pâque, cette année, nous réunit comme cela n'a
jamais été possible. Faisons ensemble ce qui sera le futur devoir des hommes
et des femmes qui agiront en mon Nom. Voici Judas de Simon qui vient en hâte. Je m'en réjouis car je veux que lui aussi
soit avec nous."
En effet Judas arrive tout essoufflé. "En retard, Maître ? C'est la
faute de ma mère. Elle est venue, contrairement à son habitude, et à ce que
je lui avais dit. Je l'ai trouvée hier soir auprès d'un ami de notre maison.
Ce matin, elle m'a retenu pour me parler... Elle voulait venir avec moi, mais
je n'ai pas voulu."
"Pourquoi ? Est-ce que par hasard Marie de Simon ne mérite pas d'être où tu es ? Au contraire, elle le
mérite bien plus que toi. Va donc vite la prendre et rejoins-nous au Temple,
à la Porte Dorée."
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