Vision
du mardi 22 janvier 1946
395> Jésus a quitté Béthanie
avec ceux qui étaient avec Lui, c'est-à-dire Simon le Zélote et Margziam. Mais
à eux s'est jointe Anastasica qui toute voilée chemine à côté de Margziam, alors que Jésus
est un peu en arrière avec Simon. Les deux groupes marchent tout en parlant,
chacun pour son compte, et de ce qui lui tient le plus à cœur.
396> Anastasica dit à Margziam, en
continuant une conversation déjà commencée : "J'ai hâte de la
rencontrer." Peut-être la femme parle d'Élise
de Bethsur. "Crois bien que je
n'étais pas si émue quand je me suis mariée, ou quand on me déclara lépreuse.
Comment vais-je la saluer ?"
Et Margziam, avec un sourire doux et sérieux : "Oh ! par son
vrai nom ! Mère !"
"Mais moi, je ne la connais pas ! N'est-ce pas trop de
familiarité ? Qui suis-je, enfin, pour elle ?"
"Ce que j'étais l'an dernier. Et même toi, tu es bien plus que
moi ! Moi, j'étais un pauvre orphelin sale, apeuré, grossier. Et
pourtant elle m'a toujours appelé fils, dès le premier instant, et
elle a toujours été pour moi une vraie mère. L'an dernier c'était moi qui
éprouvais une agitation craintive en attendant de la voir. Mais ensuite rien
que de la voir, je n'ai plus eu de crainte. Elle est disparue toute cette
épouvante qui m'était restée dans le sang depuis que j'avais vu avec mes yeux
d'enfant, d'abord la fureur de la nature qui avait tout détruit de ma maison
et de ma famille, et puis... et puis, de mes yeux d'enfant j'avais pu,
j'avais dû voir comment l'homme est un fauve plus cruel que le chacal et le
vampire... Toujours trembler... toujours pleurer... sentir ici un nœud qui
vous serre durement, un nœud douloureux de peur, de peine, de haine, de
tout... En quelques mois, j'ai connu tout le mal et toute la souffrance et la
férocité qui existe dans le monde... Et je ne pouvais croire qu'il y avait
encore de la bonté, encore de l'amour, encore de la protection..."
"Mais comment ! Quand le Maître t'a pris ?!... Et quand tu as
été parmi ses disciples, si bons !?"
"J'ai encore tremblé, ma sœur... et j'ai encore haï. Oh ! il a
fallu du temps pour me persuader de ne pas avoir peur... Et il m'en a fallu
encore davantage pour arriver à ne pas haïr ceux qui ont fait souffrir mon
âme en lui faisant connaître ce que peut être un homme : un démon qui se
présente comme un fauve. On ne souffre pas sans en subir longtemps les
conséquences surtout quand on est enfant... La trace en demeure parce que
notre cœur est encore tendre et encore tiède des baisers de la mère, affamé
de baisers plus encore que de pain. Et au lieu de baisers il se voit donner
des coups..."
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397> "Pauvre
enfant !"
"Oui. Pauvre. Tellement pauvre ! Je n'avais même plus l'espoir en
Dieu ni le respect de l'homme... J'avais peur de l'homme. Même près de Jésus,
même dans, les bras de Pierre, j'avais peur... Je me disais :
"Est-ce possible ? Oh ! cela ne durera pas. Eux aussi se
lasseront d'être bons..." Et je soupirais après Marie. Une mère est toujours une mère, n'est-ce
pas ? Et en effet, quand je l'ai vue, quand j'ai été dans ses bras, je
n'ai plus craint. J'ai compris que vraiment tout le passé était fini et que
de l'enfer j'étais passé au paradis... La dernière souffrance fut de voir
qu'on me laissait de côté... Je soupçonnais toujours du mal. J'ai beaucoup
pleuré. Oh ! alors... Avec quel amour elle m'a pris ! Non. Je n'ai
plus pleuré ma mère à partir de ce moment-là, je n'ai plus tremblé.... Marie
est la douceur et la paix des malheureux..."
"Et de douceur et de paix, j'ai besoin moi aussi..." soupire la
femme.
"Et bientôt tu l'auras. Tu vois cette verdure là-bas ? Elle est
cachée là, dans la maison du Gethsémani."
"Et y aura-t-il aussi Élise ? Mais que
vais-je leur dire ? Que me diront-elles ?"
"Je ne sais pas si Élise sera là. Elle était malade."
"Oh ! Ne mourra-t-elle pas ?! Qui alors me prendrait pour
fille ?"
"Ne crains pas. Lui a dit : "Tu auras une mère et une
maison". Et il en sera ainsi. Avançons un peu vite. Moi, je ne sais pas
ralentir quand je suis proche de Marie."
Ils se hâtent, et je n'entends plus leur conversation.
Le Zélote les voit qui courent presque sur la route très fréquentée, et il
fait observer à Jésus : "On dirait des frères. Regarde comme ils
sont bons amis."
"Margziam sait se faire à tous. C'est une vertu difficile et si
nécessaire pour sa future mission. Je
prends soin de faire grandir en lui cette heureuse disposition parce qu'elle
lui servira beaucoup."
"Lui, tu le façonnes à ton goût, n'est-ce pas, Maître ?"
"Oui. Son âge me le permet."
"Et pourtant même le vieux Jean Félix, tu as pu le façonner..."
"Oui. Parce qu'il s'est laissé détruire et recréer complètement par
Moi."
"C'est vrai. J'ai remarqué que les plus
grands pécheurs quand ils se convertissent nous dépassent en justice, nous
hommes d'une culpabilité relative. Pourquoi cela ?"
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398> "Parce que, en eux, la contrition est en
proportion de leur péché. Immense. Pour cela elle les brise sous le poids de
la souffrance et de l'humilité. "Mon péché est toujours contre moi"
dit le psalmiste. Cela garde l'esprit dans l'humilité. C'est un bon souvenir,
quand il est joint à l'espérance et à la confiance dans la Miséricorde. Les
perfections moyennes, ou celles qui sont encore moins que moyennes, bien
souvent s'arrêtent parce qu'elles n'ont pas l'aiguillon du remords d'avoir
péché gravement et de devoir réparer pour avancer vers la vraie perfection.
Elles s'arrêtent comme des eaux stagnantes. Elles se regardent comme
satisfaites d'être limpides. Mais même l'eau la plus limpide, si par le
mouvement elle ne se purifie pas des poussières, des débris que le vent lui
apporte, finit par devenir fangeuse et corrompue."
"Et les imperfections que nous laissons exister et persister en nous,
sont-elles des poussières et des détritus ?"
"Oui, Simon. Vous êtes trop stagnants
encore. Votre mouvement vers la perfection est presque imperceptible. Ne
savez-vous pas que le temps passe vite ? Ne pensez-vous pas que dans le
court espace de temps qui vous reste, vous devriez vous efforcer de devenir
parfaits ? Si vous ne possédez pas la force de la perfection, conquise
par une volonté résolue dans ce temps qui avance, comment pourrez-vous
résister à la tempête que Satan et ses fils vont déchaîner contre le Maître
et sa Doctrine ? Un jour va venir où vous vous demanderez :
"Mais comment avons-nous pu être bouleversés, nous qui avons été avec
Lui pendant trois années ?" Oh ! la réponse est en vous, dans
votre manière d'agir ! Plus quelqu'un s'efforcera de devenir parfait
dans ce temps qui reste, plus il sera capable d'être fidèle."
"Trois ans... Mais alors... Oh ! mon Seigneur !... C'est donc
au printemps prochain que nous allons te perdre ?"
"Ces arbres ont leurs petits fruits et moi, je les goûterai quand ils
seront mûrs. Mais jamais plus je ne goûterai, après les fruits de cette
année, les nouvelles récoltes... Ne te désole pas, Simon. La désolation est
stérile. Sache te fortifier dans la justice et en avoir la préoccupation pour
pouvoir être fidèle au moment redoutable."
"Oui, je le ferai. Avec toutes mes forces. Puis-je dire cela aux autres
pour qu'ils se préparent eux aussi ?"
"Tu peux le dire. Mais tiendra celui qui aura une forte volonté."
"Et les autres ? Perdus ?"
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399> "Non, mais ils seront
durement éprouvés par leur conduite. Ils seront comme quelqu'un qui
se croyait fort et qui se trouve terrassé et vaincu. Étonnés. Humiliés.
Humbles finalement ! Parce que, crois-le Simon, s'il n'y a pas
d'humilité, on n'avance pas.
L'orgueil est la pierre qui sert de
piédestal à Satan. Pourquoi la garder dans le cœur ? Est-ce un maître
agréable cet être horrible ?"
"Non, Maître."
"Et pourtant vous gardez dans votre cœur son point d'appui, la chaire
pour ses instructions. Vous êtes pétris d'orgueil. Vous en avez pour tout et
pour tous les motifs. Même d'être "miens" c'est pour vous de
l'orgueil. Mais, sots que vous êtes, n'êtes-vous pas guéris en comparant ce
que vous êtes avec Celui qui vous a choisis ? Ce n'est pas parce que je vous ai appelés
que vous serez saints. C'est parce que vous le serez devenus après mon appel.
La sainteté est
une construction que chacun élève par lui-même. La Sagesse peut en indiquer
la méthode et le plan. Mais le travail matériel, c'est vous que cela
concerne."
"C'est vrai. Alors, pourtant, nous ne nous perdrons pas ? Après
l'épreuve, nous serons plus saints parce que humbles ?..."
"Oui." Le oui est sec et sévère.
"C'est ainsi que tu le dis, Maître ?"
"C'est ainsi."
"Tu voudrais pour nous la sainteté avant l'épreuve..."
"Oui, c'est ce que je voudrais. Et pour tous."
"Pour tous ! Nous ne serons pas pareils dans l'épreuve ?"
"Pas pareils, ni avant, ni pendant, ni après. Et pourtant à tous j'ai
donné la même parole..."
"Et le même amour, Maître. Nous sommes grandement coupables envers
Toi..."
Jésus soupire...
Le Zélote, après un silence plutôt long, va parler. Mais presque en courant
arrivent à leur rencontre les apôtres et les disciples qui ont rencontré
Margziam sur les premières pentes du Gethsémani. Simon se tait alors que
Jésus répond à toutes les salutations et se dirige ensuite à côté de Pierre
vers l'oliveraie et la maison.
Pierre annonce que dès l'aube ils étaient sur le qui-vive, qu'Élise est
encore souffrante dans la maison de Jeanne, que le soir précédent des
pharisiens étaient venus, que... que... que... tout un tas de nouvelles
embrouillées d'où sort finalement la question : "Et
Lazare ?" à laquelle Jésus répond en détail.
Pierre, très curieux, ne peut s'empêcher de demander : "Et... rien,
Seigneur ? Aucune... nouvelle..."
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400> "Si. Tu les sauras au moment voulu. Où est
Margziam avec la femme ? Déjà à la maison."
"Oh ! non ! La femme n'a pas osé avancer. Elle s'est assise
sur un talus et elle t'attend. Margziam... Margziam... il est disparu. Il a
dû courir à la maison."
"Hâtons le pas."
Mais malgré leur hâte, ils n'arrivent pas à la maison avant que Marie et sa
belle-sœur, Salomé, Porphyrée, les femmes de Barthélemy et de Philippe, n'en
soient sorties pour le vénérer. Jésus les salue de loin et se dirige vers
l'endroit où Anastasica se tient humblement, il la prend par la main pour la
conduire vers sa Mère et les femmes.
"Voici: c'est la fleur de cette Pâque, Mère. Une seule cette année. Mais
qu'elle te soit douce parce que c'est Moi qui te l'amène."
La femme s'est agenouillée.
Marie se penche et la relève en disant : "Les filles restent sur le
cœur, pas aux pieds des mères. Viens, ma fille. Connaissons nos visages comme
déjà nos esprits se connaissent. Voici les sœurs qui sont présentes, d'autres
viendront. Et que ce soit une douce famille toute amour entre ses membres et
toute sainteté pour la gloire de Dieu."
Des baisers affectueux s'échangent entre les femmes disciples et elles se
dévisagent entre elles. Elles entrent dans la maison et montent sur la
terrasse entourée de la couleur glauque de centaines d'oliviers. Les groupes
se séparent : Jésus avec les hommes, les femmes à part, autour de la
nouvelle venue. Revient Suzanne qui était allée avec son mari en ville.
Jeanne arrive avec les enfants. Avec son visage angélique, apparaît Annalia.
Jaïre, qui s'était mêlé aux disciples pendant qu'ils couraient vers Jésus,
revient avec sa fille qui va dans le groupe des femmes, auprès de Marie qui
la caresse.
C'est la paix et l'amour dans l'accueil des personnes. Puis le soleil
descend. Avant de congédier ceux qui retournent dans leurs propres maisons,
ou celles qui les logent, Jésus les réunit tous pour la prière et il les
bénit. Puis il congédie tout le monde. Il reste avec ceux qui préfèrent
s'entasser dans la maison du Gethsémani ou passer la nuit sous les oliviers
plutôt que de s'éloigner de là. Il reste ainsi Marie, Marie d'Alphée, Salomé,
Anastasica, Porphyrée, pour les femmes; et pour les hommes, Jésus, Pierre,
André, Jacques et Jude d'Alphée, Jacques et Jean de Zébédée, Simon le Zélote,
Mathieu, Margziam.
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401> Le souper est vite consommé. Et ensuite Jésus invite sa
Mère et Marie d'Alphée à venir avec Lui et les disciples dans l'oliveraie
silencieuse. Peut-être les autres femmes iraient-elles aussi volontiers, mais
Jésus ne les appelle pas et il dit même à Salomé et à Porphyrée :
"Conversez saintement avec la nouvelle sœur et puis couchez-vous sans
nous attendre. La paix soit avec vous." Et les trois se résignent à leur
sort. Pierre est un peu maussade alors que tout le monde parle, alors qu'en
groupe ils vont justement vers le futur rocher de l'agonie. Ils s'assoient
sur le talus, tournés vers Jérusalem qui s'apaise lentement après les bruits
confus de la journée.
"Allume des branches, Pierre" commande Jésus.
"Pourquoi ?"
"Parce que je veux vous lire ce qu'ont écrit Jean et Sintica.
C'est pour cela, sache-le, toi qui es mécontent, c'est pour cela que je n'ai
pas fait venir les trois femmes."
"Mais il y avait ma femme ce soir-là !..."
"Mais exclure seulement Salomé, des anciennes disciples, aurait été peu
convenable... Du reste, cela te donnera l'occasion de t'épancher avec ta
prudente épouse en lui racontant ce que tu vas entendre maintenant."
Pierre, tout fier de l'éloge qui est fait de Porphyrée et de
la permission de pouvoir la mettre au courant du secret, perd du coup son
humeur maussade et se met à allumer un joyeux flambeau duquel s'élèvent des
flammes toutes droites, immobiles dans l'air tranquille.
Jésus tire de sa ceinture les deux lettres, les déroule et les lit au milieu
du cercle attentif des onze visages.
"À Jésus de Nazareth, honneur et
bénédiction. À Marie de Nazareth, bénédiction et paix. Aux frères saints, paix
et salut. Au bien-aimé Margziam, paix et caresses.
Ce sont des larmes et des sourires qui sont dans mon cœur, alors que je
m'assois afin d'écrire cette lettre pour vous tous. Souvenirs nostalgiques,
espérance et paix du devoir accompli, tout cela me remplit. Tout le passé qui
pour moi a de la valeur, c'est-à-dire celui qui a commencé il y a douze mois,
est devant moi, et un psaume de reconnaissance pour Dieu, qui a eu trop de
pitié pour le coupable, jaillit de mon cœur. Que Tu sois béni et avec Toi la
Sainte qui t'a donné au monde, et l'autre mère dont je me souviens comme de
la compassion incarnée, et avec Toi les bénis Pierre, Jean, Simon, Jacques et
Jude et l'autre Jacques, et André et Mathieu, et enfin, en le prenant sur mon
cœur pour le bénir, mon très cher Margziam, pour tout ce que vous m'avez
donné depuis le moment où je vous ai connus jusqu'à celui où je vous ai
quittés ! Oh ! ce n'était pas par ma volonté !
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402> Que Dieu pardonne à ceux qui
m'ont arraché à vous ! Que Dieu leur pardonne, et qu'il augmente en moi
la capacité de le faire, de moi-même. Pour le moment, avec son secours, je
puis le faire avec Lui. Mais par moi seul, non, je ne pourrais encore le
faire, parce qu'elle est trop vive la blessure qu'ils m'ont faite en
m'arrachant à ma vraie Vie, à Toi, Très Saint. Trop vive encore bien que tes
réconforts soient une pluie continuelle et balsamique sur moi ..."
Jésus parcourt plusieurs lignes sans les lire, et il reprend : "Ma
vie..." mais Pierre, pour permettre au Maître d'y voir clair, a pris un
rameau embrasé et le tient élevé, en restant près du Maître et en allongeant
le cou pour voir ce qui est écrit, dit : "Non, ce n'est pas
cela ! Pourquoi ne lis-tu pas, Maître ? Il y a autre chose au
milieu ! Je suis bête, mais pas au point de ne pas savoir lire du tout.
Moi, je lis : "Tes promesses ont dépassé les espérances..."
"Mais tu es terrible ! Pire qu'un enfant !" dit Jésus en
souriant.
"Bien sûr ! Je suis presque un vieillard ! C'est pourquoi j'ai
plus de malice qu'un enfant."
"Tu devrais aussi avoir davantage de prudence."
"C'est bon avec les ennemis. Ici, nous sommes entre amis. Ici Jean dit
de belles choses de Toi. Je voudrais les savoir, pour me guider moi aussi
quand tu m'expédies ailleurs comme une marchandise. Allons, lis tout !
Mère, dis-lui qu'il n'est pas juste de nous donner les nouvelles en les
triant comme autant de petits poissons. Dehors ! Dehors ! Les
algues, la boue, le menu fretin, les poissons de choix. Tout !
Aidez-moi, vous autres ! Vous semblez autant de statues. Vous me
dépitez ! Et ils rient !"
Il est difficile de ne pas rire devant l'agitation de Pierre qui saute ça et
là comme un poulain emballé, en secouant son rameau flamboyant sans se préoccuper
des étincelles qui lui pleuvent dessus.
Jésus doit céder pour le calmer et avancer dans la lecture.
"Tes promesses ont dépassé les
espérances que j'avais dans tes promesses. Oh ! Maître saint !
Quand dans cette triste matinée d'hiver tu m'as promis que tu serais venu
consoler ton triste disciple, je n'ai pas compris la véritable portée de ta
promesse. La souffrance et les limites de l'homme accablaient les facultés de
l'esprit et il était fermé à la compréhension de la portée de ta promesse.
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403> Sois béni, spirituel Visiteur de mes nuits qui ainsi ne
sont pas désolation et souffrance comme je le prévoyais, mais attente de Toi,
ou joyeuse rencontre avec Toi. La nuit, horreur des malades, des exilés, des
esseulés, des coupables, pour moi Félix, vraiment heureux de faire ta volonté
et de te servir, est devenue l'attente des vierges sages pour l'arrivée de
l'époux. Ma pauvre âme a même davantage encore. Elle a la béatitude d'être
l'épouse attendant son Amour, qui vient dans la chambre nuptiale pour lui
donner chaque fois la joie de la première rencontre et l'extase fortifiante
de la fusion.
Oh ! mon Maître et Seigneur, tout en te bénissant du si grand don que tu
me fais, je te prie de te rappeler les deux autres promesses que tu m'as
faites. La plus importante, pour l'homme trop faible que je suis, est de ne
pas me laisser en vie pour l'heure de ta souffrance. Tu connais ma
faiblesse ! Ne fais pas que celui qui pour ton amour s'est dépouillé de
la haine doive, à cause de la haine envers les hommes tes bourreaux, vêtir de
nouveau les épineux et brûlants uniformes de la haine. La seconde promesse,
c'est pour ton pauvre disciple, encore trop faible et inachevé dans la
perfection : sois près de moi, comme tu me l'as dit, à l'heure de ma
mort. Maintenant que je sais comment pour Toi n'existent pas les distances,
les mers, les montagnes, les fleuves et que les desseins des hommes ne
t'empêchent pas de donner à ceux qui t'aiment le réconfort de ta présence
sensible, je ne doute plus de pouvoir te posséder à mon dernier soupir.
Viens, Seigneur Jésus ! Et viens vite pour m'introduire dans la paix.
Et maintenant que je t'ai parlé de mon esprit, je vais te donner des
nouvelles de mon travail.
J'ai beaucoup d'élèves, de toutes races et de tous pays. Pour ne pas blesser
les uns ou les autres, je leur ai réparti les jours, en alternant un jour
pour les païens, un pour les fidèles, avec grand profit, étant donné
l'absence ici de pédagogues. Le gain je le donne aux pauvres, et ainsi je les
attire au Seigneur. J'ai repris mon ancien nom. non parce que je l'aime, mais
par prudence. Aux heures où j'appartiens au monde, je suis 'Félix'. Aux
heures où j'appartiens à Jésus, je suis seulement 'Jean' : la grâce de
Dieu. J'ai expliqué à Philippe que mon vrai nom était Félix et que l'on ne
m'appelait Jean que pour me distinguer parmi les frères. Et la chose n'a
produit aucune surprise étant donné la facilité avec laquelle nous changeons
de nom ou nous nous appelons par des surnoms. J'espère faire ici beaucoup de
travail pour préparer la voie aux frères saints.
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404> Si j'avais plus de force, je voudrais me répandre dans
ces campagnes pour faire connaître ton Nom. Mais peut-être le pourrai-je au
début de l'été ou aux fraîches journées de l'automne. Et il me suffira de le
pouvoir pour le faire. L'air pur d'Antigonea, ces jardins si tranquilles et
si beaux, les fleurs, les enfants, les poulettes, l'affection des jardiniers,
et surtout cette grande, sage filiale Sintica me donnent beaucoup de joie. Je
dirais que je vais mieux. Ce n'est pas l'avis de Sintica, bien que sa pensée
ne se manifeste que par les soins empressés et continuels dont elle
m'entoure, pour ma nourriture, pour mon repos, pour m'empêcher de prendre
froid... Mais je me sens mieux. Ce n'est peut-être qu'une impression qui me
vient du devoir héroïquement accompli ? C'est ce que dit Sintica. Et je
voudrais savoir si elle a raison. Car le devoir c'est une chose morale alors
que la maladie c'est chose charnelle.
Et je voudrais aussi savoir si c'est bien Toi qui viens réellement ou si tu
n'apparais qu'aux sens spirituels, mais si parfaitement que cela ne me permet
pas de savoir où finit la réalité matérielle de ta Présence.
Maître chéri et béni, ton Jean s'agenouille pour te demander ta bénédiction.
À la Mère, à Marie, aux frères saints, paix et bénédiction. À Margziam un
baiser pour qu'il se souvienne de m'envoyer les saintes paroles, pain des
exilés qui travaillent dans la vigne du Seigneur".
C'est la lettre de Jean... Qu'en dites-vous ?"
Les impressions s'entrecroisent... Mais domine celle de la Présence de Jésus.
Ils l'accablent de questions... sur la manière dont cela peut se produire,
sur sa possibilité, sur une participation de Sintica, et cetera.
Jésus fait signe que l'on se taise et il
ouvre le rouleau de Sintica. Il lit : "Sintica au Seigneur Jésus,
avec tout l'amour dont elle est capable. À la Mère bénie, vénération et
louange. Aux frères dans le Seigneur, reconnaissance et bénédiction. À
Margziam, l'embrassement de sa sœur lointaine.
Jean t'a dit, ô Maître, notre vie. Il t'a dit très en abrégé ce qu'il fait et
ce que moi je fais, en qualité de femme. J'ai ma petite école pleine de
fillettes, et je gagne beaucoup spirituellement, parce que je te les gagne, ô
mon Seigneur, en parlant du vrai Dieu, à l'occasion du travail lui-même. Ici, dans cette région où tant de races se
sont mélangées, il y a un écheveau embrouillé de religions. Tellement
embrouillé que... ce ne sont plus que des religions impraticables, des
effilochures de religions qui ne servent plus à rien. Au milieu, rigide et intransigeante, la religion juive qui, par son poids,
brise les fils déjà usés des autres sans rien obtenir.
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405> Jean, qui a des élèves, doit se comporter avec
prudence. Moi, avec les fillettes, j'y vais plus librement. Etre femme est
toujours une infériorité si bien que pour des familles de religions différentes
il est sans importance que les fillettes soient mélangées dans une école
unique. Il suffit qu'elles apprennent l'art fructueux de la broderie. Et que
soit bénie l'idée méprisante que le monde a de nous les femmes, car il me
permet d'élargir toujours plus mon cercle d'influence. Les broderies se
vendent comme des petits pains, leur réputation s'étend, il vient de loin des
acheteuses. À toutes j'ai la possibilité de parler de Dieu... Oh ! comme
les fils eux-mêmes qui, sur le métier ou sur la toile deviennent des fleurs,
des animaux, des étoiles, servent, dès qu'on le veut, à diriger les âmes vers
la Vérité. Connaissant plusieurs langues, je peux me servir du grec avec les
grecs, du latin avec les romains, de l'hébreu avec les hébreux. Même pour celui-ci
je me perfectionne de plus en plus grâce à l'aide de Jean.
Un autre moyen de pénétration c'est
l'onguent de Marie. J'en ai fait une quantité de nouveau avec les essences
qui existent ici et j'y ai mêlé une parcelle de l'onguent primitif pour le
sanctifier. Ulcères et douleurs, blessures et mal de poitrine, disparaissent.
Il est vrai qu'en faisant les pansements avec le baume, je répète sans arrêt
les deux noms saints : Jésus-Marie. Et même, en jouant sur le nom grec
du Christ, j'ai appelé ce baume 'Oint Myrrhe'. N'est-ce pas ainsi ? N'y
a-t-il pas en lui l'essence salutaire de la Myrrhe de Dieu qui t'a engendré,
ô Huile précieuse qui nous fais des rois ? Je
dois rester bien souvent levée pour pouvoir en préparer du nouveau, et je
prierais la Sainte de m'en préparer encore et de m'en envoyer pour les
Tabernacles pour pouvoir le mélanger à l'autre fabriqué par l'infime servante
de Dieu. Pourtant, si je fais mal d'agir ainsi, dis-le moi, Seigneur, et je
ne le ferai jamais plus.
Le cher Jean me loue beaucoup, et moi que devrais-je dire de lui,
alors ? Il endure des souffrances aiguës. Mais il a un courage
merveilleux. Si je ne connaissais pas son secret, j'en serais étonnée. Mais
depuis cette nuit où revenant d'auprès d'un malade je l'ai trouvé extatique
et transfiguré, et que j'ai entendu ses paroles et que prosternée, je me suis
rendu compte que Tu étais présent à ton serviteur, je ne peux plus m'étonner.
Peut-être, au contraire, que quelque frère s'étonnera d'apprendre que je ne
regrette pas de ne t'avoir pas vu moi aussi. Pourquoi devrais-je le
regretter ?
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406> Tout est bien, tout
est suffisant de ce que Tu donnes. Chacun reçoit la part qu'il mérite et qui
lui est nécessaire. Il est donc bien que Jean te possède visiblement et que
moi je ne te possède qu'en esprit.
Suis-je heureuse ? Comme femme, j'ai regretté le temps où j'étais avec
Toi et Marie. Mais, comme âme, je suis très heureuse car je pense que c'est
maintenant seulement que je te sers, mon Seigneur. Je pense que le temps
n'est rien. Je pense que l'obéissance est la monnaie qui paie l'entrée dans
ton Royaume. Je pense que de t'aider c'est une grâce que la pauvre esclave ne
pouvait rêver même dans une heure de délire, et que Tu m'as accordé de
t'aider. Je pense que, séparée maintenant, je te posséderai à la fin pendant
toute l'éternité. Et je chante la chanson de Jean, comme fait l'alouette au
printemps sur les champs dorés de l'Hellade. Mes fillettes la chantent parce
qu'elles disent qu'elle est belle, et je les laisse chanter au rythme du
métier qui ressemble tant à celui de la rame en ce jour lointain, car je
pense que dire ton nom, ô Mère, c'est se disposer à la Grâce.
Jean me prie d'ajouter la nouvelle qu'il t'a envoyé un citoyen distingué
d'Antioche, du nom de Nicolaï.
C'est sa première conquête pour ton troupeau. Nous espérons beaucoup que Nicolaï ne déçoive pas l'estime que
nous avons de lui dans notre cœur.
Bénis ta servante, Seigneur. Bénis-la, ô Mère, bénissez-moi tous, vous les
saints et toi, enfant béni, qui grandis en sagesse près du Seigneur".
C'est ce qu'écrit Sintica et elle a ajouté une note à l'insu de Jean. Elle y
dit : "Jean n'en gagne que pour son esprit. Pour le reste, il
décline malgré tous les soins. Il compte beaucoup sur le début de l'été. Je
pense qu'il ne pourra pas faire ce qu'il dit. Je pense que l'hiver étouffera
ce qu'il lui reste de vie... Mais il est en paix. Il se sanctifie par le
travail et la souffrance. Garde-lui la force par ta présence, ô mon
Seigneur ! Je te demande de me soumettre à toutes sortes de peines en
échange de ce don pour ton disciple. J'envoie ces lettres à Lazare par
Ptolmaï, et je te supplie de vouloir dire à lui et à ses sœurs que nous nous
rappelons leurs bontés pour nous et que nous prions constamment et ardemment
à leur intention"
Tout le monde échange de nouvelles impressions.
André se penche pour demander quelque chose à Marie, et il reste étonné de
voir des larmes sur son visage. "Tu pleures ?" demande-t-il.
"Pourquoi pleures-tu ? Mais comment ? Mère !" disent
plusieurs.
"Moi, je sais pourquoi elle pleure" dit Margziam.
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407> "Pourquoi,
alors?"
"Parce que Jean a rappelé la mort du Seigneur."
"Ah ! C'est vrai ? Et comment la connaît-il puisqu'il n'était
plus ici quand tu l'as prédite ?"
"Parce qu'il l'a apprise de Moi pour son réconfort."
"Hum ! Réconfort !..."
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