Vision
du vendredi 25 janvier 1946
420> Sur la route du retour
vers la maison de Jeanne,
étant un peu isolés parmi les gens qui se pressent sur les routes et qui
séparent l'un de l'autre les nombreux hommes de la compagnie qui suit Jésus, Pierre qui est avec le Maître et les deux fils d'Alphée,
demande : "Voici, Seigneur. Maintenant que nous pouvons parler
entre nous, dis-moi une chose à laquelle je pense depuis hier."
"Oui, Simon. Dis-moi ce que c'est et je te
répondrai."
"C'est depuis hier que je pense à la grande grâce que tu as accordée à
Jean à Antigonea. Mais
sais-tu qu'elle est bien grande ?! Une chose unique. Faite seulement à
lui ! Et pourtant Sintica aussi mérite tant... Et enfin, il y a tant de braves gens
qui... mériteraient de te voir... et qui te voient seulement quand tu es à
côté d'eux. Nous, par exemple, comme nous aurions été consolés quand tu nous
as envoyés par le monde ! Et parfois on s'est trouvé dans des moments où
une seule parole nous aurait tiré de
l'incertitude... Mais Toi, à nous, tu ne viens jamais... Pourquoi cette
différence?"
"Pour conclure, toi, mon Simon, tu es un peu jaloux ?..."
"Oh ! non ! Mais... enfin je voudrais savoir trois
choses : pourquoi à Jean d'Endor; si
c'est pour lui seul; et s'il ne peut pas arriver qu'un jour cela se produise aussi
pour nous, pour moi, par exemple, de te voir
miraculeusement et de savoir de Toi comment me conduire."
Haut
de page
421> "Et Moi, je te réponds. À
Jean, parce que c'est un esprit qui a beaucoup de volonté mais qui, à cause
de ses aventures passées, a des faiblesses plutôt physiques qu'autre chose,
qui pourraient ruiner l'édifice qu'il a construit par sa montée vers Dieu. Tu
vois, mon ami ? Le passé, quand il a été si longtemps sur nous comme une
croûte qui a pénétré jusque dans les profondeurs, a gravé des marques
indélébiles, et non seulement cela, mais il laisse en tout homme des
tendances indélébiles.
Regarde par exemple cette maisonnette construite sur la montagne. Les eaux du
sol, celles qui descendent de la montagne pendant les pluies, l'ont lentement
pénétrée. Maintenant il y a un chaud soleil, cela va durer des mois. Mais les
moisissures qui ont pénétré la chaux resteront toujours comme des taches de
lèpre. La maison a été abandonnée parce qu'on l'a déclarée lépreuse. En
d'autres temps plus sévères, la maison aurait été totalement démolie, selon
la Loi. Pourquoi est arrivé ce désastre à cette pauvre maison ? Parce
que ses propriétaires n'ont pas prévu de creuser des petits fossés tout
autour pour empêcher les eaux de stagner à la base, pour dévier loin du côté
adossé à la montagne les eaux qui en descendent. Maintenant la maison non
seulement est en mauvais état, mais elle est minée par l'humidité.
Si quelqu'un de bien décidé pensait à ces travaux et la remettait ensuite en
état, en décapant les murs et en remplaçant les briques pourries par des
neuves, elle pourrait encore servir. Cependant elle présenterait toujours des
faiblesses telles que, dans un tremblement de terre, elle serait la première
à s'écrouler. Jean a été pénétré pendant des années, par les poisons du mal
du monde. Il a pourvu par sa volonté à en dégager son âme redevenue vivante,
mais dans la base cachée dans la partie inférieure, il est resté des
faiblesses... L'esprit est fort, mais sa chair est faible, et la chair
déchaîne aussi des tempêtes quand ses excitations se joignent aux éléments du
monde, capables de secouer le moi. Jean !... Quel
tourbillonnement des souvenirs du passé a causé ce qui est arrivé ! Moi,
je viens en aide à sa résistance, à sa purification, à sa victoire sur cette
résurgence du passé. J'apporte, comme je puis, du réconfort à sa trop grande
souffrance. Parce que lui le mérite, parce qu'il est
juste d'aider une volonté sainte contre laquelle se lance à l'assaut toute la
perversité du monde. Es-tu convaincu ?"
"Oui, Maître. C'est... à lui seulement que tu te manifestes ?"
Haut
de page
422> Jésus sourit en regardant
Pierre qui le regarde par en-dessous et qui semble un enfant
qui observe le visage se son père. Il répond : "Pas à lui seul. À
d'autres aussi qui sont au loin pour construire leur sainteté au milieu des
difficultés et dans la solitude."
"Qui est-ce ?"
"Il n'est pas nécessaire de le savoir."
Jacques d'Alphée demande : "Et à nous, par exemple, quand nous serons
seuls et qui sait à quel point tourmentés par le monde ?... Tu ne nous
aideras pas par ta présence ?"
"Vous aurez le Paraclet avec ses lumières."
"C'est bien... Mais moi... je ne le connais pas... et... je pense que je
n'arriverai jamais à le comprendre. Toi, au contraire... Je dirai :
"Oh ! voici le Maître" et je te demanderai ce que faire avec
la certitude que c'est Toi..." dit Pierre. Et il termine : "Le
Paraclet ! Trop élevé pour le pauvre pêcheur ! Qui sait comme sa
parole est difficile à saisir et comme il est... léger : un souffle qui
passe... Qui le remarque ? Moi, j'ai besoin que l'on me secoue, que l'on
crie, pour que ma caboche s'éveille et puisse comprendre. Mais Toi, si tu
m'apparais, je te vois, et alors !... Promets-moi, et même promets-nous
que tu nous apparaîtras même à nous. Mais ainsi, hein ?! En chair et en
sang, pour que l'on te voie bien et que l'on t'entende bien."
"Et si je viens pour vous faire des reproches ?"
"N'importe ! Mais, au moins — est-ce vrai, vous deux ? — nous
saurons ce qu'il faut faire !"
Les deux fils d'Alphée sont du même avis.
"Eh bien, je vous le promets. Bien que, croyez-le, le Paraclet saura se
faire comprendre de vos âmes. Mais je viendrai vous dire :
"Jacques, fais ceci ou cela. Simon Pierre, ce n'est pas bien que tu
fasses cette autre chose. Jude, fortifie-toi pour être prêt à ceci ou à cette
autre chose."
"Oh ! très bien. Maintenant je suis plus tranquille. Et viens
souvent, sais-tu ? Car je serai comme un pauvre enfant perdu et qui ne
fait que pleurer et... faire des choses qui ne sont pas bonnes..." Et
Pierre pleurerait presque dès maintenant...
Jude Thaddée demande : "Ne pourrais-tu pas le faire pour tous dès
maintenant ? Je veux dire : pour ceux qui doutent, pour les
coupables, pour les renégats. Peut-être un miracle..."
"Non, frère. Le miracle fait beaucoup
de bien, le miracle de cette espèce spécialement, quand il est donné au
temps et au lieu voulus à des personnes qui ne sont pas malicieusement
coupables. Donné à des personnes malicieusement coupables, il augmente leur
culpabilité car il augmente leur orgueil. Le don de Dieu, ils le prennent
pour une faiblesse de Dieu qui les supplie, eux les orgueilleux, de
Lui permettre de les aimer.
Haut
de page
423> Le don de Dieu, ils le
prennent pour le fruit de leurs grands mérites. Ils se disent :
"Dieu s'humilie avec moi, parce que je suis saint". C'est la ruine
complète, alors. La ruine d'un Marc de Josias, par exemple, et d'autres avec
lui... Malheur, malheur à qui prend ce chemin satanique. Le don de Dieu se
change en lui en poison de Satan. C'est l'épreuve la plus grande et la plus
assurée du degré d'élévation et de volonté sainte dans un homme, que d'être gratifié
de dons extraordinaires. Très souvent l'homme en est enivré humainement, et
de spirituel il devient toute humanité, et puis il descend et devient satanicité."
"Et alors pourquoi Dieu les accorde-t-Il ? Il vaudrait mieux qu'il
ne les accorde pas !"
"Simon de Jonas, pour t'apprendre à marcher, ta mère t'a-t-elle toujours
tenu dans les langes et sur ses bras ?"
"Non. Elle me mettait par terre et me laissait les jambes libres."
"Mais tu es tombé ?"
"Oh ! un nombre infini de fois ! D'autant plus que j'étais
très... Enfin, tout petit, j'avais la prétention d'agir par moi-même et de
tout bien faire."
"Mais maintenant tu ne tombes plus ?"
"Il ne manquerait plus que cela ! Maintenant je sais qu'il est
dangereux de grimper sur le dossier d'un siège, que prétendre se servir des
gouttières pour descendre du toit par le plus court chemin c'est une erreur,
que vouloir voler depuis le figuier jusqu'à l'intérieur de la maison, comme
si on était un oiseau, c'est de la folie. Mais quand j'étais petit, je ne le
savais pas. Et si je ne me suis pas tué, c'est vraiment un mystère. Cependant
tout doucement j'ai appris à me bien servir de mes jambes et aussi de ma
tête."
"Alors Dieu a bien fait de te donner des jambes et une tête, et ta mère
de te laisser apprendre à tes dépens ?"
"Certainement !"
"C'est ce que Dieu fait avec les âmes. Il leur fait les dons et comme
une mère Il avertit et enseigne. Mais ensuite chacun doit déterminer par
lui-même comment il s'en servira."
"Et si quelqu'un est idiot ?"
"Dieu ne fait pas de dons aux idiots. Eux, II les aime parce qu'ils sont
malheureux, mais il ne leur donne pas ce dont ils ne comprendraient pas
l'usage."
"Mais s'il les leur donnait et si eux en usaient mal ?"
Haut
de page
424> "Dieu les traiterait
d'après ce qu'ils sont : des incapables et donc des irresponsables. Il ne les jugerait pas."
"Et si quelqu'un, qui était intelligent quand il les a reçus, devient
ensuite sot ou fou ?"
"Si c'est par maladie, il n'est pas coupable de ne pas employer le don
qu'il a eu."
"Mais... un de nous, par exemple ? Marc de Josias... ou... ou un
autre, voilà ?!"
"Oh ! alors ! Il vaudrait mieux pour lui de n'être pas
né ! Mais c'est ainsi que se fait la séparation des bons et des
mauvais... Opération pénible, mais juste."
"Mais que dites-vous de bon ? Rien pour nous ?" demandent
les autres apôtres qui, étant donné la largeur de la route, ont pu rejoindre
Jésus.
"Nous parlions de tant de choses. Jésus m'a dit une parabole sur la
lèpre des maisons. Je vous la dirai ensuite" répond Pierre.
"Quelle superstition, cependant !" déclare doctoralement
l'Iscariote. "Vraiment digne de ce temps-là. Les murs ne prennent pas la
lèpre. Les anciens, imbéciles, prêtaient aux vêtements et aux murs des
propriétés qui appartiennent aux animaux. Choses ridicules et qui nous
rendent ridicules."
"Ce n'est pas comme tu dis, Judas. Sous
une figure imagée qui s'imposait pour les esprits de ce temps-là, on
poursuivait un grand but qui répondait à de saintes prévoyances. Comme tant
d'autres préceptes de l'ancien Israël. Des préceptes qui assuraient la santé
du peuple. Conserver un peuple sain c'est le devoir des législateurs, c'est
honorer Dieu et le servir, car le peuple est fait de créatures de Dieu. Il ne
faut donc pas le négliger alors qu'on ne néglige pas les animaux et les
plantes. Les maisons dites lépreuses n'ont pas, il est vrai, la maladie
chamelle de la lèpre. Mais elles ont des défauts de construction et de
situation qui les rendent malsaines et qui se manifestent par les taches
qu'on appelle "lèpre des murs". À la longue, elles deviennent malsaines
pour l'homme et, en plus, dangereuses à cause du danger d'écroulement. C'est
donc avec raison que la Loi a imposé des prescriptions et ordonne l'abandon
et la réfection et même la démolition si, après leur reconstruction, elles
reprennent leur mauvaise apparence."
"Oh ! mais un peu d'humidité ! Qu'est-ce que cela fait ?
On l'assèche avec des brasiers."
"Et l'humidité ne se voit pas à l'extérieur, la décrépitude augmente.
L'humidité se développe dans les profondeurs et érode les murs et, un beau jour,
la maison s'écroule et ensevelit ceux qui s'y trouvent. Judas,
Judas ! Il est mieux d'avoir une surveillance exagérée qu'être
imprudents !"
Haut
de page
425> "Moi, je ne suis pas une
maison !"
"Tu es la maison de ton âme. Ne permets pas que dans ta maison
s'infiltre le mal et qu'elle s'effrite... Veille à la sauvegarde de ton âme.
Veillez tous."
"Je veillerai, Maître. Mais dis-moi franchement si tu es impressionné
par les paroles de ma mère. Cette femme est malade, elle voit des ombres. Je
dois la faire soigner. Guéris-la, Maître."
"Moi, je la réconforterai. Mais toi seul peux la guérir en calmant son
anxiété."
"Anxiété sans fondement. Crois-le, Seigneur."
"Cela vaut mieux ainsi, Judas. Cela vaut mieux. Mais toi, par une
conduite toujours plus juste, cherche à la supprimer. Et si cette anxiété est
née, il y a sûrement une raison. Effaces-en même le souvenir et ta mère et
Moi, nous te bénirons."
"Maître, tu crains que je sois d'accord avec Marc de Josias ?"
"Je ne crains rien."
"Ah ! bien ! Car je cherchais justement à le convaincre. Et je
crois que c'était mon devoir. Personne ne le fait. J'ai du zèle pour les
âmes, moi !"
"Fais attention qu'il ne t'en vienne pas du mal !" dit
bonnement Pierre.
"Que veux-tu dire ?" dit Judas agressif.
"Rien de plus que ceci : que pour toucher ce qui brûle, il faut
prendre un isolant."
"Et quoi, dans notre cas ?"
"Quoi ? Une grande sainteté."
"Et moi, je ne l'ai pas, n'est-ce pas ?"
"Ni toi, ni moi, ni personne d'entre nous. Donc... nous pourrions nous
brûler et en rester marqués."
"Et alors, qui s'occupera des âmes ?"
"Le Maître, pour l'instant. Après, nous, quand, selon sa promesse, nous
aurons les moyens pour pouvoir le faire."
"Mais moi, je veux le faire avant. Il n'est jamais trop tôt de
travailler pour le Seigneur."
"Voilà, je crois que tu parles bien. Mais je pense que le premier
travail pour le Seigneur, c'est sur nous qu'il faut le faire. Aller prêcher
la sainteté aux autres, avant de nous la prêcher à nous-mêmes..."
"Tu es égoïste !"
|