Vision du dimanche 3 février 1946
471> Quand Jésus entre dans le palais,
je le vois envahi par une foule de serviteurs venus de Béthanie, tout occupés
aux préparatifs. Lazare, étendu sur un lit est très souffrant. Il salue d'un
pâle sourire son Maître qui se hâte vers lui et qui se penche tout affectueux
sur son lit en demandant : "Tu as beaucoup souffert, n'est-ce pas,
mon ami, avec les secousses du char ?"
"Beaucoup, Maître" répond Lazare, épuisé au point que d'évoquer ce
qu'il a éprouvé, il en a les larmes aux yeux.
"C'est ma faute ! Pardonne-moi !"
Lazare prend une des mains de Jésus et la porte à son visage. Il la passe sur
sa joue décharnée, la baise et murmure : "Oh ! Ce n'est pas ta
faute, Seigneur ! Et je suis tellement content que tu fasses la Pâque
avec moi... ma dernière Pâque !..."
Haut
de page
472> "Si Dieu le veut, malgré
tout, tu en feras encore beaucoup, Lazare. Et toujours ton cœur sera avec
Moi."
"Oh ! Moi, je suis fini ! Tu me réconfortes... mais c'est
fini. Et cela me désole..." Il pleure.
"Tu le vois. Seigneur ? Lazare ne fait que pleurer" dit Marthe
avec pitié. "Dis-lui de ne pas le faire. Il s'épuise !"
"La chair a encore ses droits. La souffrance est pénible, Marthe, et la
chair pleure. Elle a besoin de ce soulagement. Mais l'âme est résignée,
n'est-ce pas. mon ami ? Ton âme de juste fait volontiers la volonté du
Seigneur..."
"Oui... Mais je pleure parce que Toi, ainsi persécuté, tu ne pourras
m'assister à ma mort... J'ai horreur, j'ai peur de la mort... Si tu étais là,
je n'aurais pas tous ces sentiments. Je me réfugierais dans tes bras... et je
m'endormirais ainsi... Comment ferai-je ? Comment ferai-je à mourir sans
réagir contre l'obéissance à cette redoutable Volonté ?"
"Allons ! Ne pense pas à ces choses ! Tu vois ? Tu fais
pleurer tes sœurs... Le Seigneur t'aidera si paternellement que tu n'auras
pas peur. La peur, ce sont les pécheurs qui doivent l'avoir..."
"Mais Toi, si tu peux venir, tu viendras à mon agonie ?
Promets-le-moi !"
"Je te le promets. Cela et davantage encore."
"Pendant qu'on fait les préparatifs, raconte-moi ce que tu as fait ce
matin..."
Jésus, assis sur le bord du lit, avec dans ses mains une des mains décharnées
de Lazare, raconte par le menu tout ce qui est arrivé jusqu'à ce que Lazare,
épuisé, s'assoupit. Et Jésus ne le quitte pas même alors. Il reste immobile
pour ne pas troubler ce sommeil réparateur, en faisant signe que l'on fasse
le moins de bruit possible, si bien que Marthe, après avoir apporté à Jésus
de quoi se restaurer, se retire sur la pointe des pieds en abaissant le lourd
rideau et en fermant la porte massive. Le bruit de la maison toute en
mouvement s'atténue ainsi en un bourdonnement à peine sensible. Lazare dort.
Jésus prie et médite. Les heures passent ainsi jusqu'à ce que Marie vienne
apporter un lumignon parce que la nuit arrive et que l'on va fermer les
fenêtres.
"Il dort encore ?" murmure-t-elle.
"Oui. Il est tranquille. Cela va lui faire du bien."
"Depuis des mois, il n'avait pas tant dormi... Je crois qu'il était très
agité par la crainte de la mort. Avec Toi auprès de lui, il n'a plus peur...
de rien... Il a de la chance, lui !"
"Pourquoi, Marie ?"
Haut
de page
473> "Parce qu'il
pourra t'avoir près de lui en mourant. Mais moi..."
"Pourquoi pas toi ?"
"Parce que tu veux mourir... et bientôt. Et moi, qui sait
quand je mourrai. Fais-moi mourir avant toi, Maître !"
"Non, tu dois me servir encore pendant longtemps."
"Et alors j'ai raison de dire que Lazare a de la chance !"
"Les bien-aimés auront tous de la chance comme lui, plus que lui."
"Qui sont-ils ? Les purs, n'est-ce pas ?"
"Ceux qui savent aimer totalement. Toi, par exemple, Marie."
"Oh ! mon Maître !" Marie glisse par terre sur la natte multicolore
qui couvre le dallage de cette pièce, et elle reste là dans l'adoration de
son Jésus.
Marthe, qui la cherche, passe la tête à l'intérieur. "Viens, donc !
Nous devons préparer la salle rouge pour la cène du Seigneur."
"Non, Marthe. Celle-là, vous la donnerez aux plus humbles, aux paysans
de Giocana, par exemple."
"Mais pourquoi, Maître ?"
"Parce que les pauvres sont autant de Jésus et que je suis en eux.
Honorez toujours le pauvre que personne n'aime, si vous voulez être
parfaites. Pour Moi, vous préparerez dans l'atrium. En tenant ouvertes les
nombreuses portes qui donnent en son intérieur, tous me verront, et Moi, je
verrai tout le monde."
Marthe, pas trop satisfaite, objecte : "Mais Toi, dans un
vestibule !... Cela n'est pas digne de Toi !..."
"Va, va. Fais ce que je te dis. C'est très digne de faire ce que le
Maître conseille."
Marthe et Marie sortent sans faire de bruit, et Jésus reste patiemment pour
veiller l'ami qui repose.
Les cènes sont toutes en train. La répartition des
hôtes n'est guère juste du point de vue humain, mais elle est faite d'un
point de vue supérieur de manière à donner honneur et amour à ceux que le
monde néglige habituellement.
Ainsi dans la splendide, royale salle rouge, dont la voûte est soutenue par
deux colonnes de porphyre rouge entre lesquelles on a dressé la longue table,
sont assis les paysans de Giocana, avec Margziam, Isaac, et d'autres
disciples pour arriver au nombre requis. Dans la salle, où eut lieu le repas
le soir précédent, il y a d'autres disciples parmi les plus humbles.
Haut
de page
474> Dans la salle blanche, un
rêve de candeur, se trouvent les disciples vierges, et avec elles, qui sont
seulement quatre, il y a les sœurs de Lazare et Anastasica et d'autres
jeunes. Mais la reine de la fête c'est Marie, la Vierge par excellence. Dans
la pièce voisine, qui peut-être est une bibliothèque car elle est garnie de
hauts coffres sombres qui peut-être contiennent des rouleaux ou en contenaient,
se trouvent les veuves et les épouses, avec à leur tête Élise de Béthsur et Marie d'Alphée. Et ainsi de suite.
Mais ce qui frappe, c'est de voir Jésus dans l'atrium de marbre. Il est vrai
que le goût raffiné des deux sœurs de Lazare a fait du vestibule carré un
véritable salon éclairé, fleuri, plus splendide qu'une salle. Mais c'est
toujours un vestibule ! Jésus est avec les douze, mais à côté de Lui, il
y a Lazare. Et avec Lazare, il y a aussi Maximin.
Les cènes se poursuivent selon le rite... et Jésus rayonne de joie d'être au
milieu de tous ses disciples fidèles.
Une fois les cènes terminées, après qu'a été consommé le dernier calice, qu'a
été chanté le dernier psaume, tous ceux qui étaient dans les différentes
salles affluent dans l'atrium. Mais ils n'y entrent pas à cause de la table
trop encombrante.
"Allons dans la salle rouge, Maître. Nous pousserons la table contre le
mur et nous nous tiendrons tous autour de Toi" suggère Lazare, et il
fait signe aux serviteurs de prendre cette disposition.
Maintenant Jésus, assis au milieu, entre les deux précieuses colonnes, sous
un lampadaire qui l'éclairé vivement, élevé sur un piédestal fait de deux
lits sièges qui servaient pour la cène, semble vraiment un roi assis sur son
trône au milieu de ses courtisans. Son habit de lin qu'il a mis avant la cène
brille comme s'il était fait de fils précieux et il semble encore plus blanc
en se détachant sur le rouge sombre des murs et le rouge lumineux des
colonnes. Son visage est vraiment divin et royal pendant qu'il parle ou
écoute ceux qui l'entourent. Même les plus humbles, qu'il a voulus très
proches, se sentant aimés par les autres comme des frères, parlent avec
assurance en disant leurs espérances et leurs ennuis avec simplicité et foi.
Mais le plus heureux parmi tant d'heureux, c'est le grand-père
de Margziam ! Il ne quitte pas son
petit-fils un seul instant et il se délecte à le regarder, à l'écouter... De
temps à autre, assis près de Margziam qui est debout, il penche sa tête
chenue sur la poitrine de son petit-fils qui la caresse.
Jésus le voit faire plusieurs fois et il interpelle le vieillard :
"Père, ton cœur est heureux ?"
Haut de page
475> "Oh ! bien heureux, mon Seigneur ! Et
cela ne me semble même pas vrai. Je n'ai plus qu'un désir..."
"Lequel ?"
"Celui que j'ai dit à mon fils, mais lui ne l'approuve pas."
"Quel désir est-ce ?"
"C'est que je voudrais, si possible, mourir dans cette paix. Bientôt, au
moins. Car désormais le plus grand bien je l'ai eu. Une créature ne peut en
avoir davantage sur la Terre. M'en aller... ne plus peiner... Aller... Comme
tu l'as bien dit au Temple, Seigneur ! "Celui qui offre un sacrifice
avec le bien des pauvres est comme celui qui égorge un fils sous les yeux de
son père". Seule la crainte que tu lui inspires retient Giocana de
rivaliser avec Doras. Il est en train de perdre le souvenir de ce qui est
arrivé à l'autre. Ses champs prospèrent, et il les fertilise avec notre
sueur. La sueur n'est-elle pas peut-être le bien du pauvre, son propre
lui-même qu'il épuise dans des fatigues supérieures à ses forces ? Il ne
nous frappe pas, il nous donne seulement de quoi résister au travail. Mais ne
nous exploite-t-il pas plus que des bœufs ? Dites-le vous, mes
compagnons..."
Les paysans anciens et nouveaux de Giocana acquiescent.
"Hum ! Je crains que... Oui, que tes paroles le rendent plus
vampire que jamais, et à leur détriment... Pourquoi les as-tu dites,
Maître" demande Pierre.
"Parce qu'il les méritait déjà. N'est-ce pas, vous des
champs ?"
"Oh ! oui ! Les premiers mois... cela allait bien. Mais
maintenant... c'est pire qu'avant" affirme Michée.
"Le seau du puits descend par son propre poids" dit
sentencieusement le prêtre Jean.
"Oui, et le loup se lasse vite de faire l'agneau" renchérit Hermas.
Les femmes murmurent entre elles, apitoyées.
Jésus, les yeux dilatés par la pitié, regarde les pauvres paysans, affligé de
son impuissance à les soulager.
Lazare dit : "J'avais offert des sommes folles pour avoir ces
champs et leur donner la paix. Mais je n'ai pas réussi à les avoir. Doras me
hait, semblable en tout à son père."
"Eh bien... nous mourrons ainsi. C'est notre sort. Mais il viendra bien
le repos dans le sein d'Abraham !" s'exclame Saul, autre paysan de
Giocana.
"Dans le sein de Dieu, fils ! Dans le sein de Dieu. La Rédemption
sera accomplie, les Cieux seront ouverts et vous vous irez au Ciel
et..."
Haut de page
476> Mais voilà qu'au
portail on frappe des coups vigoureux qui retentissent fortement. Toute l'assemblée
est en état d'alerte.
"Qui est-ce ?"
"Qui circule un soir de Pâque ?"
"Des troupes ?"
"Des pharisiens ?"
"Des soldats d'Hérode ?"
Mais alors que l'agitation s'étend, apparaît Lévi, le gardien du
palais : "Pardonne, ô Rabbi" dit-il. "Il y a un homme qui
te demande. Il est dans l'entrée. Il paraît très affligé. Il est âgé et me
semble être du peuple. Il te veut, Toi, et vite."
"Oh ! là, là ! Ce n'est pas un soir de miracles ! Qu'il
revienne demain..." dit Pierre.
"Non. Toute soirée est une heure de miracles et de miséricorde" dit
Jésus et il se lève et descend de son siège pour aller vers l'atrium.
"Tu vas seul ? Je viens moi aussi" dit Pierre.
"Non. Toi, reste où tu te trouves."
Il sort à côté de Lévi.
Au fond, près du lourd portail, dans l'atrium à demi obscur, car on a éteint
les lampes qui éclairaient auparavant, il y a un vieillard très agité. Jésus
l'aborde.
"Arrête-Toi, Maître. J'ai peut-être touché un mort, et je ne veux pas te
contaminer. Je suis le parent de Samuel, l'époux d'Annalia.
Nous consommions la cène et Samuel buvait, buvait... comme il n'est pas
permis de le faire. Mais le jeune homme me paraissait fou depuis quelque
temps. C'est le remords, Seigneur ! A moitié ivre, il disait en buvant
de nouveau : "Ainsi je ne me rappelle plus de Lui avoir dit que je
le hais. Car moi, sachez-le, j'ai maudit le Rabbi". Et il me semblait
être Caïn parce qu'il répétait : "Mon iniquité est trop grande. Je
ne mérite pas le pardon ! Il faut que je boive ! Boire pour ne pas
me rappeler ! Car il est dit que celui qui maudit son Dieu portera son
péché et qu'il est passible de mort". Il délirait déjà ainsi, quand est
entré dans la maison un parent de la mère d'Annalia
pour demander raison de la répudiation. Samuel, à moitié ivre. réagit par de
mauvaises paroles et l'homme le menaça de l'amener devant le magistrat pour
le tort qu'il fait à l'honneur de la famille. Samuel commença par le gifler.
Ils en vinrent aux mains...
Haut de page
477> Moi, je suis vieux, et ma sœur est âgée, le serviteur
et la servante sont âgés. Que pouvions-nous faire, nous quatre et les deux
filles, les sœurs de Samuel ? Nous pouvions crier ! Essayer de les
séparer! Rien de plus... Et Samuel prit la hache à l'aide de laquelle nous
avions préparé le bois pour l'agneau et il en asséna un coup sur la tête de
l'autre... Il ne lui fendit pas la tête car il frappa avec le revers, pas
avec la lame. Mais l'autre chancela en gargouillant et tomba... Nous n'avons
plus crié... pour... pour ne pas attirer les gens... Nous nous sommes
barricadés dans la maison... Atterrés... Nous espérions que l'homme
reviendrait à lui, en lui jetant de l'eau sur la tête. Mais il gargouille, il
gargouille. Certainement il va mourir. Par moments il semble déjà mort. Je me
suis enfui pour t'appeler à un de ces moments. Demain... peut-être avant, les
parents vont chercher l'homme. Et chez nous. car ils savent certainement
qu'il est venu et ils vont le trouver mort... Et Samuel, selon la Loi, sera
tué... Seigneur ! Seigneur ! Le déshonneur est déjà sur nous...
Mais cela, non ! Pitié pour ma sœur, Seigneur ! Lui t'a maudit...
Mais sa mère t'aime... Que devons-nous faire ?"
"Attends-moi ici. Je viens" et Jésus revient vers la salle en appelant
de la porte : "Judas de Kériot, viens avec Moi."
"Où, Seigneur ?" dit Judas en obéissant aussitôt.
"Tu vas le savoir. Vous, restez en paix et amour. Nous serons bientôt de
retour."
Ils sortent de la salle, du vestibule, de la maison. Les rues désertes et
sombres sont vite parcourues. Ils arrivent à la maison fatale.
"La maison de Samuel ?! Pourquoi..."
"Silence, Judas. Je t'ai pris parce que j'ai confiance en ton bon
sens."
Le vieillard s'est fait reconnaître. Ils entrent. Ils montent à la pièce du
cénacle où on a traîné celui qui a été frappé.
"Un mort ?! Mais, Maître ! Nous allons nous
contaminer !"
"Il n'est pas mort. Tu vois qu'il respire et tu entends qu'il râle.
Maintenant je vais le guérir..."
"Mais il a un coup à la tête ! Ici, il y a eu un crime ! Qui
l'a frappé ?... Et le jour de l'agneau !" Judas est terrifié.
"C'est lui" dit Jésus en montrant Samuel, qui s'est jeté dans un
coin pelotonné sur lui-même, plus mourant que le mourant lui-même, râlant de
terreur comme l'autre râle dans l'agonie, un pan de son manteau sur la tête
pour ne pas voir et n'être pas vu. Tous le regardent avec horreur, à
l'exception de la mère qui, à l'horreur de l'homicide, unit le déchirement
pour son fils coupable et condamné d'avance par la loi de fer d'Israël. "Tu
vois à quoi conduit un premier péché ?
Haut
de page
478> À cela, ô Judas ! Il a commencé
par être parjure à sa femme, puis à Dieu; puis il est devenu calomniateur,
menteur, blasphémateur, puis il s'est adonné au vin et maintenant il est
homicide. C'est ainsi que l'on devient la possession de Satan, ô Judas.
Gardes-en toujours le souvenir..." Jésus est terrible alors que, les
bras tendus, il montre Samuel.
Mais ensuite il regarde la mère qui, appuyée à la fenêtre, peine à rester
debout, secouée par un tremblement et qui paraît près de mourir. Et Jésus dit
avec tristesse : "Et ainsi, ô Judas, les mères sont tuées, sans
autre arme que celle du crime de leur fils, les pauvres mères !... C'est
pour elle que j'ai pitié. J'ai pitié des mères, Moi ! Moi, le Fils qui
ne verra pas de pitié pour sa Mère..."
Jésus pleure... Judas le regarde stupéfait...
Jésus
se penche sur le mourant et lui met une main sur la tête. Il prie. L'homme
ouvre les yeux, il paraît un peu ivre, étonné... Mais bientôt il revient à
lui. Il s'assoit en appuyant ses poings au sol. Il regarde Jésus. Il demande:
"Qui es-tu ?"
"Jésus de Nazareth."
"Le Saint ! Pourquoi es-tu auprès de moi ? Où suis-je ?
Où est ma sœur et sa fille ? Qu'est-il arrivé ?" Il cherche à
se rappeler.
"Homme, tu m'appelles saint. Tu me crois donc tel ?"
"Oui, Seigneur. Tu es le Messie du Seigneur."
"Ma parole est donc sacrée pour toi ?"
"Oui, ô Seigneur."
"Alors..." Jésus se dresse debout. Il est imposant :
"Alors, Moi, comme Maître et comme Messie, je t'ordonne de pardonner. Tu
es venu ici et tu as été insulté..."
"Ah ! Samuel ! Oui !... La hache ! Je le dénon..." dit-il en se levant.
"Non. Pardonne au nom de Dieu. C'est pour cela que je t'ai guéri. Tu as
à cœur la mère d'Annalia, parce qu'elle a souffert.
Celle de Samuel souffrirait plus encore. Pardonne."
L'homme tergiverse quelque peu. Il regarde celui qui l'a frappé, avec une
rancœur visible. Il regarde la mère angoissée. Il regarde Jésus qui le
domine... Il ne sait pas se décider.
Jésus lui ouvre les bras et l'attire sur sa poitrine en disant :
"Par amour pour Moi !"
L'homme se met à pleurer... Être ainsi dans les bras du Messie, sentir son
haleine dans ses cheveux, et un baiser là où il avait reçu le coup !...
Il pleure, il pleure...
"Oui, n'est-ce pas ?" dit Jésus. "Tu pardonnes par amour
pour Moi ? Oh ! bienheureux les miséricordieux ! Pleure,
pleure sur mon cœur. Que sorte avec les pleurs toute rancœur ! Tout
nouveau ! Tout pur ! Voilà, ainsi ! Doux ! oh ! doux
comme doit l'être un fils de Dieu..."
Haut
de page
479> L'homme lève son visage et,
en pleurant, il dit : "Oui, oui. Ton amour est si doux ! Elle
a raison, Annalia ! Maintenant je la
comprends... Femme, ne pleure plus ! Le passé est passé. Personne ne
saura rien de ma bouche. Jouis de ton fils retrouvé, s'il peut te donner de
la joie. Adieu, femme. Je retourne chez moi" et il va sortir.
Jésus lui dit : "Je viens avec toi, homme. Adieu, mère. Adieu,
Abraham. Adieu, mes filles." Pas un mot pour Samuel qui de son côté ne
trouve pas de mot.
La mère lui enlève de la tête le manteau et, par réaction de ce qui s'est
passé, elle se jette sur son fils : "Remercie ton Sauveur, âme
dure ! Remercie-le, indigne que tu es !..."
"Laisse-le, laisse-le, femme ! Sa parole serait sans valeur. Le vin
le rend stupide et son âme est fermée. Prie pour lui... Adieu."
Il descend l'escalier, et rejoint sur la route Judas et l'autre. Il se dégage
du vieil Abraham qui veut Lui baiser les mains et se met à marcher rapidement
dans la clarté de la lune qui se lève.
"Tu habites loin ?" demande-t-il à l'homme.
"Au pied du Moriah."
"Alors nous devons nous séparer."
"Seigneur, tu m'as conservé à mes enfants, à mon épouse, à la vie. Que
dois-je faire pour Toi ?"
"Être bon, pardonner et te taire. Jamais, pour aucune raison, tu ne dois
dire un mot de ce qui est arrivé. Tu le promets ?"
"Je le jure sur le Temple sacré ! Bien que je souffre de ne pouvoir
dire que tu m'as sauvé..."
"Sois juste, et Moi, je sauverai ton âme. Et cela tu pourras le dire.
Adieu, homme, la paix soit avec toi."
L'homme s'agenouille, salue. Ils se séparent.
"Quelles choses ! Quelles choses !" dit Judas maintenant
qu'ils sont seuls.
"Oui. Horribles. Judas, toi non plus tu n'en parleras pas."
"Non, Seigneur, mais pourquoi as-tu voulu que je sois avec
Toi ?"
"Tu n'es pas content de ma confiance ?"
"Oh ! tellement ! Mais..."
"Mais parce que je voulais que tu réfléchisses à quoi peut conduire le
mensonge, le désir de l'argent, l'ivrognerie et les pratiques mortes d'une
religion dépourvue de sentiments et de pratiques spirituelles. Et qu'était le
repas symbolique pour Samuel ? Rien ! Une ripaille. Un sacrilège.
Et c'est pendant ce repas qu'il devint homicide. Beaucoup, dans l'avenir,
seront comme lui.
Haut
de page
480> Avec le goût de l'Agneau sur
la langue, non pas de l'agneau né d'une brebis, mais de l'Agneau divin, ils
s'en iront vers le crime. Pourquoi cela ? Comment cela ? Tu ne te
le demandes pas ? Mais Moi, je te le dis quand même : parce qu'ils
auront préparé cette heure par beaucoup d'étourderies, au commencement; par
entêtement ensuite. Souviens-toi de cela, Judas."
"Oui, Maître. Et qu'allons-nous dire aux autres ?"
"Qu'il y avait quelqu'un très grave. C'est la vérité."
|