Le mercredi 4 avril 1945.
(Mercredi de Pâques).
265> 622.1 - Dans
une riche pièce, où filtre difficilement la lumière de l’extérieur, Jeanne
pleure dans un total abandon sur un siège près d’un lit bas, couvert de
splendides couvertures. Elle pleure, un bras appuyé sur le bord du lit et le
front sur son bras, secouée toute entière par des sanglots qui doivent lui
rompre la poitrine. Quand dans l’angoisse de ses pleurs elle lève un moment
son visage, pour respirer, on voit une large tache d’humidité sur la
couverture précieuse et son visage est littéralement inondé de larmes. Puis
elle le penche de nouveau sur son bras et on ne voit plus d’elle que son cou,
fin et très blanc, la masse de ses cheveux bruns, ses épaules et le sommet du
tronc très élancés. Le reste se perd dans la pénombre qui fait disparaître
son corps enveloppé dans l’habit violet foncé.
Sans déplacer le rideau ni entrouvrir la
porte, Jésus
entre et sans bruit va près d’elle. Il lui effleure les cheveux de sa main et
demande dans un murmure :
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266> "Pourquoi pleures-tu, Jeanne
?"
Jeanne doit croire que c’est son ange qui l’interroge et elle ne voit rien
car elle ne lève pas la tête du bord du lit. Dans un sanglot encore plus
désolé elle dit son tourment : "Parce que je n’ai même plus le Tombeau
du Seigneur pour aller verser mes larmes et n’être pas seule..."
"Mais il est ressuscité. N’en es-tu pas heureuse ?"
"Oh ! si ! Mais toutes l’ont vu, excepté Marthe et moi. Et Marthe certainement le
verra à Béthanie...
car là, c’est une maison amie. La mienne.., la mienne n’est plus une maison
amie... J’ai tout perdu avec sa Passion...
Et mon Maître, et l’amour de mon époux...
et son âme... car il ne croit pas... il ne croit pas... et se moque de moi...
et il m’impose de ne plus même vénérer la mémoire de mon Sauveur.., pour ne
pas le ruiner, lui... Pour lui, l’intérêt humain est plus important... Moi...
moi.., moi je ne sais pas si je continue à l’aimer ou éprouver pour lui du
dégoût. Je ne sais si je lui obéis comme épouse ou si je lui désobéis, comme
mon âme le voudrait, à cause du lien conjugal de mon esprit avec le Christ à
qui je reste fidèle... Moi.., moi, je voudrais savoir... Et qui me conseille
si la pauvre Jeanne ne peut plus le rejoindre ? Oh !... pour mon Seigneur la
Passion est finie !... Mais pour moi elle a commencé le Vendredi, et elle
continue... Oh ! moi je suis si faible et je n’ai pas la force de porter
cette croix !..."
"Mais si Lui t’aidait voudrais-tu la porter pour Lui ?"
"Oh ! oui ! Pourvu qu’il m’aide.., Lui sait ce que c’est que de porter
seul la croix... Oh ! pitié de mon malheur !..."
"Oui. Je sais ce que c’est que de
porter seul la croix. C’est pour cela que je suis venu et que je suis à tes
côtés.
622.2 - Jeanne,
comprends-tu qui est celui qui te parle ? Ta maison n’est plus amie du Christ
? Pourquoi ? Si lui, ton époux terrestre, est comme un astre couvert de
miasmes humains, tu es toujours Jeanne de Jésus. Le Maître ne t’a pas
quittée. Jésus ne quitte jamais les âmes devenues ses épouses. Il est
toujours le Maître, l’Ami, L’Époux, même maintenant qu’il est le Ressuscité.
Lève ta tête, Jeanne. Regarde-moi. À cette heure d’instruction secrète, et
plus douce que si je t’étais apparu comme aux autres, je te dis ce que devra
être ta conduite future, ce que devra être celle de tant de tes sœurs. Aime
avec patience et soumission ton époux troublé. Augmente ta douceur d’autant
plus que fermente en lui l’amertume de peurs humaines.
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267> Augmente ta clarté spirituelle
d’autant plus qu’il engendre de lui-même des ombres d’intérêts terrestres.
Sois fidèle pour deux. Et sois courageuse dans ton mariage spirituel.
Combien, dans l’avenir, devront choisir entre la volonté de Dieu et celle de
leur conjoint ! Mais elles seront grandes quand, par-dessus l’amour et la
maternité, elles suivront Dieu. Ta passion commence. Oui. Mais tu vois que
toute passion se termine par une résurrection..."
Jeanne tout doucement a levé la tête. Ses sanglots se sont dissipés.
Maintenant elle regarde et voit et elle glisse à genoux, en adorant et en
murmurant :
"Le Seigneur !"
"Oui. Le Seigneur. Tu vois que j’ai été avec toi comme avec aucune
autre. Mais je vois les nécessités particulières et je
dose le secours à donner aux âmes qui attendent une aide de Moi. Monte ton
calvaire d’épouse avec l’aide de ma caresse et celle de ton innocent. Il est
entré avec Moi au Ciel et m’a donné sa caresse pour toi. Je te bénis,
Jeanne. Aie foi. Je t’ai sauvée. Tu sauveras si tu auras foi."
622.3 - Maintenant
Jeanne sourit et elle ose demander :
"Tu ne vas pas trouver les enfants ?"
"Je les ai embrassés à l’aurore pendant qu’ils dormaient encore dans
leur petit lit. Mais ils m’ont pris pour un ange du Seigneur. Les innocents,
je puis les baiser quand je veux. Mais je ne les ai pas réveillés pour ne pas
trop les troubler. Leur âme conserve le souvenir de mon baiser... et le
transmettra, au moment voulu, à leur esprit. Rien ne se perd de ce qui est
mien. Sois toujours une mère pour eux, et sois toujours fille de ma Mère. Ne
te sépare jamais totalement d’Elle. Elle perpétuera pour toi, avec une
suavité maternelle, ce qu’a été notre amitié. Et amène-lui les enfants. Elle
a besoin d’enfants pour se sentir moins isolée de son Enfant..."
"Kouza ne voudra pas..."
"Kouza te laissera faire."
"Il me répudiera, Seigneur "
C’est un cri d’un nouveau déchirement.
"C’est un astre assombri. Ramène-le à la lumière par ton héroïsme
d’épouse et de chrétienne. Adieu. Sauf à ma Mère, ne parle pas aux autres de
ma venue. Il ne faut parler des révélations qu’à ceux à qui il est juste de
le faire, et au bon moment."
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268> Jésus lui sourit en
resplendissant, et dans cet éclat il disparaît.
Jeanne se lève, perdue dans un rêve, combattue entre la joie et la peine,
entre la crainte d’avoir rêvé et la certitude d’avoir vu, mais ce qu’elle ressent
en elle-même la rassure.
622.4 - Elle
va trouver les enfants qui jouent tranquillement sur la terrasse supérieure
et les embrasse.
"Tu ne pleures plus, maman ?" demande timidement Marie. Ce n’est
plus la pauvre enfant miséreuse mais une fillette délicate et gracieuse
habillée avec soin et bien peignée; et Matthias, brun et agile, dit avec son
exubérance de garçon :
"Dis-moi qui te fait pleurer et je le punirai."
Jeanne les prend tous les deux sur son cœur et dit, en parlant sur la
chevelure châtaine de Marie et les cheveux bruns de Matthias :
"Je ne pleure plus. Jésus est ressuscité et nous bénit."
"Oh ! alors, il ne saigne plus ? Il n’a plus mal ?" demande Marie.
"Sotte ! Dis plutôt : il n’est plus mort ! Maintenant il est heureux,
alors !... Car être mort, ce doit être laid...” dit Matthias.
"Alors, il n’y a plus à pleurer, maman ?" demande de nouveau Marie.
"Non. Pour vous innocents, non. Vous jubilez avec les anges."
"Les anges !..., dit Marie. Cette nuit, je ne sais pas à quelle veille
c’était, j’ai senti une caresse et je me suis éveillée en disant
: "Maman !" mais ce n’était pas toi que j’appelais. J’appelais
la maman morte, car cette caresse était plus légère et plus douce que la
tienne, et j’ai ouvert un moment les yeux. Mais j’ai vu seulement une grande
lumière et j’ai dit : "Mon ange m’a embrassée pour me consoler de la
grande douleur que j’ai pour la mort du Seigneur".
"Moi aussi. Mais j’avais grande envie de dormir et j’ai dit : “Est-ce
toi ?” Je pensais à mon Gardien et je voulais lui dire : “Va embrasser
Jésus et Jeanne pour qu’ils n’aient plus peur” mais je n’y suis pas arrivé.
J’ai recommencé à dormir et à rêver et il me semblait être au Ciel avec toi
et Marie. Puis est venu ce tremblement de terre et je me suis éveillé
effrayé. Mais Esther m’a dit : “N’aie pas peur. C’est déjà passé” et j’ai
dormi encore."
Jeanne les embrasse de nouveau et puis les laisse à
leurs jeux tranquilles et elle va à la maison du Cénacle. Elle demande Marie.
Entre chez elle. Elle ferme la porte et dit sa grande parole :
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269> "Je l’ai vu. Je le dis à toi.
Je suis réconfortée et heureuse. Aime-moi, car il a
dit que je dois te rester unie."
La Mère répond :
"Je t’ai déjà dit que je t’aime, dans la journée du sabbat. Hier. Car
c’est hier... Et elle paraît si loin cette journée de pleurs et de ténèbres
de cette journée de lumière et de sourire !"
"Oui... Tu as déjà dit, maintenant je m’en souviens, ce que Lui
maintenant m’a répété. Tu as dit : “Nous, les femmes, devrons agir car nous
sommes restées et les hommes se sont enfuis... C’est toujours la femme qui
donne la vie...” Oh ! Mère, aide-moi à donner
la vie à Kouza ! Lui a laissé la Foi !..."
Jeanne recommence à pleurer.
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