Une messe du pape Marcel dans l’église des catacombes du bienheureux martyr
  Valence, et l’ordination sacerdotale de Valentin. 
   
    
  Le Pape Marcel 1er 
   
   
   
    
  
    
   
  RETOURS AUX FICHES 
    Martyrs 
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   11> À 6 h. du matin.         
   
  J’écris à la lumière de la petite lampe à cire, et je ne sais ce que cela va
  donner. Mais je ne veux pas subir ce que j’ai souffert hier. J’étais en train
  de réciter le "Veni Sancte
  Spiritus" quand la vision suivante se présente
  à mes yeux, si irrésistiblement que je comprends l’inutilité d’insister pour
  prier. Je la suis donc. Et, comme je la vois complexe, je l’écris comme je le
  peux à cette lumière.        
   
    Je suis certainement dans les catacombes. Laquelle?
  En quel siècle? Je l’ignore. Je me trouve dans une église des catacombes de
  cette forme. 
    
  En
  gros, il s’agit d’un rectangle qui donne sur une vaste salle circulaire au
  milieu de laquelle se trouve l’autel : une table rectangulaire, loin des
  murs, couverte d’une vraie nappe, c’est-à-dire d’une toile de lin avec de
  larges ourlets sur les quatre côtés, mais sans dentelles ni broderies.     
   
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  12> Une scène évangélique est
  représentée sur la paroi de l’abside: le Bon Pasteur. Certes, ce n’est pas un
  chef-d’œuvre : une route de campagne qui ressemble à de la boue jaune;
  une tache verdâtre au-delà, à gauche du spectateur, doit représenter le pré;
  sept brebis, assemblées au point de paraître ne faire qu’un seul bloc - on
  voit le museau uniquement des premières, tandis que les autres ressemblent à
  des paquets ventrus -, marchent sur le chemin en direction du spectateur, aux
  bords du pré. Le Bon Pasteur est à côté d’elles, au fond, vêtu de blanc; son
  manteau est d’un rouge décoloré. Il porte sur les épaules une agnelle qu’il
  tient par les pattes. Le peintre ou l’auteur de la mosaïque a fait de son
  mieux... mais l’on ne peut vraiment pas dire que Jésus soit beau. Il a le
  visage inexpressif - plus large que long car vu de face -, les cheveux qui
  pendent, poisseux, trop sombres et opaques, qui caractérisent les peintures
  et les mosaïques des premiers chrétiens. Il n’a même pas de barbe. Malgré sa
  laideur, il garde cependant un regard triste et plein d’amour qui attire et
  sur la bouche une esquisse de sourire douloureux qui laisse songeur .       
   
  À l’endroit indiqué par une petite croix, il y a une ouverture basse. Elle
  est si basse que seul un enfant pourrait y passer sans se heurter la tête.
  Au-dessus, une pierre tombale de la longueur d’un homme indique une niche. Il
  y est écrit "Pax", mot alors en usage, et, dessous, en latin :
  « Ossements du bienheureux martyr Valens ». De chaque côté de
  l’épigraphe, une burette et une feuille de palme sont gravées.       
   
  Au fond de l’église, là où j’ai marqué un rond, il y a une autre ouverture
  basse, auprès de laquelle je vois quatre robustes fossoyeurs armés de pelles
  et de pioches. Ils se tiennent à côté de deux tas de grès qu’ils ont déblayé.
  Je suppose qu’ils vivent une époque de persécutions et qu’ils sont prêts à
  provoquer l’effondrement de la paroi pour dissimuler l’église, en s’aidant
  des tas de grès déjà prêts.           
   
  On retrouve dans l’église l’habituelle clarté tremblotante jaune-rouge des
  petites lampes à huile. Cette lumière est plus vive vers l’autel. Au fond,
  c’est tout juste s’il y a quelque lueur, dans laquelle se perdent les silhouettes
  des personnes, qui plus est vêtues de sombre.     
   
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  13>   Le calice, encore couvert, est posé sur
  l’autel. Mais la messe doit être déjà commencée. À l’autel se tient un
  vénérable vieillard au visage ascétique, extrêmement pâle, à le croire sculpté dans du vieil ivoire. Sa tonsure se perd dans sa
  calvitie qui lui laisse seulement une couronne de doux cheveux blancs autour
  de la tête jusqu’au-dessus des oreilles. Le reste est dégarni, et son front
  paraît immense. Plus bas brillent deux yeux clairs célestes, doux, tristes,
  mais limpides comme ceux d’un petit enfant. Il a un nez long et fin, une
  bouche qui porte la ride caractéristique des personnes âgées, des mâchoires fort édentées. Un vrai visage de saint, maigre et austère.
  Je le vois bien parce qu’il est tourné vers moi: il célèbre en effet le rite
  de l’autre côté de l’autel. Il porte la
  chasuble en usage à l’époque - autrement dit en forme de cape -, et,
  au-dessus, le pallium et l’étole.  
   
  Trois jeunes gens sont agenouillés devant l’autel (là où j’ai mis les trois
  points). Les deux de chaque côté portent le court vêtement des diacres, avec
  les manches larges qui descendent un peu plus bas que les coudes. Celui du
  centre porte ce qui est déjà une chasuble, dont les manches sont faites d’un
  mantelet qui va des côtes aux omoplates, ainsi que l’étole en bandoulière. Si
  je me souviens bien, je ne voyais pas cette étole lors des premières messes,
  et j’en déduis que je ne suis pas en présence d’une scène des tous premiers
  temps. Je pense me trouver à la fin du IIème siècle ou au début du IIIème. Toutefois, je
  peux me tromper, car c’est là une réflexion personnelle et, en matière
  d’archéologie chrétienne et des cérémonies de cette époque, je suis
  analphabète.          
   
    Le Pape - le pallium indique que ce doit
  être lui - passe devant l’autel et vient se placer en face des trois jeunes
  agenouillés. Il impose les mains au premier et au dernier en récitant des
  prières en latin. Il va ensuite devant celui du centre, celui qui porte
  l’étole en bandoulière, et à son tour lui impose les mains sur la tête; puis,
  assisté par un servant en vêtement de diacre, il plonge les doigts dans un
  vase en argent et oint le front et les paumes des mains du jeune homme, lui
  souffle sur la figure - plutôt il commence par souffler puis oint ses mains -
  , les lie par un pan de l’étole que le servant a délié de son propre corps,
  et lui passe l’autre partie sur le cou comme un joug.    
   
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  14> Enfin, il le fait se relever et, le
  tenant par ses mains liées, lui fait monter les trois marches qui mènent à
  l’autel et embrasser ce dernier puis ce qui soutient ce que je suppose être
  l’Évangile: un volumineux rouleau tenu par un ruban rouge. En dernier lieu,
  il l’embrasse à son tour, l’emmène de l’autre côté et continue la messe.         
   
  Je comprends alors que celle-ci venait tout juste de commencer: en effet,
  comme elle est presque identique à la nôtre - ce qui me confirme dans l’idée
  que nous nous trouvons à la fin du IIe siècle au moins -, l’on en
  arrive à l’évangile. C’est le nouveau prêtre qui le chante - car je pense
  qu’il s’agissait d’une ordination sacerdotale -. Il revient devant l’autel et
  les deux jeunes qui étaient encore à genoux se lèvent; l’un prend une petite
  lampe, l’autre le rouleau de l’Évangile que lui tend celui qui servait déjà à
  l’autel. Le diacre déroule le rouleau et le tient ouvert au bon endroit; il
  est en face du nouveau prêtre, celui de la lampe se tenant à côté de lui. Ce
  nouveau prêtre est grand, brun, il a les cheveux plutôt ondulés et doit avoir
  la trentaine environ. Son visage est typiquement romain. D’une belle voix, il
  chante l’Évangile de Jésus, le passage du jeune homme qui lui demande ce
  qu’il doit faire pour le suivre. Il a une voix
  assurée et forte, bien posée.       
   
  Elle remplit l’église. Il chante d’une voix ferme, un sourire lumineux sur le
  visage et, lorsqu’il en arrive au : « Va, vends tes biens et donne-les
  aux pauvres. Tu auras un trésor dans le ciel. Puis viens, suis-moi », sa
  voix éclate de joie et d’amour.           
   
  Il embrasse l’Évangile et retourne auprès du Pape qui l’a écouté debout,
  tourné vers le peuple, les mains jointes dans une attitude de prière. À cet
  instant, le nouveau prêtre s’agenouille.         
   
    Le Pape, lui, fait son homélie :          
   
  « Baptisé le jour de la naissance du martyr Valens ,
  le nouveau fils de l’Église apostolique romaine, et notre frère, a voulu
  prendre le nom du bienheureux martyr, mais en lui apportant une modification
  que l’humilité tirée de l’Évangile lui dictait - car l’humilité est l’une des
  racines de la sainteté -: il n’a pas voulu s’appeler Valens, mais Valentin .       
   
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  15> En fait, c’est un vrai Valens. Voyez
  le chemin qu’a parcouru le païen dont l’unique religion était le vice et la
  violence. Vous savez ce qu’il est devenu au sein de l’Église. Certains d’entre
  vous - en particulier
  ceux qui lui ont servi de pères et de mères pour un véritable engendrement,
  ceux dont la parole et l’exemple ont suscité sa conception par notre sainte
  Mère l’Église et son accouchement pour l’autel et le ciel -, ceux-là donc
  savent qui était Valens à l’époque où il n’était pas encore chrétien mais ce
  païen dont lui comme nous ne voulons même pas nous souvenir du nom.        
   
  Le païen est mort; par l’eau lustrale, le chrétien est ressuscité. Il est
  désormais votre prêtre. Que de chemin! Que de chemin! Des orgies aux jeûnes,
  des tricliniums à l’église, de la dureté, de l’impureté, de l’avarice à
  l’amour, à la chasteté, à la générosité absolue.         
   
  Il était le jeune homme riche; or, un jour, il a rencontré Jésus, notre
  Seigneur béni, qui lui était porté par le cœur des saints, qui le
  représentent sans mot dire - il rayonne en effet de leur âme -. Les doux yeux
  du Maître se sont fixés sur le visage du païen, et le païen en a éprouvé une
  séduction qu’aucun plaisir ne lui avait encore procuré,
  une nouvelle émotion au nom inconnu, une sensation indescriptible, un
  je-ne-sais-quoi de doux comme la caresse d’une mère, d’honnête comme une
  odeur de pain à peine sorti du four, de pur comme une aurore printanière, de
  sublime comme un songe céleste.        
   
  Vous disparaissez comme des fantômes du monde et de l’Olympe païen quand
  Jésus, le Soleil, embrasse l’un de ses appelés. Vous vous dissolvez comme des
  nuages. Vous fuyez comme des cauchemars démoniaques. Que reste-t-il de vous,
  alors que vous paraissiez être si splendides? Un sale monceau de détritus mal
  réduits en cendres et à l’odeur de corruption encore fétide.         
   
  « Bon Maître, que dois-je faire pour te suivre et avoir la vie
  éternelle? », demandait-il. Le doux Maître divin lui donna
  alors l’enseignement de Vie par ces quelques mots : « Observe ses
  commandements ». Oh, il ne pouvait pas dire : « Suis la
  Loi! » Le païen ne la connaissait pas. Il lui dit donc:
  « Tu ne tueras pas. Tu ne commettras pas d’adultère. Tu ne voleras pas.
  Tu ne porteras pas de faux témoignage. Honore ton père et ta mère. Et: tu
  aimeras Dieu et ton prochain comme toi-même ». Des paroles neuves! Des
  buts auxquels on n’avait jamais pensé! D’infinis horizons baignés de lumière,
  de sa lumière.             
   
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  16> Le païen ne pouvait pas répondre
  comme le jeune homme riche. Il n’était pas en mesure de le faire. En effet,
  le paganisme renferme tous les péchés, et il les avait tous au fond du cœur.
  Mais il a désiré pouvoir le faire. Il vint donc trouver un pauvre vieillard,
  le Pape persécuté, et lui dit en pleurant: « Donne-moi la Lumière,
  donne-moi la Science, donne-moi la Vie! Donne-moi une âme dans mon corps de
  brute! »    
   
  Le pauvre vieillard que je suis, prit alors l’Évangile, et y puisa la
  Lumière, la Science, la Vie pour ce mendiant en larmes. J’ai tout trouvé pour
  lui dans l’Évangile de notre Seigneur Jésus. C’est ainsi que j’ai pu lui
  donner une âme, appeler son âme morte à la vie et lui dire: « Voici ton
  âme. Garde-la pour la vie éternelle ».    
   
  Devenu pur grâce au bain baptismal, il s’est alors adonné à la recherche du
  bon Maître, l’a trouvé encore et lui a dit : « Je peux maintenant
  t’annoncer que je fais ce que tu m’as dit. Que me manque-t-il pour te
  suivre? » Le bon Maître lui répondit : « Va, vends tout ce que
  tu as et donne-le aux pauvres. Alors tu seras parfait et tu pourras me
  suivre ».      
   
  Oh! À cet instant, Valentin a dépassé le jeune homme de Palestine ! Il n’est
  pas parti, incapable de se séparer de tous ses biens. Au contraire, il m’a apporté
  ces biens pour les pauvres du Christ et, libre du joug des richesses, ce joug
  pesant qui empêche de suivre Jésus, il m’a demandé le joug lumineux, sublime,
  paradisiaque du sacerdoce.       
   
  Le voici. Vous l’avez vu monter à son autel sous ce joug, les mains liées,
  prisonnier du Christ. Désormais, il rompra pour vous le Pain éternel et vous
  désaltèrera par le Vin divin. Mais, pour devenir parfaits aux yeux du bon
  Maître, lui comme moi désirons quelque chose de plus: faire de nous-mêmes du
  pain et du vin, nous immoler, nous rompre, nous presser jusqu’à la dernière
  goutte, nous réduire en farine pour devenir hosties. Vendre enfin l’ultime,
  l’unique richesse qui nous reste: la vie. Pour moi, ma vie déclinante de
  vieillard. Pour lui, sa vie florissante de jeune homme. 
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