418> "C'est à peu près
sûr que nous les trouverons si nous revenons un moment sur le chemin
d'Hébron. Je vous en prie, allez deux par deux à leur recherche sur les
sentiers de la montagne. D'ici aux Piscines de Salomon, puis de là à Béthsur.
Nous vous suivrons. C'est ici sa zone de pâturage" dit le Seigneur aux douze, et je me rends
compte qu'il parle des bergers.
Les apôtres s'apprêtent à partir, chacun avec son compagnon préféré. Seul le
couple quasi inséparable de Jean et André ne se forme pas car ils vont tous
les deux vers l'Iscariote en disant : "Je viens avec toi", et
Judas répond : "Oui, viens, André. Cela vaut mieux ainsi, Jean. Toi
et moi nous serions deux qui connaissent déjà les bergers . Il
vaut donc mieux que tu ailles avec un autre."
"Avec moi, alors, le garçon" dit Pierre en quittant Jacques de
Zébédée qui sans protester va avec Thomas, alors que le Zélote s'en va avec
Jude Thaddée, Jacques d'Alphée avec Mathieu et les deux inséparables Philippe
et Barthélemy ensemble. L'enfant reste avec Jésus et les Marie.
La route est fraîche et belle à travers les montagnes couvertes de verdure,
bois et prés. On rencontre des troupeaux qui, dans la lumière blonde de
l'aurore, s'en vont vers les pâturages.
À chaque bruit de sonnaille, Jésus cesse de parler et regarde, puis il
demande aux bergers si Elie, le berger bethléemite, se trouve dans les
parages. Je saisis que désormais Elie est surnommé "le bethléemite".
Même si d'autres bergers sont de Bethléem, ce surnom lui appartient de droit
ou traduit aussi le mépris. Mais personne n'est au courant. Ils répondent en
arrêtant le troupeau et en cessant de jouer de leurs flûtes champêtres. Les
jeunes ont, presque tous, ces flûtes primitives de roseau, ce qui fait
extasier Margziam, jusqu'à ce qu'un bon vieux berger lui donne la flûte de
son petit-fils en disant : "Lui s'en fera une autre" et
Margziam s'en va heureux avec son instrument en bandoulière car, pour le
moment, il ne sait pas s'en servir.
"J'aimerais tant de les rencontrer !" s'exclame Marie.
"Nous les trouverons certainement. À cette saison, ils sont toujours
vers Hébron."
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419> L'enfant s'intéresse à
ces bergers qui ont vu Jésus enfant et pose mille questions à Marie qui
répond avec patience et bonté.
"Mais pourquoi les ont-ils punis ? Ils n'avaient fait que du
bien !" demande l'enfant après le récit de leurs malheurs.
"Parce que fréquemment l'homme commet des erreurs en accusant des
innocents du mal qu'en réalité un autre a fait, mais comme eux sont restés
bons et ont su pardonner, Jésus les aime tant. Il faut toujours savoir
pardonner."
"Mais tous ces enfants qui ont été
tués, comment ont-ils fait pour pardonner à Hérode ?"
"Ce sont de petits martyrs, Margziam, et les martyrs sont saints. Eux
non seulement pardonnent à leur bourreau mais ils l'aiment, car il leur a
ouvert le Ciel."
"Mais, sont-ils au Ciel ?"
"Non, pas pour le moment. Ils sont aux Limbes où ils font la joie des
Patriarches et des justes."
"Pourquoi ?"
"Parce qu'ils ont dit, en arrivant avec leur âme empourprée de
sang : "Nous voici. Nous sommes les hérauts du Christ Sauveur.
Réjouissez-vous, vous qui attendez, car Il est déjà sur la terre". Et
tous les aiment parce qu'ils apportent cette bonne nouvelle."
"La bonne nouvelle, m'a dit mon père, c'est aussi la Parole de Jésus.
Alors, quand mon père s'en ira aux Limbes après l'avoir dite sur la terre, et
que moi aussi j'irai, ils nous aimeront nous aussi ?"
"Toi, tu n'iras pas aux Limbes, mon petit."
"Pourquoi ?"
"Parce que Jésus sera déjà revenu aux Cieux et les aura ouverts, et tous
les bons à leur mort iront tout de suite aux Cieux."
"Je serai bon, je le promets. Et Simon de Jonas ? Lui aussi,
hein ? Car je ne veux pas devenir orphelin une seconde fois."
"Lui aussi, sois-en certain. Mais au Ciel, il n'y a pas d'orphelins.
Nous avons Dieu, et Dieu est tout. Nous ne le sommes même pas ici-bas, car le
Père est toujours avec nous."
"Mais, dans cette belle prière que toi tu dis pendant le jour et ma maman
la nuit et que vous m'avez enseignée, Jésus dit : "Notre Père qui
es aux Cieux". Nous ne sommes pas encore au Ciel, comment donc
sommes-nous avec Lui ?"
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420> "Parce que Dieu
est partout, mon fils. Il veille sur l'enfant qui naît et sur le vieillard
qui meurt. L'enfant qui naît en ce moment, dans l'endroit
le plus reculé de la terre, a sur lui le regard et l'amour de Dieu et l'aura
jusqu'à sa mort."
"Même s'il est méchant comme Doras ?"
"Oui."
"Mais Dieu qui est bon peut-Il l'aimer ce Doras qui est si méchant et
fait pleurer mon vieux père ?"
"Il le regarde avec indignation et douleur, mais s'il se repentait, Il
lui dirait ce que dit le père de la parabole à son fils repentant. Tu devrais
prier pour qu'il se repente et..."
"Oh ! non, Mère ! Je prierai pour qu'il meure !!!"
dit l'enfant avec fougue. Bien que sa sortie soit peu. ..angélique, son
impétuosité est telle et si sincère que les autres sont obligés de rire.
Mais ensuite Marie reprend son doux sérieux de Maîtresse : "Non, mon chéri, cela tu ne dois pas le
faire pour un pécheur. Dieu ne t'écouterait pas et te regarderait même avec
sévérité. Nous devons souhaiter du bien au prochain, même s'il est très
méchant, le plus grand bien possible. La vie est un bien, car elle donne à
l'homme la possibilité d'acquérir des mérites aux yeux de Dieu."
"Mais, si quelqu'un est méchant, il n'acquiert que des péchés."
"On prie pour qu'il devienne bon."
L'enfant réfléchit... mais cette instruction sublime ne lui va guère et il
conclut : "Doras ne deviendra pas bon ! même si je prie. Il
est trop méchant. Même si tous les enfants martyrs de Bethléem priaient avec
moi, il le resterait. Tu ne sais pas que... tu ne sais pas que... qu'un jour
il a frappé avec une verge de fer mon vieux père parce qu'il l'a trouvé assis
à l'heure du travail ? Il ne pouvait se lever car il se sentait mal et
lui... l'a frappé en le laissant pour mort et puis il lui a donné un coup de
pied au visage... Moi, je voyais, car j'étais caché derrière une haie...
J'étais allé jusque-là parce que depuis deux jours personne ne m'avait
apporté de pain, et je mourais de faim... J'ai dû m'échapper pour qu'on ne
m'entende pas, car je pleurais de voir mon père en cet état, avec du sang sur
la barbe, allongé par terre, comme mort... Je suis allé en pleurant mendier
un pain... mais ce pain, je l'ai toujours ici... et il a le goût du sang et
des larmes de mon père, des miennes et de celles de tous ceux qui sont
torturés, et qui ne peuvent aimer celui qui les torture. Moi, Doras, je
voudrais le frapper pour qu'il sache ce que c'est que les coups, je voudrais
le laisser sans pain, pour qu'il sache ce que c'est que la faim, je voudrais
le faire travailler sous le soleil, dans la boue, sous la menace des
surveillants et sans manger, pour qu'il sache ce qu'il inflige aux pauvres...
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421> Je ne puis l'aimer car... il
tue, mon père saint et moi, si je ne vous avais pas trouvés à qui serais-je
maintenant ?" L'enfant se tord de douleur, il crie et pleure,
tremblant, bouleversé, frappant l'air de ses petits poings fermés, ne pouvant
frapper celui qu'il maudit.
Les femmes sont stupéfaites, vivement émues et elles cherchent à le calmer.
Mais il est vraiment dans une crise de douleur et n'entend rien. Il
crie : "Je ne puis, je ne puis l'aimer et lui pardonner. Je le
hais, pour tous, je le hais, je le hais, je le hais !..."
Il fait peine, il fait peur. C'est la réaction de la créature qui a trop
souffert. Et Jésus le dit : "C'est le plus grand crime de Doras:
pousser un innocent à la haine..."
Mais après cela, il prend dans ses bras l'enfant et lui parle :
"Écoute, Margziam. Tu veux aller un jour avec ta maman, avec ton père,
avec tes frères, avec le vieux père ?"
"Oui..."
"Et alors tu ne dois haïr personne. Au Ciel n'entre pas celui qui hait.
Tu ne peux, maintenant, prier pour Doras ? Eh bien ne prie pas, mais ne
hais pas. Sais-tu ce que tu dois faire ? Tu ne dois jamais te retourner
en arrière pour penser au passé..."
"Mais le père qui souffre, ce n'est pas du passé..."
"C'est vrai, Margziam, mais essaie de prier ainsi : "Notre
Père, qui es aux Cieux, pense Toi à ce que je désire...". Tu verras que
le Père t'écoute de la meilleure des manières. Si même tu tuais Doras, que
ferais-tu ? Tu perdrais l'amour de Dieu, le Ciel, l'union avec ton père
et ta mère et tu n'enlèverais pas ses peines au vieillard que tu aimes. Tu es
trop petit pour pouvoir le faire. Mais Dieu le peut. Parles-en à Lui.
Dis-Lui : "Tu sais comme j'aime mon vieux père et comme j'aime tous
ceux qui sont malheureux. Penses-y, Toi qui peux tout". Comment ?
Ne veux-tu pas annoncer la Bonne Nouvelle ? Mais elle parle d'amour et
de pardon ! Comment peux-tu dire à un autre : "Ne hais pas.
Pardonne" si tu ne sais pas aimer et pardonner ? Laisse faire, laisse faire le bon Dieu et tu
verras comment Il règle bien toutes choses. Le feras-tu ?"
"Oui, parce que je t'aime."
Jésus baise l'enfant et le met par terre. L'affaire est réglée et on arrive
au bout de la route. Les trois grands bassins creusés dans la roche de la
montagne, œuvre vraiment grandiose, brillent avec leurs surfaces très
limpides et avec la chute d'eau qui, du premier bassin, tombe dans le second
plus grand et de celui-ci dans un troisième bassin qui est un véritable petit
lac d'où elle part par des conduites vers des villes éloignées.
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422> Mais par suite de l'humidité
du sol en cette région, la montagne, de la source aux piscines et de
celles-ci à la plaine, est d'une fertilité merveilleuse. Les fleurs, les plus
variées d'entre les fleurs sauvages, rient sur les pentes vertes en même temps
que des plantes parfumées et rares. Il semble qu'ici l'homme a semé des
fleurs de jardin et les plantes parfumées qui répandent dans l'air, sous le
soleil qui les chauffe, leurs arômes de cannelle, de camphre, d’œillet, de
lavande et autres odeurs pénétrantes, fortes, suaves, en la fusion la plus
merveilleuse des meilleures odeurs de la terre. Je dirais que c'est une
symphonie de parfums parce que c'est réellement le poème des plantes et de
fleurs dans leurs teintes variées et leurs agréables exhalaisons.
Tous les apôtres sont assis à l'ombre d'un arbre couvert de grandes fleurs
blanches, dont j'ignore le nom, aux énormes clochettes d'émail blanc,
pendants qui ondulent au moindre souffle de vent et qui répandent des flots
de parfum à chaque ondulation. Je ne connais pas le nom de cet arbre. La
fleur me rappelle un arbuste qui existe en Calabre et que là-bas on appelle
"bot taro", mais le fût certainement pas, car celui-ci est un arbre
élevé, au tronc robuste, pas un arbuste.
Jésus les appelle, et ils accourent. "Nous avons trouvé presque
immédiatement Joseph qui revenait d'un marché. Ce soir, ils seront tous à
Béthsur. Nous nous sommes réunis, en nous appelant à haute voix et nous nous
sommes installés ici, au frais" explique Pierre.
"Quel bel endroit ! On dirait un jardin ! Nous discutions
entre nous s'il était naturel ou non. Les uns sont d'un avis, les autres d'un
avis différent" dit Thomas.
"La terre de Judée a de ces merveilles" dit l'Iscariote qui
s'enorgueillit inévitablement de tout, même des fleurs et des plantes.
"Oui; mais... je crois que si par exemple le jardin de Jeanne à
Tibériade était abandonné et devenait sauvage, même la Galilée posséderait au
milieu des ruines la merveille de ses roses splendides" réplique Jacques
de Zébédée.
"Et tu ne te trompes pas. C'était dans cette région qu'étaient les
jardins de Salomon, célèbres comme ses palais dans le monde de cette époque.
C'est peut-être ici qu'il a rêvé le Cantique des Cantiques appliquant à la
Cité Sainte toutes les beautés qu'il avait fait pousser ici" dit Jésus.
"Alors c'est moi qui avais raison !" dit le Thaddée.
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423> "Tu avais raison"
dit son autre frère Jacques. "Sais-tu,
Maître ? Il citait l'Ecclésiaste en unissant l'idée des jardins à celle
des bassins et
terminait en disant : "Pourtant il s'aperçut que tout est vanité et que
rien ne dure sous le soleil sauf la Parole de mon Jésus".
"Je te remercie, mais remercions aussi Salomon. Que les fleurs
primitives viennent ou non de lui, certainement viennent de lui les bassins
qui alimentent les plantes et les hommes. Qu'il en soit béni. Allons alors
jusqu'à ce grand rosier sauvage qui a formé, d'un arbre à l'autre, une
galerie fleurie. Nous allons nous arrêter là. Nous sommes presque à
mi-chemin"...
...Et ils reprennent la route, vers la neuvième heure
lorsque s'allongent les ombres des arbres de cette région bien cultivée. On
croit traverser un immense jardin botanique car chaque espèce de plante y est
représentée pour son fût, pour son fruit ou sa beauté. Les cultivateurs
circulent un peu partout mais ne font pas attention à la troupe des apôtres
qui passe. Elle n'est pas la seule, d'ailleurs. D'autres groupes d'hébreux
sont sur la route, au retour des fêtes pascales.
La route est en assez bon état, bien que taillée dans les montagnes et les
panoramas toujours variés rompent la monotonie de la marche. Ruisseaux et
torrents dessinent des virgules d'argent liquide et écrivent des paroles
qu'ils chantent ensuite, dans leurs mille méandres qui se recoupent, qui se
répandent sous les bois ou se cachent sous des cavernes d'où ils ressortent
plus beaux. Ils semblent jouer avec les arbres et les roches comme de joyeux
enfants. Même Margziam, maintenant complètement rasséréné, joue et essaie son
instrument pour imiter les oiseaux. Mais vraiment ce ne sont pas des chants
mais de lamentables sons discordants qui me semblent être très désagréables
aux plus difficiles de la troupe, c'est-à-dire à Barthélemy à cause de son
âge et à Judas de Kériot pour d'autres motifs. Mais personne ne donne
clairement son avis et l'enfant continue en sautant ici et là. Deux fois
seulement, il montre un pays niché dans les bois et il dit :
"Est-ce le mien ?" et il devient tout pâle. Mais Simon, qui le
garde tout près de lui, répond: "Le tien est très loin d'ici. Viens,
viens cueillir ces belles fleurs et les apporter à Marie"; et ainsi il
le distrait de ses souvenirs.
Le crépuscule commence quand apparaît Béthsur sur sa colline et tout de suite
sur le chemin secondaire qu'on a pris pour y aller, voici les troupeaux des
bergers, et avec eux les bergers qui accourent. Mais quand Elie voit qu'il y
aussi Marie, il lève les bras, étonné, et reste ainsi n'osant pas en croire
ses yeux.
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424> "La paix à
toi, Élie. C'est bien moi. On te l'avait promis et, à Jérusalem, il n'a
pas été possible de nous voir... Mais, n'y pensons plus. Maintenant nous nous
voyons" dit doucement Marie.
"Oh ! Mère, Mère !..." Élie ne sait que dire. Puis
finalement il trouve : "Voilà, ma Pâque je la fais maintenant.
C'est la même chose, et mieux encore."
"Mais oui, Elie. Nous avons fait un bon marché. Nous pouvons tuer un
agnelet. Oh ! soyez les hôtes de notre pauvre table..." dit Lévi et
aussi Joseph.
"Ce soir nous sommes fatigués. Ce sera pour demain. Écoutez.
Connaissez-vous une certaine Élise, épouse d'Abraham de Samuel ?"
"Oui, elle est dans sa maison de Béthsur, mais Abraham est mort, et l'an
passé ses fils aussi sont morts. Un malaise subit pour le premier et on n'a
jamais compris de quoi il était mort. Le second a décliné lentement et rien
n'arrêtait le mal. Nous lui donnions du lait de nouvelle chèvre car les
médecins disaient que c'était bon pour le malade. Il en buvait des quantités
qui venaient de tous les bergers car la pauvre mère en envoyait chercher
auprès de quiconque avait une chèvre de premier lait dans son troupeau. Mais
cela n'a servi à rien. Quand nous sommes revenus à la plaine, il ne se
nourrissait plus. Quand nous sommes revenus au mois d'Adar, il était mort
depuis deux lunes."
"Ma pauvre amie ! Elle m'aimait bien au Temple... nous avions des
aïeux communs... Elle était bonne... Elle quitta le Temple pour épouser
Abraham auquel elle était promise depuis son enfance, deux ans avant moi, et
je me souviens de sa venue au Temple pour l'offrande de son premier-né au
Seigneur. Elle me fit appeler, pas moi seule, mais elle voulut me voir seule
plus longtemps... Et maintenant, elle est seule... Oh ! il faut que je
me hâte d'aller la consoler ! Vous, restez. Je vais avec Élie et
j'entrerai seule. La douleur veut qu'on la respecte..."
"Pas même Moi, Mère ?"
"Toi, toujours. Mais les autres... Pas même toi, petit. Ce serait pour
elle une douleur. Viens, viens Jésus !"
"Attendez-nous
sur la place du pays. Cherchez un abri pour la nuit. Adieu" ordonne
Jésus à tout le monde.
Et, seuls avec Elie, Jésus et la Mère s'en vont jusqu'à une grande maison
toute fermée et silencieuse à laquelle le berger frappe avec son bâton. Une
servante met son visage à la fenêtre en demandant qui c'est. Marie s'avance
en disant : "Marie de Joachim et son Fils, de Nazareth. Dis-le à ta
maîtresse."
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425> "C'est
inutile. Elle ne veut voir personne. Elle se laisse mourir en pleurant."
"Essaie."
"Non, je sais comment elle me chasse si je cherche à la distraire. Elle
ne veut personne, voir personne, parler à personne. Elle ne parle qu'au
souvenir de ses fils."
"Va, femme, je te l'ordonne. Dis-lui : "C'est la petite Marie
de Nazareth, celle qui était ta fille au Temple..." Tu verras qu'elle me
voudra."
La femme s'en va en secouant la tête. Marie explique à son Fils et au
berger : "Élise était beaucoup plus âgée que moi . Elle attendait au Temple le retour de son époux, parti
en Égypte pour une affaire d'héritage, et elle y resta jusqu'à un âge
inhabituel. Elle a environ dix années de plus. Les maîtresses avaient
l'habitude de donner aux plus jeunes des élèves plus grandes pour les
conduire... et elle fut ma compagne-maîtresse. Elle était bonne et... Voilà
la femme."
En effet la servante accourt, stupéfaite, et elle ouvre toute grande la porte
principale : "Entre, entre !" dit-elle. Et puis à voix
basse : "Bénie sois-tu, toi qui la fais sortir de cette
pièce."
Élie se retire et Marie entre avec son Fils.
"Mais, cet homme, vraiment... par pitié ! Il a l'âge de
Lévi..."
"Laisse-le entrer. C'est mon Fils, et il la consolera mieux que
moi."
La femme hausse les épaules et les précède à travers un long vestibule d'une
maison belle mais bien triste. Tout est propre, mais tout semble mort...
Une femme grande, mais qui est toute courbée dans ses vêtements sombres,
s'avance dans le couloir dans la pénombre.
"Élise ! Chère Élise ! C'est moi, Marie !" dit Marie
en courant à sa rencontre et en l'embrassant.
"Marie ? Toi... Je te croyais morte, toi aussi. On m'avait
raconté... quand ? Je ne sais plus... J'ai un vide ici, dans la tête...
On m'avait dit que tu étais morte, avec beaucoup de mères, après la venue des
Mages. Mais qui m'a dit que tu étais la Mère du Sauveur ?"
"Les bergers, peut-être..."
"Oh ! les bergers !" et elle éclate en sanglots. "Ne
me dis pas ce nom. Il me rappelle l'ultime espérance pour la vie de Lévi...
Et pourtant... oui... un berger m'a parlé du Sauveur et j'ai tué mon fils en
l'amenant à l'endroit où on disait qu'était le Messie, près du Jourdain. Mais
il n'y avait personne... et mon fils est revenu pour mourir... La fatigue, le
froid... je l'ai tué... mais je n'ai pas voulu l'assassiner. Je me disais que Lui, le Messie, guérissait les maladies... et je
l'ai fait à cause de cela... Maintenant mon fils m'accuse de l'avoir
tué..."
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426> "Non,
Élise. C'est de l'imagination. Ecoute. Je crois que ton fils, au contraire,
m'a prise par la main en me disant : "Va trouver ma chère maman.
Conduis-lui le Sauveur. Je suis mieux ici que sur la terre. Mais elle n'écoute
que son chagrin et ne peut entendre les paroles que je lui dis tout
bas parmi mes baisers, pauvre maman qui est comme possédée par un démon qui
la pousse au désespoir parce qu'il nous veut séparés. Alors que si elle se
résigne et croit que Dieu fait tout pour le bien nous serons unis pour
toujours, avec le père et avec le frère. Jésus peut le faire". Et moi,
je suis venue... avec Lui... Ne veux-tu pas le voir ? ..." Marie a
parlé en tenant toujours dans ses bras la malheureuse en lui donnant des
baisers sur ses cheveux gris et avec une douceur qu'elle seule peut avoir.
"Oh ! si c'était vrai ! Mais pourquoi, pourquoi alors Daniel
n'est pas venu te trouver pour te dire de venir plus tôt ? ...Mais, qui
m'a dit autrefois que tu étais morte ? Je ne me souviens pas... je ne me
souviens pas... Même à cause de cela, j'ai peut-être trop attendu à venir au
Messie. Mais on m'avait dit qu'il était mort, Lui, toi, tous à
Bethléem..."
"Ne cherche pas qui te l'a dit. Viens, regarde, ici, c'est mon Fils.
Viens à Lui. Fais plaisir à tes enfants et à ta Marie. Sais-tu que nous
souffrons de te voir ainsi ?" Et elle la conduit vers Jésus qui
s'est placé dans un coin sombre et qui maintenant seulement s'avance sous une
lampe que la femme de service a mise sur un coffre élevé.
La pauvre mère lève la tête... et je vois alors que c'est Élise qui était
aussi sur le Calvaire avec les pieuses femmes. Jésus lui tend les mains en un
geste d'invitation qui n'est qu'amour. La malheureuse lutte un peu, puis Lui
donne les siennes et enfin de compte s'abandonne sur la poitrine de Jésus en
gémissant : "Dis-moi, dis-moi que je ne suis pas coupable de la
mort de Lévi ! Dis-moi qu'ils ne sont pas perdus pour toujours !
Dis-moi que bientôt je serai avec eux !..."
"Oui, oui. Écoute. Ils sont dans la jubilation maintenant que tu es dans
mes bras. Je ne tarderai pas de les rejoindre, et que dois-je leur dire,
alors ? Que tu ne t'en remets pas au Seigneur ? Est-ce cela que je
dois dire ? Les femmes d'Israël, les femmes de David si courageuses, si
sages, dois-tu leur donner un démenti ? Non. Tu souffres, mais parce que
tu as souffert seule. Ta douleur et toi. Toi et ta douleur.
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427> Alors tu ne
peux en porter le poids. Tu n'as plus présentes à ton esprit les paroles
d'espoir au sujet de ceux que la mort nous a pris ? "Je vous
sortirai de vos tombeaux et je vous amènerai dans la terre d'Israël . Et vous saurez que je suis le Seigneur quand j'aurai
ouvert vos tombes et vous aurai tiré de vos tombeaux . Quand j'aurai versé en vous mon esprit vous aurez la
vie" . La terre d'Israël, pour les justes endormis dans le
Seigneur, c'est le Royaume de Dieu. Je l'ouvrirai et le donnerai à ceux qui
attendent."
"Même à mon Daniel ? Même à mon Lévi ? ...Il avait une si
grande répulsion pour la mort... Il ne pouvait s'imaginer d'être éloigné de
sa maman. C'est pour cela que je voulais mourir et aller à côté de lui au
tombeau..."
"Mais ce n'est pas là qu'ils sont, en ce qui en eux est vivant. Là il
n'y avait que des choses mortes qui ne pouvaient t'entendre. Eux sont dans le
lieu de l'attente..."
"Mais est-ce vraiment cela ? Oh ! ne te scandalise pas à mon
sujet. Ma mémoire s'est fondue dans mon chagrin ! J'ai la tête remplie
du bruit des larmes et du râle de mes fils. Quel râle ! Quel
râle !... Cela m'a dissous le cerveau. Je n'ai que ce râle,
là-dedans..."
"Et Moi, je t'y mettrai les paroles de la vie. Je sèmerai la Vie, car je
suis Vie là où est le fracas de la mort. Rappelle-toi le grand Judas
Macchabée qui voulut faire un sacrifice pour les morts avec la juste pensée
qu'ils sont destinés à ressusciter et qu'il faut hâter pour eux l'heure de la
paix par des sacrifices opportuns . Si Judas Macchabée n'avait pas été certain de la
résurrection, aurait-il prié et fait prier pour les morts ? Lui, au contraire, comme il est écrit, pensa qu'une
grande récompense était réservée à ceux qui meurent pieusement , comme certainement tes fils sont morts... Tu vois que
tu dis oui ? Ne désespère donc plus. Mais prie saintement pour tes morts
pour que leurs péchés soient effacés avant que je ne vienne à eux. Alors,
sans attendre un instant, ils viendront avec Moi au Ciel. Car je suis le
Chemin, la Vérité et la Vie et je conduis et je dis la Vérité et je donne la
Vie à celui qui croit à ma Vérité et me suit. Dis-moi. Tes fils croyaient-ils
à la venue du Messie ?"
"Certainement, Seigneur. Ils avaient appris de moi cette croyance."
"Et Lévi croyait-il possible sa guérison par l'effet de ma
volonté ?"
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428> "Oui, Seigneur,
nous espérions en Toi mais... cela ne lui a pas servi... et il est mort
découragé après avoir tant espéré..." Les pleurs de la femme
reprennent plus calmes, mais plus désolés dans ce calme que dans leur furie
précédente.
"Ne dis pas que cela n'a pas servi. Celui qui croit en Moi, même s'il
est mort, vivra éternellement... La nuit descend, femme. Je rejoins mes
apôtres. Je te laisse, Mère..."
"Oh ! reste, Toi aussi !... J'ai peur, si tu t'éloignes,
d'être reprise par ce tourment... Elle commence à peine, à peine à se calmer
la tempête au son de tes paroles..."
"Ne crains pas ! Tu as Marie avec toi. Demain je reviendrai. J'ai
quelque chose à dire aux bergers. Puis-je leur dire de venir près de ta
maison. ..."
"Oh ! oui. Ils y venaient aussi l'an passé pour mon fils...
Derrière la maison, il y a un jardin et puis une cour rustique. Ils peuvent y
venir comme ils faisaient alors pour rassembler les troupeaux..."
"C'est bien. Je viendrai. Sois bonne. Rappelle-toi que, au Temple Marie
t'avait été confiée. Moi aussi, je te la confie cette nuit."
"Oui, sois tranquille. J'en prendrai soin, la... Je devrai penser à son
souper, à son repos... Il y a combien de temps que je ne pense plus à ces
choses ! Marie, veux-tu dormir dans ma chambre comme faisait Lévi durant
sa maladie ? Moi, dans le lit de mon fils, toi dans le mien. Et il me
semblera entendre sa respiration légère... Il me tenait toujours par la
main..."
"Oui, Élise. Et auparavant nous parlerons de tant de
choses."
"Non, tu es fatiguée. Tu dois dormir."
"Toi aussi..."
"Oh ! moi ! Je ne dors plus depuis des mois... Je pleure... je
pleure... Je ne sais pas faire autre chose..."
"Ce soir, au contraire, nous prierons et puis nous irons au lit et tu
dormiras. ..Nous dormirons la main dans la main, nous deux aussi. Tu peux
aller, Fils, et. prie pour nous..."
"Je vous bénis. Que la paix soit avec vous et à cette
maison !" Et Jésus s'en va avec la servante qui reste interdite et
ne fait que répéter : "Quel miracle, Seigneur ! Quel
miracle ! Après tant de mois, elle a parlé, elle a pensé... Oh !
quelle affaire !... On disait qu'elle mourait folle... Et j'en étais
peinée car elle est bonne."
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