Le jeudi 11 janvier 1945.
493/494> 75.1 – Les collines se font beaucoup
plus élevées et boisées que celles de Bethléem et s'élèvent toujours plus,
formant une vraie chaîne de montagnes Jésus monte, en tête, scrutant en
avant, autour, comme s'il cherchait quelque chose.
Il ne parle
pas. Il écoute plutôt les bruits des bois que les paroles des disciples,
quelques mètres à l'écart en arrière de Lui et qui parlent, entre eux.
Une sonnaille se fait entendre au loin, mais le vent apporte le son de la
clochette. Jésus sourit. Il se retourne.
"Je sens qu'il y a des troupeaux" dit-il.
"Où, Maître ?"
"Vers ce coteau, il me semble, mais le bois m'empêche de voir."
Jean ne dit mot. Il quitte son habit - le manteau, tous le
portent roulé en bandoulière, car ils ont chaud - et gardant sa petite
tunique courte, il embrasse un tronc élevé et lisse, un frêne, dirait-on et
il grimpe, il grimpe... jusqu'à ce qu'il voie.
"Oui, Maître, beaucoup de troupeaux, et trois bergers là-bas, derrière
ce bois touffu."
Il descend et tous y vont, rassurés.
"Et puis, sera-ce bien eux ?"
"Nous demanderons, Simon, et si ce n'est pas eux, ils nous diront quelque chose.
Ils se connaissent entre eux."
Encore environ une centaine de mètres, puis voilà un grand pâturage vert,
tout borné de gros arbres anciens.
75.2 – Des troupeaux nombreux se
trouvent sur la pente du pré et broutent l'herbe abondante. Trois hommes les
gardent. L'un est âgé, déjà tout blanc, les autres sont l'un vers la
trentaine, l'autre vers la quarantaine environ.
"Attention, Maître, ce sont des pâtres..." conseille Judas, en voyant que Jésus presse le pas.
Mais Jésus ne répond même pas. Il avance, grand, beau, le visage éclairé par
le soleil couchant, dans son blanc vêtement. On dirait un ange, tant il est
lumineux... "La paix soit avec vous amis" dit-il quand il est sur
la limite du pré.
Les trois se retournent, étonnés. Un silence, puis le plus
ancien demande :
"Qui es-tu ?"
"Quelqu'un qui t'aime."
"Tu serais le premier depuis de nombreuses années. D'où
viens-tu ?"
"De la Galilée."
"De la Galilée ? Oh !"
L'homme le regarde attentivement. Les autres aussi se sont approchés.
"De la Galilée" répète le berger et il ajoute doucement, comme se
parlant à lui-même : "Lui aussi venait de Galilée... De quel endroit,
Seigneur ?"
"De Nazareth."
"Oh ! dis-moi, alors. Y-est-il revenu un Bambin, avec une femme qui
s'appelait Marie et un homme nommé Joseph, un Bambin, beau encore plus que sa Mère ? On n'a
jamais vu de fleur plus belle sur les collines de Juda. Un Petit, né à
Bethléem de Juda, au temps de l'édit ? Un Bambin fugitif ensuite pour le
bonheur du monde. Un Bambin, que je donnerais ma vie pour le savoir sûrement
vivant et maintenant un homme ?"
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495> "Pourquoi dis-tu que ç'a été une grande chance
pour le monde que sa fuite ?"
"Parce que Lui, c'était le Sauveur, le Messie, et que Hérode voulait sa
mort. Je n'étais pas là quand Lui s'est enfui avec son père et sa Mère... Quand
j'appris le massacre et je revins - car moi aussi, j'avais des enfants (il
sanglote), Seigneur, et une femme... (il sanglote encore) et que je les vis
massacrés (il sanglote), mais, je te jure, par le Dieu d'Abraham que pour Lui
je tremblais plus que pour ma propre chair - quand j'appris qu'Il s'était
enfui et pourtant, je ne pouvais m'informer et ne pus retrouver les miens
égorgés... A coups de pierres, comme un lépreux, comme un impur; j'ai été
pris pour un assassin... et j'ai dû m'enfuir dans les bois, vivre comme un
loup... jusqu'à ce que je trouve un maître. Oh ! ce n'est plus Anne... Celui-ci est dur et cruel... Si une brebis se
blesse, si le loup m'emporte un agneau, ou être bâtonné jusqu'au sang ou bien
perdre mes petites économies, travailler dans les bois pour les autres, faire
n'importe quoi, mais payer, toujours le triple de la valeur. Mais, n'importe.
J'ai toujours dit au Très-Haut: "Fais- moi voir ton Messie, fais-moi
savoir au moins qu'Il est vivant et tout le reste n'est rien". Seigneur,
je t'ai dit comme j'ai été traité par les Bethléemites et comme je suis traité
par le patron. J'aurais pu rendre le mal pour le mal, ou faire le mal en
volant, pour ne pas souffrir de la part du maître. Mais
je n'ai voulu que pardonner, souffrir, être honnête car les anges ont
dit : "Gloire à Dieu au plus haut des Cieux et paix sur la terre
aux hommes de bonne volonté"
"C'est ainsi qu'ils dirent ?"
"Oui, Seigneur, crois-le Toi, Toi au moins qui es bon. Sais-tu, au
moins, et le crois-tu que le Messie est né. Personne ne veut plus le croire,
Mais les anges ne mentent pas... et nous, nous n'étions pas ivres, comme ils
l'ont dit. Celui-ci, tu vois, n'était alors qu'un enfant, et il fut le
premier à voir l'ange. Il ne buvait que du lait, lui. Est-ce que le lait peut
enivrer ? Les anges ont dit : "Aujourd'hui dans la cité de David
est né le Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. Vous le reconnaîtrez à
ceci : vous trouverez un Bébé couché dans une mangeoire, enveloppé de
langes"
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496> "C'est exactement cela qu'ils ont dit ?
N'avez-vous pas mal entendu ? Ne vous trompez-vous pas, depuis si
longtemps ?"
"Oh ! non, est-ce vrai, Lévi ? Pour ne pas oublier - d'ailleurs nous ne
l'aurions pas pu, car c'étaient des paroles du Ciel et qui s'étaient gravées
en lettres de feu dans nos cœurs - tous les matins, tous les soirs, au lever
du soleil, quand brille la première étoile, nous le disons comme une prière,
pour en avoir bénédiction force et réconfort, avec son nom à Lui et le nom de
la Mère."
"Ah ! Vous disiez : "Christ" ?"
"Non, Seigneur, nous disions : "Gloire à Dieu au plus haut des
Cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté, par Jésus, le Christ,
qui est né de Marie dans une étable de Bethléem et qui enveloppé dans des
langes, était dans une mangeoire. C'est Lui qui est le Sauveur du monde
"
75.3 – "Mais, en somme, qui
cherchez-vous ?"
"Jésus, le Christ, fils de Marie, le Nazaréen, le Sauveur."
"C'est Moi." Jésus s'illumine, à ces paroles, en se manifestant à
ses fidèles et tenaces amis. Tenaces, fidèles, patients.
"Toi ! ô Seigneur, Sauveur, notre Jésus !" Les trois sont
à terre et baisent les pieds de Jésus, pleurant de joie.
"Levez-vous. Debout, Élie, et toi
Lévi, et toi que je ne connais pas."
"Joseph, fils de Joseph. "
"Ceux-ci sont mes disciples : Jean, galiléen, Simon et Judas,
juifs."
Les bergers ne sont plus prosternés par terre, mais encore à genoux. Penchés
en arrière sur leurs talons, ils adorent le Sauveur avec un regard d'amour,
des lèvres qui tremblent d'émotion, les visages pâles ou rouges de joie.
Jésus s'assoit sur l'herbe.
"Non, Seigneur sur l'herbe, non Toi; roi d'Israël, non."
"Laissez, amis. Je suis pauvre, un menuisier seulement pour le monde.
Riche seulement d'amour pour le monde, et de l'amour que les bons me donnent.
Je suis venu pour rester avec vous, rompre avec vous le pain du soir, dormir
sur le foin à côté de vous, recevoir votre réconfort..."
"Oh ! réconfort ! Nous sommes grossiers et persécutés."
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497> "Persécuté, moi aussi, mais vous me donnez ce que
je cherche : l'amour, la fidélité, et l'espérance qui résiste après des
années et donne sa fleur. Voyez ? Vous avez su attendre croyant sans
hésitation que c'était Moi. Et Moi, je suis venu."
"Oh ! oui, Tu es venu. Maintenant, même si je meurs, je, n'ai plus
rien qui me peine en fait d'espoir et d'attente."
"Non, Élie, tu vivras jusqu'après le triomphe du
Christ. Toi qui as vu mon aube, tu dois voir ma splendeur.
75.4 – Et les autres ? Vous
étiez douze : Élie, Lévi, Samuel, Jonas, Isaac, Tobie, Jonathas, Daniel, Siméon, Jean, Joseph, Benjamin. Ma Mère me disait toujours vos noms, les noms de mes
premiers amis."
"Oh !" Les bergers sont toujours plus remués.
"Où sont les autres ?"
"Le vieux Samuel
est mort, de vieillesse, depuis vingt ans. Joseph, tué en combattant, sur la porte de son enclos, en
donnant le temps à son épouse, mère depuis quelques heures, de s'enfuir avec
celui-ci que j'ai recueilli par amour pour mon ami, et pour ... et pour avoir
encore des enfants autour de moi. J'ai pris aussi Lévi avec moi... Il était
persécuté. Benjamin
est berger sur le Liban, avec Daniel. Siméon, Jean
et Tobie qui maintenant a pris le nom de Mathias, en souvenir de
son père, tué lui aussi, sont disciples de Jean. Jonas
est sur la plaine d'Esdrelon, au service d'un
pharisien. Isaac a les reins malades, dans une misère absolue, et il est
seul, à Jutta. Nous l’aidons comme nous pouvons... mais nous sommes tous
battus et ce sont des gouttes d'eau dans un incendie. Jonathas
est maintenant domestique chez un grand de la cour
d'Hérode."
"Comment avez-vous pu, spécialement Jonathas, Jonas, Daniel et Benjamin,
trouver ces emplois ?"
"Je me souvenais de Zacharie, ton parent... La Mère m'avait envoyé vers lui. Et
quand nous nous trouvâmes aux prises avec la furie des Juifs, fugitifs et
maudits, je les lui adressai. Il fut bon. Il nous protégea, nous nourrit,
nous chercha des patrons, comme il put. J'avais déjà pris tout le troupeau
d'Anne passé à l'Hérodien... et je suis resté avec lui...
Devenu homme, le Baptiste a commencé à prêcher, Siméon, Jean et Tobie allèrent
avec lui."
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498> "Mais, maintenant, le Baptiste est prisonnier.
"
"Oui. Et eux circulent aux environs de Machéronte, avec
un petit troupeau. Il leur a été donné par un riche, disciple de Jean ton parent, pour
écarter les soupçons."
"Je voudrais les voir tous."
"Oui, Seigneur. Nous irons leur dire : "Venez, il est vivant.
il se souvient de nous et nous aime"
"Et il les veut au rang de ses amis."
"Oui, Seigneur."
"Mais, pour commencer, nous irons voir Isaac. Pour Samuel et Joseph, où
sont-ils enterrés ?"
"Samuel, à Hébron - Il resta au service de Zacharie. Joseph... n'a pas
de tombeau, Seigneur. Il fut brûlé avec sa maison."
"Pas dans les flammes des hommes cruels, mais dans les flammes du
Seigneur, il sera bientôt dans la gloire. Je vous le dis; à toi, Joseph, fils
de Joseph, je le dis. Viens, que je t'embrasse pour dire merci à ton
père."
"Et mes enfants ?"
"Des anges, Élie, des anges qui rediront le "Gloria" quand le
Sauveur sera couronné."
"Roi ?"
"Non, Rédempteur. Oh ! cortège des justes et des saints !
d'abord, les phalanges, blanches et pourpres des petits martyrs ! Et,
après que sera ouverte la porte des Limbes, voici que nous monterons ensemble
au Royaume où l'on ne meurt plus. Et puis, vous verrez et retrouverez, pères,
mères et fils, dans le Seigneur ! Ayez foi."
"Oui, Seigneur. "
"Appelez-moi : Maître.
75.5 – La nuit tombe. La première étoile
se montre. Dis ta prière avant le repas."
"Non, pas moi, Toi."
"Gloire à Dieu au plus haut des Cieux et paix sur la
terre aux hommes de bonne volonté, qui ont mérité de voir la Lumière et de la
servir. Le Sauveur est parmi eux. Le Berger de race royale est au milieu de
son troupeau. L'étoile du matin s'est levée. Réjouissez-vous, ô justes !
Réjouissez-vous dans le Seigneur !
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499> Lui qui a fait la voûte des cieux et y a semé les
étoiles, Lui qui a fixé les limites des terres et de la mer, Lui qui a
créé les vents et les pluies et réglé le cours des saisons pour donner pain
et .vin à ses enfants, voici que maintenant il vous envoie une plus
excellente nourriture : le Pain Vivant qui descend du Ciel, le Vin de la
Vigne Éternelle. Venez, vous, prémices de mes adorateurs.
Venez connaître le Père, en vérité; pour le suivre en sa sainteté et en avoir
une récompense éternelle."
Jésus a prié, debout, les bras ouverts, pendant que ses disciples et les
bergers se tenaient à genoux.
Ensuite on présente du pain et une jatte de lait frais tiré. Comme il y a
trois écuelles, ou trois courges évidées, je ne sais, c'est d'abord Jésus,
avec Simon et Judas qui mangent, puis Jean à qui Jésus passe son bol, en même
temps que Lévi et Joseph, et en dernier Élie.
Les troupeaux ne broutent plus. Ils ont formé une grande bande, serrés les
uns contre les autres, en attendant qu'on les conduise peut-être à leur
enclos. Mais, je vois au contraire que les trois bergers les conduisent dans
le bois, sous un hangar rustique de branchages, entouré de cordages. Ils se
mettent à préparer un lit de foin pour Jésus et ses disciples. On allume des
feux, peut-être à cause des bêtes sauvages.
Judas et Jean s'étendent, et peu après s'endorment. Simon voudrait bien tenir
compagnie à Jésus, mais peu après il s'endort lui aussi, assis sur le foin et
le dos appuyé à un pieu.
75.6 – Jésus reste éveillé avec les
bergers. Et ils parlent : de Joseph, de Marie, de la fuite en Égypte, du
retour ...Et puis après les informations affectueuses, voici des questions
plus relevées : que faire pour servir Jésus ? Comment le
pourront-ils, eux, grossiers bergers ?
Jésus les instruit et explique :
"Maintenant je vais à travers la Judée. Vous serez toujours tenus
informés par les disciples. Puis, je vous ferai venir. Rassemblez-vous, en
attendant. Faites en sorte de vous informer mutuellement de ma présence en ce
monde comme Maître et Sauveur. Faites-le savoir, comme vous pourrez. Je ne
vous promets pas qu'on vous croira. J'ai essuyé dérision et poursuites. Vous
aussi, vous les rencontrerez. Mais, comme-vous avez su être courageux et
justes, dans cette attente, soyez-le plus encore, maintenant que vous êtes
miens. Demain, nous irons à Yutta, puis à Hébron.
Pouvez-vous venir ?"
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500> "Oh ! oui ! Les routes sont à tout le
monde, et les pâturages à Dieu. Seule Bethléem nous est interdite à cause de
l'injuste haine. Les autres pays sont au courant... mais nous méprisent
seulement en nous traitant "d'ivrognes" ; Aussi nous ne pourrons
faire que peu de chose ici."
"Je vous appellerai ailleurs. Je ne vous abandonnerai pas."
"Pendant toute la vie ?"
"Pendant toute ma vie."
"Non, c'est moi qui mourrai d'abord, Maître. Je suis âgé."
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