Vision
du jeudi 13 décembre 1945
329> La vallée profonde et boisée
où s'élève Jabès Galaad résonne du fracas d'un petit torrent très gonflé qui
va en écumant vers le Jourdain très proche. Un sombre crépuscule, qui termine
une sombre journée, assombrit encore plus l'obscurité des bois, et le village
apparaît dès l'abord triste et inhospitalier.
Thomas, toujours de bonne humeur, bien que ses vêtements soient dans l'état
d'un linge que l'on sort d'un baquet, de la tête à la ceinture, et de la
ceinture aux pieds, une fange qui chemine dit : "Hum ! je ne
voudrais pas qu'après des siècles ce pays se venge sur nous de la vilaine
surprise que lui est venue d'Israël !
Assez ! Allons souffrir pour le Seigneur."
Les gens ne les assomment pas, cela non. Mais ils les chassent en les
traitant de voleurs et pis encore, et Philippe avec Mathieu doivent se sauver à toutes jambes pour échapper à un gros chien
qu'un berger a lancé contre eux, qui étaient allés frapper à la porte du
bercail afin de demander un refuge pour la nuit "au moins sous le toit
des animaux"
"Et maintenant qu'allons-nous faire ?"
"Nous n'avons pas de pain."
"Et pas d'argent. Sans argent on ne trouve ni pain ni
logement !"
"Et nous sommes trempés, gelés, affamés."
"Et la nuit vient. Nous serons bien demain matin après une nuit passée
dans le bois !"
Sur douze qu'ils sont, sept ronchonnent ouvertement, trois ont le mécontentement
gravé sur leur visage et, bien qu'ils soient silencieux, c'est comme s'ils
parlaient, Simon le Zélote marche la tête basse, indéchiffrable. Jean paraît être sur de la braise allumée et sa tête va rapidement
des rouspéteurs à Jésus, de celui-ci à ceux-là. Sa peine se voit sur son
visage. Jésus va personnellement, puisque les apôtres se refusent ou le font
avec crainte, frapper de maison en maison en parcourant patiemment les
ruelles transformées en marécages glissants et fétides. Mais partout on les
repousse.
Ils sont au bout du village, là où la vallée s'élargit déjà pour faire place
aux pâturages de la plaine transjordanienne. Quelques rares maisons restent
encore... Mais partout c'est la déception...
"Cherchons dans les champs. Jean, pourrais-tu monter sur cet orme ?
Du haut, tu pourrais voir."
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330> "Oui, mon Seigneur."
"La pluie rend l'orme glissant. Le garçon ne réussira pas et il se fera
du mal. Ainsi, en plus, nous aurons un blessé" bougonne Pierre.
Et Jésus avec douceur : "Moi, je vais monter."
"Cela non !" crient-ils en chœur. Et les pêcheurs crient plus
fort que tous, en ajoutant : "Si c'est dangereux pour nous qui
sommes pêcheurs, qu'est-ce que tu peux faire, Toi, qui n'as jamais grimpé aux
mâts ni aux cordages ?"
"C'était pour vous que je le faisais. Pour vous chercher un abri. Pour
Moi, cela m'est indifférent. Ce n'est pas l'eau qui m'est pénible..."
Quelle tristesse ! Quel rappel à la pitié pour Lui, il y a dans sa
voix ! Quelques-uns s'en rendent compte et se taisent. D'autres, et il
s'agit de Barthélemy et de Mathieu,
disent : "Maintenant il est trop tard pour y parer. Il fallait y
penser avant."
"Oui, et ne pas faire de caprice en voulant partir de Pella
malgré la pluie. Tu as été entêté et imprudent et maintenant nous en payons
les conséquences. Qu'est-ce que tu veux arranger, maintenant Si nous avions
une bourse bien garnie, tu verrais que toutes les maisons se seraient
ouvertes ! Mais Toi !... Pourquoi ne fais-tu pas un miracle, au
moins un miracle pour tes apôtres? Tu en fais même pour les
indignes !" dit Judas de Kériot en gesticulant comme un fou, agressif au point que les autres,
bien qu'en partie du même avis, éprouvent le besoin de le rappeler au
respect.
Jésus paraît déjà le Condamné qui regarde avec douceur ses bourreaux. Et il
se tait. Ce silence, qui depuis quelque temps devient plus fréquent chez Jésus,
prélude au "grand silence" devant le Sanhédrin,
devant Pilate et Hérode. et
il me fait tant de peine. On dirait les pauses de silence dans le gémissement
d'un mourant, qui ne sont pas du calme dans les douleurs mais prélude à la
mort. Il me semble qu'ils crient, ces silences de Jésus, plus fort que toute
parole, et qu'ils disent toute la souffrance de Jésus devant
l'incompréhension des hommes et leur manque d'amour. Et sa douceur sans
réactions, cette attitude avec sa tête un peu basse, me le font apparaître
déjà comme enchaîné, livré à la haine des hommes.
"Pourquoi ne parles-tu pas ?" Lui demandent-ils.
"Parce que je dirais des paroles que votre cœur ne comprendrait pas à
cette heure... Allons. Nous marcherons pour ne pas nous geler... Et
pardonnez..."
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331> Il se tourne rapidement pour se mettre à la tête de la
troupe qui éprouve un peu de pitié, tout en l'accusant un peu et en donnant
raison aux compagnons.
Jean ralentit et reste en arrière, mais de manière que personne ne s'en
aperçoive. Puis il s'en va vers un arbre élevé qui me semble être un peuplier
ou un frêne. Il quitte son manteau et son vêtement et à moitié nu se met à
grimper non sans peine, jusqu'à ce que les premières branches lui facilitent
la montée. Il monte, il monte comme un chat. Parfois aussi il glisse, mais il
se reprend et le voilà presque au sommet. Il scrute l'horizon éclairé par les
dernières clartés du jour. En effet, comme les nuages se sont un peu
éclaircis, dans la plaine il fait moins sombre que dans la vallée. Il scrute
dans toutes les directions et finalement il a un geste de joie. Il se laisse
glisser rapidement à terre, reprend ses vêtements et se met à courir
atteignant ainsi et dépassant ses compagnons. Le voilà à côté du Maître. Tout
essoufflé par sa course, il Lui dit : "Une cabane, Seigneur... une
cabane du côté de l'orient... Mais il faut revenir en arrière... Je suis
monté sur un arbre... Viens, viens..."
"Moi, je vais avec Jean de ce côté. Si vous voulez venir, venez.
Autrement continuez jusqu'au prochain village le long du fleuve. Nous nous
retrouverons là" dit Jésus sérieux et décidé.
Tous le suivent à travers les prés détrempés.
"Mais on retourne vers Jabès !"
"Moi, je ne vois pas de maisons..."
"Qui sait ce qu'a vu le garçon !"
"Une meule de paille peut-être."
"Ou la cabane d'un lépreux."
"Ainsi nous allons achever de nous tremper. Ces prés semblent des
éponges" disent en maugréant les apôtres.
Mais ce n'est pas une cabane de lépreux ni une meule de paille ce que l'on
aperçoit derrière un rideau d'arbres. C'est une cabane, cela oui. Elle est
large, basse, semblable à un pauvre bercail, à moitié couverte de paille avec
des murs de terre que maintiennent péniblement aux coins des soutènements de
pierre brute. Une enceinte de pilotis entoure la maisonnette et à l'intérieur
il y a des légumes trempés d'eau.
Jean appelle. Un vieil homme s'amène. "Qui est-ce ?"
"Des pèlerins en route pour Jérusalem. Un abri, au nom de
Dieu !" dit Jésus.
"Toujours. C'est un devoir. Mais vous tombez mal. J'ai peu de place et
pas de lits."
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332> "N'importe. Tu auras du feu, au moins."
L'homme manœuvre la serrure et l'ouvre. "Entrez et que la paix soit avec
vous."
Ils entrent dans le minuscule potager et ils passent
dans la pièce unique qui sert de cuisine et de chambre à coucher. Un feu
brille dans la cheminée. C'est pauvre mais bien en ordre. Comme outils, juste
l'indispensable.
"Voyez ! Je n'ai que le cœur qui soit grand et bien disposé,
moi ! Mais si vous n'êtes pas exigeants... Avez-vous du
pain ?"
"Non. Une poignée d'olives..."
"Moi, je n'ai pas du pain pour tout le monde. Mais je vais vous faire un
plat avec du lait. J'ai deux brebis. Elles me suffisent. Je vais les traire.
Voulez-vous me donner vos manteaux ? Je vais les étendre dans le
bercail, ici derrière. Ils vont sécher un peu, et demain près du feu on fera
le reste."
L'homme sort, chargé d'étoffés humides. Tout le monde entoure le feu et se
réjouit de sa chaleur.
L'homme revient avec une natte rustique. Il l'étend.
"Enlevez vos sandales. Je les débarrasserai de la boue et je les pendrai
pour qu'elles sèchent. Et je vais vous donner de l'eau chaude pour vous laver
les pieds. La natte est rustique, mais propre et épaisse. Ce sera plus
agréable pour vous que le sol humide et froid."
Il détache un chaudron rempli d'eau verdâtre car il y bout des légumes et il
en verse la moitié dans une bassine et la moitié dans une cuvette. Il y
ajoute de l'eau froide et il dit : "Voici pour vous remettre en
forme. Lavez-vous. Voici un linge propre."
Et tout en parlant, il s'occupe du feu et le ravive. Il verse le lait dans un
chaudron, le met sur le feu. Dès qu'il bout, il y jette des graines qui me
semblent être de l'orge écrasé ou du mil broyé. Puis il remue sa bouillie.
Jésus, qui s'est lavé dans les premiers, s'approche de lui : "Que
Dieu te donne sa grâce pour ta charité."
"Je ne fais que rendre ce que j'ai eu
de Lui. J'ai été lépreux. De trente-sept à cinquante et un ans, lépreux. Puis
je me suis guéri. Mais, au village, j'ai trouvé mes parents morts, ainsi que ma
femme, et ma maison dévastée. Et puis, j'étais le "lépreux"... Je
suis venu ici, et je me suis fait un nid. Par mes propres moyens et avec
l'aide de Dieu. D'abord une cabane de jonc, puis une de bois, puis des
murs... Tous les ans quelque chose de nouveau.
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333> L'an dernier j'ai fait le local des
brebis. Je les ai achetées en fabriquant des nattes que je vends et de la
vaisselle de bois. J'ai un pommier, un poirier, un figuier, une vigne. Par derrière
j'ai un petit champ d'orge, par devant les légumes. Quatre couples de
colombes, deux brebis. Sous peu, je vais avoir des agneaux. Espérons que ce
sera des agnelles cette fois. Je bénis le Seigneur et je ne demande pas
davantage. Et Toi, qui es-tu ?"
"Un galiléen. Tu as des préventions ?"
"Aucune, bien que je sois de race juive. Si j'avais eu des fils,
j'aurais pu en avoir un comme Toi... Je sers de père aux pigeons... Je me
suis habitué à rester seul."
"Et pour les Fêtes ?"
"J'emplis les mangeoires et je m'en vais. Je loue un âne. Je cours, je
fais ce que j'ai à faire, et je reviens. Il ne m'a jamais manqué une feuille.
Dieu est bon."
"Oui, avec ceux qui sont bons et ceux qui le sont moins. Mais les bons
sont sous son aile."
"Oui, c'est ce que dit Isaïe...
Moi, II m'a protégé."
"Tu as été lépreux, cependant" observe Thomas.
"Et je suis devenu pauvre et esseulé. Mais voilà, c'est une grâce de
Dieu d'être de nouveau un homme et d'avoir un toit et du pain. Mon modèle
dans le malheur, ce fut Job.
J'espère mériter comme lui la bénédiction de Dieu, non pour les richesses
mais pour la grâce."
"Tu l'auras, tu es un juste. Comment t'appelles-tu?"
"Mathias."
Et il dépend son chaudron, le porte sur la table, y ajoute du beurre et du
miel, remue et remet le tout au feu et il dit : "Je n'ai que six
récipients entre les assiettes et les écuelles. Vous les prendrez à tour de
rôle."
"Et toi ?"
"Celui qui donne l'hospitalité se sert le dernier. Les premiers, ce sont
les frères que Dieu envoie. Voici, c'est prêt. Et cela fait du bien." Et
il verse des cuillerées de bouillie fumante dans les quatre assiettes et les
deux écuelles. Il y a des cuillères de bois.
Jésus invite les plus jeunes à manger.
"Non. Toi, Maître" dit Jean.
"Non, non. Il est bien que Judas se rassasie et qu'il voie qu'il y a
toujours de la nourriture pour les fils."
L'Iscariote change de couleur, mais il mange.
"Tu es un rabbi ?"
"Oui, et eux sont mes disciples."
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334> "Moi, j'allais trouver le Baptiste quand il était à Bétabara. Sais-tu quelque chose du
Messie ? On dit qu'il est venu et que Jean l'a montré. Quand je vais à
Jérusalem, j'ai toujours l'espoir de le voir mais je n'ai pas réussi.
J'accomplis le rite et je m'en vais. C'est à cause de cela que je ne le vois
pas. Ici, je suis isolé et puis... Les gens ne sont pas bons en Pérée. J'ai
parlé à des bergers. Ils viennent ici pour les pâturages. Eux savaient. Ils
m'ont parlé. Quelles paroles ! Et puis dites par Lui !..."
Jésus ne se fait pas connaître. C'est son tour de manger, et il le fait avec
sérénité près du bon vieux.
"Et maintenant ? Comment allons-nous faire pour dormir ? Je
vous cède mon lit, mais je n'en ai qu'un... Moi, j'irai avec les
brebis."
"Non, c'est nous qui y irons. Le foin est bon quand on est
fatigué."
Le souper est fini et ils pensent à se coucher pour partir à l'aurore. Mais
le vieil homme insiste et c'est Mathieu, très enrhumé, qui prend son lit.
Mais à l'aurore c'est un déluge. Comment partir sous ces cataractes ?
Ils écoutent le vieillard et ils restent. Pendant ce temps, les vêtements
sont brossés, sèches, on graisse les sandales, on se repose. Le vieil homme
cuit à nouveau de l'orge dans le lait pour tout le monde, et puis il met des
pommes dans la cendre. Voilà leur repas. Et ils sont en train de le consommer
quand du dehors arrive une voix.
"Un autre pèlerin ? Comment allons-nous faire ?" dit le
vieillard. Mais il sort, enveloppé dans une couverture de laine grège,
imperméable. Dans la cuisine, on se chauffe au feu, mais on n'est pas de
bonne humeur. Jésus se tait.
Le vieil homme revient, les yeux écarquillés. Il regarde Jésus, il regarde
les autres. Il semble avoir peur... il paraît incertain et inquisiteur. Enfin
il dit : "Parmi vous il y a le Messie ? Dites-le. Ceux de
Pella le cherchent pour l'adorer, à cause d'un grand miracle qu'il a fait. Ils
ont frappé depuis hier soir à toutes les maisons jusqu'au fleuve, jusqu'au
premier village... Maintenant, en revenant, ils ont pensé à moi. Quelqu'un
leur a indiqué ma maison. Ils sont dehors avec des chars. Une foule de
personnes !"
Jésus se lève. Les douze disent : "N'y va pas. Puisque tu as dit
qu'il était prudent de ne pas s'arrêter à Pella, il est inutile de te montrer
maintenant."
"Mais alors!... Oh! Béni! Béni Toi et Celui qui t'a envoyé! Et moi qui
t'ai accueilli! Tu es le Rabbi Jésus, Lui... Oh!" L'homme est à genoux,
le front à terre.
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335> "Oui. Mais laisse-moi aller vers ceux qui me
cherchent. Puis je viendrai à toi, brave homme." Il dégage ses chevilles
serrées par les mains de son hôte et il sort dans le potager inondé.
"Le voilà ! Le voilà ! Hosanna !"
Ils sautent en bas des chars. Il y a des hommes et des femmes et il y a le
petit aveugle d'hier et sa mère
et il y a la gérasénienne. Sans se soucier de la boue, ils s'agenouillent et ils
le supplient : "Reviens, reviens en arrière ! Chez nous. À
Pella."
"Non, à Jabès" crient d'autres certainement de Jabès. "Nous te
voulons ! Nous regrettons de t'avoir chassé !" crient ceux de
Jabès.
"Non, chez nous. À Pella, où ton miracle est vivant. Pour eux les yeux,
pour nous la lumière de l'âme."
"Je ne peux pas. Je vais à Jérusalem. Vous me trouverez là."
"Tu es fâché parce que nous t'avons chassé."
"Tu es dégoûté parce que tu sais que nous avons cru aux calomnies d'un
pécheur."
La mère de Marc se couvre le visage en pleurant.
"Dis-le toi, Jaia, de revenir, à Celui qui t'a
aimé."
"Vous me trouverez à Jérusalem. Allez et persévérez. Ne ressemblez pas
aux vents qui soufflent dans toutes les directions. Adieu."
"Non. Viens. Nous te prendrons de force, si tu ne viens pas."
"Vous ne lèverez pas la main sur Moi. C'est de l'idolâtrie, pas de la
vraie foi. La foi croit même si elle ne voit pas. Elle persévère même si on
la combat. Elle grandit même sans miracles. Je reste chez Mathias qui a su
croire sans rien voir, et qui est un juste."
"Accepte au moins nos dons : de l'argent, du pain. On nous a dit
que vous avez donné tout ce que vous aviez à Jaia
et à sa mère. Prends un char. Tu t'en serviras pour aller. Tu le laisseras à Jéricho
chez l'hôtelier Timon. Prends-le. Il pleut et il va pleuvoir. Tu seras à
l'abri. Tu feras plus vite. Montre-nous que tu ne nous hais pas."
Eux au-delà de la palissade, Jésus de l'autre côté, ils se regardent et les
premiers sont en effervescence. Derrière Jésus, à genoux, le vieux Mathias,
la bouche ouverte, et puis debout les apôtres.
Jésus tend la main et il dit : "J'accepte pour les pauvres, mais je
ne veux pas du char. Je suis le Pauvre entre les pauvres. N'insistez pas. Jaia, sa mère, et toi de Gerasa, venez que je vous
bénisse en particulier."
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336> Et quand ils sont près de Lui, car Mathias leur a
ouvert la clôture, il les caresse, les bénit et les congédie. Puis il bénit
les autres qui se sont groupés sur le seuil, en donnant aux apôtres de
l'argent et des vivres, et il les congédie. Il revient dans la maison...
"Pourquoi ne leur as-tu pas parlé ?"
"Parle, le miracle des deux aveugles."
"Pourquoi n'as-tu pas pris le char ?"
"Parce qu'il est bien d'aller à pied."
Et il se tourne vers Mathias : "Je t'aurais récompensé par ma
bénédiction. Maintenant je peux ajouter un peu d'argent pour les dépenses que
tu as faites..."
"Non, Seigneur Jésus... Je ne veux pas. Je l'ai fait de bon cœur. Et
maintenant, maintenant, je le fais pour servir le Seigneur. Le Seigneur ne
paie pas. Il n'y est pas tenu. C'est moi qui ai reçu, pas Toi !
Oh ! ce jour ! Son souvenir durera pour moi jusqu'à l'autre
vie !"
"Tu as bien parlé. Ta miséricorde envers les pèlerins, tu la trouveras
inscrite dans le Ciel, et de même ta promptitude à croire... Dès que le temps
va s'éclaircir un peu, je vais te quitter. Eux pourraient revenir. Insistants
tant que le miracle les secoue, et puis... engourdis comme auparavant, ou
ennemis. Je m'en vais. Jusqu'à présent je suis resté pour essayer de les
convertir. Maintenant je viens et je passe, sans m'arrêter. Je vais vers mon
destin qui me presse. Dieu et l'homme m'éperonnent, et je ne puis m'arrêter.
L'amour m'aiguillonne et la haine m'aiguillonne. Celui qui m'aime peut me
suivre. Mais le Maître ne court plus après les brebis récalcitrantes."
"Ils ne t'aiment pas, Maître divin ?" demande Mathias.
"Ils ne me comprennent pas."
"Ils sont méchants."
"Ils sont appesantis par les concupiscences."
L'homme n'ose plus être en confiance comme avant. Il semble être devant un
autel. Jésus, au contraire, maintenant qu'il n'est plus l'Inconnu, est moins
réservé, et il parle au vieil homme comme à un parent.
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