| Le vendredi 8 novembre 1946. 245>  527.1 - Ils
  sont déjà sur les pentes de l'Oliveraie et les trois couples d'apôtres,
  laissés à Jéricho,
  à Tecua,
  et à Béthanie
  sont de nouveau réunis au Maître.
  Mais Judas
  de Kérioth est toujours absent et les apôtres
  en parlent à voix basse... 
 Jésus
  est d'une tristesse infinie.  Les
  apôtres, qui le remarquent, disent entre eux :
 
 "C'est certainement à cause de Lazare.
  C'est vraiment un homme fini... Et les sœurs
  font peine à voir... Le Maître ne peut même pas s'arrêter dans cette maison,
  avec tant de rancœur qui le poursuit. Cela aurait été un réconfort pour le
  malade et les sœurs, et aussi pour le Maître."
 
 "Moi, je ne puis comprendre pourquoi il ne le guérit pas !"
  s'exclame Thomas.
 
 "Ce serait juste même. Un ami... qui l'aide tant... Un juste..."
  murmure Barthélemy.
 
 "Ah ! pour être juste, c'est vraiment un juste. Je crois qu'en ces
  jours, tu t'en es persuadé..." dit le Zélote
  à Barthélemy.
 
 "Oui, c'est vrai. Et c'est vrai aussi ce que tu sous-entends. Je n'étais
  pas bien convaincu de sa justice... Avec ces relations qu'ils avaient avec
  les gentils, avec l'éducation reçue du père qui était très, très... je dirais
  condescendant à de nouvelles formes de vie différentes des nôtres..."
 
 "La mère
  était un ange" dit Simon le Zélote d'un air décidé.
 
 "C'est peut-être pour cela qu'ils sont des justes... Survolons le passé
  de Marie. Maintenant elle s'est rachetée..." dit Philippe.
 
 "Oui. Mais tout cela me rendait méfiant. Maintenant je suis vraiment
  convaincu et je m'étonne que le Maître..."
 
 
  527.2 - "Mon Frère, dit Jacques d'Alphée,
  sait évaluer la valeur des créatures. Nous en avons souffert nous aussi
  pendant très longtemps, par suite d'une jalousie naturelle, humaine, en
  voyant les étrangers exaucés plus que nous qui étions de sa famille. Mais
  maintenant nous avons compris que l'erreur était dans notre pensée et la justice dans la sienne. Nous regardions sa manière de
  faire comme de l'indifférence et même comme une dépréciation, une
  incompréhension de notre valeur. Maintenant, on a compris. 
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 246> Lui préfère attirer à Lui ceux qui sont
  difformes et informes. Lui... séduit par ses moyens infinis les âmes plus
  mesquines, plus éloignées, plus en danger. Vous rappelez-vous la parabole de
  la brebis égarée 
  ? La vérité, la clef de sa manière d'agir se trouve dans cette parabole.
  Quand il voit que ses brebis fidèles le suivent ou restent où et comme Lui
  les veut, son esprit se repose, mais il se sert de ce repos pour courir après
  celles qui sont égarées. Il sait que nous l'aimons, que Lazare et ses sœurs
  l'aiment, que les femmes disciples l'aiment et de même les bergers, aussi il
  ne perd pas son temps avec nous en des preuves spéciales d'amour. Il ne cesse
  pas de nous aimer. Il nous a toujours dans son cœur. Nous-mêmes y entrons et
  ne voulons pas en sortir. Mais les autres... les pécheurs, les égarés !... Il
  doit leur courir après, les attirer par son amour et ses miracles, par sa
  puissance. Et il le fait. Lazare, Marie
  et Marthe
  continueront de l'aimer, même sans miracle..."
 
 "C'est vrai, dit André. Pourtant... qu'aura-t-il voulu
  dire par son dernier salut ? Vous l'avez entendu : "L'amour du
  Seigneur pour vous se manifestera en proportion de votre amour. Et
  souvenez-vous que l'amour a deux ailes pour être parfait, deux ailes d'autant
  plus démesurées qu'il est plus parfait : la foi et l'espérance"."
 
 "Oui ! Qu'aura-t-il voulu dire ?" se demandent plusieurs.
 
 
  527.3 - Un silence. Puis Thomas, avec un
  grand soupir conclut son discours intérieur : 
 "...Pourtant ce n'est pas toujours que sa bonne patience obtient la
  rédemption. Moi aussi, j'ai souffert parfois pour la préférence qu'il montre
  à Judas de Kérioth..."
 
 "Préférence ? Il ne me semble pas. Il le reprend comme tout autre
  d'entre nous..." dit André.
 
 "Par justice, oui. Mais considère combien plus de rigueur mériterait cet
  homme..."
 
 "C'est vrai."
 
 "Eh bien, j'en ai souffert parfois. Mais maintenant je comprends qu'il
  le fait certainement parce que... c'est le plus informe de nous."
 
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 247> "Le plus malheureux, dois-tu
  dire, Thomas ! dit le Thaddée.
  Le plus malheureux. Vous croyez que cette tristesse (et il montre Jésus qui
  marche en avant, seul, absorbé en sa peine) Lui vient de la maladie de Lazare
  et des larmes de ses sœurs. Moi, je vous dis qu'elle vient de
  l'absence de Judas. Il espérait qu'il le rejoindrait en allant à Beth-Abara. Il espérait au
  moins le retrouver à Jéricho, Tecua ou à Béthanie au retour. À présent il
  n'espère plus. Il a la certitude que Judas agit mal. Je n'ai pas cessé de
  l'observer... et j'ai vu que son visage a pris cet aspect de déréliction
  absolue quand toi, Barthélemy, tu as dit : 'Judas n'est pas venu"
 
 
  527.4 - "Mais il connaît les choses
  avant qu'elles soient, j'en suis certain !" s'exclame Jean. 
 "Beaucoup, pas toutes. Je pense que son Père Lui en tient quelques-unes
  cachées par pitié" dit le Zélote.
 
 Les onze se divisent en deux groupes : ceux qui acceptent une version et ceux
  qui sont pour l'autre, et chacun apporte ses raisons pour soutenir la sienne.
 
 Jean s'écrie :
 
 "Oh ! moi, je ne veux écouter ni l'un ni l'autre, ni non plus moi-même !
  Nous sommes tous de pauvres hommes, et nous ne pouvons voir juste. Je vais
  trouver Jésus et Lui demander."
 
 "Non. Il pourrait penser à autre chose et avec cette question penser à
  Judas et souffrir davantage" dit André.
 
 "Mais non. Certes je ne Lui dirai pas que nous
  parlions de Judas. Je lui parlerai ainsi... sans allusion."
 
 "Va, va ! dit Pierre en poussant Jean. Cela servira à le
  distraire. Vous ne voyez pas comme il est affligé ?"
 
 "J'y vais. Qui vient avec moi ?"
 
 "Va, va seul. Avec toi, il parle sans retenue. Et ensuite tu nous
  diras..."
 
 
  527.5 - Jean y va. 
 "Maître !"
 
 "Jean ! Que veux-tu ?"
 
 Et Jésus, avec un sourire lumineux sur le visage, entoure de son bras son
  préféré, en le tenant près de Lui tout en marchant.
 
 "Nous parlions entre nous et nous avions des doutes sur une chose.
  Celle-ci : connais-tu tout l'avenir, ou bien t'est-il caché en partie ? Les
  uns disaient une chose, les autres une autre."
 
 "Et toi, que disais-tu ?"
 
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 248> "Je disais qu'il valait bien
  mieux te le demander."
 
 "Et ainsi tu es venu. Tu as bien fait. Cela au moins nous sert, à toi et
  à Moi, à jouir d'un moment d'amour... C'est si rare, désormais, de pouvoir
  avoir un peu de paix !..."
 
 "C'est vrai ! Comme ils étaient beaux les premiers temps !..."
 
 "Oui. Pour l'homme que nous sommes, oui, ils
  étaient plus beaux. Mais pour l'esprit qui est en nous, ceux-ci sont
  meilleurs, parce que maintenant la Parole de Dieu est plus
  connue et parce que nous souffrons davantage. Plus on souffre, et plus on
  rachète, Jean... Aussi, tout en se souvenant des temps sereins, nous
  devons aimer davantage ceux qui nous donnent de la douleur, et qui avec la
  douleur nous donnent des âmes. *
 
  527.6 - Mais je réponds à ta question.
  Écoute. Je n'ignore pas, comme Dieu, et je n'ignore pas, comme homme. Je connais
  les événements à venir car je suis avec le Père depuis
  avant le temps et je vois au-delà du temps. Comme homme, exempt des
  imperfections et des limites inhérentes à la Faute et aux fautes, j'ai le don
  de l'introspection des cœurs. Ce don n'est pas limité au Christ. Mais il appartient
  à des degrés divers à tous ceux qui, ayant atteint la sainteté, sont
  tellement unis à Dieu, qu'ils peuvent se dire qu'ils n'opèrent pas par
  eux-mêmes, mais avec la Perfection qui est en eux. Je puis donc te répondre
  que je n'ignore pas comme Dieu les siècles à venir, et que comme homme juste
  je n'ignore pas l'état des cœurs." 
 Jean réfléchit et se tait.
 
 Jésus le laisse un moment, puis il dit :
 
 "Par exemple, je vois en toi cette pensée : "Mais alors mon Maître
  connaît exactement l'état de Judas de Kérioth !"
 
 "Oh ! Maître !"
 
 "Oui, je le connais. Je le connais et je continue d'être son Maître, et
  je voudrais que vous continuiez d'être ses frères."
 
 "Maître saint !... Mais vraiment tu connais toujours tout ? Nous disons
  parfois que cela n'est pas, car tu vas dans des endroits où tu trouves des
  ennemis. Avant d'y aller, tu sais que tu vas les y trouver, et tu y vas pour
  les combattre par ton amour, pour les soumettre à l'amour, ou bien... tu ne
  le sais pas et tu ne vois les ennemis que quand tu les as en face et tu lis
  leurs cœurs ? Une fois tu m'as dit — tu étais si triste aussi alors, et
  toujours pour la même raison — que tu étais comme quelqu'un qui ne voit
  pas..."
 
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 249/250> "J'ai éprouvé
  aussi ce martyre de l'homme : de devoir avancer sans voir, en me confiant
  totalement à la Providence.
 
  527.7 - Je dois connaître tout de l'homme,
  sauf la faute consommée. Et cela non par l'effet d'une barrière mise par mon
  Père à la chair, au monde et au démon, mais par ma volonté d'homme. Je suis
  comme vous. Mais je sais vouloir plus que vous. Aussi je subis les tentations,
  mais je ne cède pas aux tentations et c'est en cela que réside, comme pour
  vous, mon mérite." 
 "Des tentations, Toi !... Cela me paraît presque impossible..."
 
 "Parce que tu en souffres peu. Tu es pur, et tu penses que Moi l’étant plus que toi, je ne dois pas connaître la tentation. De fait
  la tentation charnelle est si faible pour ma chasteté, qu'elle n'est jamais
  sensible au moi. C'est comme si un pétale frappait un bloc de granit sans
  fissures. Il s'en va plus loin... Le démon lui-même s'est lassé d'envoyer
  contre Moi ce dard. Mais, ô Jean, tu ne sais pas combien d'autres tentations
  m'entourent ?"
 
 "Toi ? Tu n'es pas avide de richesses ni d'honneurs... Quoi donc ?..."
 
 
  "Et tu ne penses pas que j'ai une vie,
  des affections, et des devoirs aussi, envers ma Mère, et que ces choses
  m'incitent à fuir le danger ? Lui, le Serpent, appelle cela
  "danger", mais son vrai nom c'est "Sacrifice". Et tu ne
  penses pas que Moi aussi j'ai des sentiments ? Le moi moral n'est pas absent
  en Moi, et il souffre des offenses, des mépris, des duplicités. Oh ! mon Jean
  ! Tu ne te demandes pas quel dégoût j'éprouve pour le mensonge et le menteur
  ? Sais-tu combien de fois le démon me porte à réagir à ces choses qui me
  donnent de la douleur, pour me faire sortir de la mansuétude, pour me rendre
  dur, intransigeant ? Et enfin, tu ne penses pas combien de fois souffle son
  souffle brûlant d'orgueil qui dit : "Glorifie-toi de ceci ou de cela. Tu
  es grand. Le monde t'admire. Les éléments te sont soumis !" La tentation
  de se complaire d'être saint ! La plus subtile ! Combien perdent la sainteté
  déjà acquise a cause de cet orgueil ! Comment Satan
  a-t-il corrompu Adam ? En tentant les sens, la pensée, l'esprit. Et ne
  suis-je pas l'Homme qui doit recréer l'homme ? C'est de Moi que viendra la
  nouvelle Humanité, Et voilà que Satan cherche les mêmes chemins pour
  détruire, et pour toujours, la race des fils de Dieu. 
  527.8 - Maintenant va trouver tes compagnons
  et répète-leur mes paroles. Et ne te demande pas si je sais ou si je ne sais
  pas ce que fait Judas. Pense que je t'aime. Cette pensée ne suffit-elle pas
  pour occuper un cœur ?" 
 Il lui donne un baiser et le congédie.
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