Le samedi 19 mai
1945.
54> 167.1 – Jésus, grâce à un batelier
qui l'a accueilli dans sa petite embarcation, débarque sur le
quai du jardin de Kouza. Déjà un jardinier l'a aperçu et
accourt pour Lui ouvrir le portail qui ferme aux étrangers l'entrée de la
propriété du côté du lac, un grand et solide portail mais qui est dissimulé
par une haie très haute et touffue de lauriers et de buis du côté extérieur
vers le lac, et de rosiers de toutes couleurs du côté intérieur vers la
maison. Les splendides rosiers fleurissent les feuillages couleur bronze des
lauriers et des buis, s'insinuent entre les ramilles, passent de l'autre côté
ou bien par-dessus la verte barrière et font retomber leur chevelure fleurie
au-delà. À un seul endroit, à la hauteur d'un sentier, le portail est
découvert et s'ouvre pour laisser ceux qui viennent du lac ou s'y rendent.
"La paix à cette maison et à toi, Joanna
,
Où est ta maîtresse ?"
"Là-bas, avec ses amies. Je vais l'appeler. Elles t'attendent depuis
trois jours ,
par peur d'arriver en retard."
Jésus sourit. Le serviteur s'en va en courant appeler Jeanne.
En attendant, Jésus marche lentement vers l'endroit que Lui a indiqué le
serviteur. Il admire le magnifique jardin, on pourrait dire la splendide
roseraie que Kouza a fait installer pour sa femme. Roses de toutes les
couleurs, tailles et formes, dans cette anse à l'abri du lac, rient déjà,
précoces et splendides. Il y a encore d'autres plantes à fleurs, mais la
floraison n'est pas arrivée et elles occupent une place minime en comparaison
des rosiers.
167.2 – Jeanne accourt. Elle n'a même
pas posé sa corbeille à moitié remplie de roses, ni les ciseaux qu'elle avait
pour la cueillette, et elle court ainsi, les bras tendus, agile et gracieuse
dans son riche vêtement de laine fine d'un rose très clair. Les plis sont
retenus par des broches et des épingles ornées de filigranes d'argent sur
lesquels brillent de pâles grenats.
Sur
les cheveux noirs et ondulés, un diadème en forme de mitre lui aussi en
argent avec des grenats retient un voile de byssos
très léger, rose lui aussi qui retombe par derrière en laissant découvertes
les petites oreilles qu'alourdissent des boucles semblables au diadème. Son
visage est riant, à la base du cou qui est très fin, un collier de même
facture que le reste des ornements précieux.
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55>
Elle laisse tomber sa corbeille aux pieds de Jésus et s'agenouille, au milieu
des roses éparses, pour baiser son vêtement.
"Paix à toi, Jeanne. Je suis venu."
"Et j'en suis heureuse. Elles aussi sont venues. Oh ! maintenant il
me semble que j'ai eu tort de vous faire rencontrer. Comment ferez-vous pour
vous entendre ? Elles sont tout à fait païennes !" Jeanne est
un peu agitée.
Jésus sourit, lui pose la main sur la tête: "N'aie pas peur. Nous nous
entendrons très bien. Et tu as bien fait. La rencontre sera fleurie de bien
comme ton jardin est fleuri de roses. Ramasse maintenant ces pauvres roses
que tu as laissées tomber et allons trouver tes amies."
"Oh ! des roses, il y en a tant ! Je faisais cela pour passer
le temps et puis mes amies sont tellement... tellement... voluptueuses...
Elles aiment les fleurs comme si c'était... je ne sais..."
"Mais je les aime, Moi aussi ! Tu vois que nous avons déjà trouvé
un terrain d'entente entre elles et Moi ? Allons ! Ramassons ces
roses splendides..." et Jésus se baisse pour donner l'exemple.
"Pas Toi ! Pas Toi, Seigneur ! Si c'est cela que tu veux,
voici... c'est fait."
167.2 – Ils se dirigent vers une
tonnelle qui est faite d'un entrelacement de rosiers de toutes les couleurs.
Sur le seuil, les trois romaines sont aux aguets : Plautina, Valeria et
Lydia. La première et la dernière restent à leur place, hésitantes. Valeria
court dehors et s'incline en disant : "Salut, Sauveur de ma petite Fausta !"
"Paix et lumière à toi et à tes amies."
Les amies s'inclinent sans parler.
Plautina,
nous la connaissons déjà :
grande, imposante, avec de splendides yeux noirs, un peu impérieux, sous un
front uni et très blanc, le nez droit, parfait; la bouche aux lèvres un peu épaisses,
mais bien faite; le menton rondelet, en saillie. Elle me rappelle certaines
statues très belles d'impératrices romaines. Des bagues pesantes brillent à
ses mains très belles et de larges bracelets d'or ornent ses bras, de vrais
bras de statue, au poignet et au-delà du coude qui apparaît blanc rosé, lisse
et parfait en dehors de la manche courte drapée.
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56> Lydia, au contraire, est blonde, plus
fine et plus jeune. Sa beauté n'est pas la beauté imposante de Plautina, mais
elle a toute la grâce d'une beauté féminine encore un peu jeune. Et puisque
nous sommes en domaine païen, je pourrais dire que si Plautina semble la
statue d'une impératrice, Lydia pourrait être une Diane ou une nymphe à
l'aspect aimable et pudique.
Valeria,
qui n'est plus désespérée comme quand nous l'avons vue à Césarée ,
apparaît dans sa beauté de jeune mère, aux formes pleines mais encore très
juvéniles, au regard tranquille de la mère heureuse de nourrir et de voir
grandir grâce à son lait son enfant. Le teint rose, les cheveux châtains,
elle a un sourire paisible, mais si doux.
J'ai l'impression que ce sont des dames d'un rang inférieur à Plautina et que
même par leurs regards elles vénèrent comme une reine.
167.4 – "Vous vous occupez de
fleurs ? Continuez, continuez. Nous pourrons parler même pendant que
vous cueillez ces œuvres magnifiques du Créateur que sont les fleurs et
pendant que vous les disposez, avec l'habileté dont Rome est maîtresse, dans
ces coupes précieuses pour prolonger leur existence, hélas ! trop brève...
Si nous admirons ce bouton de rose qui esquisse à peine le sourire de ses
pétales roses jaunes, comment ne pourrions-nous pas regretter de le voir
mourir ? Oh ! comme les hébreux seraient étonnés de me l'entendre
dire ! Mais c'est parce qu'en cette créature qui s'épanouit il y a une
vie. Et d'en voir la mort, cela nous peine.
Pourtant la plante est plus sage que nous.
Elle sait que sur toute blessure de la tige que l'on taille, naît un rejeton
qui donnera une nouvelle rose. Et voici alors que notre esprit doit
recueillir l'enseignement et faire, de l'amour un peu sensuel que l'on a pour
une fleur, une invitation à une pensée plus haute."
"Quelle pensée, Maître ?" demande Plautina qui écoute
attentivement et que séduit la pensée élégante du Maître hébreu.
"Celle-ci. Comme une plante ne meurt pas tant que sa racine est nourrie
par le sol, et n'est pas entraînée dans la mort par la mort de la tige, ainsi
l'humanité ne meurt pas quand cesse la vie terrestre d'un être, mais elle
développe sans cesse de nouvelles fleurs. Voici une pensée encore plus élevée, capable
de nous faire bénir le Créateur: alors que la fleur, quand elle est morte ne
revit pas et cela est triste, l'homme, endormi de son dernier sommeil, n'est
pas mort, mais
il vit d'une vie plus éclatante en recevant par
ce qu'il y a de meilleur en lui une vie éternelle et toute splendeur du
Créateur qui l'a formé.
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57> 167.5 – Aussi, Valeria, si ta petite
était morte, tu n'aurais pas perdu ses caresses. Sur ton âme serait toujours
venu le baiser de ta créature séparée mais pas oublieuse de ton amour.
Vois-tu comme il est doux d'avoir foi en une vie éternelle ? Où est
maintenant ta petite ?"
"Dans ce berceau couvert. Je ne m'en étais jamais séparée auparavant car
l'amour pour mon mari et pour ma fille étaient les deux buts de ma vie. Mais
maintenant que je sais ce que c'est que de la voir mourir, je ne la quitte
pas un seul instant."
Jésus se dirige vers un banc sur lequel est posé une sorte de petit berceau
de bois, recouvert d'une riche couverture. Il la découvre et regarde la petite
qui dort et que l'air plus vif éveille doucement. Ses petits yeux s'ouvrent
étonnés et un sourire d'ange ouvre sa bouche alors que ses menottes, tout à
l'heure fermées, s'ouvrent, désireuses de saisir les cheveux ondoyants de
Jésus pendant qu'un babil de moineau marque en sa pensée le déroulement d'un
discours. Enfin, elle crie le grand mot, le mot universel "Maman !"
"Prends-la, prends-la, dit Jésus, qui s'écarte pour permettre à Valeria
de se pencher sur le berceau.
"Mais, elle va t'ennuyer !... Je vais appeler une esclave et je la
ferai conduire dans le jardin."
"M'ennuyer ? oh, que non ! Jamais les enfants ne m'ennuient.
Ils sont toujours mes amis."
"Tu as des enfants ou des neveux, Maître ?" demande Plautina
qui observe avec quels sourires Jésus essaie de faire rire la
petite.
"Je n'ai ni enfants ni neveux, mais j'aime les enfants comme j'aime les
fleurs, parce qu'ils sont purs et sans malice. Et même, ô femme, donne-moi ta
petite. Il m'est si doux de serrer sur mon cœur un petit ange."
Et il s'assied avec la petite qui l'observe et Lui dépeigne la barbe, et puis
trouve plus intéressant de s'amuser avec les franges du manteau et le cordon
du vêtement auxquels elle adresse un long et mystérieux discours.
167.6 – Plautina dit :
"Notre amie, bonne et sage, une des rares qui ne nous dédaignent pas
et ne se gâte pas dans notre fréquentation, t'aura dit que nous avons désiré
te voir et t'entendre pour te juger d'après ce que tu es. Car Rome ne croit
pas aux fables... Pourquoi souris-tu Maître ?"
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58> "Après je te le dirai,
continue."
"Car Rome ne croit pas aux fables et elle veut juger avec science et
conscience avant de condamner et d'exalter. Ton peuple t'exalte et te calomnie
de la même façon. Tes œuvres porteraient à t'exalter, les paroles de nombreux
hébreux à te croire un peu moins qu'un criminel. Tes paroles sont solennelles
et sages comme celles d'un philosophe. Rome a beaucoup d'amour pour les
doctrines des philosophes et... je dois le dire, les philosophes actuels
n'ont pas une doctrine qui nous satisfasse ,
surtout parce que leur manière de vivre n'y correspond pas."
"Ils ne peuvent avoir une manière de vivre qui corresponde à leur
doctrine."
"Parce qu'ils sont païens, n'est-ce pas ?"
"Non. Parce qu'ils sont athées."
"Athées ? Ils ont leurs dieux."
"Ils ne les ont même plus, femme. Je te
rappelle les anciens philosophes, les plus grands. Ils étaient païens, eux aussi, mais regarde quelle
élévation de vie ils ont eue ! Mélangée à l'erreur, parce que l'homme
est porté à l'erreur. Mais, quand ils se sont trouvés devant les mystères les
plus grands: la vie et la mort, quand ils ont été mis en face du dilemme :
Honnêteté ou Malhonnêteté, Vertu ou Vice, Héroïsme ou Lâcheté, quand ils ont
pensé qu'en se tournant vers le mal il en serait résulté du mal pour la
patrie et pour les citoyens, voilà qu'alors avec leur volonté de géants ils
ont rejeté loin d'eux les tentacules des mauvais polypes
et, libres et saints, ils ont su vouloir le Bien à tout prix. Ce Bien qui
n'est autre chose que Dieu."
167.7 – "Tu es Dieu, dit-on.
Est-ce vrai ?"
"Je suis le Fils du Dieu Vrai, fait Chair en demeurant Dieu."
"Mais, qu'est-ce que Dieu ? Le plus grand des maîtres, si nous te
regardons."
"Dieu est bien plus qu'un maître. Ne rabaissez pas l'idée sublime de la
divinité en la limitant à la sagesse."
"La sagesse est une divinité. Nous
avons Minerve. C'est la déesse du savoir. "
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59> "Vous avez aussi Vénus, déesse
du plaisir. Pouvez-vous admettre qu'un dieu, c'est-à-dire un être supérieur
aux mortels possède, porté à la perfection, tout ce qui est laideur chez les
mortels ? Pouvez-vous penser qu'un être éternel ait éternellement les
petits, mesquins, avilissants plaisirs de celui qui ne jouit que d'un temps
limité ? Et qu'il en fasse le but de sa vie ? Ne pensez-vous pas
quel ciel dégoûtant est ce que vous appelez Olympe
où fermentent les plus mauvaises tendances de l'humanité ? Si vous
regardez votre Ciel, que voyez-vous ? Luxure, crimes, haine, guerres,
vols, ripailles, pièges, vengeances. Si vous voulez célébrer les fêtes de vos
dieux, que faites-vous ? Des orgies. Quel culte leur rendez-vous ?
Où est la vraie chasteté de celles qui sont consacrées à Vesta ?
Sur quel code divin s'appuient vos pontifes pour rendre un jugement ?
Quelles paroles peuvent lire vos augures dans le vol des oiseaux ou dans le
fracas du tonnerre ?
Et les entrailles sanglantes des animaux sacrifiés quelles réponses
peuvent-elles fournir à vos haruspices ?
Tu as dit : "Rome ne croit pas aux fables". Et alors pourquoi
croit-elle que douze pauvres hommes, en faisant faire le tour des champs à un
porc, une brebis et un taureau et en les immolant ensuite, puissent se rendre
propice Cérès ,
si vous avez une infinité de divinités qui se détestent entre elles et aux
vengeances desquelles vous croyez ? Non. Dieu est bien autre chose. Il
est Éternel, Unique et Spirituel."
"Mais, tu dis que tu es Dieu, et tu es chair."
"Il y a dans la patrie des dieux un autel qui n'est dédié à aucun d'eux.
La sagesse humaine l'a dédié au Dieu inconnu .
Parce que les sages, les vrais philosophes, ont eu l'intuition qu'il existe
quelque chose en dehors de ces histoires inventées à l'usage des éternels
enfants que sont les hommes dont les esprits sont enveloppés dans les
bandeaux de l'erreur. Si maintenant ces sages - qui ont eu l'intuition qu'il
existe quelque chose en dehors de ces mises en scène mensongères, quelque
chose de vraiment sublime et divin qui a fait tout ce qui existe et d'où
vient tout ce qu'il y a de bon dans le monde - ont voulu un
autel pour le Dieu inconnu, dont ils avaient le sentiment que c'était le Vrai
Dieu, comment pouvez-vous donner le nom de dieu à ce qui n'est pas dieu et
dire que vous savez ce qu'en réalité vous ne savez pas ? Sachez donc ce
qu'est Dieu pour pouvoir le connaître et l'honorer.
167.8 – Dieu est celui qui par sa
pensée a fait du Néant le Tout. La fable des pierres changées en hommes
peut-elle vous persuader et vous satisfaire ? En vérité, il y a des
hommes plus durs et plus mauvais que la pierre et il y a des pierres qui sont
plus utiles que l'homme.
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60> Ne t'est-il pas plus doux, Valeria,
de penser en regardant ta petite fille : "C'est une vivante volonté
de Dieu créée et formée par Lui, dotée par Lui d'une seconde vie qui ne meurt
pas de sorte que je l'aurai encore, ma petite Fausta et pour l'éternité, si
je crois au Dieu Vrai"; au lieu de dire : "Cette chair rose,
ces cheveux plus fins que les fils de l'araignée, ces pupilles sereines
viennent d'une pierre" ? Ou encore de dire : "Je suis en
tout semblable à la louve ou à la jument et comme une brute je m'accouple,
comme une brute j'engendre, comme une brute je l'élève, et cette fille est le
fruit de mon instinct de brute et elle est une brute qui me ressemble, et demain,
quand elle sera morte, quand je serai morte, nous serons deux charognes qui
se dissoudront dans la puanteur et qui, jamais plus, ne se
reverront" ? Dis-moi ce que ton cœur de mère voudrait de ces deux
explications."
"La seconde, certainement pas, Seigneur !
Si j'avais su que Fausta n'était pas une chose qui pouvait pour toujours se
décomposer, ma douleur, en son agonie, aurait été moins terrible. Car je me
serais dit : "J'ai perdu une perle, mais elle existe encore, et je
la retrouverai".
"Tu l'as dit.
167.9 – Quand je suis venu vers vous,
votre amie m'a dit qu'elle s'étonnait de votre passion pour les fleurs. Et
elle craignait que cela pût me choquer, mais je l'ai rassurée en
disant : "Moi aussi, je les aime et nous nous entendrons donc
vraiment bien". Mais je veux vous amener à aimer les fleurs, comme
j'amène Valeria à aimer son enfant dont, j'en suis certain, elle aura un plus
grand soin maintenant qu'elle sait qu'elle a une âme qui est une parcelle de
Dieu
enfermée dans une chair engendrée par elle, la maman; une parcelle qui ne
meurt pas et que la maman retrouvera au Ciel, si elle croit au Dieu Vrai.
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61> Il en est ainsi de vous. Regardez
cette rose splendide. La pourpre qui orne le vêtement impérial est moins
splendide que ce pétale, qui non seulement est la joie des yeux pour sa
couleur, mais joie du toucher pour sa délicatesse et de l'odorat pour son
parfum. Et regardez celle-ci encore, et celle-là et cette autre. La première
c'est du sang qui a coulé d'un cœur, la seconde c'est de la neige qui vient
de tomber, la troisième c'est de l'or clair, la dernière semble cette douce
figure d'enfant qui sourit sur mes genoux. Et encore : la première est
raide sur une grosse tige, presque sans épines avec un feuillage rougeâtre,
comme si on l'avait aspergé de sang; la seconde a quelques épines avec des
feuilles mates et pâles le long de la tige; la troisième est flexible comme
un jonc avec des feuilles petites et brillantes comme une cire verte; la
dernière semble barrer la route à toute tentative de saisir sa corolle rose
tant elle est parsemée d'épines. Elle semble une lime aux pointes très fines.
Maintenant réfléchissez. Qui a fait tout cela ? Comment ?
Quand ? Où ? Qu'était cet endroit dans la nuit des temps ?
Ce n'était rien, rien que des éléments qui s'agitaient sans forme. Un seul,
Dieu, a dit : "Je veux" et les éléments se séparèrent en se
groupant par familles. Un second "Je veux" retentit et ils se
rangèrent l'un dans l'autre: l'eau au milieu des terres; l'un au-dessus de
l'autre : l'air et la lumière sur la planète organisée. Encore un
"Je veux" et ce furent les plantes et puis ce furent les étoiles et
puis les animaux et puis l'homme. Et pour que l'homme eût plaisir, comme de
jouets splendides, Dieu offrit à son préféré des fleurs, des astres et comme
dernier don lui donna la joie de procréer non ce qui meurt, mais ce qui
survit à la mort par le don de Dieu qu'est l'âme. Ces roses sont autant de
volontés du Père. Son infinie puissance se manifeste dans une infinité de
beautés.
167.10 – Mes explications sont
entravées parce qu'elles se heurtent au bronze résistant de vos croyances.
Mais j'espère que pour une première rencontre nous nous sommes déjà un peu
compris. Que votre âme travaille sur ce que j'ai dit. Avez-vous des questions
à poser ? Posez-les. Je suis ici. pour vous éclairer. L'ignorance n’est
pas chose honteuse. Il est honteux de rester dans l'ignorance quand il y a
quelqu'un tout disposé à éclairer les doutes."
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62> Et Jésus, comme s'il était le plus
adroit des pères, sort de la tonnelle en soutenant la petite qui fait ses
premiers pas et qui veut aller vers un jet d'eau qui ondule au soleil.
167.11 – Les dames restent où elles
sont pour parler entre elles. Et Jeanne, prise entre deux désirs, reste sur
le seuil de la tonnelle...
Enfin Lydia se décide, et après elle les autres, et va vers Jésus qui rit
parce que la petite veut saisir le spectre solaire que produit le jet d'eau
et ne prend que la lumière et elle insiste, insiste, piaillant comme un
poussin avec ses lèvres roses.
"Maître... je n'ai pas compris pourquoi tu as dit que nos maîtres ne
peuvent avoir une bonne manière de vivre, puisqu'ils sont athées. Ils croient
à un Olympe, mais ils croient..."
"Ils n'ont plus que l'extérieur de la croyance. Tant qu'ils ont vraiment
cru, comme les vrais sages ont cru à cet Inconnu dont je t'ai parlé, à ce
Dieu qui satisfaisait leur âme, même s'Il n'avait pas de nom, même sans le
vouloir, tant qu'ils ont tourné leur pensée vers cet Etre, bien supérieur, bien supérieur aux pauvres
dieux pleins d'humanité et de
basse humanité, que le paganisme leur avait donnés, ils ont,
nécessairement, un peu reflété Dieu. L'âme est un miroir qui reflète et un
écho qui résonne."
"Quoi, Maître ?"
"Dieu."
"C'est une grande parole !"
"C'est une grande vérité."
167.12 – Valeria, que séduit la pensée
de l'immortalité, demande:
"Maître, explique-moi où est l'âme de ma petite. Je baiserai cet endroit
comme un sanctuaire et l'adorerai puisque c'est une partie de Dieu."
"L'âme !
C'est comme cette lumière que ta petite Fausta veut saisir et elle ne le peut
parce qu'elle est incorporelle. Mais elle existe. Moi, toi, tes amies, la
voient. L'âme est visible aussi en tout ce qui différencie l'homme de la
brute. Quand ta petite te dira ses premières pensées, pense que cette
intelligence c'est son âme. Quand elle t'aimera non par instinct mais par
raison, pense que cet amour c'est son âme. Quand elle grandira à tes côtés,
belle non seulement en son corps mais en sa vertu, pense que cette beauté
c'est son âme. Et n'adore pas l'âme, mais Dieu qui l'a créée, Dieu qui veut
se faire un trône de toute âme bonne."
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63> "Mais, où est cette chose
incorporelle et sublime ? Dans le cœur ? dans le
cerveau ?"
"Elle est dans tout ce qu'est l'homme. Elle vous contient et elle est
contenue en vous. Quand elle vous quitte, vous devenez des cadavres. Quand
elle est tuée par un crime que l'homme commet contre lui-même, vous êtes
damnés, séparés pour toujours de Dieu."
"Tu admets donc que le philosophe qui nous a déclarés
"immortels" avait raison, bien que païen ?"
demande Plautina.
"Je ne l'admets pas. Je fais davantage. Je dis que c'est un article de
foi. L'immortalité de l'âme, c'est-à-dire l'immortalité de la partie
supérieure de l'homme est le mystère le plus certain et le plus consolant de
la croyance. C'est ce qui nous donne l'assurance de notre origine, de notre but,
de ce que nous sommes, et nous enlève l'amertume de toute séparation."
167.13 – Plautina réfléchit
profondément. Jésus l'observe et se tait. Enfin elle demande:
"Et Toi, tu as une âme ?"
Jésus répond :
"Certainement."
"Mais, es-tu Dieu ou non ?"
"Je suis Dieu. Je te l'ai dit. Mais
maintenant, j'ai
pris une nature d'homme. Et sais-tu pour quel motif ?
Parce que, par ce sacrifice seulement je pouvais résoudre les difficultés qui
dépassent votre raison, et après avoir abattu l'erreur, en libérant la
pensée, je pouvais libérer aussi l'âme d'un esclavage que pour l'heure je ne
puis t'expliquer. C'est pour cela que j'ai enfermé la Sagesse dans un corps,
la Sainteté dans un corps. La Sagesse, je la répands comme la semence sur la
terre, comme le pollen aux vents. La Sainteté, comme d'une amphore précieuse
que l'on a brisée, coulera sur le monde à l'heure de la Grâce et sanctifiera
les hommes. Alors, le Dieu Inconnu sera connu."
"Mais tu es déjà connu, ceux qui mettent en doute ta puissance et ta
sagesse sont mauvais ou menteurs."
"Je suis connu. Mais ce n'est qu'une aube. Le midi sera rempli de la
connaissance de Moi."
"Que sera ton midi ? Un triomphe ? Le verrai-je,
moi ?"
"En vérité, ce sera un triomphe, et tu y seras .
Car tu as la nausée de ce que tu sais et le désir de ce que tu ignores. Ton
âme a faim."
"C'est vrai ! J'ai faim de vérité."
"Je suis la Vérité."
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64/65> "Donne-toi
alors à moi qui suis affamée."
"Tu n'as qu'à venir à ma table. Ma parole est pain de vérité."
167.14 – "Mais, que diront nos
dieux si nous les abandonnons ? Ne se vengeront-ils pas sur nous?»
demande Lydia craintive.
"Femme, as-tu jamais vu le brouillard du matin ? Les prés
disparaissent sous une vapeur qui les cache. Vient le soleil et le brouillard
s'évapore. Les prés resplendissent plus beaux. Vos dieux, c'est cela, le
brouillard d'une pauvre pensée humaine. Elle ignore Dieu et elle a besoin de
croire car la foi est l'état permanent et nécessaire de l'homme. Alors elle a
créé cet Olympe, vraie fable illusoire. Ainsi vos dieux au lever du
Soleil : le Dieu vrai, se dissiperont dans vos cœurs sans pouvoir vous
nuire, car ils n'existent pas."
"Il faudra t'écouter encore... beaucoup... Nous sommes absolument devant
l'inconnu. Tout ce que tu dis est nouveau."
"Mais cela te répugne-t-il ? Ne peux-tu l'accepter ?"
Plautina répond avec assurance :
"Non, je me sens plus fière de ce peu que maintenant je sais, - et que
César ne connaît pas -, que de mon nom."
167.15 – "Et alors, persévère. Je
vous laisse avec ma paix."
"Mais comment ? Tu ne restes pas, mon Seigneur ?" dit
Jeanne désolée.
"Je ne reste pas. J'ai beaucoup à faire..."
"Oh ! moi qui voulais te dire ma peine !"
Jésus, qui s'est mis en route après les salutations des romaines, se retourne
et dit:
"Viens jusqu'à la barque. Tu me diras ton ennui."
Jeanne va et dit :
"Kouza veut m'envoyer pour quelque temps à Jérusalem et j'en suis
chagrinée. Il le fait car il ne veut pas que je sois davantage reléguée,
maintenant que je suis en bonne santé..."
"Toi aussi, tu te crées des nuées illusoires !"
Jésus a déjà un pied dans la barque.
"Si tu pensais qu'ainsi tu pourras me donner l'hospitalité et me suivre
plus facilement, tu serais contente et tu dirais : "La Bonté y a
pensé".
"Oh !... c'est vrai, mon Seigneur ! Je n'avais pas
réfléchi."
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