Vision du jeudi
21 juin 1945
322> La matinée du sabbat a été occupée en
majeure partie à reposer les corps fatigués et à remettre en état les
vêtements empoussiérés et froissés par le voyage. Dans les grandes citernes
de Gethsémani, que l'eau de pluie a remplies, et dans le Cédron qui chante
sur les pierres de son lit, écumeux et rempli par les eaux des jours
précédents, il y a tant d'eau que c'est une véritable invitation. L'un après
l'autre les pèlerins, défiant la fraîcheur, s'y plongent, et puis, revêtus à
nouveau de pied en cap, avec les cheveux encore plaqués par les embruns du
torrent, ils puisent de l'eau dans les citernes pour la reverser dans des
bassins où l'on a mis les vêtements, couleur par couleur.
"Oh ! bien !" dit Pierre content. "Là, ils vont
tremper et Marie se fatiguera moins à les laver" (je suppose que c'est
la femme de Gethsémani).
"Toi seul, petit, tu ne peux te changer. Mais demain..." En effet
l'enfant a un petit vêtement propre qu'il a tiré de son petit sac, un sac qui
pourrait suffire à une poupée tant il est petit. Mais le petit vêtement est
encore plus délavé et plus déchiré que l'autre et Pierre le regarde avec appréhension
en murmurant : "Comment vais-je faire pour le conduire à la
ville ? Plié en deux, mon manteau ferait à peu près l'affaire, car, avec
un manteau... il serait couvert tout entier."
Jésus, qui entend ce soliloque paternel, lui dit : "Il vaut mieux
le faire reposer maintenant. Ce soir nous irons à Béthanie..."
"Mais je veux lui acheter un vêtement. Je le lui ai promis..."
"Certainement tu le feras, mais il vaut mieux prendre conseil de la
Mère. Tu sais. ..les femmes. ..elles sont plus capables que nous pour les
achats... et elle sera heureuse de s'occuper d'un enfant.., Vous irez
ensemble !"
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323> La pensée d'aller avec Marie
faire les achats transporte l'apôtre au septième ciel. Je
ne sais pas si Jésus dit toute sa pensée ou s'il n'en garde pas pour Lui une
partie, à savoir qu'il aurait pu dire que sa Mère a un goût plus fin pour
éviter un bariolage de couleurs de mauvais goût. En fait il atteint le but en
évitant de mortifier son Pierre.
Ils se répandent dans l'oliveraie, si belle en ce jour serein d'avril. La
pluie des jours précédents semble avoir argenté les oliviers et semé des
fleurs, tant les frondaisons resplendissent au soleil et tant sont nombreuses
les fleurettes aux pieds des oliviers. Les oiseaux chantent et volent de tous
côtés. La ville s'étend là-bas, à l'ouest de Gethsémani.
On ne voit pas le fourmillement de la foule à l'intérieur, mais on voit les
caravanes qui se dirigent vers la Porte des Poissons et d'autres
Portes à l'est, dont je ne sais pas le nom, et puis la ville les engloutit
comme un ventre famélique.
Jésus se promène en observant Jabé qui joue
joyeusement avec Jean et les plus jeunes. Même, l'Iscariote, une fois passé
son dépit d'hier, est joyeux et joue. Les plus âgés les regardent et
sourient.
"Que dira ta Mère, de cet enfant ?" demande Barthélemy.
"Moi, je dis qu'elle dira : "Il est bien chétif" dit
Thomas.
"Oh ! non ! Elle dira : "Pauvre enfant !"
répond Pierre.
"Elle te dira, au contraire : "Je suis contente que tu
l'aimes" objecte Philippe.
"La Mère n'en aurait jamais douté. Mais je crois qu'elle ne parlera pas.
Elle le prendra sur son cœur" dit le Zélote.
"Et Toi, Maître, que penses-tu qu'elle dira ?"
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324> "Elle fera ce que vous
dites. Mais beaucoup de choses, toutes même, elle les pensera et les dira en
son cœur et, dans un baiser, elle lui dira seulement : "Que tu sois
béni !" et elle le soignera comme si c'était un oiseau tombé du
nid. Un jour, écoutez, elle me racontait un fait
de quand elle était toute petite. Elle n'avait pas encore trois ans car elle
n'était pas encore au Temple, et son cœur se brisait d'amour en donnant,
comme des fleurs et des olives écrasées et pressurées sous le pressoir, toute
son huile et tous ses parfums. Dans son délire d'amour, elle disait à sa mère
qu'elle voulait être vierge pour plaire davantage au Sauveur, mais qu'elle
aurait voulu être une pécheresse pour pouvoir être sauvée. Et elle pleurait
presque, parce que sa mère ne la comprenait pas et ne savait lui dire comment
on peut faire Pour être en même temps la "pure" et la "pécheresse".
Son père lui donna la paix, en lui apportant un petit moineau qu'il avait
sauvé alors qu'il était en danger sur le bord de la fontaine. Il lui dit la
parabole du petit oiseau en expliquant que Dieu l'avait sauvée d'avance et
que, pour ce motif, elle devait Le bénir deux fois. Et la petite Vierge de
Dieu, la très grande Vierge Marie, exerça sa première maternité spirituelle
envers cet oisillon qu'elle libéra quand il fut capable de voler. Mais il ne
quitta jamais le jardin de Nazareth, consolant par ses vols et ses pépiements
la triste maison et les tristes cœurs d'Anne et de Joachim après le départ de
Marie au Temple. Il mourut peu de temps avant qu'Anne rendit le dernier
soupir... Il avait terminé sa mission... Ma Mère s'était vouée à la virginité
par amour. Mais, étant une créature parfaite, elle avait la maternité dans le
sang et dans l'esprit. Car la femme est faite pour être mère, et c'est une
aberration quand elle est sourde à ce sentiment qui est un amour de seconde
puissance..."
Les autres aussi se sont approchés tout doucement. "Que veux-tu dire,
Maître, en parlant d'amour de seconde puissance ?" demande Jude
Thaddée.
"Mon frère, il y a plusieurs amours et
de puissances différentes. Il y a l'amour de première puissance : celui que
l'on donne à Dieu. Puis l'amour de seconde puissance :
l'amour maternel ou paternel, parce que si le premier est entièrement
spirituel, celui-ci est pour deux parts spirituel et pour une seule charnel.
Il s'y mêle, oui, le sentiment d'affection humaine, mais l'amour supérieur
prédomine. En effet un père et une mère qui sont sainement et saintement tels
ne se contentent pas de donner aliments et caresses à la chair de leur
enfant, mais aussi nourriture et amour à l'âme et à l'esprit de leur enfant.
Et c'est si vrai ce que je dis, que celui qui se voue à l'enfance ne
serait-ce que pour l'instruire, finit par l'aimer comme si c'était sa propre
chair."
"Moi, en effet, j'aimais beaucoup mes élèves" dit Jean d'Endor.
"J'ai compris que tu devais être un bon maître, en voyant comment tu te
comportes avec Jabé."
L'homme d'Endor s'incline et baise la main de Jésus sans parler.
"Continue, je t'en prie, ta classification des amours" demande le
Zélote.
"Il y a l'amour pour la compagne. C'est
un amour de troisième puissance parce qu'il est fait par moitié - je parle
des amours qui sont sains et saints - d'esprit et par moitié de chair. L'homme,
pour son épouse, est un maître et un père en plus d'être époux. Et la femme,
pour son époux, est un ange et une mère, en plus d'être épouse. Ce sont les
trois amours les plus élevés."
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325> "Et l'amour du
prochain ? Ne te trompes-tu pas ? Ou l'as-tu oublié ?"
demande l'Iscariote.
Les autres le regardent étonnés et... indisposés par son observation.
Mais Jésus répond tranquillement : "Non, Judas. Mais regarde de
près : Dieu, on l'aime, parce qu'Il est Dieu et aucune explication n'est
nécessaire pour encourager cet amour. Il est Celui qui est, c'est-à-dire le
Tout; et l'homme c'est le Rien qui devient une partie du Tout par l'âme que
lui infuse l'Éternel. Sans elle, l'homme serait un des animaux brutes qui vivent sur la terre ou dans les eaux ou dans
l'air. Il doit aimer Dieu par devoir et pour mériter de survivre dans le
Tout, c'est-à-dire pour mériter de devenir une partie du Peuple saint de Dieu
au Ciel, citoyen de la Jérusalem qui ne connaîtra éternellement ni
profanation ni destruction.
L'amour de l'homme, et spécialement de la femme, pour ses enfants, a valeur
de commandement. Dans les paroles de Dieu à Adam et à Ève, après les avoir
bénis, voyant qu'il avait fait une "chose bonne" dans un
lointain sixième jour, le premier sixième jour de la création, Il leur dit:
"Croissez et multipliez-vous et remplissez la terre...".
Je vois l'objection que tu n'exprimes pas et je te réponds tout de suite
ainsi : dans la création, avant la faute, tout était réglé et basé sur
l'amour. Cette multiplication des enfants aurait été amour saint, pur,
puissant, parfait. Et Dieu l'avait donnée à l'homme comme premier
commandement: "Croissez, multipliez-vous". Aimez, par conséquent,
après Moi, vos enfants. L'amour, tel qu'il existe maintenant : celui qui
actuellement engendre des enfants, alors n'existait pas. La malice n'existait
pas, et n'existait pas avec elle l'exécrable faim des sens. L'homme aimait la
femme et la femme aimait l'homme, naturellement, non pas naturellement selon
la nature telle que nous l'entendons, ou plutôt telle que vous, hommes,
l'entendez, mais selon la nature de fils de Dieu :
surnaturellement. Doux premiers jours d'amour entre les deux qui étaient
frères, parce que nés d'un Père unique et qui pourtant étaient époux et qui,
dans leur amour, se regardaient avec les yeux innocents de deux jumeaux au
berceau. Et l'homme éprouvait l'amour d'un père pour sa compagne "os de
ses os et chair de sa chair",
comme l'est un fils pour un père. Et la femme connaissait la joie d'être
fille, c'est-à-dire protégée par un amour très haut car elle sentait qu'elle
possédait en elle quelque chose de cet homme magnifique qui l'aimait avec
innocence et avec une angélique ardeur dans les belles prairies de
l'Eden !
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326> Ensuite, dans l'ordre
des commandements que Dieu a donné avec un sourire à ses petits enfants bien aimés, se présente celui qu'Adam
lui-même doué par la Grâce d'une intelligence qui n'avait au-dessus d'elle
que celle de Dieu, exprime, en parlant de sa compagne et en elle de toutes
les femmes, le décret de la pensée de Dieu qui se réfléchissait avec netteté
dans le pur miroir de l'esprit d'Adam où naissait une fleur de pensée et de
parole: "L'homme quittera son père et sa mère et s'unira à sa femme; les
deux seront une seule chair'
Si les trois piliers des trois amours dont je viens de parler n'avaient pas
existé, l'amour du prochain aurait-il pu exister ? Non, il n'aurait pas
pu exister. L'amour de Dieu nous donne Dieu pour ami et enseigne l'amour.
Celui qui n'aime pas Dieu qui est bon, ne peut certainement pas aimer le
prochain qui le plus souvent a des défauts. S'il
n'y avait pas eu l'amour conjugal et la paternité dans le monde, il n'aurait
pas pu y avoir de prochain car le prochain est fait de l'ensemble des fils
nés des hommes. En es-tu persuadé ?"
"Oui, Maître. Je n'avais pas réfléchi."
"En fait, il est difficile de remonter aux sources. L'homme est
désormais enfoncé depuis des siècles et des millénaires dans la boue, et ces
sources sont si haut sur les cimes ! Puis la première est une source qui
vient d'une hauteur abyssale : Dieu... Mais je vous prends par la main
et je vous conduis aux sources. Je sais où elles sont..."
"Et les autres amours ?" demandent en même temps Simon le
Zélote et l'homme d'Endor.
"Le premier de la seconde série est celui du prochain. En réalité, c'est
le quatrième en puissance. Puis vient l'amour de la science et puis l'amour
du travail"
"Et c'est tout ?"
"C'est tout."
"Mais il y a beaucoup d'autres amours !" s'exclame Judas
Iscariote.
"Non, il y a d'autres faims, mais ce ne
sont pas des amours. Ce sont des "absences d'amour". Elles nient
Dieu, elles nient l'homme. Pour cette raison elles ne peuvent être des amours
car ce sont des négations, et la Négation c'est la Haine."
"Si je refuse de consentir au mal, est-ce encore de la
Haine ?" demande encore Judas Iscariote.
"Pauvres de nous ! Mais tu es plus ergoteur qu'un scribe !
Dis-moi ce que tu as ? Est-ce l'air vif de la Judée qui t'excite les
nerfs, comme une crampe ?" s'exclame Pierre.
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327> "Non. J'aime m'instruire
et avoir beaucoup d'idées et qui soient claires. Ici, il est facile de parler
justement avec les scribes. Je ne veux pas rester à court d'arguments."
"Et crois-tu pouvoir au bon moment sortir l'effilochure de la couleur
réclamée du sac où tu conserves tous ces chiffons ?" demande
Pierre.
"Chiffons, les paroles du Maître ? Tu blasphèmes !"
"Ne fais pas le scandalisé. Dans sa bouche à Lui, ce ne sont pas des
chiffons. Mais, une fois que nous avons déformé ses paroles, c'est ce
qu'elles deviennent... Essaie de mettre du byssos précieux dans les
mains d'un enfant... Après peu de temps, c'est une loque sale et déchirée.
C'est ce qui nous arrive à nous... Maintenant, si tu prétends pêcher au bon
moment la loque qu'il te faut qui n'est qu'une loque et qui est sale...
hum ! je ne sais pas ce que tu en feras."
"N'y pense pas. Ce sont mes affaires."
"Oh ! sois bien tranquille que je n'y pense pas ! J'en ai
assez des miennes. Et puis !... Je me contente que tu ne fasses pas
subir de dommage au Maître car, dans ce cas, je penserais aussi à tes
affaires..."
"Quand j'agirai mal, tu le feras : Mais cela n'arrivera pas car je
sais y faire... Je ne suis pas un ignorant, moi..."
"Je le suis, moi, je le sais. Mais c'est parce que je le sais que je ne
fais pas de réserves, pour les sortir ensuite au bon moment. Je me recommande
à Dieu, et Dieu m'aidera pour l'amour de son Messie dont je suis le serviteur
le plus insignifiant et le plus fidèle."
"Fidèles, nous le sommes tous !" réplique Judas avec
arrogance.
"Oh ! méchant !" dit Jabé avec
sévérité, rompant le silence qu'il gardait attentivement. "Pourquoi
offenses-tu mon père ? Il est âgé, il est bon. Tu ne dois pas. Tu es un
homme méchant, et tu me fais peur."
"Et de deux !" dit à voix basse Jacques de Zébédée en donnant
un coup de coude à André.
Il a parlé doucement, mais l'Iscariote a entendu. "Tu vois, Maître, si
les paroles de cet imbécile d'enfant de Magdala ont laissé un souvenir ?"
dit Judas, rouge de dépit.
"Mais ne vaudrait-il pas mieux continuer la leçon du Maître, au lieu de
sembler être des petits boucs coléreux ?" demande le pacifique
Thomas.
"Mais oui; Maître" s'exclame Mathieu. "Parle-nous encore de ta
Mère. Elle est si lumineuse son enfance ! Son reflet nous rend l'âme
vierge et moi, pauvre pécheur, j'en ai tant besoin !"
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328> "Que dois-je
dire ? Il y a tant d'épisodes, tous plus doux l'un que l'autre..."
"C'est elle qui te les a racontés ?"
"Quelques-uns. Mais Joseph beaucoup plus. C'est lui qui m'a fait les
plus beaux récits quand j'étais un petit enfant. Et aussi Alphée de Sara qui,
étant de quelques années plus âgé que ma Mère, fut son ami pendant les
quelques années qu'elle fut: à Nazareth."
"Oh ! raconte ..." demande instamment Jean. Ils sont tous en
cercle, assis à l'ombre des oliviers avec au milieu Jabé
qui regarde fixement Jésus, comme s'il entendait un conte paradisiaque.
"Je vais vous dire la leçon de chasteté
que donna ma Mère, peu de jours avant son entrée au Temple, à son petit ami
et à beaucoup d'autres.
Ce jour-là s'était mariée une jeune fille de Nazareth parente de Sara.
Joachim et Anne avaient été invités aussi aux noces. Avec eux la petite Marie
qui, avec d'autres enfants, était chargée de jeter des pétales effeuillés sur
le chemin de l'épouse. On dit qu'elle était très belle, quand elle était
petite et tout le monde se la disputait, après la joyeuse entrée de l'épouse.
Il était très difficile de voir Marie parce qu'elle vivait beaucoup à la
maison, affectionnant une petite grotte plus qu'un autre lieu et qu'elle
appelle toujours la grotte "de ses fiançailles". Aussi, quand on la
voyait blonde, rose, gracieuse, on l'accablait de caresses. On
l'appelait : "La Fleur de Nazareth" ou bien : "La
Perle de la Galilée" ou encore : "La Paix de Dieu" en
souvenir d'un énorme arc-en-ciel qui était survenu à l'improviste pour son
premier vagissement. Elle était et elle est en effet tout cela et plus encore.
C'est la Fleur du Ciel et de la création, c'est la Perle du Paradis et la
Paix de Dieu... Oui, la Paix. Je suis le Pacifique car je suis le Fils du
Père et le fils de Marie : la paix infinie et la Paix suave.
Ce jour-là, tous voulaient lui donner des baisers et la prendre sur leurs genoux.
Et elle, écartant les baisers et les contacts, disait avec une gravité
gentille : "Je vous en prie, ne me froissez pas". On croyait
qu'elle parlait de son habit de lin ceint à la taille d'une bande bleue et
aussi de ses petits poignets et de son cou... ou de la petite guirlande de
fleurs bleues dont Anne l'avait couronnée pour tenir en place les boucles de
ses cheveux. On l'assurait qu'on ne froisserait ni son vêtement ni sa
guirlande. Mais elle, avec assurance, petite femme de trois ans debout au milieu
d'un cercle de grandes personnes, dit avec sérieux : "Je ne pense
pas à ce qui se répare. Je parle de mon âme. Elle appartient à Dieu et
je veux que Dieu seul y touche". On lui objectait : "Mais
c'est à toi que nous donnons des baisers, pas à ton âme". Et elle :
"Mon corps est le temple de mon âme et le prêtre en est l'Esprit. On
n'admet pas le peuple dans l'enceinte des prêtres. Je vous en prie. N'entrez pas dans l'enceinte de Dieu".
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329> Alphée qui
avait alors plus de huit ans et qui l'aimait beaucoup fut frappé par cette
réponse. Le lendemain, en la trouvant près de sa petite grotte occupée à
cueillir des fleurs, il lui demanda: "Marie, quand tu seras femme, me
voudrais-tu pour époux ?" En lui il y avait encore l'effervescence
de la fête nuptiale à laquelle il avait assisté. Et elle ! "Je
t'aime bien, mais je ne te vois pas comme homme. Je te dis un secret. Je vois
seulement l'âme des vivants. Elle, je l'aime beaucoup, de tout mon cœur, mais
je ne vois personne d'autre que Dieu comme 'Vrai Vivant' à qui je pourrai me
donner moi-même". Voilà un épisode."
"Vrai Vivant" !!! Mais tu sais que c'est une parole
profonde !" s'exclame Barthélemy.
Et Jésus, humblement, et avec un sourire: "Elle était la Mère de la
Sagesse."
"Elle était ? Mais elle n'avait pas trois ans ?"
"Elle l'était. Je vivais déjà en elle. J'étais Dieu en elle, dès sa
conception dans son Unité et sa très parfaite Trinité."
"Mais, excuse-moi, si moi, coupable, j'ose parler, mais Joachim et Anne
savaient-ils qu'elle était la Vierge élue ?" demande Judas
Iscariote.
"Ils ne le savaient pas."
"Et alors comment Joachim pouvait-il dire que Dieu l'avait sauvée
d'avance ? Cela ne fait-il pas allusion à son privilège par rapport à la
faute?"
"C'est une allusion. Mais Joachim parlait par la bouche de Dieu comme
tous les prophètes. Lui aussi ne comprit pas la sublime vérité surnaturelle
que l'Esprit-Saint mettait sur ses lèvres, car c'était un juste, Joachim, au
point de mériter cette paternité et c'était un humble. En effet il n'y a pas
de justice là où il y a l'orgueil. Lui était juste et humble. Il consola sa
Fille par son amour de père. Il l'instruisit par sa science de prêtre, car il
était tel comme tuteur de l'Arche de Dieu. Il la consacra comme Pontife par
le titre le plus doux: "La Sans Tache".
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330> Un jour viendra où un
autre Pontife aux cheveux blancs dira au monde : "Elle est la
Conception sans Tache" et il donnera au monde des croyants cette vérité,
comme un article de foi incontestable, pour
que dans le monde d'alors, en train de s'enfoncer toujours plus dans une
grisaille nébuleuse d'hérésies et de vices, resplendisse tout à fait à
découvert la Toute Belle de Dieu, couronnée d'étoiles, vêtue des rayons de la
lune moins purs qu'Elle, et appuyée sur les astres, la Reine du Créé et de
l'Incréé parce que Dieu-Roi a pour Reine, dans son Royaume, Marie."
"Alors Joachim était prophète?"
"C'était un juste. Son âme répétait comme un écho ce que Dieu disait à
son âme aimée de Dieu."
"Quand allons-nous voir cette Maman, Seigneur ?" demande Jabé avec des yeux de convoitise.
"Ce soir. Que lui diras-tu, en la voyant ?"
"Je te salue, Mère du Sauveur". Cela va bien ainsi?"
"Très bien" confirme Jésus en le caressant.
"Mais ne devons-nous pas aller au Temple aujourd'hui?" demande
Philippe.
"Nous irons avant de partir pour Béthanie. Et tu resteras tranquille
ici, n'est-ce pas?"
"Oui, Seigneur."
L'épouse de Jonas, le régisseur de l'oliveraie, qui s'est approchée tout
doucement, dit: "Pourquoi ne l'y conduis-tu pas? L'enfant le
désire..."
Jésus la fixe avec insistance sans parler.
La femme comprend et le dit : "J'ai compris! Mais je dois avoir encore
un petit manteau de Marc. Je vais le chercher" et elle part en courant.
Jabé tire Jean par la manche: "Seront-ils
sévères les maîtres?"
"Oh! non. N'aie pas peur et puis ce n'est pas pour aujourd'hui.
Dans quelques jours, avec la Mère, tu seras plus sage qu'un docteur" dit
Jean pour le réconforter.
Les autres entendent et sourient de l'appréhension de Jabé.
"Mais qui le présentera en qualité de père?" demande Mathieu.
"Moi. C'est naturel ! A moins... que le Maître ne veuille le
présenter" dit Pierre.
"Non, Simon. Je ne le ferai pas. Je te laisse cet honneur."
"Merci, Maître. Mais... tu y seras Toi aussi ?"
"Certainement. Nous y serons tous. C'est "notre"
enfant..."
Marie de Jonas revient avec un manteau violet foncé encore en bon état. Mais
quelle couleur! Elle-même le dit : "Marc ne voulait pas le porter
parce que la couleur ne lui plaisait pas."
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