Le lundi 16 juillet 1945.
481/482> 220.1 – Ashqelôn et ses cultures
maraîchères ne sont plus qu'un souvenir. Dans la fraîcheur d'une splendide
matinée, tournant le dos à la mer, Jésus se dirige avec les siens vers des
collines toutes vertes, de faible altitude, mais gracieuses qui s'élèvent de
la plaine fertile. Ses apôtres reposés et satisfaits sont tout joyeux et ils
parlent d'Ananias, de ses esclaves, d'Ashqelôn, de la bagarre qu'il y avait à
leur retour dans la ville pour apporter l'argent à Dina.
"J'étais destiné, dit Thomas, à subir l'étreinte des
philistins. La haine et l'amour, si l'on veut, se manifestent de la même
façon et moi, qui n'avais pas souffert de leur haine, pour un peu j'étais blessé par leur amour. Pour un peu, ils allaient nous mettre en
prison pour nous faire dire où était le Maître, ces gens que le miracle avait
exaltés. Et quel chahut ! N'est-ce pas, Jean ? La ville bouillait
comme un chaudron. Ceux qui étaient fâchés ne voulaient pas entendre raison
et voulaient chercher les juifs pour les rosser. Ceux qui avaient profité du
miracle ou étaient leurs amis voulaient persuader les premiers qu'un dieu
était passé. Une vraie confusion ! Ils ont de quoi discuter pendant des
mois. L'ennui est qu'ils discutent plus avec les bâtons qu'avec la langue. Eh
bien... ils sont entre eux, qu'ils fassent ce qu'ils veulent."
"Pourtant... ils ne sont pas méchants..." fait remarquer Jean.
"Non. Ils sont seulement aveuglés par tant de choses" répond le
Zélote.
Jésus ne parle pas pendant un bon bout de chemin. Puis il dit :
"Voilà, moi, je vais à ce petit pays sur la colline. Vous, continuez
vers Azoto.
Soyez courtois, doux, patients. Même s'ils vous ridiculisent, supportez-le
paisiblement, comme Matthieu hier, et Dieu vous viendra en aide. Sortez au
crépuscule et allez près de l'étang qui est dans les environs d'Azoto. Nous nous retrouverons là."
"Mais, Seigneur, je ne vais pas te laisser aller seul ! Ils sont
violents, ces gens-là !... C'est une imprudence" s'exclame
l'Iscariote.
"N'ayez pas de crainte pour Moi. Va, va, Judas et sois prudent, toi. Adieu.
La paix soit avec vous."
Les douze s'en vont, pas trop enthousiastes. Jésus les regarde s'éloigner, et
puis il prend le sentier de la colline, frais, ombragé. La colline est
couverte de bosquets d'oliviers, de noyers, de figuiers et de vignes bien
cultivés et qui déjà annoncent une belle récolte. Dans les endroits plats, il
y a des petits champs de céréales et sur les pentes paissent des chèvres
blanches dans l'herbe verte.
220.2 – Jésus arrive aux premières maisons
du pays. Il est sur le point d'y entrer quand il rencontre un étrange
cortège. Il y a des femmes qui crient, des hommes dont la voix alterne avec
la leur dans un chant funèbre, et tous se livrent à une sorte de danse autour
d'un bouc qui avance, les yeux bandés, meurtri de coups, les genoux en sang
pour avoir trébuché et être tombé sur les pierres du sentier.
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483> Un second groupe,
qui vocifère et crie lui aussi, s'agite autour d'une statue sculptée, très
grossière en vérité, et tient en l'air des poêles avec des braises allumées
dont ils alimentent la combustion en jetant dessus de la résine et du sel, du
moins il me semble, car la première dégage une odeur de térébenthine et
l'autre crépite comme fait le sel. Un dernier groupe entoure un santon devant
lequel ils s'inclinent en criant :
"Par ta force !" (hommes).
"Toi seul le peux !" (femmes).
"Supplie le dieu !" (hommes).
"Enlève le sortilège !" (femmes).
"Commande à la matrice !"
"Sauve la femme !"
Et tous ensemble, avec un bruit infernal :
"Mort à la magicienne !"
Et puis, de nouveau, avec une variante :
"Par ta force !"
"Toi seul le peux !"
"Commande au dieu !"
"Qu'il fasse voir !"
"Commande au bouc !"
"Qu'il montre la magicienne !"
Puis, avec des cris de damnés :
"Qui hait la maison de Fara !"
220.3 – Jésus arrête un homme du
dernier groupe et lui demande doucement :
"Qu'est-ce qui arrive ? Je suis étranger..."
Comme la procession s'est arrêtée un moment pour frapper le bouc, jeter de la
résine sur les braises et reprendre haleine, l'homme explique :
"L'épouse de Fara, le grand de Magdalgad,
se meurt en accouchant. C'est quelqu'une qui la hait qui lui a jeté un sort.
Ses entrailles se sont nouées, et l'enfant ne peut naître. Nous cherchons la
magicienne pour la tuer. Comme cela seulement l'épouse de Fara sera sauve et
si nous ne trouvons pas la magicienne, nous sacrifierons le bouc, pour
obtenir la plus grande pitié de la déesse Matrice"
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484> (Je comprends que cette horreur de
poupée est une déesse...).
"Arrêtez-vous, dit Jésus à l'homme et à deux autres qui se sont
approchés. Je suis capable de guérir la femme et de sauver le garçon.
Dites-le au prêtre."
"Tu es médecin ?"
"Plus que cela."
Les trois fendent la foule et vont vers le prêtre idolâtre. Ils lui parlent.
Le bruit se répand. La procession qui avait repris sa marche s'arrête.
Le prêtre, imposant avec ses oripeaux multicolores, fait signe à Jésus et
commande :
"Jeune homme, viens ici !"
Et quand il est près de lui :
"Est-ce vrai, ce que tu dis ? Prends garde que si ce que tu dis
n'arrive pas, nous penserons que l'esprit de la magicienne s'est incarné en
Toi, et nous te tuerons à sa place."
"C'est vrai. Amenez-moi tout suite auprès de la femme et en attendant,
donnez-moi le bouc. Il faut que je l'aie. Enlevez-lui son bandeau et
amenez-le-moi ici."
Ils le font. La pauvre bête abasourdie, chancelante, toute en sang est amenée
à Jésus qui caresse son épais poil noir.
"Maintenant il faut m'obéir en tout. Allez-vous le faire ?"
"Oui !" crie la foule.
"Allons, ne criez plus. Ne brûlez plus de résine. Je vous le
commande."
220.4 – Ils s'en vont, rentrent dans
le pays et par une route qui est la meilleure ils se rendent à une maison
placée au milieu d'un verger. Des cris et des pleurs sortent par les portes
grandes ouvertes et, dominant tout, lugubres, les lamentations atroces de la
femme qui ne peut mettre au jour son enfant.
Ils courent avertir Fara qui s'avance, le teint terreux, échevelé, accompagné
de femmes qui pleurent et d'inutiles santons pour qui on brûle de l'encens et
des feuilles dans des poêles de cuivre.
"Sauve ma femme !"
"Sauve ma fille !"
"Sauve-la, sauve-la !" crient tour à tour l'homme, une vieille
femme, la foule.
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485> "Je la sauverai, et avec elle
ton garçon, car c'est un garçon à la mine florissante avec deux yeux doux, de
la couleur d'une olive qui mûrit et la tête couverte de cheveux noirs comme
cette toison."
"Comment le sais-tu ? Que vois-tu ? Même dans les
entrailles ?"
"C'est en tout que je vois et pénètre. Je connais et je peux tout. Je
suis Dieu."
Il aurait lancé la foudre, que cela aurait produit moins d'effet. Tous se
jettent par terre, comme morts.
"Levez-vous. Écoutez. Je suis le Dieu puissant et je ne supporte pas
d'autres dieux en ma présence. Allumez un feu, et jetez-y cette statue."
La foule se révolte. Elle commence à douter du "dieu" mystérieux
qui lui commande de brûler la déesse. Les plus enflammés, ce sont les
prêtres.
Mais Fara et la mère de l'épouse, auxquels importe la vie de la femme,
s'opposent à la foule hostile. Fara c'est le grand du pays et la foule
réprime son indignation. L'homme pourtant interroge Jésus :
"Comment puis-je croire que tu es un dieu ? Donne-m'en
une preuve et je commanderai qu'on fasse ce que tu veux."
"Regarde. Vois-tu les blessures
de ce bouc ? Elles sont ouvertes, n'est-ce pas ? Sanglantes,
n'est-ce pas ? La bête est quasi mourante, n'est-ce pas ? Eh bien,
je veux que cela ne soit pas... Voilà, regarde."
L'homme se penche et regarde... et il crie :
"Il n'a plus de blessures !"
et il se jette par terre, suppliant :
"Ma femme, ma femme !"
Mais le prêtre de la procession dit :
"Méfie-toi, Fara. Nous ne savons pas qui est celui-ci ! Crains la
vengeance des dieux."
L'homme est pris entre deux peurs : les dieux, sa femme... Il demande :
"Qui es-tu ?"
"Je suis Celui qui suis, au
Ciel, sur la terre. Toute force m'est soumise, toute pensée connue. Les
habitants du Ciel m'adorent, les habitants de l'Enfer me craignent. Et ceux
qui croient en Moi verront s'accomplir toutes sortes de prodiges."
"Je crois ! Je crois... Ton Nom !"
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486> "Jésus Christ, le Seigneur
Incarné. Cette idole aux flammes ! Je ne supporte pas de dieux en ma
présence. Ces encensoirs éteints ! Il n'y a que mon Feu qui possède
puissance et volonté. Obéissez, ou je réduis en cendre votre vaine idole et
je m'en irai sans opérer le salut."
Jésus est terrible en son habit de
lin, des épaules duquel pend le manteau bleu qui retombe en arrière. Il a le
bras levé dans l'attitude du commandement, le visage fulgurant. Ils en ont
peur. Personne ne parle plus. Dans le silence, le cri de plus en plus épuisé
et déchirant de la femme. Mais ils hésitent à obéir.
Le visage de Jésus devient de plus en plus insoutenable à regarder. C'est
vraiment un feu qui brûle la matière et les âmes. Les encensoirs sont les
premiers à subir sa volonté. Ceux qui les tiennent doivent les jeter parce
qu'ils ne peuvent plus en supporter la chaleur. Et pourtant, les charbons
paraissent éteints... Puis ce sont ceux qui portaient l'idole qui doivent
poser par terre le brancard qu'ils soutenaient sur leurs épaules avec les
barres, car le bois carbonise comme si une flamme mystérieuse le léchait et à
peine arrivé au sol, le brancard de l'idole prend feu.
Les gens fuient, terrorisés...
220.5 – Jésus se tourne vers
Fara :
"Peux-tu donc, réellement croire à ma puissance ?"
"Je crois, je crois. Tu es Dieu. Tu es le Dieu
Jésus."
"Non. Je suis le Verbe du Père, de Jéové
d'Israël,
venu avec sa Chair, son Sang, son Ame et sa Divinité pour racheter le monde
et lui donner la foi au Dieu Véritable, Un, Trin qui est dans les Cieux très
hauts. Je viens donner aide et pitié aux hommes pour qu'ils abandonnent
l'Erreur et viennent à la Vérité qui est le Dieu Unique de Moïse et des
Prophètes. Peux-tu croire encore ?"
"Je crois, je crois !"
"Je suis venu apporter aux hommes la Voie, la Vérité, la Vie pour
abattre les idoles, pour enseigner la sagesse. Par Moi, le monde aura la
rédemption car je mourrai pour l'amour du monde et pour le salut éternel des
hommes. Peux-tu croire encore ?"
"Je crois, je crois !"
"Je suis venu dire aux hommes que s'ils croient au Dieu Vrai ils auront
la vie éternelle dans les Cieux, près du Très-Haut qui a créé tous les
hommes, les animaux, les plantes, les planètes. Peux-tu croire
encore ?"
"Je crois, je crois !"
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487> Jésus n'entre même pas dans la
maison. Il tend seulement les bras vers la pièce où souffre la femme, les mains
tendues comme dans la résurrection de Lazare et il crie :
"Sors à la lumière, pour connaître la Lumière Divine et sur l'ordre de
la Lumière qui est Dieu !"
C'est un commandement de tonnerre auquel, après un moment, fait écho un cri
de triomphe où résonnent une plainte et une joie et puis le cri faible d'un
nouveau-né, faible et pourtant bien net et qui de plus en plus prend de la
force.
"Ton fils pleure, en saluant la terre. Va le trouver et dis-lui,
maintenant et plus tard, que la patrie ce n'est pas la terre, mais le Ciel.
Fais-le grandir, et toi grandis avec lui, pour le Ciel. C'est la Vérité qui
te parle. Ces choses (et il montre les encensoirs de cuivre, tordus comme des
feuilles sèches qui ne peuvent plus servir à rien et qui gisent sur le sol et
la cendre qui marque la place du brancard de l'idole) ces choses, c'est le
Mensonge qui n'apporte ni aide, ni salut. Adieu."
Et il est sur le point de partir.
220.6 – Mais une femme accourt avec un
vigoureux nouveau-né enveloppé dans des langes et elle crie :
"C'est un garçon, Fara. Beau, robuste, aux yeux noirs
foncés comme une olive qui mûrit, ses cheveux sont plus noirs et plus
fins que la toison d'un chevreau sacré. Et ta femme repose, heureuse. Elle ne
souffre plus, comme s'il n'y avait rien eu. Une chose imprévisible alors
qu'elle était mourante... et après ces paroles..."
Jésus sourit, et comme l'homme Lui présente son nouveau-né, il lui touche la
tête du bout des doigts. À l'exception des prêtres qui sont partis indignés
en voyant la défection de Fara, les gens s'approchent, curieux de voir le
nouveau-né et désireux de regarder Jésus.
Fara voudrait Lui donner des objets et de l'argent pour le miracle. Mais
Jésus dit avec douceur et fermeté :
"Rien. Le miracle ne se paie que par la fidélité à Dieu qui l'a accordé.
Je garde seulement ce bouc, en souvenir de ta ville."
Et il s'en va avec le bouc qui trottine tout près de Lui comme si Jésus était
son maître. Il est revenu à la vie, heureux, bêlant sa joie d'être avec
quelqu'un qui ne le frappe pas... Ils descendent ainsi les pentes de la
colline pour reprendre la grand-route qui conduit à Azoto...
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488/489> 220.7 – Quand, vers le soir, près de
l'étang ombragé, Jésus voit arriver ses disciples, c'est une stupeur
réciproque : pour eux de voir Jésus avec ce bouc et pour Lui de voir les
visages déconfits de gens qui n'ont pas fait d'affaires.
"Un désastre, Maître ! Ils ne nous ont pas frappés, mais ils nous
ont chassés hors de la ville. Nous avons erré dans la campagne et, en payant
bien cher, nous avons pu nous procurer de la nourriture. Et pourtant nous
avons été doux..." disent-ils désolés.
"N'importe. À Hébron aussi ils nous ont chassés l'an dernier, et cette
fois ils nous ont fait honneur. Vous ne devez pas vous décourager."
"Et Toi, Maître ? Cette bête ?" demandent-ils.
"Je suis allé à Magdalgad. J'ai brûlé une idole et ses encensoirs. J'ai
fait naître un garçon. J'ai prêché le Dieu Vrai en faisant des miracles et
j'ai pris pour Moi le bouc destiné à un rite idolâtre, à titre de récompense.
Pauvre bête, elle n'était qu'une plaie !"
"Mais maintenant il se porte bien ! C'est une bête superbe."
"C'était un animal sacré destiné à l'idole... Sain, oui. Mon premier
miracle pour les convaincre que c'était Moi, le Puissant, et non pas leur
morceau de bois."
"Et que vas-tu en faire ?"
"Je l'amène à Marziam. Un fantoche hier, un bouc aujourd'hui. Je lui
ferai plaisir."
"Mais tu veux le conduire jusqu'à Béther ?"
"Certainement. Je ne vois pas ce qu'il y a de déplaisant à le faire. Si
je suis le Berger, je pourrai avoir un bouc. Puis nous le donnerons aux
femmes et elles iront ainsi en Galilée. Nous trouverons une chevrette. Simon,
tu deviendras berger de chèvres. Il vaudrait mieux des brebis... mais dans le
monde, il y a plus de boucs que d'agneaux... C'est un symbole, mon Pierre.
Rappelle-toi cela... Par ton sacrifice tu feras des boucs des agneaux. Venez.
Rejoignons ce village parmi les vergers, Nous trouverons à nous loger ou dans
les maisons, ou sur les gerbes qui déjà sont liées dans les champs. Et
demain, nous irons à Jabnia."
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