Vision du
mercredi 22 mai 1946
342> C'est le soir du vrai sabbat
et la vie reprend après le repos sabbatique. Ici,
dans la petite maison de Nazareth, elle reprend avec les préparatifs du départ.
Provisions que l'on range, vêtements que l'on empile dans les sacs, sacs que
l'on ferme solidement avec des cordes, examen des sandales pour vérifier si
les courroies et les boucles sont en bon état, les ânes abreuvés et rassasiés
près de la haie du jardin... et les salutations, et quelques larmes au milieu
des sourires et des bénédictions, et les promesses de se retrouver bientôt...
Et, inattendu, le cadeau de Thomas à Marie :
une boucle, nous dirions une broche, pour tenir le vêtement fermé au cou.
Elle est formée de trois brins de muguets fins, aériens, parfaits, enserrés
dans deux feuilles métalliques qui imitent à la perfection la réalité et
trahissent une main de maître.
"Tu ne la porteras pas, Marie, je le sais, mais accepte-la quand même.
Le désir m'est venu de la faire un jour que mon Seigneur parla de toi en te
comparant au lys des vallées...
Moi, je n'ai rien fait pour ta maison... mais j'ai fait cela pour toi, pour
traduire par un symbole la louange de ton Fils que tu mérites plus que toute
autre femme. Si je n'ai pas pu donner au métal la grâce de la plante vivante
et le parfum de la fleur, mon amour sincère, respectueux pour toi
l'embellissent comme une caresse et le parfument de mon dévouement, pour toi,
Mère de mon Seigneur."
"Oh ! Thomas ! C'est vrai. Moi, je ne porte pas de bijoux qui
me semblent une inutilité, mais ceci n'est pas la même chose. C'est l'amour
de mon Jésus et de son apôtre, et il m'est cher. Je le regarderai chaque jour
et je penserai au bon Thomas qui aime son Maître au point de retenir non
seulement sa Doctrine, mais même ses plus humbles paroles sur les choses les
plus humbles et les personnes les plus insignifiantes. Merci, Thomas, non
pour la valeur, mais pour ton amour, merci !"
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343> Tout le monde admire la perfection
du travail, et Thomas, tout heureux, sort un travail plus petit :
trois étoiles de jasmin, dans un feuillage minuscule, encadrées dans un
cercle fin, et il le donne à Aurea : "parce que tu
n'as pas eu la coquetterie de le vouloir, parce que tu as été ici quand le
jasmin était en fleurs, et pour que ces petites étoiles te rappellent notre
Étoile. Pourtant, attention ! Toi, c'est par tes vertus que tu dois parfumer
les fleurs et être, toi aussi, une fleur candide, belle, pure, qui exhale son
parfum vers le Ciel. Si tu n'agis pas ainsi, je me fais rendre la broche.
Allons, ne pleure pas... tout passe... et... et... bientôt nous reviendrons
chez Marie, ou elle viendra vers nous... et..." Mais Thomas, devant les
larmes de plus en plus abondantes d'Aurea, se rend compte qu'il vaut mieux ne
pas continuer et il sort mortifié, en disant à Pierre : "Si j'avais pensé
que... elle se mettrait à pleurer davantage, je ne lui aurais rien donné...
J'avais justement fait cette broche, pour la consoler à cette heure... Cela
ne m'a pas réussi..."
Et Pierre, dans la confusion du moment, cesse de se contrôler et il dit :
"Mais c'est toujours ainsi dans les adieux... Si tu avais vu Sintica alors..." il s'aperçoit
qu'il a parlé, veut se reprendre, rougit... mais, désormais, c'est fait...
Thomas comprend et, débonnaire, il lui passe un bras autour du cou en
disant : "Ne t'afflige pas, Simon. Je sais me taire, et je
comprends pourquoi vous n'avez rien dit... À cause de Judas
de Simon. Moi, sur le Dieu de nos pères, je te jure que ce que j'ai
appris involontairement est oublié. Ne souffre pas,
Simon !..."
"C'est que le Maître ne voulait pas..."
"Et certainement il avait les meilleures raisons pour cela. Moi, je ne
m'en formalise pas."
"Je le sais, mais que va-t-il dire ? ..."
"Rien, car il ne saura rien. Fie-toi à moi."
"Ah ! Non ! pas de secret
pour le Maître. Je me suis trompé, je mérite le reproche et tout de suite. Je
n'aurai pas de paix si je ne Lui avoue mon erreur. Thomas, sois gentil, va
l'appeler... Je vais dans l'atelier. Va, reviens avec Lui. Je suis trop
troublé pour le faire, et les autres s'en apercevraient."
Thomas le regarde avec une compassion pleine d'admiration et il rentre dans
la maison pour appeler Jésus : "Maître, viens un moment, je dois te
dire une chose."
Jésus, qui saluait Marie d'Alphée, le suit immédiatement. "Que
veux-tu ?" lui demande-t-il en marchant à côté de lui.
"Moi, rien. C'est Simon qui doit te parler. Le voici..."
"Simon ! Qu'as-tu pour être ainsi troublé ?"
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344> Pierre se jette aux
pieds de Jésus en gémissant: "J'ai péché ! Absous-moi !"
"Péché ? En quoi ? Tu étais ici avec nous, joyeux,
tranquille..."
"Ah ! Maître, je t'ai désobéi. J'ai parlé à Thomas de Sintica... Je
m'étais troublé à cause des larmes, et lui l'était plus que moi; il croyait
les avoir augmentées, lui... pour le consoler, je lui ai dit :
"C'est toujours ainsi dans les adieux ... Si tu avais vu
Sintica..." et lui a compris !..." Pierre lève un visage
bouleversé, son regard est vraiment humilié, désolé.
"Loué soit Dieu, mon Simon ! Je croyais que tu avais fait quelque
chose de bien plus grave et ta sincérité annule même cela. Tu as parlé sans
malice. Tu as parlé à ton compagnon. Thomas est bon, il n'en parlera
pas."
"En fait, il me l'a juré... Mais tu vois ? Maintenant j'ai peur
d'être trop sot et de ne pas savoir garder un secret."
"Tu l'as fait jusqu'à présent."
"Oui, mais pense donc, jamais un mot à Philippe ni à Nathanaël !
Et maintenant..."
"Allons, lève-toi ! L'homme est toujours imparfait, mais quand il l'est
sans malice, il ne fait pas de péché. Surveille-toi, mais ne t'afflige plus.
Ton Jésus n'a pour toi qu'un baiser. Thomas, viens ici" Thomas accourt.
"Tu as certainement compris les raisons du silence."
"Oui, Maître. Et j'ai juré de le respecter en ce qui me concerne et
selon mon pouvoir. Je l'ai déjà dit à Simon..."
"À l'imbécile de Simon" soupire Pierre.
"Non, ami. Tu m'as édifié par ton humilité et ta sincérité parfaites. Tu
m'as donné une grande leçon, et je m'en souviendrai. Par prudence, je
ne pourrai la faire connaître et j'en suis peiné, car peu d'entre nous ont et
auront la justice que tu as eue... Mais ils nous appellent. Allons."
En fait plusieurs sont déjà sur la route, et les trois femmes : Noémi, Myrta et Aurea sont déjà sur leurs montures,
Marie est
avec sa belle-sœur près d'Aurea, et elles
l'embrassent encore, et quand elles voient venir Jésus, elles embrassent
leurs deux condisciples et, en dernier lieu, elles saluent Jésus qui les
bénit avant de se mettre en route...
Marie et. Marie de Cléophas rentrent dans la maison... Dans la maison où
restent, en souvenir de ce qu'il y avait peu avant, les sièges déplacés, la
vaisselle encore éparse... le désordre consécutif à un départ.
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345> Marie, perdue dans ses pensées,
caresse le petit métier sur lequel elle apprenait à Aurea à travailler... Ses
yeux sont humides et brillent des larmes qu'elle retient.
"Tu souffres, Marie !" lui dit Marie de Cléophas qui pleure
sans essayer de retenir ses larmes. "Tu t'étais affectionnée !...
Ils viennent ici... puis ils s'en vont... et nous, nous souffrons..."
"Notre vie de femmes disciples. Tu as entendu aujourd'hui ce que disait
Jésus : "C'est ainsi que vous
ferez dans l'avenir; en voyant dans toutes les créatures des âmes fraternelles,
vous serez hospitalières, surnaturellement hospitalières, en vous considérant
comme des pèlerines vous qui accueillez et comme pèlerins ceux que vous
accueillez. Vous les aiderez, les restaurerez, les conseillerez, et puis vous
laisserez vos frères partir vers leurs destins, sans les retenir par un amour
jaloux, avec l'assurance qu'au-delà de la mort vous vous retrouverez avec
eux. Les persécutions viendront et beaucoup vous quitteront pour aller au
martyre. Ne soyez pas lâches et ne conseillez pas la lâcheté. Restez en
prière dans les maisons vides pour soutenir le courage des martyrs, sereines
pour fortifier les plus faibles, fortes pour être prêtes à imiter les héros.
Habituez-vous au détachement, à l'héroïsme, à l'apostolat de la charité fraternelle
dès maintenant..." Et nous, nous le faisons : En souffrant... c'est
certain ! Nous sommes des créatures de chair... Mais l'esprit jouit
d'une joie spirituelle de faire la volonté du Seigneur et de coopérer à sa
gloire. D'ailleurs... je suis la Mère de tous... et je ne dois pas l'être
d'un seul. Je ne le suis pas même exclusivement de Jésus... Tu vois comme je
le laisse aller sans le retenir... Je voudrais être avec Lui, cela, oui. Mais
Lui juge que je dois rester ici jusqu'à ce qu'il me dise : "Viens".
Et je reste. Ses séjours ici ? Mes joies de mère. Mes pérégrinations
avec Lui ? Mes joies de disciple. Mes solitudes ici ? Mes joies de
fidèle qui fait la volonté de son Seigneur. "
"Ce Seigneur est ton Fils, Marie…"
"Oui, mais il est toujours mon Seigneur... Tu restes avec moi,
Marie ?"
"Oui, si tu me laisses ici... Elle est si triste ma maison dans les
premières heures que mes fils l'ont quittée !... Demain c'est déjà autre
chose... Et puis, cette fois, je pleurerais encore davantage..."
"Pourquoi, Marie ?"
"Parce que c'est depuis hier que je me fond en
larmes... Je suis une citerne... une citerne en temps de pluie."
"Mais pourquoi, chérie ?"
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346> "À cause de Joseph...
hier...
Oh ! je ne sais pas si je dois aller et lui faire des reproches amers,
car enfin c'est mon fils, car ce sein l'a porté et ces mamelles l'ont
allaité, et il n'y a pas d'enfant qui soit supérieur à une mère, ou bien si
je ne dois jamais plus lui parler, jamais plus à ce bâtard qui est né de moi
et qui offense mon Jésus et toi et..."
"Tu ne feras rien de cela. Tu seras toujours pour lui la
"mère". La mère qui a pitié de son fils obstiné, malade, dévoyé, et
l'apprivoise par la bonté et l'amène à Dieu par la prière et la patience…
Allons, ne pleure pas !... Viens plutôt avec moi. Nous prierons dans ma
pièce pour lui, pour ceux qui s'en vont, pour la fillette, pour qu'elle
souffre peu et grandisse en sainteté... Viens, viens, ma Marie" et elle
l'emmène avec elle...
Pendant ce temps, les pèlerins suivent leur chemin vers le sud-ouest. Les
femmes sont en avant sur leurs ânes qui, bien nourris et bien reposés,
trottent allégrement obligeant Margziam et Abel, qui
par prudence restent aux côtés d'Aurea en selle pour la première fois, à
aller presque au pas de course. Et si la chose est fatigante, elle sert à
distraire la fillette de la peine que lui donne la séparation d'avec Marie.
De temps en temps, pour permettre aux deux jeunes de souffler, Myrta arrête
sa monture et fait une pause. Elle ne se remet en mouvement que quand elles
sont rejointes par le groupe apostolique. Pendant les haltes, n'étant plus
distraite par les péripéties de l'équitation, Aurea redevient triste...
Margziam, instruit par l'expérience de ses traverses d'orphelin recueilli par
charité par une mère adoptive après avoir connu Marie, la console. Il lui dit
comment ensuite il s'est affectionné à sa mère adoptive "absolument
comme si elle avait été notre maman", et il raconte ses impressions, et
il raconte comment Marie et Mathias sont heureux chez Jeanne et Anastasica
chez Elise.
Aurea écoute ces récits et Margziam termine en disant : "Crois-le,
les disciples sont toutes bonnes et Jésus sait à qui donner les malheureux
que nous sommes", et Abel appuie : "Et tu ne dois pas te
méfier de ma mère qui est si heureuse de t'avoir et qui a tant prié ces jours
pour que Dieu te donne à elle." Aurea dit : "Je le crois et je
l'aime bien... Mais, Marie, c'est Marie... et vous devez compatir..."
"Oui, mais il nous déplaît de te voir triste..."
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347> "Oh ! Je ne
suis plus triste comme dans la maison du romain et dans les premières heures après
la libération... Je suis seulement... perdue. Depuis des
années, je n'ai jamais eu de caresses... Il n'y a que Marie qui me les a
rendues, après avoir eu pendant tant d'années des maîtres..."
"Mon cœur ! Mais je suis ici pour te les donner ! Je serai une
seconde Marie pour toi. Viens ici, tout près... Si tu étais plus petite, je
te prendrais en selle avec moi, comme je faisais avec mon Abel quand il était
petit... Mais tu es déjà une femme..." dit Myrta en s'approchant et en
lui prenant la main. "Tu es ma petite femme et je t'apprendrai tant de
choses, et quand Abel ira au loin pour évangéliser, toi et moi, nous
accueillerons les pèlerins, comme dit le Seigneur, nous ferons tant de bien
en son Nom. Tu es jeune et tu m’aideras..."
"Mais regardez quelle lumière là-bas, au-delà de cette
colline !" s'écrie Jacques de Zébédée qui les a rejointes.
"C'est un bois qui brûle ?"
"Ou un village ?"
"Courons voir..."
Personne n'est plus fatigué, car la curiosité fait disparaître toute autre
sensation. Jésus les suit, bienveillant, et il quitte la route pour un
sentier qui monte sur un coteau. Le sommet est vite rejoint...
Ce n'est ni un bois, ni un village qui brûle, mais une vaste cuvette entre
deux coteaux, toute en bruyère. Les bruyères, desséchées par l'été, ont pris
feu peut-être par quelque étincelle échappée aux bûcherons qui ont travaillé
plus haut à l'abattage des arbres et maintenant elles brûlent : un tapis
de flammes basses mais vives qui se déplace après avoir consumé là où le feu
a pris, en cherchant de nouvelles bruyères à brûler. Les bûcherons essaient
un contre-feu en battant les flammes, mais c'est inutile. Ils sont peu
nombreux et quand ils travaillent d'un côté, le feu s'étend d'un autre.
"Si le feu arrive au bois, ce sera un désastre. Il y a des
résineux" dit sentencieusement Philippe.
Jésus, les bras croisés, debout au sommet du coteau, regarde et réfléchit en
souriant...
La lumière blanche de la lune à l'orient contraste vivement avec la lumière
rouge des flammes à l'occident. La lune rend les spectateurs tout blancs par
derrière alors que la réverbération des flammes leur rougit le visage.
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348> Et les flammes courent,
courent, comme les eaux qui débordent, montent et s'étendent... L'incendie
est à quelques mètres du bois, et déjà il éclaire
les piles de bois qui sont sur le bord et sa clarté, de plus en plus vive,
montre les petites maisons d'un village situé au sommet du coteau sur lequel
monte le feu.
"Pauvres gens ! Ils vont tout perdre !" disent plusieurs.
Et ils regardent Jésus qui ne parle pas et qui sourit...
Mais ensuite... voilà qu'il décroise les bras et crie :
"Arrête-toi ! Meurs ! Je le veux."
Et comme si un grand boisseau s'abaissait pour étouffer les flammes, voilà
que par un prodige, le feu cesse de flamber. La danse vive, agile, des
langues de flammes se change en un rouge de braises allumées, mais sans
flammes, puis le rouge devient violet, gris rouge... quelque éclair glisse
encore parmi les cendres... et puis il ne reste que la lune dont la lumière
argentée éclaire les bois.
À sa blanche clarté, on voit les bûcherons qui se réunissent avec de grands
gestes, regardant tout autour d'eux, en haut... pour découvrir l'ange du
miracle...
"Descendons. Je travaillerai les âmes avec le motif imprévu qui m'a été
donné et nous ferons halte dans ce village au lieu de nous arrêter à la
ville. Nous partirons à l'aube. Ils auront une place pour les femmes. Pour
nous, le bois nous suffit" dit Jésus et il descend rapidement suivi des
autres.
"Mais pourquoi souriais-tu ainsi ? Tu paraissais
bienheureux !" demande Pierre.
"Tu le sauras par mes paroles."
Ils
sont déjà là où la friche s'est changée en cendres encore chaudes
et qui craquent sous les sandales. Ils la traversent. Quand ils sont arrivés au
milieu, là où la lune donne en plein, les bûcherons les aperçoivent.
"Oh ! Moi, je l'ai dit ! Lui seul pouvait avoir fait
cela ! Courons pour le vénérer" crie un bûcheron et il le fait en
se jetant dans la cendre aux pieds de Jésus.
"Pourquoi crois-tu que je l'ai pu ?"
"Parce qu'il n'y a que le Messie qui puisse le faire."
"Et comment sais-tu que je suis le Messie ? Tu me connais peut-
être ?"
"Non. Mais seul celui qui est bon et qui aime les pauvres peut avoir eu
pitié, et seul le Saint de Dieu peut avoir commandé au feu et être obéi. Béni
soit le Très-Haut qui nous a envoyé son Messie ! Et le Messie qui est
venu à temps pour sauver nos maisons !"
"Vous devriez avoir plus d'empressement pour sauver vos âmes."
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349> "Elles se sauvent en
croyant en Toi et en cherchant à faire ce que tu enseignes. Mais tu
comprends, Seigneur, que la désolation d'être dépouillés de tout peut rendre
faibles nos faibles âmes... et les porter à douter de la Providence."
"Qui vous a instruits à mon sujet ?"
"Certains de tes disciples... Voici nos familles... Nous avions envoyé
les éveiller craignant que toute la colline ne brûle... Avancez... Et puis
nous avions envoyé un autre homme pour dire qu'il y avait un miracle et de
venir voir. Voilà nos familles, Seigneur. La mienne, celle de Jacob, celle de
Jonathas, celle de Marc, celle de mon frère Tobie, de mon beau-frère Melchias, celle de Philippe et celle d'Eléazar. Et puis
les autres de ceux qui sont bergers et qui maintenant sont sur les
pâturages..."
Il y a un groupe de deux cent cinquante personnes au maximum, y compris les
nombreux petits, encore nourrissons ou à peine sevrés, qui pleurnichent à
moitié éveillés ou bien dorment, inconscients du danger qu'ils ont couru.
"Paix à vous tous. L'ange de Dieu vous a sauvés. Louons ensemble le
Seigneur."
"Tu nous a sauvés ! Toi toujours présent
là où des fidèles croient en Toi !" disent plusieurs femmes... Et
les hommes acquiescent gravement.
"Oui, où il y a la foi en Moi, la
Providence est présente. Cependant, dans les choses de l'esprit comme dans
les choses matérielles, il faut agir avec une continuelle prudence. Qu'est-ce
qui a mis le feu aux brindilles ? Probablement une étincelle qui s'est
échappée de vos foyers, ou bien une branche qu'un enfant a voulu allumer au
feu, pour s'amuser à l'agiter et à la lancer, avec l'insouciance de cet âge,
en bas. En effet c'est beau de voir une flèche de feu traverser l'air qui
s'assombrit. Mais voyez ce que peut faire une imprudence ! Elle peut
faire de graves ruines. Une étincelle, ou une brindille tombée sur des
bruyères sèches a suffi à mettre le feu à une vallée, et si l'Éternel ne
m'avait pas envoyé, le bois serait devenu un brasier qui aurait consumé dans
un étau de feu vos biens et vos vies.
Il en est ainsi des choses de l'esprit. Il faut exercer une continuelle et
prudente attention pour qu'une flèche de feu, une étincelle ne s'en prenne à
votre foi et ne la détruise, après avoir couvé sans être remarquée dans le
cœur, en un incendie voulu par ceux qui me haïssent et provoqué par eux pour
m'enlever des fidèles.
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350> Ici le feu, arrêté à temps,
a fait un bienfait de ce qui aurait pu être un désastre, en détruisant la
friche inutile que vous aviez laissée prospérer dans la
vallée, et en vous préparant par la destruction et par la fumure des cendres
un terrain que, si vous en avez la volonté, vous pourrez rendre fertile par
des cultures utiles. Mais, dans les cœurs, il en est bien autrement ! Et
quand tout le Bien est disparu en vous, plus rien ne peut lever en vous, sauf
des ronces pour servir de litière aux démons.
Rappelez-vous cela et restez en garde contre les insinuations de mes ennemis
qui, comme des étincelles infernales, seront jetées dans vos cœurs. Soyez
prêts alors pour le contre-feu. Et quel est ce contre-feu ? C'est une
foi de plus en plus forte, une volonté inébranlable d'appartenir à Dieu.
C'est d'appartenir au Feu saint, car le feu ne mange pas le feu. Or si vous
êtes un feu d'amour pour le Dieu vrai, le feu de la haine contre Dieu ne
pourra vous nuire. Le Feu de l'amour triomphe de tout autre feu. Ma Doctrine
est amour, et celui qui la recueille entre dans le Feu de la Charité et il ne
peut plus être torturé par le feu du démon.
Du haut de ce coteau, pendant que je
regardais brûler la friche et que j'entendais les paroles que vos esprits
adressaient au Seigneur leur Dieu, plus encore que je ne voyais vos actions
tendues pour éteindre les flammes, je souriais. Et un de mes apôtres m'a
dit : "Pourquoi souriais-tu ?" Je lui ai promis :
"Je te le dirai en parlant à ceux qui sont sauvés". Je le fais. Je
souriais en pensant que, de même que les flammes se propageaient parmi les
bruyères de la vallée, mortifiées vainement par vos manœuvres, de même ma
Doctrine se propagera dans le monde, vainement persécutée par ceux qui ne
veulent pas la Lumière. Et elle sera lumière, et elle sera purification, et
elle sera bénéfique. Combien de serpents ont péri dans ces cendres et avec
eux d'autres êtres nuisibles ! Vous craigniez cette vallée parce qu'il
s'y trouvait trop d'aspics. Voilà qu'il n'en survit pas un seul. Pareillement
le monde sera libéré de tant d'hérésies, de tant de péchés, de tant de
douleurs, quand il m'aura connu et qu'il aura été purifié par le feu de ma
Doctrine. Purifié et libéré des végétations inutiles, rendu capable de
recevoir la semence, devenu riche en fruits de sainteté.
Voilà pourquoi je souriais... Dans le feu qui avançait, je voyais un symbole
de la propagation de ma Doctrine dans le monde. Puis la charité pour le
prochain, qui ne doit pas être séparée de celle que l'on a pour Dieu, a
ramené ma pensée vers vos besoins et j'ai abaissé le regard mental de la
contemplation des intérêts de Dieu vers celle des intérêts des frères et j'ai
arrêté le feu pour que dans votre joie vous louiez le Seigneur.
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351> Vous voyez ainsi que ma
pensée est montée vers Dieu et en est descendue,
devenue encore plus puissante, car l'identification à Dieu augmente toujours nos
puissances d'action et ensuite est remontée, en même temps que la vôtre, vers
Dieu. De cette façon, grâce à la charité, j'ai servi en même temps les
intérêts de Dieu et ceux de mes frères. Faites, vous aussi, la même chose à
l'avenir.
Et maintenant je vous demande pour ces femmes un abri pour la nuit. La lune
descend et l'incendie a retardé notre marche, et alors nous ne pouvons
continuer jusqu'à la ville voisine."
"Viens ! Venez ! Il y a de la place pour tout le monde. Nous
pouvions être sans toits. Nos maisons sont vôtres. Maisons de pauvres, mais
propres. Venez et elles seront bénies" crient-ils tous.
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