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   Le mardi 23 juillet
  1946. 
  224>   461.1 - Tibériade a déversé tous ses habitants sur les rives du
  lac ou sur le lac lui-même pour qu'ils trouvent du rafraîchissement dans la
  brise qui court sur les eaux et secoue les arbres des jardins le long de la
  rive. Dans cette ville, il y a un mélange de nombreuses races réunies là pour
  des motifs variés. Les riches se détendent sur des barques de plaisance
  confortables, ou bien sous les ombres vertes des jardins ils regardent
  l'évolution des bateaux sur les eaux bleu turquoise, déjà épurées de la couleur
  jaune qu'y avait apportée l'orage du soir précédent. Les pauvres, et surtout
  les enfants, s'ébattent sur la plage, là où les petites vagues viennent
  mourir. La fraîcheur de l'eau, qui les atteint plus haut qu'ils ne
  voudraient, leur fait pousser de petits cris qui rappellent ceux des
  hirondelles.            
   
  Les barques de Pierre et de Jacques approchent de la rive et
  se dirigent vers le
  petit môle.  
   
  "Non. Au jardin de Jeanne" commande Jésus.           
   
  Pierre obéit sans parler et la barque, suivie de sa sœur jumelle, exécute un virage parfait qui laisse un sillage écumeux
  en forme de point d'interrogation pour se replier sur la jetée du jardin de
  Kouza où il accoste et s'arrête.        
   
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  225> Jésus descend le premier et il donne la main aux deux
  Marie pour les aider à monter sur le petit quai.           
   
  "Vous, maintenant, allez au grand môle et mettez-vous à prêcher le
  Seigneur. Vous allez voir un homme s'approcher pour vous demander où je suis.
  C'est l'homme d'Antioche. Conduisez-le-moi après avoir congédié la
  foule."     
   
  "Oui... mais... Que devons-nous dire aux gens ? Prêcher ta venue
  ou prêcher ta doctrine ?"  
   
  "Ma venue. Dites qu'à l'aurore je parlerai à Tarichée et guérirai
  les malades. Que l'un de vous surveille les
  barques, ou mettez quelque disciple à le faire, pour qu'elles soient prêtes
  pour le départ. Allez et que la paix soit avec vous."  
   
  Et il se dirige vers la grille qui sert de clôture sur le débarcadère. Les
  deux Marie le suivent silencieusement.         
   
    461.2 - Dans le grand jardin où des rosées tardives fleurissent
  bien qu'en petit nombre, on ne
  voit personne. Mais on entend les cris heureux des deux petits qui jouent. En
  passant la main à travers les arabesques de la grille, Jésus cherche à
  déplacer le verrou, mais il n'y réussit pas. Il cherche s'il y a quelque
  chose qui puisse faire du bruit et attirer l'attention. Mais il n'y a rien.
  Alors, en entendant plus proches les voix des deux enfants, il appelle à haute voix :           
   
  "Marie !"     
   
  Du coup, les deux voix se taisent... Jésus répète :       
   
  "Marie !"...  
   
  Voilà que là-bas, au milieu du pré, tenu rasé comme un tapis d'où s'élèvent des touffes de rosiers bien tenus, il aperçoit
  marchant à petits pas, circonspecte, un doigt sur les lèvres, ses yeux
  inquisiteurs scrutant dans tous les sens, la fillette, et puis, quelques pas
  en arrière, suivi d'un agnelet blanc comme de l'écume, voilà Mathias.        
   
  "Marie ! Mathias !" crie Jésus à haute voix.     
   
  La voix guide les regards innocents. Les deux enfants tournent les yeux vers
  la grille et voient Jésus, le visage contre les barres, qui leur sourit.    
   
  "Le Seigneur ! Cours, Mathias, vers maman... Appelle Elle ou
  Michée... Qu'ils viennent ouvrir..."            
   
  "Vas-y toi. Moi, je vais vers le Seigneur..."       
   
  Et ils courent tous les deux, les bras
  tendus, deux papillons, l'un blanc, l'autre rosé avec leur petite tête brune.  
   
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  226> Mais heureusement, en courant, ils appellent les
  serviteurs, et ceux-ci accourent, armés d'arrosoirs et de râteaux, de sorte
  que finalement la grille s'ouvre et les deux enfants se réfugient dans les
  bras de Jésus qui les embrasse et franchit le seuil en les tenant par la
  main.   
   
    461.3 - "Maman est à la maison avec ses amies. On nous
  renvoie, parce qu'on ne veut pas de nous" explique rapidement Mathias.       
   
  "Ne parle pas si mal. Maman nous renvoie parce que ces dames sont
  romaines et elles parlent encore de leurs dieux et nous, que Jésus a sauvés,
  nous ne devons connaître que Lui seul. C'est pour cela, Seigneur. Mathias est
  trop petit et ne comprend pas" dit-elle, gracieusement, avec son bon
  sens d'enfant qui a souffert et qui par conséquent est plus mûre, plus adulte
  que son âge ne le comporte.     
   
  "Le père aussi nous renvoie quand viennent ceux de la Cour. Et ils me
  plairaient, parce que ce sont presque tous des soldats... des guerriers... La
  guerre ! C'est beau, la guerre ! Elle donne la victoire ! Elle
  renvoie les romains. À bas Rome ! Vive le Royaume d'Israël" crie
  fièrement le petit.       
   
    "Ce n'est pas beau la guerre, Mathias,
  et quand on ne remporte pas la victoire, de sujets, on devient
  esclaves."  
   
  "Mais ton Règne doit arriver, et pour qu'il arrive on fera la guerre. Et on les renverra tous, même
  Hérode, et tu seras roi."            
   
  "Mais tais-toi, sot. Tu sais que tu ne dois pas répéter ce que tu
  entends. Ils font bien de te chasser. Tu ne sais
  pas que tu peux faire du mal au père, à la mère, et aussi à Jésus, en parlant
  ainsi ?" dit Marie.     
   
  Et puis elle explique :       
   
  "Un jour est venu celui qui est comme un prince et un parent d'Hérode et
  qui est ton disciple, pour parler avec le père. Et ils criaient si fort, ils
  n'étaient pas seuls, mais avec beaucoup d'autres..."   
   
  "Tous beaux, avec de belles épées, et ils parlaient de guerre..."
  interrompt Mathias.      
   
  "Tais-toi, dis-je ! Et ils criaient si fort que l'on a entendu et
  ce sot, depuis lors, ne fait qu'en parler.
  Dis-le-lui Toi qu'il ne doit pas... Maman l'a dit, et le père a menacé de
  l'envoyer au sommet du grand Hermon, dans une grotte avec un esclave sourd et
  muet, jusqu'à ce qu'il ait appris à se taire. Et là, il devrait se taire car
  s'il parle avec l'esclave celui-ci n'entend pas et ne répond pas, s'il crie
  les aigles et les loups arrivent pour le manger..."       
   
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  227> "Un châtiment terrible !" dit Jésus en
  souriant.           
   
  Et il caresse l'enfant qui a perdu sa
  hardiesse et qui se serre contre Jésus comme s'il voyait déjà les aigles et
  les loups prêts à le dévorer tout entier y compris sa petite langue
  imprudente.          
   
  "Un châtiment vraiment terrible !" répète-t-il.           
   
  "Hé ! oui, et moi, j'ai peur que cela lui arrive et de rester sans
  Mathias, et je pleure... Mais lui n'a pas pitié ni de maman ni de moi, et il
  nous fera mourir de douleur..."  
   
  "Je ne le fais pas exprès... J'ai entendu... et je parle... C'est si
  beau... de penser que les romains seront vaincus,
  que Hérode et Philippe seront chassés, et que Jésus sera Roi d'Israël"
  termine-t-il en mourant et en cachant son visage contre les vêtements de
  Jésus pour amortir encore plus le son de sa voix.            
   
    461.4 - "Mathias ne dira jamais plus ces choses. Il me le
  promet à Moi, et il tiendra parole. N'est-ce pas ? Ainsi lui ne sera pas
  dévoré, Jeanne et Marie ne mourront pas de douleur, Kouza ne sera pas fâché,
  et Moi, je ne serai pas haï. Parce que tu vois, Mathias ? Tu me fais
  haïr en disant ces choses. Te plaît-il que Jésus soit persécuté ? Pense
  quel remords si un jour tu devais te dire à toi-même : "J'ai fait
  persécuter Jésus qui m'a sauvé, et tout cela pour avoir répété ce que j'ai
  entendu par hasard". Ces gens étaient des hommes, et les hommes perdent
  souvent Dieu de vue, parce qu'ils sont pécheurs. Ne voyant pas Dieu, ils ne
  voient pas la Sagesse et ils font des erreurs même dans un bon but, ou dans
  un but qu'ils croient tel. Mais les enfants sont bons, leurs esprits voient
  Dieu, et Dieu repose dans leur cœur. Par conséquent, ils doivent comprendre
  les choses avec sagesse et dire que mon Royaume ne se fera pas par la
  violence sur la Terre, mais par l'amour dans les cœurs. Et ils doivent prier
  pour que les hommes comprennent ce Royaume, comme le comprennent les enfants.
  Les prières des enfants sont portées par leurs anges au Ciel et le Très-Haut
  les transforme en grâces. Et Jésus a besoin de ces grâces pour faire de ces
  hommes, qui pensent à la guerre et au royaume temporel, des apôtres qui
  comprennent que Jésus est paix et que son Royaume est spirituel et céleste.
  Tu vois cet agnelet ? Pourrait-il en dévorer un autre ?"  
   
  "Hé ! non ! S'il pouvait le faire, le père ne nous en aurait
  pas fait cadeau pour nous
  faire mettre en pièces."      
   
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  228> "Voilà, tu as bien dit. Le père aussi qui est dans
  les Cieux ne m'aurait pas envoyé si j'avais eu la puissance et la volonté de
  mettre en pièces. Je suis l'Agneau et le Berger. Et je suis doux et plein de
  mansuétude comme l'agneau, et je suis Celui qui réunit par l'amour avec la
  verge du bon Pasteur et non avec la lance et l'épée du guerrier. As-tu
  compris ? Et me promets-tu à Moi, précisément
  à Moi, de ne plus parler de certaines choses ?"            
   
  "Oui, Jésus. Mais... aide-moi, Toi... parce que tout seul..."   
   
  "Je t'aiderai. Regarde, je te caresse les lèvres et ainsi elles sauront
  rester closes."          
   
    461.5 - "Mon Maître ! Sainte est cette soirée qui me
  permet de te voir !" dit Jonathas en accourant de la maison et en se
  prosternant aux pieds de Jésus.      
   
  "Paix à toi, Jonathas. Puis-je voir Jeanne ?"   
   
  "Elle va venir. Elle a congédié les romaines pour venir te
  trouver."           
   
  Jésus le regarde d'un air interrogateur, mais ne lui demande rien. Il marche dans la direction de la maison, en
  écoutant Jonathas qui parle de Kouza "absolument buté contre
  Hérode" et qui ajoute :       
   
  "Pour l'amour de ma maîtresse, je te prie de le modérer car il veut
  faire des choses qui... ne feraient de bien ni à Toi, ni à lui, pas à Toi
  surtout."         
   
    461.6 - Jeanne, dans un splendide vêtement blanc sur lequel, de
  la tête, descend un voile qui
  paraît un filigrane d'argent tant il est broché de fils de ce métal - et je
  ne sais pas comment la légèreté de l'étoffé supporte cette broderie brochée
  d'argent - ceinte d'un fin diadème, qui pointe légèrement sur le devant,
  comme une mitre ornée de perles, de lourdes boucles d'oreilles ornées de
  perles, un collier de perles autour du cou, des bracelets et des bagues
  pareillement garnis - une apparition de beauté, pure et gracieuse - elle
  vient en hâte vers le Seigneur, et sans se soucier de ses beaux vêtements,
  elle se prosterne dans la poussière du sentier et dépose un baiser sur les
  pieds de Jésus.     
   
  "Paix à toi, Jeanne."         
   
  "Quand tu es avec moi, il y a toujours la paix en moi et dans ma maison... Mère… !"     
   
  Et elle va baiser les pieds de Marie, mais Marie l'accueille, les bras
  ouverts et l'embrasse. Elle échange aussi un baiser avec Marie d'Alphée.        
   
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  229> Après les salutations, Jésus dit :  
   
  "Je dois te parler, Jeanne."         
   
  "Me voici, Maître. Marie, ma maison est à toi : commande ce qu'il
  faut. Je vais avec le Maître..."    
   
  Jésus s'est déjà déplacé pour aller dans le pré, bien en vue de tout le monde, mais assez isolé pour que personne ne puisse
  entendre. Jeanne le rejoint.          
   
  "Jeanne, je dois recevoir quelqu'un qui vient d'Antioche, envoyé par
  Syntica, certainement. J'ai pensé le faire dans ta maison, ici, dans ton
  jardin..."    
   
  "Tu es le maître de tout ce qui appartient à Jeanne."            
   
  "Même de ton cœur ?" Jésus la regarde fixement.     
   
    "Tu sais, déjà, Maître ! J'en
  étais presque certaine. Maintenant, je le suis tout à fait. Kouza...
  l'incohérence des hommes est bien grande ! Le sentiment de leur intérêt
  est bien fort ! Et leur pitié pour leurs femmes est bien faible !
  Nous sommes... Que sommes-nous donc, nous, les femmes des meilleurs ? Un
  joyau que l'on montre ou que l'on cache selon que cela peut être utile... Une
  mime qui doit rire ou pleurer, attirer ou repousser, parler ou se taire, se
  montrer ou rester cachée, selon les désirs de l'homme... toujours dans son
  intérêt... Il est triste, notre sort, Seigneur ! Et dégradant,
  aussi !"    
   
  "En compensation, il vous est donné de savoir vous élever plus haut par l'esprit."          
   
  "C'est vrai. Tu as su par Toi-même ou bien on t'en a parlé ? As-tu
  vu Manahen ? Il te cherchait..."    
   
  "Non, je n'ai vu personne. Il est ici ?"    
   
  "Oui. Nous sommes tous ici... Je veux dire : tous les courtisans
  d'Hérode... et plusieurs parce qu'ils le haïssent.
  Parmi eux aussi Kouza depuis que, par la volonté d'Hérodiade, Hérode se plaît
  à mortifier son intendant... Seigneur, tu te souviens qu'à Béther il voulait
  me séparer de Toi, parce qu'il craignait la disgrâce d'Hérode ? Il n'est
  passé que quelques mois... et déjà maintenant il veut que je... Oui,
  Seigneur, lui voudrait que je te persuade d'accepter son aide pour devenir
  roi à la place du Tétrarque... Moi, je dois le dire puisque je suis femme,
  soumise par conséquent à l'homme, et en plus femme Israélite, par conséquent
  plus que jamais soumise aux volontés de l'époux. Je le dis donc... Et je ne
  te donne pas de conseil... parce que j'espère savoir déjà que Toi...
  oh ! tu ne te feras pas roi avec l'aide de lanciers gagés.      
   
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  230> Oh !... qu'ai-je dit ! Je ne devais pas
  parler ainsi... Je devais te laisser d'abord entendre Kouza, Manahen et
  d'autres... Et si je me taisais, est-ce que je ne faisais pas mal ?...
  Seigneur, aide-moi à voir clair..."        
   
    461.7 - "Tu y vois clair, Jeanne. Ce ne sera pas avec les
  cohortes romaines, ni avec les lances Israélites que Moi je me ferai roi,
  même si Rome et Israël
  voulaient pacifier cette région en se servant de Moi. J'ai déjà compris
  suffisamment pour me rendre compte. Mathias a eu des paroles imprudentes.
  Jonathas a fait allusion à des mécontentements. Tu dis le reste. Moi,
  je complète ainsi : une folle conception de mon royaume pousse ceux qui
  sont bons, sans être encore justes, comme Manahen, à créer des mouvements
  tendant à établir le royaume d'Israël selon l'idée fixe de la plupart. Un
  besoin piquant, brûlant, de se venger d'un affront en pousse d'autres, parmi
  lesquels ton époux, à la même chose. C'est sur ces deux motifs que fait
  levier l'astuce des pharisiens, des sadducéens, des scribes et aussi des
  hérodiens pour se défaire de Moi en me faisant voir aux yeux de ceux qui nous
  dominent tel que je ne suis pas.     
   
  Tu as congédié les romaines pour me dire cela, pour ne pas trahir Kouza, ni
  Manahen, ni les autres. Mais je te dis, en vérité, que ceux qui m'ont compris
  davantage, ce sont les gentils. Ils m'appellent le philosophe, peut-être
  jugent-ils que je suis un rêveur, un irréaliste, un malheureux, selon eux
  pour qui tout repose sur la violence. Mais ils ont compris, eux au moins ont
  compris, que je ne suis pas de cette Terre, et que mon Royaume n'est pas de
  cette Terre. Ils ne me craignent pas, mais craignent ceux qui me suivent. Ils
  ont raison. Ceux qui me suivent, les uns par amour, les autres par orgueil,
  seraient capables de faire n'importe quoi, pour réaliser leur idée :
  faire de Moi, le Roi des rois, le Roi universel, un pauvre roi d'un état
  minuscule... Et, en vérité, je dois me garder davantage de ce complot qui se
  développe dans l'ombre, encouragé par mes vrais ennemis qui ne sont pas au
  palais proconsulaire de Césarée, ni à celui du Légat à Antioche, ni non plus
  à l'Antonia, mais qui sont sous les tephillim, les franges et les zizits des vêtements hébraïques et spécialement sous les larges
  tephillim et les floconneux zizits qui ornent les amples vêtements des
  pharisiens et des scribes pour manifester une adhésion encore plus large à la
  Loi.     
   
  Haut de page.         
   
  231> Mais la Loi est dans le cœur, pas sur les vêtements...
  Si la Loi était dans leurs cœurs, ceux qui se haïssent entre eux, mais qui
  maintenant s'unissent, oubliant cette haine pour me nuire - la haine qui
  creuse des fossés profonds entre les castes d'Israël et qui maintenant n'est
  plus divisé mais nivelé parce que les fossés sont pleins de la haine qu'ils
  ont pour Moi - si la Loi était dans leurs cœurs, au lieu d'être suspendue et
  attachée à leurs vêtements, à leurs fronts, à leurs mains, comme un sauvage
  s'attache des amulettes, des coquillages, des os, des becs de vautours, par
  superstition ou comme ornement, si cette Loi était dans leurs cœurs, si la
  Sagesse était inscrite non pas dans les tephillim, mais sur les fibres de
  leurs cœurs, ils comprendraient qui je suis et qu'ils ne peuvent aller contre
  Moi pour me détruire comme Verbe et comme Homme.     
   
   Je dois
  donc me défendre de mes amis et de mes ennemis, pareillement injustes dans
  leur haine comme dans leur amour. Je dois chercher à diriger l'amour et à
  apaiser la haine. Je le fais pour accomplir mon devoir, et je le ferai
  jusqu'à ce que j'aie édifié le Royaume, en en arrosant les pierres de mon
  Sang pour les cimenter. Quand je vous aurai aspergé de mon Sang, vos cœurs ne
  vacilleront plus. Je parle des cœurs qui me sont fidèles. Du tien, Jeanne,
  ainsi partagée entre les deux forces et les deux amours qui sont sur toi et
  en toi : Kouza-Moi."           
   
  "Mais tu vaincras, Seigneur."     
   
  "Je vaincrai, oui."  
   
  "Cherche pourtant à sauver Kouza aussi... Aime celui que j'aime."  
   
  "J'aime celui qui t'aime."  
   
  "Aime Kouza qui t'aime..."          
   
  "Le mensonge n'est pas pour ce front pur comme les perles qui le ceignent et qui rougit maintenant dans l'effort de
  vouloir se persuader et me persuader que Kouza m'aime."     
   
  "Et pourtant, il t'aime."    
   
  "Oui, par intérêt. Comme par intérêt, il ne m'aimait pas à Zio et à Sivam...        
    461.8 - Mais voici Simon de Jonas avec l'étranger. Allons à leur
  rencontre..."      
   
  Ils s'en vont jusqu'au vaste vestibule qui est sur l'arrière de la maison, plutôt un portique en demi-cercle
  qu'un vestibule et qui ouvre sur le parc.    
   
  Haut de page.         
   
  232> Ainsi le parc se prolonge dans la maison par ce
  vestibule en demi-cercle ouvert sur le jardin et orné de colonnes avec des
  tiges de rosiers maintenant sans fleurs et de charmants rameaux de jasmin,
  constellés de fleurs et d'autres plantes grimpantes pourpres dont j'ignore le
  nom.   
   
  "La paix soit avec toi, étranger. Tu voulais me voir ?"           
   
  "Salut et gloire, Seigneur. Je voulais te voir. J'ai
  une lettre pour Toi. C'est une femme
  grecque qui me l'a donnée à Antioche. Je suis... Non, je ne suis plus grec.
  J'ai pris la nationalité romaine pour continuer mon travail. Je suis
  fournisseur des milices romaines. Je les hais, mais il est avantageux de les
  ravitailler. À cause de ce qu'ils nous ont fait, je devrais mêler de la ciguë
  à la farine, mais il faudrait les empoisonner tous, pas quelques-uns. Ce
  serait inutile, ce serait pire... Ils se croient tout permis parce qu'ils
  sont forts. Ce sont des barbares en comparaison des grecs. Ils nous ont tout
  volé pour s'orner de ce qui était à nous et essayer de paraître civilisés.
  Mais une fois grattée la croûte qui est teinte de notre civilisation, on découvre
  toujours un Amulius, un Romulus, un Taquin... On découvre toujours un Brutus,
  meurtrier de son bienfaiteur. Maintenant ils ont Tibère ! C'est encore
  peu pour eux ! Ils ont Séjan. Ils ont ce qu'ils méritent. Le fer, les chaînes, les
  crimes qu'ils ont commis, se retournent contre eux-mêmes et mordent les
  chairs de ces brutes de romains. C'est peu, encore trop peu. Mais ils
  n'échapperont pas à la loi : quand le monstre sera devenu énorme, il
  s'écroulera par son propre poids et pourrira. Et les vaincus riront devant
  l'énorme cadavre et ils redeviendront les vainqueurs. Qu'il en soit
  ainsi ! Tous les pieds des conquérants pour accabler celle qui nous a
  écrasés par sa brutale expansion... Mais pardonne-moi, Seigneur. La
  perpétuelle douleur m'a bouleversé encore une fois...       
    461.9 - Je disais qu'une grecque m'a donné une lettre pour Toi,
  et elle m'a dit que tu es le Vertueux parfait. Vertueux... Tu es jeune pour
  l'être... Les grands esprits de l'Hellade ont dépensé leur vie pour le
  devenir un peu... Et pourtant la femme m'a dit ton Idée. Si vraiment tu crois
  à ce que tu enseignes, tu es grand... Est-il vrai que tu vis pour te préparer
  à la mort pour donner au monde la sagesse de vivre en dieu et non en brute,
  comme le font maintenant les hommes ? Est-il vrai que tu affirmes qu'il
  n'y a qu'une richesse qui mérite qu'on l'atteigne : celle de la
  vertu ? Est-il vrai que tu es venu pour racheter, mais que la rédemption
  commence en nous-mêmes, quand on suit tes enseignements ?       
   
  Haut de page.         
   
  233> Est-il vrai que nous possédons une âme et que nous devons
  en prendre soin car c'est une chose divine, immortelle, incorruptible par sa
  nature, mais à laquelle, en vivant en brutes, nous pouvons faire perdre son
  caractère divin, sans pouvoir la détruire ? Réponds, ô
  Grand !"           
   
  "C'est vrai. Tout est vrai."            
   
  "Par Zeus, c'est cela que disait notre très Grand. Mais cela semblait une musique à laquelle il manquait
  une note, une lyre à laquelle il manquait
  une corde. De temps à autre on sentait un vide que le philosophe ne
  franchissait pas. Tu l'as comblé, si réellement tu es venu non seulement pour
  enseigner mais encore pour mourir sans y être contraint par personne, mais
  par la volonté personnelle d'obéir à Dieu, ce qui change ta mort de suicide
  en sacrifice... Par la divine Pallas ! Aucun de nos dieux n'a jamais
  fait cela. J'en déduis donc que tu es au-dessus d'eux. La grecque dit qu'ils
  n'existent pas et que Toi seul tu existes... Je parle donc à un Dieu ?
  Et un Dieu peut-il écouter ainsi un ravitailleur voleur et qui hait son
  ennemi, un homme misérable ? Pourquoi m'écoutes-tu ?"     
   
  "Parce que je vois ton âme."       
   
  "Tu la vois ?!!! Comment est-elle ?"      
   
  "Difforme, sale, serpentine, amère, ignorante, bien que ton intelligence
  soit bien différente de celle d'un barbare. Mais à l'intérieur de ce temple souillé, il y a un autel qui attend, comme
  celui qui est à l'Aréopage et qui attend la même chose. Il attend le Dieu
  vrai."    
   
  "Toi alors, puisque la grecque dit que tu es le Dieu vrai. Mais, par
  Zeus, c'est vrai ce que tu dis de mon âme. Tu es plus clair et plus sûr que
  l'oracle de Delphes. Mais tu prêches la paix, l'amour et le pardon :
  difficiles vertus. Et tu prêches la continence et l'honnêteté en toute
  matière... Être cela c'est être des dieux, plus grands que des dieux, car
  eux... oh, ils ne sont pas pacifiques, honnêtes, magnanimes !... Ils
  sont la perfection des mauvaises passions de l'homme, sauf Minerve qui, au
  moins, est sage... Diane, elle-même !... Pure, mais cruelle... Oui, être
  ce que tu prêches, c'est être plus que des dieux. Si je le devenais... par le
  charmant Ganymède ! Lui, tout jeune homme enlevé par l'aigle de l'Olympe
  et devenu échanson des dieux. Mais Zénon, passé de fournisseur de vivres à
  des maîtres barbares à l'état de dieu...         
   
  Haut de page.         
   
  234>   461.10 - Mais permets-moi de m'enfermer dans cette pensée et, pendant
  ce temps, lis la lettre de la femme..."          
   
  Et l'homme se met à marcher comme un péripatéticien.   
   
  Pierre, fatigué, et voyant que la conversation se prolongeait s'était
  commodément installé sur un siège de l'atrium et dans l'ambiance fraîche,
  dans la douceur des coussins qui recouvraient le siège, il s'était mis tranquillement à sommeiller...
  Pourtant il doit avoir gardé une oreille attentive, car il est réveillé par
  le bruit du sceau que l'on brise et du parchemin que l'on déroule. Il se lève
  en frottant ses yeux que le sommeil ferme encore. Il s'approche du Maître qui
  lit debout sous un lustre de plaques de mica délicatement violacée. La
  lumière est faible, juste suffisante pour éclairer l'endroit sans lui enlever
  l'enchantement du clair de lune dans les nuits sereines. Aussi Jésus tient
  très haut la feuille pour lire les mots et Pierre, qui est beaucoup plus
  petit et se tient tout près de Lui, essaie d'allonger le cou, de se lever sur
  la pointe des pieds pour voir, mais il n'y arrive pas.   
   
  "C'est Syntica, hein ? Que dit-elle ?" il répète sa
  demande et dit en suppliant : "Lis tout haut, Maître !"   
   
  Mais Jésus répond :          
   
  "Oui, c'est elle... Après..."             
   
  Et il continue de lire et, après avoir lu
  la première feuille, il la plie, la passe dans les plis de sa ceinture et se
  met à lire la seconde feuille.       
   
  "Comme elle en a écrit long, hein ?! Comment va Jean ? Et quel
  est cet homme ? "  
   
  Pierre insiste comme un enfant. Jésus est tellement absorbé qu'il ne l'entend
  plus. La seconde feuille est finie et elle subit le sort de la première.           
   
  "Elles s'abîment, ainsi. Passe-moi les feuilles pour que je les
  tienne..."     
   
  Et certainement il pense : "et pour que je les lorgne." Mais,
  en levant les yeux pour suivre les mains du Maître, qui déroulent la
  troisième et dernière feuille, il voit briller une larme suspendue dans les
  cils blonds de Jésus.   
   
  "Maître ?! Tu pleures ?! Pourquoi, mon Maître ?"     
   
  Haut de page.         
   
  235> Et il le serre contre lui en le prenant à la taille
  avec son bras musclé et court.           
   
  "Jean est mort..."  
   
  "Oh ! le pauvre ! Quand ?"          
   
  "Aux premières chaleurs... et en nous désirant tellement..."            
   
  "Oh ! pauvre Jean !... Mais déjà... il était à bout !...
  Et la douleur de la séparation... Tout cela
  à cause des serpents ! Si je savais leurs noms !... Lis tout haut,
  Seigneur. Jean, moi je l'aimais bien !"    
   
  "Plus tard. Plus tard, je lirai. Tais-toi maintenant."   
   
  Jésus lit attentivement... Pierre se dresse encore plus pourvoir... La lecture est finie. Jésus replie la feuille et il dit:       
   
  "Appelle ma Mère.’           
   
  "Tu ne lis pas ?"     
   
  "J'attends les autres... Entre-temps, je vais congédier cet homme."           
   
    461.11 - Et pendant que Pierre va à la maison où les femmes
  disciples sont avec Jeanne,
  Jésus va trouver le grec :          
   
  "Quand pars-tu ?"  
   
  "Oh ! Je dois aller à Césarée chez le Proconsul et puis à Joppé
  après avoir acheté des marchandises. Je partirai
  d'ici un mois, assez tôt pour éviter les tempêtes de novembre. Je partirai
  par mer. As-tu besoin de moi ?"   
   
  "Oui, pour répondre. La grecque dit que je puis me fier à toi."        
   
  "On dit que nous sommes faux, mais nous sommes capables aussi de ne pas l'être. Fie-toi à moi. Tu peux préparer
  l'écrit et me chercher pour les Tabernacles chez Cléante. C'est lui qui me
  fournit le fromage de Judée pour les tables des romains. Troisième maison
  après la fontaine du village de Bethphagé. Tu ne peux te tromper."  
   
  "Toi aussi tu ne peux te tromper si tu suis la route où tu as mis
  le pied. Adieu, homme. La civilisation grecque
  t'amène à la chrétienne."    
   
  "Tu ne me reproches pas de haïr ?"       
   
  "Te rends-tu compte que je devrais le faire ?"  
   
  "Oui, parce que tu réprouves la haine comme une passion indigne et que
  tu as horreur de la vengeance."           
   
  "Et toi, qu'en penses-tu ?"           
   
  Haut de page.         
   
  236> "Que celui qui ne hait pas et pardonne, est plus
  grand que Zeus."    
   
  "Atteins alors cette grandeur... Adieu, homme. Que ta famille aime Syntica et, dans l'exil où vous êtes, prenez les
  chemins de la Patrie immortelle : le Ciel. Celui qui croit en Moi et met
  en pratique mes paroles aura cette Patrie. Que la Lumière t'éclaire. Va en
  paix."    
   
  L'homme salue et s'éloigne. Puis il s'arrête, revient en arrière, demande :           
   
  "Je ne t'entendrai pas parler ?"  
   
  "À l'aurore, je vais parler à Tarichée. Mais après, je vais vers la
  Syro-Phénicie, et ensuite, je ne sais pas par quel
  chemin, à Jérusalem."      
   
  "Je te chercherai, et demain je serai à Tarichée pour juger si tu es
  aussi éloquent que sage."    
   
  Il s'en va définitivement.  
   
    461.12 - Les femmes sont dans l'atrium, et elles commentent avec
  Pierre la mort de Jean. Mais
  sont arrivés aussi ceux qui étaient restés en ville pour prévenir que le
  lendemain matin le Rabbi serait à Tarichée. Et tous parlent du pauvre Jean et
  sont anxieux de savoir.  
   
  "Il est mort, Fils !"            
   
  "Oui, il est dans la paix."  
   
  "Il a vraiment fini de souffrir."   
   
  "Il est définitivement sorti de prison."  
   
  "Il aurait été juste qu'il ne souffrît pas la dernière douleur de
  l'exil."         
   
  "Une purification de plus."          
   
  "Oh ! je ne voudrais pas pour moi cette purification. N'importe
  quelle autre, mais ne pas mourir loin du
  Maître !"    
   
  "Et pourtant... nous mourrons tous ainsi... Maître... emmène-nous avec
  Toi !" dit André après les autres.          
   
  "Tu ne sais pas ce que tu demandes, André. C'est ici votre place jusqu'à
  ce que je vous appelle.       
    461.13 - Mais écoutez ce qu'écrit Syntica.          
   
  "Syntica du Christ, au Christ Jésus, salut.       
   
  L'homme qui te portera ces feuilles est mon compatriote. Il m'a promis de te
  chercher jusqu'à ce qu'il te trouve en se réservant comme dernier endroit
  Béthanie où il laissera la lettre chez Lazare s'il n'a pu te trouver nulle
  part. C'est quelqu'un qui se remet, comme il peut, de tout le mal qu'il a
  reçu, lui et ses ancêtres, de la part de Rome.     
   
  Haut de page.         
   
  237> Par trois fois Rome les a frappés, de multiples
  manières, et toujours avec ses méthodes. Lui, avec sa finesse de grec, dit
  qu'il trait les vaches du Tibre pour leur faire cracher les chèvres
  helléniques. Il est le fournisseur de la maison du Légat et de nombreuses
  maisons romaines de cette petite Rome, de cette grande ville, reine de
  l'Orient. En outre, après les aliments raffinés pour les riches, il a réussi
  à s'assurer, d'une manière astucieuse faite d'hommages serviles qui voilent
  une haine implacable, les fournitures des cohortes d'Orient. Je n'approuve
  pas sa façon de faire, mais chacun a sa méthode. Moi j'aurais préféré le pain
  mendié le long des routes aux écrins d'or que lui donne l'oppresseur. Et
  c'est ainsi que j'aurais toujours agi si maintenant un autre motif, qui n'est
  pas intéressé, ne m'avait pas poussée à imiter le grec pour atteindre mon
  but.          
   
  Mais, au fond, c'est un brave homme et ce sont de braves gens que sa femme, ses trois filles et son fils. Je les ai
  connus dans la petite école d'Antigonea et comme la
  mère était malade au commencement du printemps, je l'ai soignée avec le
  baume, et ainsi je suis entrée dans leur maison. Beaucoup de maisons
  m'auraient reçue comme maîtresse de broderie, maisons nobles et maisons de
  commerce, mais j'ai préféré celle-là pas précisément parce que ses habitants
  sont grecs. Je vais t'expliquer.    
   
  Je te prie d'être indulgent pour Zénon même si tu ne peux approuver ses vues. Il est comme certains terrains
  arides, quartzeux en surface, mais excellents sous une croûte dure. J'espère
  réussir à enlever cette croûte formée par tant de souffrances et à mettre à
  nu le bon terrain. Il serait d'un grand secours pour ton Église, car Zénon
  est connu et il a des relations avec quantité de gens d'Asie mineure et de
  Grèce, sans compter Chypre, Malte et jusqu'à l'Ibérie où il a partout des
  parents et des amis, grecs comme lui et persécutés, et aussi des romains des
  milices ou de la magistrature, très utiles, un jour, à ta cause.           
   
    461.14 - Seigneur, au moment où j'écris, de l'une des terrasses de
  la maison je vois Antioche avec ses quais sur le fleuve, le palais du Légat dans l'île, ses rues royales, ses murs aux
  centaines de tours puissantes, et si je me retourne, je vois le sommet du Sulpius qui me domine avec ses casernes, et le second
  palais du Légat. Je me trouve ainsi entre les deux manifestations de la
  puissance romaine, moi, pauvre femme sujette, seule.         
   
  Haut de page.         
   
  238> Mais elles ne me font pas peur. Je pense au contraire que
  ce qui est impossible au déchaînement des éléments et à la force d'un peuple
  entier révolté, sera fait par la faiblesse qui ne porte pas ombrage, la
  faiblesse apparente que méprisent les puissants, de ceux qui sont une force
  parce qu'ils possèdent Dieu : Toi.   
   
    Je pense,
  et je te le dis, que cette force romaine sera la force chrétienne quand elle
  t'aura connu, et que c'est par les citadelles de la romanité païenne qu'il
  faudra commencer le travail parce qu'elles seront toujours les maîtresses du
  monde et une romanité chrétienne voudra dire une chrétienté universelle.
  Quand cela arrivera-t-il? Je ne sais, mais je sens que cela arrivera. C'est
  pour cela que je regarde en souriant ces témoignages de la puissance romaine,
  en pensant au jour où ils mettront leurs enseignes et leur force au service
  du Roi des rois. Je les regarde comme on regarde des amis qui ne savent pas
  encore qu'ils le sont, qui feront souffrir avant d'être conquis, mais qui,
  une fois conquis, te porteront, porteront la connaissance de Toi jusqu'aux confins
  du monde.  
   
  Moi, pauvre femme, voilà ce que j'ose dire à ceux qui sont mes grands frères en Toi. Quand ce sera
  l'heure de conquérir le monde à ton Royaume, il ne faudra pas commencer par
  Israël trop renfermé dans son rigorisme mosaïque aigri par les pharisiens et
  les autres castes pour être conquis, mais par ici, par le monde romain, par
  ses ramifications - les tentacules par lesquels Rome étrangle toute foi, tout
  amour, toute liberté différente de ce qu'elle veut, au service de ses
  intérêts - c'est par ici que devra commencer la conquête des esprits à la
  Vérité.  
   
  Tu le sais. Seigneur. Mais je parle pour les frères qui ne peuvent croire que nous aussi, les gentils, nous aspirons au
  Bien. C'est aux frères que je dis que sous la cuirasse païenne il y a des
  cœurs déçus par le vide du paganisme, qui ont la nausée de la vie qu'ils
  mènent dictée par les coutumes, qui sont las de la haine, du vice, de la
  dureté. Il y a des esprits honnêtes, mais qui ne savent pas où s'appuyer,
  pour trouver un assouvissement à leurs aspirations au Bien. Donnez-leur une
  Foi qui les assouvisse, ils mourront pour elle en la portant toujours plus en
  avant, comme un flambeau dans les ténèbres, comme les athlètes des jeux
  helléniques".          
   
    461.15 - Jésus replie la première feuille. Ceux qui l'ont écouté
  commentent le style, la force, les idées de Syntica, et ils se demandent
  pourquoi elle n'est plus à Antigonie. Pendant ce temps, Jésus déroule la seconde feuille.   
   
  Haut de page.         
   
  239> Pierre, qui jusque-là était resté assis, se rapproche
  comme pour mieux entendre et recommence à
  se dresser sur la pointe des pieds, pour voir, en se serrant contre Jésus.        
   
  "Simon, il fait si chaud, et tu me serres, dit Jésus en souriant.
  Retourne à ta place. N'as-tu pas entendu jusqu'à présent ?"  
   
  "Entendu ? Oui. Mais je n'ai pas vu, et maintenant je veux voir,
  car c'est à partir de cette feuille que tu as changé et que tu as pleuré...
  Et ce n'est pas simplement pour Jean... On savait bien qu'il était
  mourant..."      
   
  Jésus sourit, mais pour empêcher Pierre de jeter un coup d’œil par derrière sur l'écrit, il s'adosse à la colonne la
  plus près ne se souciant pas de s'éloigner de la lumière du lustre qui, en
  revanche, s'il n'éclaire pas la feuille, éclaire vivement le visage de Jésus.  
   
  Pierre, bien décidé à voir, à comprendre, traîne un tabouret en face de Jésus et il s'y assoit en tenant les yeux fixés
  sur le visage du Maître.  
   
  "Je suis tellement convaincue de cela que, restée seule, j'ai quitté
  Antigonie pour Antioche, certaine de pouvoir travailler davantage sur ce
  terrain où, comme à Rome, toutes les races se fondent et se mélangent, que là
  où Israël est maître... Je ne puis, moi, femme, partir à la conquête de Rome,
  mais si je ne puis rejoindre la Ville, de la fille la plus belle de la Ville,
  celle qui ressemble le plus à sa mère dans tout l'Univers, je jette la
  semence... Sur combien de cœurs tombera-t-elle ? En combien germera-t-elle ?
  En combien se trouvera-t-elle transportée ailleurs et attendra les apôtres
  pour germer ? Je ne sais pas. Je ne cherche pas à savoir. J'agis.
  J'offre au Dieu que j'ai connu et qui satisfait mon esprit et mon
  intelligence, mon travail. C'est en ce Dieu que je crois comme à un Dieu
  unique et tout puissant. Je sais qu'il ne déçoit pas celui qui a bonne
  volonté. Cela me suffit et soutient mon effort.            
   
    461.16 - Maître : Jean est mort le sixième jour avant les
  nones de juin selon les romains, à
  peu près à la nouvelle lune de Tamuz pour les
  hébreux.         
   
  Seigneur... À quoi bon te dire ce que tu sais ? Je le dis pourtant à
  cause des frères. Jean est mort en juste, et pour
  dire la vérité sur ses souffrances, je devrais dire en martyr.      
   
  Haut de page.         
   
  240> Je l'ai assisté avec toute la pitié qu'une femme peut
  avoir, avec tout le respect que l'on a pour
  un héros, avec tout l'amour que l'on a pour un frère, mais cela n'a pas
  empêché une souffrance telle que moi, non par ennui ou par lassitude, mais
  par compassion, je priais l'Eternel de l'appeler à la paix. Lui disait :
  'À la liberté'.          
   
  Quelles paroles sortaient de sa bouche ! Comment donc un homme, qui est descendu jusque dans les bas-fonds, comme
  lui le disait, peut-il s'élever à une sagesse si lumineuse ? Oh !
  la mort est vraiment le mystère qui dévoile notre origine, et la vie est le
  décor qui cache le mystère. Un décor qui nous est donné sans linéaments et
  sur lequel nous pouvons tracer ce que nous voulons. Il avait écrit beaucoup
  de choses, et toutes n'étaient pas belles. Mais les dernières étaient
  sublimes. Du ciel ténébreux d'en bas sur lequel se trouvaient des dessins de
  douleur humaine et d'humaine violence, comme un sage artiste il était passé à
  des traits de plus en plus lumineux décorant de vertu le cours de sa vie
  chrétienne, pour finir dans la clarté éblouissante d'une âme perdue en Dieu.     
   
  Moi je te le dis : il n'a pas parlé mais chanté son dernier poème. Il
  n'est pas mort, mais il s'est élevé. Et je ne
  pouvais distinguer exactement quand c'était l'homme qui parlait ou quand
  parlait déjà l'esprit fils de Dieu.            
   
  Seigneur : j'ai lu, tu le sais, toutes les œuvres des philosophes
  afin d'y chercher une pâture pour une âme attachée
  par la double chaîne de l'esclavage et du paganisme. Mais c'était des œuvres
  d'hommes. Ici, ce n'était plus des paroles humaines, c'était des paroles d'un
  super-homme, d'un esprit royal, ou plutôt d'un esprit à demi-divin.  
   
  J'ai veillé sur le mystère, qui d'ailleurs n'aurait pas été compris par ceux qui nous logeaient : bons avec l'homme,
  mais Israélites dans le sens le plus large et le plus complet du mot... Et
  quand dans les dernières touches de l'amour, Jean ne fut plus qu'une
  expression d'amour, j'ai éloigné tout le monde et j'ai recueilli, moi seule,
  ce que certainement tu sais...          
   
  Seigneur... cet homme est mort, il est 'finalement sorti de la prison et
  entré dans la liberté' comme il le disait avec son filet de voix des derniers jours, et avec un regard embrasé par
  l'extase en me serrant la main et en me dévoilant par ses paroles le Paradis.
  Cet homme est mort en m'enseignant à vivre, à pardonner, à croire, à aimer.
  Il est mort en me préparant au dernier temps de ta vie.    
   
  Haut de page.         
   
  241> Seigneur, je sais tout : dans les soirées d'hiver
  il m'avait instruit sur les prophètes. Je
  connais le Livre comme une vraie Israélite, mais je sais aussi ce que le
  Livre ne spécifie pas...       
   
  Mon Maître et mon Seigneur... je l'imiterai ! Et je voudrais la même faveur mais je pense qu'il est plus héroïque de ne
  pas la demander et de faire ta Volonté..."  
   
    461.17 - Jésus replie la feuille et il va prendre la troisième.   
   
  "Non, non, Maître !" s'exclame Pierre. "Ce ne peut
  être... Il y a autre chose. La feuille n'a pas pu se terminer aussi
  vite ! Tu ne lis pas tout ! Pourquoi, Seigneur ? Vous,
  protestez. Syntica a écrit plus pour nous que pour Lui et Lui ne lit
  pas."    
   
  "N'insiste pas, Pierre !"    
   
  "Si, j'insiste ! Oui, j'insiste ! J'ai vu, sais-tu, que ton
  œil allait plus bas tout d'un coup et j'ai vu par transparence que tu n'as
  pas lu les dernières lignes. Je ne serai pas tranquille tant que tu n'auras
  pas lu la fin de cette feuille. Tu avais pleuré auparavant !... Et
  quoi ? Y a-t-il par hasard de quoi pleurer dans ce que tu as lu ?
  C'est une peine, oui, de le savoir mort... mais une pareille mort ne fait pas
  pleurer ! Moi, je croyais qu'il avait eu une mauvaise mort, en perdant
  son esprit... Au contraire... Lis, allons ! Mère ! Jean ! Vous
  qui obtenez tout..."          
   
  "Écoute-le, mon Fils, et même si c'est quelque chose de pénible à apprendre, nous boirons tous le
  calice..."     
   
  "Qu'il en soit comme vous voulez...       
   
  "Je connais le Livre comme une vraie Israélite. Mais je sais aussi
  ce que le Livre ne spécifie pas : que
  désormais ta passion ne tardera pas à s'accomplir puisque Jean est mort et
  que tu lui as promis un court séjour dans les Limbes. Lui me l'a dit. Et il
  m'a dit que tu lui avais promis de l'enlever avant qu'il connût comment et
  jusqu'où peut arriver la haine d'Israël envers Toi, et cela pour empêcher que
  par amour pour Toi, il ne haïsse ceux qui te tortureront. Maintenant il est
  mort... et tu es donc près de mourir... Non, de vivre. Vraiment de vivre avec
  ta Doctrine, avec Toi-même en nous, avec la Divinité en nous après que le
  Sacrifice nous aura rendu la vie de l'âme, la Grâce, l'union avec le Père,
  avec le Fils, avec l'Esprit Saint.   
   
  Haut de page.         
   
  242> Maître, mon Sauveur, mon Roi, mon Dieu... forte est ma
  tentation, ou plutôt elle a été forte, de te rejoindre maintenant que Jean
  dort avec son corps dans le tombeau et qu'avec son
  esprit il repose dans l'attente. Te rejoindre pour être avec mes sœurs
  disciples, près de ton autel. Mais les autels doivent être ornés non
  seulement de la victime mais de guirlandes en l'honneur de Dieu, en l'honneur
  de qui on offre le sacrifice. Je mets ma guirlande violette de disciple
  lointaine au pied de ton autel. J'y mets l'obéissance, le travail, le
  sacrifice de ne pas te voir et de ne pas t'entendre... Ah ! Ce sera bien
  dur ! C'est bien dur maintenant que sont terminés tes colloques
  surnaturels avec Jean, et que je n'en ai plus la jouissance !... Seigneur,
  lève ta main sur ta servante pour qu'elle sache faire seulement ta Volonté et
  qu'elle sache te servir".           
   
    461.18 - Jésus plie la feuille et regarde les visages de ceux qui
  l'écoutent. Ils sont pâles, mais
  Pierre murmure : "Je ne comprends pas pourquoi tu as pleuré... Je croyais
  qu'il y avait autre chose..."         
   
  "Je pleurais parce que je comparais l'uxoricide, l'ancien galérien, et l'esclave païenne avec de trop nombreux
  Israélites."    
   
  "J'ai compris ! Tu es angoissé de voir les hébreux inférieurs aux
  gentils, et les prêtres et les chefs inférieurs
  aux galériens. Tu as raison. J'étais sot ! Quelle femme que cette
  femme ! Dommage qu'elle ait dû s'éloigner… !"   
   
  Jésus déplie la troisième feuille.            
   
  "Et sache imiter en tout ton disciple et frère qui est déjà dans la
  paix, qui y est allé après avoir accompli toutes les purifications... en ton
  honneur et pour alléger tes souffrances"    
   
  "Ah ! non, ensuite !"         
   
  Pierre a sauté agilement de son siège avant que
  Jésus puisse s'écarter et il voit qu'il n'est pas possible que Jésus en soit
  là où son œil regarde. Il faut remarquer que le parchemin s'enroule sur
  lui-même à mesure qu'on le laisse libre en haut, et ainsi plusieurs lignes
  sont désormais cachées en haut de la feuille.       
   
  Jésus lève la tête, et avec le visage plus doux que triste, doux mais plein de fermeté, il repousse son apôtre et lui
  dit :        
   
  "Pierre, ton Maître sait ce qui te fait du bien ! Laisse-moi te
  donner ce qui est bon pour toi..."       
   
  Pierre est touché par ces paroles et davantage par le regard de Jésus, tellement implorant, et dans ses yeux brille une
  larme qui va tomber. Il descend de son siège en disant :     
   
  Haut de page.         
   
  243> "J'obéis... Mais que pouvait-il bien y avoir à cet
  endroit ?!"   
   
    461.19 - Jésus reprend la lecture :           
   
  "Et maintenant que j'ai parlé des autres, je parle de moi. J'ai quitté Antigonie après
  l’enterrement de Jean. Ce n'est pas que je n'y ai pas été bien traitée, mais
  parce que je me rendais compte que ce n'était pas là ma place. C'était plutôt
  une impression : je sentais qu'il me fallait le faire. Comme je te l'ai
  dit, j'avais connu beaucoup de familles parce que beaucoup venaient nous
  trouver. J'ai préféré m'installer auprès de celle de Zénon parce que
  précisément c'est dans ce milieu que je compte travailler.  
   
  Une dame romaine voulait me recevoir dans sa splendide maison près des colonnades d'Hérode. Une très riche syrienne me
  proposait une place de directrice dans la fabrique d'étoffes que son mari, de
  Tyr, a installé à Séleucie. Une prosélyte, veuve, mère de sept enfants, qui
  habite près du pont de Séleucie voulait m'avoir en souvenir de Jean qui avait
  été le maître de ses garçons. Une famille gréco-assyrienne qui possède des
  magasins dans une rue près du Cirque, me demandait d'aller chez elle, parce
  que, à l'époque des jeux, je pouvais leur être utile. Enfin un romain, déjà
  centurion, je crois, certainement militaire, resté ici avec je ne sais quel
  fonction précise, guéri lui aussi par le baume, insistait pour m'avoir.      
   
  Non, je ne voulais pas les riches, ni les marchands. Je voulais des âmes, et des âmes grecques et romaines, parce que je
  sens que c'est par elles que doit commencer l'expansion de ta Doctrine dans
  le monde.        
   
  Et me voici dans la maison de Zénon, sur les pentes du Sulpius
  près des casernes. La citadelle surplombe, menaçante, de son sommet.
  Cependant, avec son aspect si peu engageant, elle vaut mieux que les riches
  palais de l'Onpholus et du Nimpheus,
  et j'y ai des amis. Un soldat qui te connaît, du nom d'Alexandre : un
  cœur simple d'enfant enfermé dans un grand corps de soldat. Et le tribun
  lui-même, arrivé depuis peu de Césarée, qui sous sa chlamyde possède un cœur droit. Dans sa rude simplicité,
  Alexandre est plus proche de la Vérité. Mais le tribun aussi t'admire comme
  un rhéteur parfait, un philosophe 'divin', comme il dit, il n'est pas hostile
  à la Sagesse, s'il ne peut pas encore accueillir la Vérité.           
   
  Haut de page.         
   
  244> Mais les conquérir, eux et leurs familles, en te
  faisant quelque peu connaître, cela veut dire jeter la semence de cette
  connaissance au septentrion et au midi, à l'orient et à l'occident, parce que
  les troupes sont comme les grains secoués par le van
  ou plutôt des balles que le tourbillon, dans notre cas le vouloir des Césars
  et les besoins de l'empire, répand dans toutes les directions.  
   
  Un jour viendra où tes apôtres, comme des oiseaux qui prennent leur vol, se répandront sur la Terre, et ce sera pour
  eux une grande aide de trouver dans les lieux de leur apostolat une personne,
  une seule, même une seule qui n'ignore pas que tu as existé. C'est dans cette
  pensée aussi que je soigne les membres souffreteux des anciens gladiateurs,
  et les blessures des jeunes gladiateurs. C'est pour cela aussi que je n'évite
  plus les dames romaines, pour cela que je supporte ceux qui me faisaient
  souffrir... Tout. Pour Toi.         
   
  Si je me trompe, donne-moi les conseils de ta sagesse. Sache seulement, mais
  cela tu le sais, que mes erreurs viennent de mon incapacité, mais pas de la
  malice.         
   
  Seigneur, ta servante t'en a tant dit... un rien pourtant de ce qu'elle a dans le cœur. Mais tu vois mon esprit,
  Seigneur... Quand verrai-je ton visage ? Quand reverrai-je ta Mère, les
  frères ?... La vie est un rêve qui passe. La séparation passera. Je
  serai en Toi et avec eux, et ce sera la joie et la liberté pour moi, pour moi
  aussi, comme pour Jean.     
   
  Je me prosterne à tes pieds, mon Sauveur, bénis-moi en me donnant ta paix. À
  Marie de Nazareth, aux disciples mes compagnes, paix et bénédiction. Aux
  apôtres et aux disciples, paix et bénédiction. À Toi, Seigneur, gloire et
  amour".  
   
    461.20 - J'ai lu. Mère, viens avec Moi. Vous, attendez-moi, ou
  bien reposez-vous. Je ne vais pas rentrer. Je reste en prière avec ma Mère. Jeanne, si on me cherche, je suis dans le
  pavillon près du lac."  
   
  Pierre a tiré Marie à part, et il lui parle, excité, mais à voix basse. Marie lui sourit et murmure quelque chose, puis
  elle rejoint son Fils qui suit le sentier à peine visible dans la nuit.           
   
  "Que voulait Simon de Jonas ?"  
   
  "Savoir, mon Fils. C'est un enfant... un grand enfant... Mais il est
  si bon."            
   
  "Oui, il est très bon, et il t'a priée, toi qui es toute bonne, pour
  savoir... Il a trouvé le point faible : toi
  et Jean. Je le sais, je fais semblant de ne pas le savoir, mais je le sais.
  Mais je ne puis toujours céder pour lui faire plaisir...       
   
  Haut de page.         
   
  245> Il ne fallait pas, Jonathas. Nous serions restés même
  dans l'obscurité" dit-il en voyant Jonathas qui accourt avec une
  lanterne d'argent qu'il met sur la table et des coussins qu'il place sur les
  sièges du pavillon.   
   
  "C'est Jeanne qui l'a commandé. Paix à Toi, Maître."            
   
  "Et à toi."    
   
  Ils restent seuls.    
   
  "Je disais que je ne puis toujours lui faire plaisir. Ce soir, je ne le
  pouvais pas. Toi seule tu peux savoir les points que j'ai tus. C'est pour
  cela que j'ai voulu t'avoir avec moi, et aussi pour rester avec toi, Maman...
  Rester avec toi, dans les dernières heures avant une séparation c'est
  rassembler une si grande et si douée force pour en être riche dans les heures
  nombreuses de solitude au milieu du monde qui ne me comprend pas ou me
  comprend mal. Et rester avec toi, dans les premières heures d'un retour,
  c'est retrouver tout de suite des forces dans ta douceur, après tous les
  calices que je dois boire dans le monde... et qui sont si rebutants et si
  amers."     
   
  Marie le caresse sans parler. Debout près de Jésus assis, c'est la Mère qui réconforte le Fils. Mais il la fait asseoir et
  lui dit :      
   
  "Écoute..."   
   
  Alors Marie, attentive, assise en face de Lui, devient la disciple suspendue
  aux lèvres de Jésus son Maître.         
   
    461.21 - "Syntica écrit en parlant d'Antioche : "Je
  ne sais pas toujours distinguer où cesse la volonté des hommes et où commence
  celle de Dieu car je ne suis pas sage, mais ce qui m'a amenée ici, c'est une
  volonté plus forte que mon désir, et peut-être cela a été la volonté de Dieu.
  Il est certain que, sans doute par une grâce du Ciel, j'aime désormais cette
  ville : avec les sommets du Casius et de
  l'Aman, qui veillent
  sur elle des deux côtés, et la crête verte des Montagnes noires plus
  lointaines, elle me rappelle beaucoup ma Patrie perdue. Et il me semble que
  c'est le premier pas du retour vers ma terre, et ce n'est pas le premier pas
  d'une pèlerine qui y retourne pour y mourir, mais d'une messagère de vie, qui
  vient donner la vie à celle qui fut sa mère. Il me semble que c'est d'ici,
  après m'être reposée comme une hirondelle qui reprendra son vol, et m'être
  nourrie de Sagesse, que je dois voler là-bas vers la ville où j'ai vu la
  lumière, et de laquelle je veux, je voudrais m'élever vers la Lumière lorsque
  je lui aurai donné la Lumière qui m'a été donnée.      
   
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  246> Ceux qui sont mes frères en Toi, je le sais,
  n'approuveraient pas cette manière de voir.
  Ce n'est que pour eux qu'ils veulent ta Sagesse, mais ils se trompent. Un
  jour ils comprendront que le monde attend, et que le monde qu'ils méprisent
  sera le meilleur. Moi, je leur prépare le chemin. Pas ici seulement, mais
  avec ceux si nombreux qui séjournent ici et puis retournent dans d'autres
  pays, et je ne me préoccupe pas tellement de savoir si ce sont des gentils ou
  des prosélytes, des grecs ou des romains, ou des autres colonies de l'empire
  ou de la Diaspora. Je parle, j'éveille le désir de te connaître... La mer ne
  s'est pas faite d'une nuée qui s'y est déversée ; elle est faite de
  nuées, de nuées innombrables qui se déversent sur la Terre, et s'en vont vers
  la mer. Je serai une nuée, la mer ce sera le christianisme. Je veux
  multiplier la connaissance de ta personne, pour contribuer à former la mer du
  christianisme. Moi, grecque, je sais parler aux grecs, non pas tant à cause
  de la langue que de la communauté de vues... Moi, autrefois esclave des
  romains, je sais travailler leurs esprits dont je connais les points
  sensibles. Et, après avoir vécu parmi les hébreux, je sais aussi comment m'y
  prendre avec eux, spécialement ici où les prosélytes sont nombreux. Jean est
  mort pour ta gloire. Moi, je vivrai pour ta gloire. Bénis nos esprits".   
   
    461.22 - Et plus loin, là où elle parle de la mort de Jean, là où
  je n'ai pas laissé Simon lire, elle a écrit :   "Jean est mort après avoir accompli
  toutes les purifications, même la dernière, de pardonner à ceux qui, par
  leurs manières d'agir, l'ont tué et t'ont contraint à l'éloigner. Je sais
  leurs noms, au moins du principal d'entre eux. Jean me l'a révélé en me disant :
  'Méfie-toi toujours de lui. C'est un traître. Il m'a trahi, il le trahira Lui
  et ses compagnons, mais je pardonne à l'Iscariote comme Lui pardonnera. Il
  est déjà si grand l'abîme où il gît, que je ne veux pas le faire plus profond
  en lui refusant de lui pardonner de m'avoir tué en me séparant de Jésus. Mon pardon ne le sauvera pas. Rien
  ne le sauvera, car c'est un démon. Je ne devrais pas le dire, moi qui ai été
  assassin, mais j'avais au moins une offense pour me rendre fou. Lui s'attaque
  à quelqu'un qui ne lui a pas fait de mal, et il finira par trahir son
  Sauveur. Mais je lui pardonne car la bonté de Dieu a fait sortir mon bien de
  sa haine pour moi. Tu vois ? J'ai tout expié. Lui, le Maître, me l'a dit
  hier soir. J'ai tout expié. Maintenant je sors de prison,
  maintenant j'entre vraiment dans la liberté, libre aussi du poids du souvenir
  du péché de Judas de Kérioth envers un malheureux qui avait trouvé la paix
  près de son Seigneur'.            
   
  Haut de page.         
   
  247> Moi aussi, à son exemple, je lui pardonne de m'avoir
  arrachée à Toi, à la Mère bénie, aux sœurs mes condisciples, de m'avoir
  empêchée de t'entendre, de te suivre jusqu'à la mort, pour être présente à
  ton triomphe de Rédempteur. Et je le fais à cause de Toi, en ton honneur, et
  pour alléger tes souffrances. Sois en paix, mon Seigneur. Le nom de
  l'opprobre qui se trouve dans les rangs de ceux qui te suivent ne sortira
  jamais de mes lèvres et, avec cela, rien ne sortira de ce que j'ai entendu
  près de Jean quand son moi parlait avec ton invisible et béatifiante
  Présence. J'ai hésité, me demandant si je viendrais te voir avant de me fixer
  dans ma nouvelle demeure, mais j'ai senti que je me serais trahie par la
  répulsion que j'ai pour l'Iscariote, et que je t'aurais nui auprès de tes
  ennemis. J'ai donc sacrifié ce réconfort... certaine que le sacrifice ne sera
  pas sans fruit ni sans récompense".            
   
    461.23 - Voilà, Mère. Pouvais-je lire ceci à Simon ?" 
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