Le mardi 29 octobre 1946.
175/176> 520.1 - Ils
sont encore à onze quand ils reprennent la route. Onze visages pensifs et
dégoûtés autour du visage affligé de Jésus qui a pris congé des sœurs et qui, après un instant de
réflexion, avant de franchir la grille, ordonne à Simon le Zélote
et à Barthélemy
:
"Vous, restez ici. Vous me rejoindrez à Tecua chez Simon,
ou bien dans la maison de Nikê, près de Jéricho, ou à Bethabara.
Cela, s'il vient. Et... servez la Charité. Vous m'avez compris ?"
"Va en toute tranquillité, Maître. Nous n'offenserons en aucune manière
l'amour du prochain" assure Barthélemy.
"Quelle que soit l'heure où il vous rejoindra, partez de suite."
"Tout de suite, Maître. Et... merci de la confiance que tu as en
nous" dit le Zélote.
Ils échangent un baiser, et pendant qu'un serviteur ferme le portail et que
Jésus s'éloigne, les deux qui sont restés reviennent avec les sœurs vers la
maison.
Jésus est en avant, seul, derrière, Pierre entre Matthieu et Jacques d'Alphée;
puis Philippe
avec André,
Jacques
et Jean de
Zébédée. En dernier lieu, silencieux autant que les autres,
viennent Thomas
et Jude
Thaddée. Mais je me suis mal exprimée. Pierre aussi est silencieux.
Ses deux compagnons échangent quelques mots, mais lui, qui est entre les
deux, ne parle pas. Il marche taciturne, la tête basse, et il semble échanger
un muet colloque avec les pierres et l'herbe sur lesquelles il marche.
520.2 - Les deux derniers aussi ont à peu
près la même attitude. Thomas semble plongé dans la contemplation d'une
petite branche de saule qu'il effeuille, feuille après feuille, et il regarde
chaque feuille après l'avoir détachée comme pour en étudier la couleur vert
pâle d'un côté, argentée de l'autre, ou les veines de la trame. Jude Thaddée
regarde fixement tout droit devant lui. Je ne sais pas s'il regarde l'horizon qui, après le franchissement d'une crête, s'ouvre
sur la clarté vaporeuse d'une plaine à l'aurore, ou s'il regarde uniquement
la tête blonde de Jésus qui a rejeté en arrière le bord de son manteau comme
pour jouir sur sa tête du doux soleil de décembre.
Elle finit en même temps l'occupation de Thomas et la contemplation de
l'horizon ou du Maître de la part de Jude Thaddée. Ce dernier abaisse les
yeux et tourne la tête pour regarder son compagnon alors que Thomas, après
avoir réduit sa branchette à une petite cravache, lève les yeux pour regarder
le Thaddée. Un regard aigu et en même temps bon et triste qui rencontre un
même regard.
"C'est ainsi, ami ! C'est vraiment ainsi !" dit Thomas comme
s'il terminait une conversation.
"Oui, c'est ainsi. Et ma douleur est bien grande... Pour moi, il y a en
plus l'amour de parent..."
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177> "Je comprends. Mais... Tu as
un tourment d'affection au cœur, mais, et moi ? J'ai un remords qui me
tourmente, et c'est pire encore."
"Un remords, toi ? Tu n'as rien qui motive un remords. Tu es bon et
fidèle. Jésus est content de toi et nous, nous n'avons jamais eu de toi aucun
motif de scandale. Comment alors te vient cette impression de remords ?"
"D'un souvenir. Le souvenir du jour où
j'ai décidé de suivre le nouveau Rabbi
qui était apparu au Temple...
520.3 - Judas et
moi, nous étions à côté et nous avons admiré l'attitude et les paroles du
Maître. Et j'ai décidé de le rechercher... J'étais encore plus décidé que
Judas et je l'ai pour ainsi dire traîné. Lui dit le contraire, mais il en est
ainsi. Voilà la cause de mon remords : d'avoir insisté pour qu'il vienne...
J'ai apporté une douleur continuelle à Jésus. Mais Judas, je le savais, était
bien vu de... beaucoup de gens, et je pensais qu'il pouvait être utile.
J'étais sot comme tous ceux qui ne savent penser qu'à un roi d'Israël plus
grand que David et Salomon, mais toujours un roi... un roi comme Lui dit
qu'il ne sera jamais, j'avais vivement désiré que parmi les disciples il y
eût lui qui pouvait être utile !... Je l'espérais et c'est seulement
maintenant que je comprends, que je comprends de plus en plus la justice de
Jésus qui ne l'accueillit pas tout de suite, qui lui défendit même de le
chercher... Un remords, te dis-je ! Un remords ! Cet homme n'est pas
bon."
"Il n'est pas bon, mais ne te crée pas des remords. Ce n'est pas par
malice que tu as fait ce que tu as fait, et par conséquent il n'y a pas de
faute. Je te le dis."
"En es-tu bien sûr ? Ou le dis-tu pour me consoler ?"
"Je le dis parce que c'est vrai. Ne pense plus au passé, Thomas. Cela ne
sert pas à le supprimer..."
"Tu parles bien ! Mais réfléchis ! Si à cause de moi mon Maître
subissait des malheurs... J'ai le cœur plein d'anxiété et de soupçons. Je
suis un pécheur car je juge le compagnon et mon jugement est sans pitié. Et
je suis pécheur car je devrais croire aux paroles du Maître... Lui excuse
Judas... Toi... tu y crois à ton Frère ?"
"En tout, sauf en cela. Mais ne te désole pas. Nous avons tous la même
pensée. Même Pierre, qui se consume tant, s'efforce de penser toute sorte de
bien de cet homme, même André qui est plus doux
qu'un agnelet, même Matthieu, le seul d'entre nous qui n'a pas de dégoût pour
aucun pécheur ou pécheresse.
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176> Et Jean si affectueux et si pur,
qui a l'heureux sort de ne pas craindre le mal ni le vice, car il est si
rempli de charité et de pureté qu'il n'a pas de place pour accueillir autre
chose. Et il l'a mon frère. Je parle de Jésus, et certainement il a aussi
d'autres pensées avec cela, des pensées pour lesquelles il voit la nécessité
de garder Judas... jusqu'à ce qu'il aura épuisé
toute tentative de le rendre bon."
"Oui. Mais... comment cela finira-t-il ? Il a de nombreuses... Il n'a
pas... Enfin, tu comprends sans que je le dise. Où en arrivera-t-il ?"
"Je ne sais pas... Peut-être il se séparera de nous... Peut-être il
restera pour attendre de voir qui est le plus fort dans cette lutte entre
Jésus et le monde hébraïque..."
"Et autre chose ? Ne penses-tu pas que lui, dès maintenant, sert déjà
deux maîtres ?"
"C'est certain."
"Et tu ne crains pas qu'il puisse servir les plus nombreux, de façon à
nuire totalement au Maître ?"
"Non. Je ne l'aime pas, mais je ne puis penser qu'il... Du moins pour le
moment, non. Certainement pourtant je le craindrai s'il arrive un jour que la
faveur de la foule abandonne le Maître. Alors que si une acclamation
populaire le consacrait notre roi et notre chef, je suis certain que Judas
abandonnerait tout le monde pour Lui. C'est un profiteur... Que Dieu le
retienne, et protège Jésus et nous tous ! ..."
520.4 - Les deux s'aperçoivent qu'ils ont
beaucoup ralenti leur marche et qu'ils sont à une grande distance de leurs
compagnons, et sans plus parler, ils se mettent à marcher rapidement pour les
rejoindre.
"Maïs que faisiez-vous ? demande Matthieu. Le Maître vous demandait..."
Thomas et le Thaddée se hâtent d'aller trouver Jésus.
"De quoi parliez-vous ?" demande Jésus en fixant leurs visages.
Les deux se regardent. Parler ? Ne pas parler ? La sincérité l'emporte.
"De Judas" disent-ils ensemble.
"Je le savais, mais j'ai voulu mettre votre sincérité à l'épreuve. Vous
m'auriez affligé si vous m'aviez menti... Mais n'en parlez plus et surtout de
cette manière. Il y a tant de bonnes choses dont on peut parler.
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179> Pourquoi s'abaisser toujours à considérer
ce qui est très, trop matériel ? Isaïe dit : "Laissez l'homme qui a
l'esprit dans les narines".
Moi je vous dis : cessez d'analyser cet homme et occupez-vous de son esprit.
L'animal qui est en lui, son monstre, ne doit pas attirer vos regards ni vos
jugements, mais ayez de l'amour, un amour douloureux et actif pour son
esprit. Délivrez-le du monstre qui le tient. Vous ne savez pas,"...
Il se retourne pour appeler les sept
autres :
"Venez tous ici, car à tous est utile ce que je dis parce que vous avez
tous les mêmes pensées dans le cœur... Vous ne savez pas que vous apprenez
davantage à travers Judas de Kérioth qu'à
travers toute autre personne ? Vous trouverez beaucoup de Judas et très peu
de Jésus dans votre ministère apostolique. Les Jésus seront bons, doux, purs,
fidèles, obéissants, prudents, sans avidité. Il y en aura bien peu... Mais
combien, combien de Judas de Kérioth vous trouverez, vous et ceux qui vous
suivront et vos successeurs, sur les chemins du monde ! Et pour être maître
et savoir, vous devez suivre cette école... Lui, avec ses défauts, vous
montre l'homme tel qu'il est. Moi, je vous montre l'homme tel qu'il devrait
être. Deux exemples également nécessaires. Vous, en connaissant bien l'un et
l'autre, vous devez chercher à changer le premier dans le second... Et que ma
patience soit votre règle."
520.5 - "Seigneur, j'ai été un grand
pécheur, et je serai certainement un exemple, moi aussi. Mais je voudrais que
Judas, qui n'est pas un pécheur comme je l'ai été, devienne le converti que
je suis. Est-ce de l'orgueil de le dire ?"
"Non, Matthieu, ce n'est pas de l'orgueil. Tu rends honneur à deux
vérités en le disant. La première c'est qu'elle est véridique la sentence qui
dit : "La bonne volonté de l'homme opère des miracles divins". La
seconde c'est que Dieu t'a aimé infiniment, dès le temps où tu n'y pensais
pas, et Il agissait ainsi parce que ne Lui était pas inconnue ta capacité
d'héroïsme. Tu es le fruit de deux forces : ta
volonté et l'amour de Dieu. Et je mets en premier lieu ta volonté, car sans
elle, vain aurait été l'amour de Dieu. Vain, inerte..."
"Mais Dieu ne pourrait-il pas
nous convertir
sans notre volonté ?" demande Jacques d'Alphée.
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180> "Certainement. Mais ensuite la
volonté de l'homme serait toujours requise pour persister dans la conversion
obtenue miraculeusement."
"Alors, en Judas, cette volonté n'a pas existé et n'existe pas ni avant
de te connaître, ni maintenant..." dit avec impétuosité Philippe.
Certains rient, d'autres soupirent.
Jésus est le seul qui défende l'apôtre absent :
"Ne le dites pas ! Il l'a eue et il l'a, mais la mauvaise loi de la
chair la domine par intervalles. C'est un malade... Un pauvre frère malade.
Dans toute famille, il y a le faible, le malade, celui qui est la peine,
l'angoisse, la charge de la famille. Et pourtant n'est-il pas le plus aimé de
sa mère, l'enfant frêle ? N'est-il pas le plus choyé de ses frères le petit
frère malheureux ? N'est-il pas celui auquel son père donne la meilleure
bouchée en l'enlevant pour lui du plat, pour lui donner une joie, pour ne pas
lui faire comprendre qu'il est un poids, et ne pas lui rendre pesante de
cette façon son infirmité ?"
"C'est vrai, tout à fait vrai. Ma sœur jumelle
était frêle en étant enfant. Toute la force c'était moi qui l'avais prise.
Mais l'amour de toute la famille l'a tellement soutenue, que maintenant c'est
une épouse et une mère florissante" dit Thomas.
"Voilà. Vous, avec votre frère spirituel débile, faites ce que vous
feriez avec un frère à la santé débile. Je n'aurai pas une parole de
reproche. Vous n'êtes pas plus que Moi. Votre patient amour est le reproche
le plus fort et auquel on peut ne pas réagir. À Tecua, je laisserai Matthieu
et Philippe pour attendre Judas... Que le premier se souvienne qu'il a été
pécheur, et le second qu'il est père..."
"Oui, Maître, nous nous en souviendrons."
"À Jéricho, s'il n'est pas encore avec nous, je laisserai André et Jean,
et qu'eux se souviennent que tous n'ont pas reçu dans la même mesure les dons
gratuits de Dieu...
520.6 - Mais allez trouver ce vieux mendiant
qui vacille sur la route. La ville est en vue. Avec l'obole il pourra se
procurer du pain."
"Seigneur, cela ne nous est pas possible. Judas s'en est allé avec la
bourse..., dit Pierre, et les sœurs
ne nous ont rien donné."
"Tu as raison, Simon. Elles sont comme étourdies par la douleur et nous
avec elles. Peu importe. Nous avons un peu de pain. Nous sommes jeunes et forts. Donnons-le au vieil homme pour qu'il ne tombe
pas en route."
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181> Ils fouillent dans leurs sacs,
rassemblent des morceaux de pain, les donnent au petit vieux qui les regarde,
étonné.
"Mange, mange !" dit Jésus pour l'encourager et il le fait boire à
sa gourde tout en lui demandant où il va.
"À Tecua. Il y a un grand marché demain. Mais depuis hier, je n'ai pas
mangé."
"Tu es seul ?"
"Plus que seul... Mon fils m'a chassé..."
La voix sénile déchire le cœur quand on l'entend.
"Dieu t'ouvrira les portes de son Royaume si tu sais croire en sa
miséricorde."
"Et en celle de son Messie. Mais mon fils n'aura pas le Messie, car il
ne peut avoir le Messie, lui qui le hait, au point de haïr son père parce
qu'il l'aime."
"C'est pour cela qu'il t'a chassé ?"
"Pour cela, et pour ne pas perdre l'amitié de certains qui le
persécutent. Il a voulu leur montrer que sa haine dépasse la leur, au point
qu'elle domine même la voix du sang."
"Quelle horreur !" disent tous les apôtres.
"Ce serait plus horrible si moi j'avais les mêmes pensées que mon
fils" dit avec véhémence le petit vieux.
"Mais, qui est-ce ? Si j'ai bien compris ce doit être quelqu'un qui est
puissant et qu'on écoute..." dit Thomas.
"Homme, ce n'est pas un père qui dira le nom de son fils coupable pour
le faire mépriser. Je dois dire que j'ai faim et froid, moi qui à force de
travail avais augmenté le bien-être de la maison pour rendre mon garçon
heureux. Mais rien de plus que cela. Réfléchis que je suis de Judée et que
lui est aussi de Judée et qu'ainsi nous sommes de la même race, mais ne
pensons pas la même chose. Le reste est inutile."
520.7 - "Et tu ne demandes rien à Dieu,
toi qui es un juste ?" questionne doucement Jésus.
"Qu'il touche le cœur de mon enfant et l'amène à croire ce que je
crois."
"Mais pour toi, seulement pour toi, tu ne demandes rien ?"
"De rencontrer Celui qui pour moi est le Fils de Dieu, pour le vénérer
et mourir ensuite."
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182> "Mais si tu meurs, tu ne le
verras plus. Tu seras dans les Limbes..."
"Pour peu de temps. Tu es un rabbi, n'est-ce pas ? J'y vois très peu...
L'âge... mes nombreuses larmes, et la faim aussi... Mais je vois les nœuds de
ta ceinture... Si tu es un bon rabbi, comme il me semble, tu dois te rendre
compte toi aussi que le temps est arrivé, le temps dont parle Isaïe, je veux
dire. Et elle va arriver l'heure où l'Agneau prendra sur Lui tous les péchés
du monde et portera tous nos maux et toutes nos douleurs, et pour ce motif
sera transpercé et immolé pour que nous soyons guéris et en paix avec
l'Éternel.
Et alors, pour les esprits aussi, ce sera la paix... Je l'espère en me
confiant à la miséricorde de Dieu."
"Tu n'as jamais vu le Maître ?"
"Non. Je l'ai entendu parler dans le Temple, aux fêtes. Mais je suis
petit, et l'âge me rapetisse encore, et j'y vois peu, comme je l'ai dit.
Aussi, si je vais dans la foule, je ne vois pas à cause de ceux qui sont
devant moi, et si je reste loin, je ne vois pas à cause de la distance. Oh !
je voudrais le voir ! Au moins une fois !"
"Tu le verras, père, Dieu te contentera. Et à Tecua, tu as où aller
?"
"Non. Je resterai sous un portique ou sous une entrée. J'y suis habitué
désormais."
"Viens avec Moi. Je connais un bon Israélite. Il t'accueillera au nom de
Jésus, le Maître de Galilée."
"Toi aussi, tu es galiléen, pourtant. Je le vois à ton accent."
"Oui... Tu es fatigué ? Mais nous sommes déjà aux premières maisons. Tu
vas bientôt te reposer et tu pourras te restaurer."
520.8 - Jésus se penche pour dire quelque
chose à Pierre, et Pierre se déplace pour dire aux autres ce que lui a dit
Jésus, et que je ne saisis pas. Puis, avec les fils d'Alphée et Jean, il
accélère la marche pour entrer dans la ville. Jésus le suit avec les autres
en réglant son pas sur celui du petit vieux qui ne parle plus, tout à fait à
bout, de sorte qu'il finit par rester en arrière avec André et Matthieu.
La ville paraît vide. C'est midi et beaucoup de gens sont dans les maisons
pour le repas. Après quelques mètres, voici Pierre :
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183> "C'est fait, Seigneur. Simon
l'accueille parce que c'est Toi qui l'amènes et il te remercie d'avoir pensé
à lui."
"Bénissons le Seigneur ! Il y a encore des justes en Israël. Ce
vieillard en est un, et Simon un autre. Oui, il y a encore des gens qui sont
bons, miséricordieux, fidèles au Seigneur. Et cela compense tant d'amertumes,
et fait espérer que la justice divine s'adoucira à cause de ces justes."
"Pourtant !... Un fils qui chasse son père certainement pour ne pas perdre l'amitié de quelque puissant pharisien !"
"À ce point peut arriver la haine pour Toi ! J'en suis indigné !"
dit Philippe.
"Oh ! vous en verrez bien davantage !" répond Jésus.
"Davantage ? Et qu'y a-t-il de plus qu'un père que l'on chasse parce
qu'il ne te hait ? Il est énorme le péché de cet homme ! ..."
"Plus énorme sera le péché d'un peuple contre son Dieu... Mais attendons
le vieil homme..."
"Qui peut bien être son fils ?"
"Un pharisien !"
"Un sanhédriste !"
"Un rabbi."
Les avis sont divers.
"Un malheureux. Ne cherchez pas à savoir. Aujourd'hui il a frappé son
père, demain, il me frappera.
Vous voyez donc que le péché de Judas, de s'être ainsi éloigné comme un
gamin, n'est rien en comparaison. Et pourtant, je prierai pour ce fils
ingrat, pour cet hébreu qui offense Dieu, pour qu'il se repente. Vous, faites
la même chose...
520.9 - Viens, père. Comment t'appelles-tu
?"
"Éli-Hanna.
Je n'ai jamais été heureux ! Mon père est mort avant ma naissance et ma mère
en m'enfantant. La mère de ma mère, qui m'a élevé, m'a donné les deux noms de
mon père et de ma mère réunis."
"Vraiment tu es un Éli, homme, et ton fils ressemble à Finnès"
dit Philippe qui ne peut se résigner à un pareil péché.
"Que Dieu ne le veuille pas, homme. Finnès est mort pécheur et il est
mort quand l'arche fut prise. Cela serait un malheur pour son âme et pour
tout Israël" répond le petit vieux.
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184> "Tu vois, cette maison m'est
amie et j'obtiens ce que je lui demande. Elle appartient à un certain Simon,
homme juste devant Dieu et devant les hommes. Il t'accueille par amour pour
Moi si tu acceptes cet endroit" dit Jésus avant de frapper à la porte.
"Et puis-je faire un choix ? J'invoquerai les bénédictions du Ciel sur
celui qui me donnera le pain et l'abri de la charité. Mais je veux
travailler. Ce n'est pas une honte d'être serviteur. C'est une honte de
commettre le péché..."
"Nous allons le dire à Simon" dit Jésus avec un sourire de
compassion, en regardant le vieillard réduit à rien par les privations et la
douleur morale.
520.10 - On ouvre la porte :
"Entre, Maître, la paix soit avec Toi et avec ceux qui sont avec Toi. Où
est ce frère que tu m'amènes ? Que je puisse lui donner le baiser de paix et
de bienvenue" dit un homme
d'environ cinquante ans.
"Le voilà, et que le Seigneur te récompense."
"Je le suis. Tu es mon hôte, et qui te possède, possède Dieu. Je ne
t'attendais pas, et je ne puis t'honorer comme je voudrais. Mais j'entends
dire que tu comptes repasser d'ici quelques jours et je serai prêt à
t'accueillir comme il convient."
Ils sont maintenant dans une pièce où sont préparés des bassins fumants pour
les ablutions. Le vieillard reste intimidé contre la porte, mais le maître de
maison le prend par la main et l'amène à un siège, veut le déchausser de sa
main, le servir comme un roi, et puis lui mettre des sandales neuves, alors
que le vieillard dit :
"Pourquoi ? Mais pourquoi ? Je suis venu pour servir et tu me sers ! Ce
n'est pas juste."
"C'est juste, homme. Je ne puis suivre le Rabbi parce que ma maison
demande ma présence, mais comme le dernier disciple du Maître saint je
m'arrange pour mettre en pratique ses paroles."
"Tu le connais bien. Tu le connais vraiment, car tu es bon. Nombreux
sont ceux qui le connaissent en Israël, mais comment ? Avec leurs yeux et
leur haine, et donc ils ne le connaissent pas. On connaît une femme quand on
n'ignore plus rien d'elle et qu'on la possède tout entière. Il en est ainsi
de Jésus de Nazareth, que je ne connais pas de vue, mais que je connais plus
que tant de gens car je crois qu'en Lui se trouve la Sagesse. Mais toi, tu le
connais vraiment, et Lui et sa doctrine."
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185> L'homme regarde Jésus, mais il ne
dit rien.
Le vieillard reprend :
"J'ai dit à ce Rabbi que je veux travailler..."
"Oui, oui, nous trouverons un travail pour toi, mais pour le moment
viens à table. Maître, tes disciples vont bientôt arriver. Pouvons-nous nous
mettre à table quand même ou préfères-tu les attendre ?"
"Je voudrais les attendre, mais si tu as du travail à faire..."
"Oh ! Maître, tu sais que c'est une joie pour moi d'obéir à ton plus
petit désir."
Le petit vieux a en ce moment un premier soupçon sur l'identité de l'Homme
qui l'a secouru en route, puis il le regarde, le regarde, puis il regarde ses
compagnons... les examine attentivement... et tourne autour d'eux...
520.11 - Les fils d'Alphée entrent avec Jean.
Jésus les appelle par leurs noms.
"Oh ! Dieu Très-Haut ! Mais alors... C'est Toi !" s'écrie le
vieillard et il se jette par terre pour le vénérer.
Son étonnement n'est pas inférieur à celui des autres. Elle est si étrange
cette façon de reconnaître le Maître ! Si bien que Pierre lui demande :
"Qu'y a-t-il de spécial dans ces noms si communs en Israël, pour te
faire comprendre que tu es en face du Messie ?"
"C'est que je connais Judas. Il vient toujours chez mon fils
et... " il s'arrête, gêné d'avoir nommé son fils...
"Mais moi, je ne t'ai jamais vu, homme" dit le Thaddée
en se mettant bien en face de lui et en se baissant pour être bien vis à vis.
"Moi non plus je ne te connais pas. Mais un Judas, disciple du Christ,
vient souvent chez mon fils, et j'ai entendu parler d'un Jean, d'un Jacques,
d'un Simon ami de Lazare de Béthanie et de tant d'autres choses... Entendre
trois des noms connus pour être ceux des disciples les plus intimes du Maître
! Et Lui, si bon !... J'ai compris, voilà ! Mais où est l'autre Judas ?"
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186> "Il n'est pas là, mais c'est
vrai. Tu as compris. C'est Moi. Le Seigneur est bon, père. Tu as désiré me
voir, et tu m'as vu. Bénissons les miséricordes de Dieu... Ne t'écarte pas,
Éli-Anna. Tu restais près de Moi quand j'étais pour toi un voyageur et rien
de plus. Pourquoi veux-tu t'éloigner de Moi maintenant que tu sais que je
suis le But ? Tu ne sais pas combien ton cœur m'a consolé ! Tu ne peux le
savoir. C'est Moi, et non pas toi, qui ai le plus reçu... Quand les trois
quarts d'Israël, et plus encore, me haïssent au point de se rendre criminels,
quand les faibles s'éloignent de mon chemin, quand les tribulations de
l'ingratitude, de la rancœur, de la calomnie, me blessent de toutes parts,
quand je ne puis trouver de soulagement dans la pensée que mon Sacrifice sera
le salut pour Israël, trouver quelqu'un comme toi, Ô père, c'est avoir une
compensation pour ma douleur... Tu ne sais pas... Personne ne sait les
tristesses de plus en plus profondes du Fils de l'homme. J'ai soif d'amour...
et trop de cœurs sont des sources taries auxquelles il est inutile de
m'approcher... Mais allons..."
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