"L'Évangile tel qu'il m'a été
révélé" |
aucun accent |
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Dimanche 2 décembre 29 (7 Tébeth)
- Sortie
difficile de Jean hors de sa caverne 575 - Jésus le
réchauffe et le nourrit 575 - Jean a honte
des fautes qu'il s'attribue 576 - Il n'a
cependant pas désobéi à Pierre 577 - Discours
(L'esprit de l'obéissance) 578 - Y a-t-il eu
présomption ? 578 - Discours (La
misère de la chair rend humble 579 - Les lois
naturelles et les instincts effrénés 579 - Les conseils
évangéliques) 580 - La honte de
Jean de s'être endormi 580 - Les bergers
ont passé 580 - Départ vers le
Jourdain 581 |
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575> C'est une sereine mais rigoureuse matinée d'hiver. Le givre a
blanchi de la farine cristalline de ses cristaux le sol et les herbes, et il
a fait des brindilles sèches qui gisent sur le sol, de précieux bijoux
saupoudrés de perles. Jean sort de sa caverne. Il est très pâle dans
son vêtement noisette foncé. Il doit avoir aussi très froid ou bien il est
souffrant. Je ne sais. Je sais qu'il est d'une pâleur presque livide et il a la
démarche mal assurée de quelqu'un qui n'est pas bien. Il va vers le ruisseau,
se demande s'il va ou non y plonger les mains, puis il se décide et, après
les avoir jointes, boit une gorgée de cette eau limpide, mais certainement
très froide. Il secoue ses mains et il finit de les sécher avec un pan de son
vêtement, puis il reste indécis... Il regarde vers les ruines où se trouve Jésus et vers son abri. Il
revient vers lui lentement mais, arrivé à l'ouverture qui sert d'entrée, il a
une sorte d'étourdissement et chancelle. Il tomberait s'il ne s'appuyait au
mur à moitié ruiné. Il reste là, la tête contre son bras replié, en
s'appuyant au mur pendant quelque temps et puis il lève la tête et regarde
autour de lui... Il n'entre plus dans sa tanière. En rasant le mur, en
s'accrochant aux pierres branlantes et sans crépi, il fait les quelques pas
qui le séparent de l'étable où est Jésus, et arrivé presque sur le seuil, il
se jette à genoux et gémit : "Jésus, mon Seigneur, aie pitié de moi
!" Jésus apparaît
bientôt : "Jean ? Que fais-tu ? Qu'as-tu ?" "Oh ! mon
Seigneur ! J'ai faim ! Il y a presque deux jours que je ne mange rien. J'ai
faim et froid..." et il claque des dents, très pâle. "Viens ! Viens à
l'intérieur !" dit Jésus en l'aidant à se relever. L'apôtre, soutenu par
le bras de Jésus, pleure, la tête penchée sur son épaule et soupire :
"Ne me punis pas, Seigneur, si je t'ai désobéi..." Jésus lui répond en
souriant : "Tu es déjà puni. Tu es comme quelqu'un qui expire...
Assieds-toi ici sur cette pierre. Maintenant je vais faire du feu et te
donner à manger..." et Jésus allume des petites branches et fait une
belle flambée dans le rustique foyer près de la porte. L'odeur des branches
brûlées et la gaieté des flammes se répandent dans la misérable caverne.
Jésus enfile sur une brindille les morceaux de pain, les présente à la flamme
et quand il voit qu'ils sont chauds, les couvre du cœur gras des fromages
laissés par les bergers, et le fromage revient et file sur le pain que
maintenant Jésus tient au-dessus de la flamme comme si c'était un plat. 576> "Mange maintenant et ne pleure pas" dit-il en
souriant toujours et en passant le pain à Jean, qui pleure sans bruit comme
un enfant épuisé, et ne cesse pas de pleurer même en mangeant avec avidité
cette nourriture réconfortante. Jésus se tourne vers
la crèche et il en revient avec des pommes qu'il met sous la cendre qui s'est
échauffée sous la chaleur du bois qui brûle, soutenu par deux pierres qui
font office de chenets. "Cela va mieux
maintenant ?" dit-il en s'assoyant près de son apôtre qui fait signe que
oui de la tête sans cesser de pleurer. Jésus lui passe un
bras autour du cou et l'attire à Lui, ce qui augmente les pleurs de Jean
encore trop épuisé et trop troublé peut-être par la peur d'un reproche, par
l'émotion de se voir ainsi accueilli, pour savoir faire autre chose que
pleurer. Jésus le tient
étroitement serré contre Lui sans parler tant que l'autre mange, puis il lui
dit : "Pour l'instant cela suffit. Les pommes, tu les auras plus tard.
Je voudrais te donner un peu de vin, mais je n'en ai pas. J'ai trouvé
avant-hier, à l'aube, du bois et de la nourriture en dehors de l'étable, mais
il n'y avait pas de vin et je ne puis donc t'en donner. S'il était plus tard,
je pourrais chercher du lait auprès des bergers que j'ai vu en train de faire
paître leurs troupeaux au-delà du ruisseau, mais les troupeaux ne sortent pas
tant que le givre n'a pas fondu..." "Je suis mieux.
Seigneur... Ne te fais pas de souci pour moi." "Et toi alors de
quoi t'affliges-tu pour ressembler justement à un arbre que le soleil
débarrasse du givre ?" dit Jésus en souriant encore plus vivement et en
embrassant Jean en haut du front. "Parce que je
suis bourrelé de remords, Seigneur... et... Oui ! Laisse-moi aller ! Je dois
te parler à genoux, te demander pardon..." "Pauvre Jean !
Vraiment un effort supérieur à ce que tu peux t'a affaibli même
l'intelligence. Et crois-tu que Moi j'ai besoin de tes paroles pour te juger
et t'absoudre ?" "Oui, oui. Tu
sais tout, je le sais. Mais je n'aurai pas de paix tant que je ne t'aurai pas
dit mon péché, ou plutôt mes péchés. Laisse-moi aller, laisse-moi accuser mes
fautes." "Eh bien, parle,
si cela doit te donner la paix." Jean glisse à genoux
et levant son visage en larmes, il dit : "J'ai péché par désobéissance,
par présomption et par... je ne sais pas si je dis bien en le disant : par
humanité. Mais certainement c'est ma faute la plus récente, la plus grave,
celle qui me donne la douleur la plus grande et qui me dit quel serviteur
inutile, et même plutôt égoïste, bas, je suis." 577> Les larmes inondent vraiment son visage alors que pour Jésus
le sourire se fait toujours plus lumineux. Jésus reste un peu penché sur son
apôtre en pleurs et le divin sourire est toute une caresse sur la douleur de
Jean. Mais Jean est tellement affligé qu'il n'a même pas le réconfort de ce
sourire, et il continue : "Je t'ai désobéi. Tu avais dit que nous ne
devions pas nous séparer et je me suis tout de suite séparé des compagnons et
je les ai scandalisés. J'ai répondu de travers à Judas de Kériot
qui me faisait observer que je péchais. J'ai dit : "Tu l'as fait hier [1], et je le fais
aujourd'hui. Tu l'as fait pour avoir des nouvelles de ta mère, je le fais
pour être avec le Maître et veiller sur Lui, pour le défendre"... J'ai
présumé de moi, car je voulais le faire... Moi, pauvre incapable, te
défendre, Toi ! Et puis j'ai présumé parce que je voulais t'imiter. J'ai dit
: "Certainement Lui prie et jeûne. Je ferai ce qu'il fait et dans la
même intention que Lui". Et au contraire..." Les pleurs font place
aux sanglots alors que l'aveu de la misère de l'homme, de la matière qui a
triomphé de la volonté de l'esprit, sort des lèvres de Jean : "Et au
contraire... j'ai dormi. Tout de suite j'ai dormi ! Et je ne me suis réveillé
qu'en plein jour et je t'ai vu aller au ruisseau, te laver, revenir ici et
j'ai compris qu'ils auraient pu même s'emparer de Toi sans que je fusse prêt
à te défendre. Et puis je voulais faire pénitence et jeûner, mais je n'ai pas
été capable de le faire. Par petits morceaux, presque pour ne pas manger,
j'ai fini par manger le premier jour mon peu de pain. Tu sais que je n'avais
rien d'autre. Et je n'étais pas encore rassasié que j'avais tout fini. Et le
lendemain j'ai eu encore plus faim, et cette nuit... Oh ! la nuit dernière
j'ai peu dormi à cause de la faim et du froid, et cette nuit je n'ai pas
dormi du tout... et je n'ai pas su résister davantage ce matin... et je suis
venu parce que j'ai eu peur de mourir d'épuisement... et c'est cela qui me
fait le plus de mal : de n'avoir pas su veiller pour prier et veiller sur
Toi, mais d'avoir su le faire à cause des tiraillements de la faim... Je suis
un serviteur imbécile et lâche. Punis-moi, Jésus !" "Pauvre enfant !
Je voudrais que tout le monde eût à déplorer des fautes comme les tiennes !
Mais écoute, lève-toi et écoute-moi, et la paix reviendra en ton cœur. As-tu
désobéi aussi à Simon de Jonas ?" "Non, Maître. Je
ne l'aurais jamais fait parce que tu as dît que nous devions lui rester
soumis comme à un frère aîné. Mais lui, quand je lui ai dit : "Mon cœur
n'est pas tranquille de le voir partir seul", il a répondu : 578> "Tu as raison.
Mais moi je ne puis aller car j'ai l'obligation de vous conduire. Toi, vas-y,
et que Dieu soit avec toi". Les autres ont élevé la voix, et Judas plus
que les autres. Ils ont rappelé l'obéissance et ont même fait des reproches à
Simon Pierre." "Ils ont ? Sois
sincère, Jean." "C'est vrai,
Maître. C'est Judas qui a fait des reproches à Simon et m'a assez maltraité.
Les autres ont seulement dit : "Le Maître a ordonné de rester
ensemble". Et c'était à moi qu'ils le disaient, pas à notre chef. Mais
Simon a répondu : "Dieu voit l'intention de l'acte et Il pardonnera. Et
le Maître pardonnera car c'est de l'amour" et il m'a béni et donné un
baiser et envoyé à ta suite, comme le jour que tu es allé avec Chouza au-delà du lac. [2]" "Et alors, Moi,
je n'ai pas à t'absoudre de cette faute..." "Parce qu'elle
est trop grave ?"
"Oui,
Maître." "Dois-je
t'absoudre de la faute de présomption ? Dis-moi, sans te demander si je vois
ton cœur. As-tu présumé orgueilleusement de vouloir m'imiter pour pouvoir
dire : "Par ma volonté, j'ai aboli les nécessités de la chair, parce que
je peux ce que je veux" ? Réfléchis bien..." 579> Jean réfléchit, puis il dit : "Non, Seigneur. En
m'examinant bien, non, je ne l'ai pas fait pour cela. "Eh bien, cette
petite misère de la chair, crois-tu qu'elle a été inutile ? Oh ! comme tu
t'en souviendras dans l'avenir, quand tu seras tenté d'être sévère et
exigeant avec tes disciples et tes fidèles ! Elle te reviendra à la pensée
pour te dire : "Souviens-toi que toi aussi tu as cédé à la fatigue, à la
faim. Ne veuille pas que les autres soient plus forts que toi. Sois un père
pour tes fidèles comme ton Maître a été un Père pour toi, ce matin-là".
Tu aurais très bien pu veiller et ne pas sentir ensuite cette grande faim. Mais le Seigneur a permis que tu sois soumis à ces besoins de
la chair pour te rendre humble, toujours plus humble, et toujours plus
rempli de compassion pour tes semblables. "Oui, Maître.
Mais alors dis-moi une chose : ceux qui ne veulent pas procréer pèchent-ils
contre Dieu ? Tu disais une fois que l'état de virginité est bon."
"C'est qu'il y a
toujours une faute : celle d'avoir su venir vers Toi par besoin et d'avoir su
veiller à cause de la faim, pas par amour. Je ne me le pardonnerai jamais,
cela ne m'arrivera plus. Je ne dormirai plus alors que tu souffres. Je ne
t'oublierai jamais en dormant alors que tu pleures."
581> "Qui te les a données, Seigneur ? Qui est venu te trouver
? Qui savait que tu étais ici ? Je n'ai pas entendu des voix ni des pas. Et
pourtant, depuis la première nuit, je n'ai pas cessé de veiller..." "Je suis sorti
au point du jour. Il y avait du bois devant l'entrée et par dessus du pain,
du fromage et des pommes. Je n'ai vu personne. Mais il n'y a que quelques-uns
qui peuvent avoir eu le désir de répéter un pèlerinage et un geste
d'amour..." dit lentement Jésus. "C'est vrai !
Les bergers ! Ils l'avaient dit
: "Nous allons nous rendre dans la terre de David... Ce sont des jours
de souvenir..." Mais pourquoi ne se sont-ils pas arrêtés ?" "Pourquoi ! Ils
ont adoré et..." "Et ils ont eu
pitié. Ils t'ont adoré Toi et ils ont eu pitié de moi... Ils sont meilleurs
que nous, ces hommes." "Oui. Ils ont
conservé bonne, toujours meilleure leur volonté. Pour eux, il a été sans
dommage le don que Dieu leur a fait..." Jésus ne sourit plus. Il
réfléchit et devient triste. Puis il se secoue. Il regarde Jean qui le
regarde et il dit : "Eh bien ! Allons-nous partir ? N'es-tu plus épuisé
?" "Non, Maître. Je
ne vais pas être très résistant, je crois, car j'ai les membres endoloris,
mais je crois que je puis marcher." "Et alors
partons. Va prendre ton sac, pendant que je recueille les restes dans le mien
et partons. Nous allons prendre le chemin qui va vers le Jourdain pour éviter
Jérusalem." |
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Et au retour de Jean,
ils se mettent en route en refaisant la route faite pour venir, et ils
s'éloignent à travers la campagne qui se réchauffe au doux soleil de
décembre. |
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[1] Judas a prétexté de
mauvaises nouvelles de sa mère pour rencontrer le complot synhédriste (Cf. 7.232)
[2] Lors de l'invitation de Chouza, Intendant de Hérode, tout un clan de puissants
s'était réuni pour faire couronner Jésus. Jean l'avait suivi à son insu. Cf. 7.156
[3] Allusion au futur : les apôtres endormis durant l'agonie du Gethsémani.