Le mardi 11 mars 1947.
242> 578.1 – Déjà les murs blancs des maisons de Jéricho et ses
palmiers se profilent contre un ciel d'un bleu intense de céramique ou d'émail,
quand, près d'un bosquet de tamaris ébouriffés, de mimosas sensibles,
d'aubépines aux longues épines, d'autres arbres la plupart épineux, qui
semblent être renversés là de la montagne ardue qui est en arrière de Jéricho,
Jésus rencontre un groupe important de disciples conduits
par Manahen. Ils
semblent attendre et ils attendent en effet, et ils le disent après avoir
salué le Maître ajoutant que d'autres s'étaient répandus sur d'autres routes
pour savoir, car le retard d'une nuit toute entière pour l'arrivée à Jéricho
les avait impressionnés.
"Je suis venu ici avec eux, et je ne te quitterai plus jusqu'à ce que je
te sache en sécurité chez Lazare"
dit Manahen.
"Pourquoi ? Y a-t-il quelque danger ?..." demande Jude
Thaddée.
"Vous êtes en Judée... Le décret vous le connaissez, et la haine aussi.
Par conséquent tout est à craindre" répond Manahen et, s'étant tourné
vers Jésus, il explique :
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243> "J'ai pris avec moi les plus courageux car on
pouvait présumer que, s'ils ne t'avaient pas pris, tu serais passé par là. Et
nous avons compté sur notre valeur de disciples et d'hommes pour pouvoir
impressionner les mauvais et te faire respecter."
En effet il a avec
lui des anciens disciples de Gamaliel, le prêtre Jean, Nicolaï d'Antioche, Jean d'Éphèse et d'autres hommes vigoureux dans la fleur de
l'âge, d'un air plus distingué que le commun, que je ne connais pas. De
quelques-uns d'entre eux Manahen fait rapidement la présentation, alors que
d'autres ne sont pas présentés. Ce sont des hommes de toutes les régions de
la Palestine parmi lesquels ceux de la cour d'Hérode Philippe. Des noms des plus anciennes familles d'Israël résonnent ainsi sur la route près du bosquet ébouriffé
où le vent fait trembler les feuilles des mimosas et incline les rejetons des
aubépines.
578.2 – "Allons.
N'y a-t-il personne avec les femmes chez Nikê
?" demande Jésus.
"Les bergers.
Tous, sauf Jonathas qui attend Jeanne dans son palais de Jérusalem. Mais le nombre de tes
disciples a augmenté sans mesure. Hier ils étaient environ cinq cents qui
attendaient à Jéricho, tellement que les serviteurs d'Hérode en étaient impressionnés et l'avaient rapporté à leur
maître. Et lui ne savait pas s'il fallait trembler ou sévir. Mais il est
obsédé par le souvenir de Jean et il n'ose plus lever la main sur aucun
prophète..."
"Bien ! Cela ne te fera pas de mal !" s'écrie Pierre en se frottant joyeusement les mains.
"C'est celui qui a le moins d'importance,
cependant. C'est une idole que chacun peut manœuvrer à son gré et qui l'a en
mains sait le manœuvrer."
"Et qui le tient ? Pilate, peut-être ?" demande Barthélemy.
"Pilate, pour
agir, n'a pas besoin d'Hérode. C'est un serviteur, Hérode. Ce n'est pas aux
serviteurs que s'adressent les puissants" répond Manahen.
*Et qui alors ?" demande Barthélemy.
"Le Temple" dit avec assurance quelqu'un qui est avec Manahen.
"Mais pour le Temple, Hérode est anathème. Son péché..."
"Tu es bien naïf, Barthélemy, malgré ta science et ton âge ! Tu ne sais
donc pas que le Temple sait passer sur beaucoup de choses, sur trop de
choses, pour atteindre son but ? C'est pour cela qu'il n'est plus digne
d'exister" dit Manahen avec un geste de souverain mépris.
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244> "Tu es Israélite. Tu ne dois pas parler ainsi. Le
Temple est toujours le Temple pour nous" dit Barthélemy pour l'avertir.
"Non. C'est le cadavre de ce qu'il était. Et un cadavre devient charogne
immonde quand il est mort depuis un certain temps. C'est pour cela que Dieu a
envoyé le Temple vivant : pour que nous puissions nous prosterner devant le
Seigneur sans que ce soit une pantomime immonde."
578.3 – "Tais-toi
!" susurre à Manahen un autre qui est avec lui, parce qu'il parle trop clairement. C'est un de ceux qui
n'ont pas été présentés et qui reste entièrement couvert.
"Et pourquoi devrais-je me taire, si c'est ainsi que parle mon cœur ?
Penses-tu que ce que je dis puisse nuire au Maître ? S'il en est ainsi, je me
tairai, pas pour une autre raison. Même s'ils me condamnaient, je saurai dire
: "C'est ce que je pense et ne châtiez pas d'autres que moi".
"Manahen a raison. Cela suffit de se taire par peur. C'est le moment
pour chacun de se prononcer pour ou contre et pour dire ce qu'il a sur le
cœur. Je pense comme toi, frère en Jésus. Et si cela peut causer notre mort,
nous mourrons ensemble en confessant encore la vérité" dit
impétueusement Étienne.
"Soyez prudents ! Soyez prudents ! exhorte Barthélemy. Le Temple est
toujours le Temple. Il faillira, certainement il n'est pas parfait, mais il
est... il est... Après Dieu, il n'y a personne de plus grand, et forces de
plus grandes que le Grand Prêtre et le Sanhédrin... Ils représentent Dieu, et
nous devons voir ce qu'ils représentent, non ce qu'ils sont. Je me trompe
peut-être, Maître ?"
"Tu ne te
trompes pas. En toute constitution, il faut savoir considérer l'origine :
dans ce cas le Père Éternel, qui a constitué le Temple et les hiérarchies,
les rites et l'autorité des hommes préposés pour le représenter. Il faut
savoir remettre au Père le jugement. Lui sait quand et
comment intervenir. Comment pourvoir à ce que la corruption en se propageant
ne corrompe pas tous les hommes et ne les fasse pas douter de Dieu... Et en
cela Manahen a su voir juste, en voyant la raison de ma venue en cette heure.
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245> Il faut enfin tempérer ton immobilisme, Barthélemy, par
l'esprit novateur de Manahen, afin que la mesure soit juste et par conséquent
parfaite la façon de juger. Tout excès est toujours dommageable. Pour celui
qui l'accomplit, pour celui qui le subit, ou qui s'en scandalise et, si ce
n'est pas une âme honnête, en s'en servant contre les frères pour les
dénoncer. Mais cela est une action de Caïn, et elle ne sera pas faite par des
fils de la Lumière, car c'est une œuvre de Ténèbres.
578.4 – Celui qui, tout enveloppé par son manteau de façon qu'on ne
voit à peine ses yeux noirs, très vifs, a averti Manahen de ne pas trop
parler, s'agenouille près de Jésus et prend sa main en disant :
"Tu es bon, Maître. Trop tard je t'ai connue, ô Parole de Dieu ! Mais
encore à temps pour t'aimer comme tu le mérites, si ce n'est pour te servir
longuement comme je l'aurais voulu, comme je voudrais maintenant."
"Il n'est jamais trop tard pour l'heure de Dieu. Elle vient au bon moment.
Et lui accorde le temps qu'il faut pour servir, selon sa volonté, la
Vérité."
"Mais qui est-ce ?" murmurent entre eux les apôtres et ils le
demandent aux disciples. Inutilement. Personne ne sait qui c'est ou, s'il le
sait, ne veut le dire.
"Qui est-ce, Maître ?" demande Pierre quand il peut s'approcher de
Jésus qui marche au milieu du groupe et qui a les femmes en arrière, les
disciples en avant, à ses côtés ses cousins et tout autour les apôtres.
"Une âme, Simon, rien de plus que cela."
"Mais... tu t'y fies, ne sachant pas qui c'est ?"
"Je sais qui c'est, et je connais son cœur."
"Ah ! j'ai compris ! C'est comme pour la femme voilée de la Belle Eau... Je ne demanderai plus autre chose..."
Et Pierre est heureux car Jésus, s'éloignant de Jacques, le prend près de
Lui.
578.5 – Ils
ont désormais rejoint Jéricho. De la porte des murs sort la foule qui crie
des hosannas et c'est difficilement que Jésus peut avancer en traversant la
ville, pour aller chez Nikê qui est en dehors de Jéricho, du côté opposé. On
le supplie de parler. On élève à bout de bras les bébés pour en faire une
haie vivante et infranchissable, en tablant sur l'amour de Jésus pour les
petits.
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246> On crie : "Tu peux parler.
Il s'est déjà enfui à Jérusalem" et, en disant ces paroles, on montre du
doigt le magnifique palais d'Hérode, maintenant fermé.
Manahen confirme :
"C'est vrai. Il est parti pendant la nuit, sans faire de bruit. Il a
peur."
Mais rien n'arrête Jésus qui avance en disant :
"Paix ! Paix ! Que celui qui a des peines ou des douleurs vienne chez Nikê.
Que celui qui veut m'entendre vienne à Jérusalem. Ici, je suis le Pèlerin,
comme vous tous. C'est dans la maison du Père que je parlerai. Paix ! Paix et
bénédiction ! Paix !"
C'est déjà un petit triomphe, un prélude à l'entrée à Jérusalem, désormais si
proche.
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