| Vision du samedi 19 février 1944 149>  610.1 – Dire ce que moi j'éprouve est
  inutile. Je ferais uniquement un exposé de ma souffrance, et par conséquent
  sans valeur par rapport à la souffrance que je vois. Je l'écris donc sans
  commentaires sur moi. 
 
  610.2 – J'assiste
  à la sépulture de Notre Seigneur. 
 Le petit cortège, après avoir descendu le Calvaire, trouve à son pied, creusé
  dans le calcaire du mont, le tombeau de Joseph d'Arimathie. Ils y entrent, les
  pieux, avec le Corps de Jésus.
 
 
  Je vois le tombeau fait ainsi. C'est une
  pièce creusée dans la pierre au fond d'un jardin tout fleuri. Cela ressemble
  à une grotte, mais on se rend compte qu'elle est creusée de main d'homme. 
 150> Il y a la chambre sépulcrale
  proprement dite, avec ses loculus (ils sont faits d'une manière différente de
  ceux des catacombes ).
  Ce sont des sortes de cavités rondes qui pénètrent dans la pierre comme les
  trous d'une ruche, pour en donner une idée. Pour le moment, ils sont tous
  vides. On voit l'œil vide de chaque loculus comme une tache noire sur la
  grisaille de la pierre. Puis, précédant cette chambre sépulcrale, il y a une
  sorte d'antichambre. En son milieu, une table de pierre pour l'onction. C'est
  sur elle que l'on pose le Corps de Jésus dans son drap.
 
 Y entrent aussi Jean et Marie. Pas davantage car cette chambre
  préparatoire est petite et s'il y avait des personnes en plus, ils ne
  pourraient plus bouger. Les autres femmes sont près de la porte, ou plutôt
  près de l'ouverture car il n'y a pas de porte proprement dite.
 
 
  610.3 – Les
  deux porteurs découvrent Jésus. 
 Pendant qu'ils préparent dans un coin sur une espèce de console, à la lumière
  de deux torches, les bandes et les aromates, Marie se penche sur son Fils et
  elle pleure, et de nouveau elle l'essuie avec le voile qui est encore aux
  reins de Jésus. C'est l'unique toilette que reçoit le Corps de Jésus, celle
  des larmes maternelles, et si elles sont copieuses et abondantes, elles ne
  servent pourtant qu'à enlever superficiellement et partiellement la
  poussière, la sueur et le sang de ce Corps torturé.
 
 Marie ne se lasse pas de caresser ces membres glacés. Avec une délicatesse
  encore plus grande que si elle touchait celles d'un nouveau-né, elle prend
  les pauvres mains déchirées, les serre dans les siennes, en baise les doigts, les allonge, cherche à réunir les
  lèvres des blessures comme pour les soigner pour qu'elles fassent moins mal,
  elle applique sur ses joues ces mains qui ne peuvent plus caresser et elle
  gémit, elle gémit dans son atroce douleur. Elle redresse et joint les pauvres
  pieds qui restent ainsi abandonnés, comme s'ils étaient mortellement épuisés
  de tant de chemin parcouru pour nous. Mais ils ont été trop déplacés sur la
  croix, surtout celui de gauche qui reste pour ainsi dire à plat, comme s'il
  n'avait plus de cheville.
 
 Puis elle revient au corps et le caresse, si froid et déjà rigide. Elle voit
  une nouvelle fois la déchirure de la lance. Maintenant que le Sauveur est
  couché sur le dos sur la plaque de pierre, elle est ouverte et béante comme
  une bouche, permettant de mieux voir la cavité thoracique (la pointe du cœur
  se voit distinctement entre le sternum et l'arc costal gauche, et deux
  centimètres environ au-dessus se trouve l'incision faite par la pointe de la
  lance dans le péricarde et le carde, longue d'un bon centimètre et demi alors
  que l'ouverture externe du côté droit est d'au moins sept centimètres).
 
 Haut
  de page.
 
 151> Marie crie de
  nouveau comme sur le Calvaire. Il semble que la lance la transperce, tant
  elle se tord dans sa douleur en portant les mains à son cœur, transpercé
  comme celui de Jésus. Que de baisers sur cette blessure, pauvre Mère !
 
 Puis elle revient à la tête renversée et la redresse car elle est restée
  légèrement renversée en arrière et fortement à droite. Elle cherche à fermer
  les paupières qui s'obstinent à rester entrouvertes, et la bouche restée
  ouverte, contractée, un peu tordue à droite. Elle peigne les cheveux, qui
  hier seulement étaient beaux et qui sont devenus un enchevêtrement alourdi
  par le sang. Elle démêle les mèches les plus longues, les lisse sur ses
  doigts, les enroule pour leur rendre la forme des doux cheveux de son Jésus,
  si soyeux et si bouclés. Et elle ne cesse de gémir car elle se souvient de
  quand il était enfant... C'est le motif fondamental de sa douleur : le
  souvenir de l'enfance de Jésus, de son amour pour Lui, de ses soins qui
  craignaient même de l'air plus vif pour la petite créature divine, et la
  comparaison avec ce que Lui ont fait, maintenant, les hommes.
 
 
  610.4 – Sa
  plainte me fait souffrir, et son geste quand elle dit en gémissant : 
 "Que t'ont-ils fait, que t'ont-ils fait, mon Fils ?" ne pouvant le
  voir ainsi : nu, raide, sur une pierre, elle le prend dans ses bras en Lui
  passant le bras sous les épaules, en le serrant de l'autre main sur sa
  poitrine et en le berçant, du même mouvement qu'à la grotte de la Nativité. Tout cela me fait pleurer et souffrir comme si une
  main me fouillait le cœur.
 Le 4 octobre 1944.  610.5 – La terrible angoisse spirituelle de
  Marie. 
 La Mère est debout près de la pierre de l'onction et caresse, contemple,
  gémit et pleure. La lumière tremblante des torches éclaire par instants son
  visage et je vois de grosses larmes qui roulent sur les joues très pâles d'un
  visage dévasté. Et j'entends les paroles, toutes, bien distinctement, bien
  que murmurées entre les lèvres, vrai colloque de l'âme maternelle avec l'âme
  de son Fils. Je reçois l'ordre de les écrire.
 
 Haut
  de page.
 
 152>
  610.6 – "Pauvre Fils ! Que de blessures
  !... Comme tu as souffert ! Regarde ce qu'ils t'ont fait !... Comme tu es
  froid, Fils ! Tes doigts sont glacés, et comme ils sont inertes ! Ils
  paraissent brisés. Jamais, pas même dans le sommeil le plus abandonné de l'enfance,
  ni dans la lourdeur de ta fatigue d'artisan, ils n'étaient ainsi... Et comme
  elles sont glacées ! Pauvres mains ! Donne-les à ta Maman, mon trésor, amour
  saint, mon amour ! Regarde comme elles sont transpercées ! Mais regarde,
  Jean, quelle déchirure ! Oh ! les cruels ! Ici, ici, donne à ta Maman cette
  main blessée. Que je te la soigne. Oh ! je ne te ferai pas mal...
  J'emploierai baisers et larmes, et de mon souffle et de mon amour je te les
  réchaufferai. Donne-moi une caresse, Fils ! Tu es de glace, moi je brûle de
  fièvre. Ma fièvre sera soulagée par ta glace et ta glace s'adoucira au
  contact de ma fièvre. Une caresse, Fils ! Il y a peu d'heures que tu ne me
  caresses, et elles me paraissent des siècles. Il y a eu des mois sans tes
  caresses et ils me paraissent des heures, parce que j'attendais toujours ton
  arrivée et de chaque jour je faisais une heure, de chaque heure une minute,
  pour me dire que tu n'étais pas éloigné de une ou plusieurs lunes, mais
  seulement de quelques jours, mais seulement de quelques heures. Pourquoi
  maintenant le temps est-il si long ? Oh ! tourment inhumain ! Parce que tu es
  mort. Ils t'ont tué ! Tu n'es plus sur la Terre ! Plus ! En quel qu'endroit
  que j'envoie mon âme pour chercher la tienne et l'embrasser, puisque te trouver,
  te posséder, te sentir, était la vie de ma chair et de mon esprit, en quel
  qu'endroit que je te cherche avec le flot de mon amour, je ne te trouve plus,
  je ne te trouve plus ! De Toi, il ne me reste que cette dépouille froide,
  cette dépouille sans âme ! O âme de mon Jésus, ô âme de mon Christ, ô âme de
  mon Seigneur, où es-tu ? Pourquoi avez-vous enlevé l'âme à mon Fils, hyènes
  cruelles unies à Satan ? 
 Et pourquoi ne m'avez-vous pas crucifiée avec
  Lui ? Avez-vous eu peur d'un second crime ? (Sa voix devient de plus en plus
  forte et déchirante.) Et qu'était-ce de tuer une pauvre femme, pour vous qui
  n'avez pas hésité à tuer Dieu fait Chair ? N'avez-vous pas commis un second
  crime ? Et n'est-ce pas le plus infâme de laisser une mère survivre à son
  Fils mis à mort ?"
 
 
  610.7 – La Mère, qui en élevant la voix avait
  aussi levé la tête, maintenant revient se pencher sur le visage éteint et à
  parler doucement pour Lui seul : 
 Haut
  de page.
 
 153> "Dans la tombe, au moins ici, à
  l'intérieur, nous aurions été ensemble, comme nous aurions été ensemble dans
  l'agonie sur le bois, et ensemble dans le voyage au-delà de la vie et à la
  rencontre de la Vie. Mais si je ne puis te suivre dans le voyage au-delà de
  la vie, je puis rester ici à t'attendre."
 
 Elle se redresse et dit à haute voix à ceux qui sont présents :
 
 "Éloignez-vous, tous. Moi, je reste. Enfermez-moi ici avec Lui. Je
  l'attends. Que dîtes-vous ? Que ce n'est pas possible ? Pourquoi n'est-ce pas
  possible ? Si j'étais morte, ne serais-je pas ici, couchée à son côté, en
  attendant d'être composée ? Je serai à son côté, mais à genoux. J'y ai été
  quand Lui vagissait, tendre et rosé, dans une nuit de décembre. J'y serai
  maintenant dans cette nuit du monde qui n'a plus le Christ. Oh ! vraie nuit !
  La Lumière n'est plus !... Oh ! nuit glaciale ! L'Amour est mort ! Que
  dis-tu, Nicodème
  ? Je me contamine ? Son Sang n'est pas contamination.
  Je ne me suis pas contaminée en
  l'engendrant. Ah ! comme tu es sorti, Toi, Fleur de mon sein, sans déchirer
  des fibres, mais vraiment comme la fleur du narcisse parfumé qui éclot de
  l'âme du bulbe matrice et donne une fleur même si l'étreinte de la terre n'a
  pas été sur la matrice. Floraison virginale qui se réalise en Toi, ô Fils
  venu de l'embrassement céleste, et né dans l'envahissement des splendeurs
  célestes." 
 
  610.8 – Maintenant
  la Mère déchirée se penche de nouveau sur son Fils, restant étrangère à tout
  ce qui n'est pas Lui, et elle murmure doucement : 
 "Mais Toi, te le rappelles-tu, Fils, ce sublime revêtement de splendeurs
  qui revêtait toutes choses alors que ton sourire naissait au monde ? Te la
  rappelles-tu cette béatifiante lumière que le Père envoya des Cieux pour
  envelopper le mystère de ta floraison et te faire trouver moins repoussant ce
  monde obscur, pour Toi qui étais Lumière et venais de la Lumière du Père et
  de l'Esprit Paraclet ? Et maintenant ?... Maintenant nuit et froid... Quel
  froid ! Quel froid ! J'en tremble toute. Plus froid que cette nuit de
  décembre. Alors il y avait la joie de t'avoir pour me réchauffer le cœur. Et
  il y en avait deux pour t'aimer...
 
 Maintenant... Maintenant je suis seule et mourante
  moi aussi. Mais je t'aimerai pour deux : pour ceux qui t'ont si peu aimé
  qu'ils t'ont abandonné au moment de la douleur; je t'aimerai pour ceux qui
  t'ont haï; pour le monde entier, je t'aimerai, ô Fils. Tu ne sentiras pas le
  froid du monde. Non, tu ne le sentiras pas. Tu ne m'as pas ouvert les
  entrailles pour naître, mais pour que tu ne sentes pas le froid je suis prête
  à me les ouvrir et à t'enfermer dans l'étreinte de mon sein. Te souviens-tu
  comme ce sein t'a aimé, petit germe palpitant ?... C'est toujours ce sein. Oh
  ! c'est mon droit et mon devoir de Mère. C'est mon désir. Il n'y a que la
  Mère qui puisse l'avoir, qui puisse avoir pour le Fils un amour aussi grand
  que l'univers."
 
 Haut
  de page.
 
 154>
  610.9 – La voix est allée en s'élevant et
  maintenant, avec toute sa force, elle dit : 
 "Partez. Moi je reste. Vous reviendrez dans trois jours et nous
  sortirons ensemble. Oh ! revoir le monde appuyée à
  ton bras, ô mon Fils ! Comme il sera beau le monde à la lumière de ton
  sourire ressuscité ! Le monde frémissant au pas de son Seigneur ! La Terre a
  tremblé quand la mort t'a arraché l'âme et que de ton cœur est sorti ton
  esprit. Mais maintenant elle va trembler... oh ! non plus d'horreur et de
  douleur, mais d'un suave frémissement que je ne connais pas, mais dont ma
  féminité a l'intuition, qui émeut une vierge quand, après une absence, elle
  entend le pas de son époux qui vient pour les noces. Mieux encore : la Terre
  frémira d'un frémissement saint, comme moi j'en ai été bouleversé jusque dans
  mes profondeurs les plus profondes, quand j'eus en moi le Seigneur Un et
  Trin, et quand la volonté du Père avec le feu de l'Amour créa la semence dont
  tu es venu, ô mon saint Petit, mon Enfant, tout à moi ! Tout ! Tout de la
  Maman ! de la Maman !... Tout enfant a un père et une mère, même le bâtard a
  un père et une mère. Mais Toi, tu as eu la Maman seule pour faire ta chair de
  rosé et de lys, pour te faire ces broderies de veines azurées comme nos
  rivières de Galilée, et ces lèvres de grenade, et ces cheveux plus gracieux
  que la toison blonde des chèvres de nos collines, et ces yeux, deux petits
  lacs de Paradis. Non, plutôt qui sont de l'eau d'où vient l'Unique et
  Quadruple Fleuve du Lieu de délices,
  et qui porte avec lui, dans ses quatre branches, l'or, l'onyx, le béryl et
  l'ivoire, et les diamants, et les palmes, et le miel, et les rosés, et les
  richesses infinies, ô Phison ,
  ô Gehon ,
  ô Tigre, ô Euphrate :
  chemin pour les anges qui se réjouissent en Dieu, chemin pour les rois qui
  t'adorent, Essence connue ou inconnue, mais Vivante, mais Présente même dans
  le cœur le plus obscur ! C'est seulement ta Maman qui t'a fait cela avec son
  "oui"...
 
 De musique et d'amour elle t'a formé, de pureté et d'obéissance elle
  t'a fait, ô ma joie !
 
  610.10 – Ton cœur, qu'est-ce que c'est ? La
  flamme du mien qui s'est partagée pour se condenser en une couronne autour du
  baiser de Dieu à sa Vierge. Voilà ce qu'est ton cœur. Ah ! 
 Haut
  de page.
 
 155> (le cri est déchirant au point que
  la Madeleine accourt pour la secourir en même temps que Jean. Les autres
  n'osent pas et, en pleurs et voilées, elles jettent un coup d'œil par
  l'ouverture).
 
 Ah ! ils te l'ont brisé ! Voilà pourquoi tu es si froid et pourquoi je suis
  si froide ! Tu n'as plus en Toi la flamme de mon cœur et moi je ne puis plus
  continuer à vivre par le reflet de cette flamme qui était mienne et que je
  t'ai donnée pour te faire un cœur. Ici, ici, ici sur ma poitrine ! Avant que
  la mort me tue, je veux te réchauffer, je veux te bercer. Je te chantais :
  "Il n'y a pas de maison, il n'y a pas de nourriture, il n'y a que la
  douleur". O paroles prophétiques ! Douleur, douleur, douleur pour Toi,
  pour moi ! Je te chantais: "Dors, dors sur mon cœur". Même
  maintenant : ici, ici, ici..."
 
 Et s'assoyant sur le bord de la pierre, elle le prend sur ses genoux en
  passant un bras de son Fils sur ses épaules, en appuyant la tête du Fils sur
  l'épaule et en appuyant sur cette tête la sienne, en le tenant serré contre
  sa poitrine, en le berçant, en l’embrassant, déchirée et déchirante.
 
 
  610.11 – Nicodème et Joseph s'approchent en plaçant sur une sorte
  de siège, qui est de l'autre côté de la pierre, des vases et des bandes et un
  linceul propre et un bassin rempli d'eau, me semble-t-il, et des tampons de
  charpie, me semble-t-il. 
 Marie voit et demande à haute voix :
 
 "Que faites-vous ? Que voulez-vous ? Le préparer ? Pourquoi ? Laissez-le
  sur les genoux de sa Maman. Si j'arrive à le réchauffer, il ressuscite plus
  tôt. Si j'arrive à consoler le Père et à le consoler Lui de la haine déicide,
  le Père pardonne plus tôt, et Lui revient plus tôt."
 
 La Douloureuse délire presque.
 
 "Non, je ne vous le donne pas ! Je l'ai donné une fois, une fois je l'ai
  donné au monde et il ne l'a pas voulu. Il l'a tué parce qu'il ne le voulait
  pas. Maintenant, je ne le donne plus ! Que dites-vous ? Que vous l'aimez ?
  Bon ! Mais pourquoi ne l'avez-vous pas défendu ? Vous avez attendu, pour Lui
  dire que vous l'aimiez, qu'il ne soit plus quelqu'un qui puisse vous
  entendre. Quel pauvre amour que le vôtre ! Mais si vous craigniez le monde au
  point de ne pas oser défendre un Innocent, vous deviez au moins me le rendre,
  à moi, sa Mère, pour qu'elle défende son Enfant. Elle savait qui Il était et
  ce qu'il méritait. Vous !... Vous l'avez eu comme Maître, mais vous n'avez rien appris. N'est-ce pas vrai, peut-être ? Je mens,
  peut-être ?
 
 Haut de page.
 
 156>
  Mais vous ne voyez pas que vous ne croyez
  pas à sa Résurrection ? Vous y croyez ? Non. Pourquoi êtes-vous là, en train
  de préparer des bandes et des aromates ? Parce que vous jugez que c'est un
  pauvre mort, aujourd'hui glacé, demain corrompu, et c'est pour cela que vous
  voulez l'embaumer. Laissez là vos pommades. Venez adorer le Sauveur avec le
  cœur pur des bergers de Bethléem. Regardez : dans son sommeil, c'est
  seulement un fatigué qui se repose. Combien il a fatigué dans sa vie ! Il
  s'est fatigué toujours plus et dans ces dernières heures, ensuite !...
  Maintenant il repose. Pour moi, pour sa Maman, ce n'est qu'un grand Enfant
  fatigué qui dort. Bien misérable son lit et sa chambre ! Mais son premier
  berceau n'était plus beau, ni plus plaisante sa première demeure. Les bergers
  adorèrent le Sauveur dans son sommeil d'Enfant. Vous adorez le Sauveur dans
  son sommeil de Triomphateur de Satan. Et puis, comme les bergers, allez dire
  au monde : "Gloire à Dieu ! Le Péché est mort ! Satan est vaincu ! Que
  la paix soit sur la Terre et au Ciel entre Dieu et l'homme !" Préparez
  les chemins pour son retour. Je vous envoie, Moi que la Maternité fait
  Prêtresse rituelle. Allez. J'ai dit que je ne veux pas. Je l'ai lavé de mes
  pleurs et cela suffit. Le reste est inutile, et ne vous imaginez pas de le
  mettre sur Lui. Il sera plus facile pour Lui de se relever s'il est dégagé de
  ces bandes funèbres et inutiles. Pourquoi me regardes-tu ainsi, Joseph ? Et
  toi pourquoi, Nicodème ? Mais l'horreur de cette journée vous a-t-elle rendus
  hébétés ? Avez-vous perdu la mémoire ?  Ne vous rappelez-vous pas ? "À cette
  génération mauvaise et adultère qui cherche un signe, il ne sera donné que le
  signe de Jonas... Ainsi le Fils de l'homme restera trois jours et trois nuits
  dans le cœur de la Terre".
  Ne vous souvenez-vous pas ? "Le Fils de l'homme va être livré aux mains
  des hommes qui le tueront, mais le troisième jour il ressuscitera".
  Ne vous rappelez-vous pas ? "Détruisez ce Temple du
  vrai Dieu et en trois jours je le ressusciterai".
  Le Temple c'était son Corps, ô hommes. Tu secoues la tête ? Tu me plains ? Tu
  me crois folle ? Mais comment ? Il a ressuscité les morts, et il ne pourra
  pas se ressusciter Lui-même ? 
  610.12 – Jean ?" 
 "Mère !"
 
 "Oui, appelle-moi "mère". Je ne peux vivre en pensant que je
  ne serai pas appelée ainsi ! Jean : tu étais présent quand il ressuscita la
  fillette de Jaïre
  et le jeune homme de Naïm.
  Ils étaient bien morts eux, n'est-ce pas ? Ce n'était pas seulement un lourd
  assoupissement ? Réponds."
 
 Haut
  de page.
 
 157> "Ils étaient
  morts. La fillette depuis deux heures, le jeune homme depuis un jour et
  demi."
 
 "Et ils se sont levés à son commandement?"
 
 "Et ils se sont levés à son commandement."
 
 "Vous avez entendu ? Vous deux, vous avez entendu ? Mais pourquoi
  secouez-vous la tête ? Ah ! peut-être vous voulez dire que la vie revient
  plus vite en celui qui est innocent et jeune. Mais mon Enfant, il est
  l'Innocent ! Il est le Toujours Jeune. Il est Dieu, mon Fils !..."
 
 La Mère jette un regard déchirant et fiévreux sur les deux premiers qui,
  accablés mais inexorables, disposent les rouleaux des bandes désormais
  trempées dans les aromates. Marie fait deux pas. Elle a reposé le Fils sur la
  pierre avec la délicatesse de quelqu'un qui dépose un nouveau-né dans son
  berceau. Elle fait deux pas, se penche au pied du lit funèbre, où la Magdeleine
  pleure à genoux. Elle la saisit par l'épaule, la secoue, l'appelle:
  "Marie, réponds. Eux pensent que Jésus ne peut pas ressusciter parce
  qu'il est un homme et qu'il est mort de blessures, mais ton frère
  n'était-il pas plus âgé que Lui ?"
 
 "Si."
 
 "N'était-il pas qu'une plaie ?"
 
 "Si."
 
 "N'était-il pas déjà décomposé avant de descendre au tombeau ?"
 
 "Si."
 
 "Et n'est-il pas ressuscité au bout de quatre jours d'asphyxie et de
  décomposition ?"
 
 "Si."
 
 "Et alors ?"
 
 
  610.13 – Un silence grave et prolongé. Puis un
  cri inhumain. Marie vacille en portant une main à son cœur. Ils la
  soutiennent, mais elle les repousse. Elle paraît repousser les pieux. En
  réalité elle repousse ce qu'elle est seule à voir. Et elle crie : "Arrière
  ! Arrière ! cruel ! Pas cette vengeance ! Tais-toi ! Je ne veux pas
  t'entendre ! Tais-toi ! Ah ! il me mord le cœur !" 
 "Qui, Mère ?"
 
 "O Jean, c'est Satan ! Satan qui dit : "Il ne ressuscitera pas.
  Aucun prophète ne l'a dit". O Dieu Très-Haut ! Aidez-moi tous, ô vous
  esprits bons, ô vous, hommes pieux ! Ma raison vacille ! Je ne me rappelle
  plus rien. Que disent les prophètes ? Que dit le psaume ? Oh ! qui va me
  répéter les passages qui parlent de mon Jésus ?"
 
 Haut
  de page.
 
 158> C'est la Madeleine
  qui avec sa voix d'orgue dit le psaume de David sur la Passion
  du Messie.
 
 La Mère pleure plus fort, soutenue par Jean, et ses larmes tombent sur son
  Fils mort qui en est inondé. Marie le voit, elle l'essuie et elle dit à voix
  basse : "Tant de larmes, et quand tu avais si grand soif je n'ai pas
  même pu t'en donner une goutte. Et maintenant... je t'inonde ! Tu ressembles
  à un arbuste sous une épaisse rosée. Ici, que la Maman t'essuie, Fils! Tu as
  goûté tant d'amertume! Que sur tes lèvres blessées ne tombe pas aussi
  l'amertume et le sel des larmes maternelles!..."
 
 Puis elle appelle à haute voix :
 
 "Marie. David ne dit pas... Connais-tu Isaïe ? Dis-moi ses
  paroles..."
 
 La Madeleine dit le passage sur la Passion et
  finit dans un sanglot :
 
 "...il a livré sa vie à la mort et on l'a compté parmi les malfaiteurs,
  Lui qui a enlevé les péchés du monde et a prié pour les pécheurs".
 
 "Oh ! Tais-toi ! La Mort, non ! Pas livré à la mort ! Non ! Non ! Oh !
  que votre non croyance, en s'alliant à la tentation de Satan, me met le doute
  au cœur ! Et devrais-je ne pas te croire, ô Fils ? Ne pas croire à ta sainte
  Parole ?! Oh ! Dis-le à mon âme ! Parle. Des rives lointaines où tu es allé
  pour délivrer ceux qui attendent ta venue, jette ta voix d'âme à mon âme qui
  l'attend, à mon âme qui est ici, toute prête à recevoir ta voix. Dis à ta
  Mère que tu reviens. Dis : "Le troisième jour, je ressusciterai".
  Je t'en supplie, Fils et Dieu ! Aide-moi à protéger ma Foi. Satan l'enroule
  dans ses spires pour l'étrangler. Satan a enlevé sa bouche de serpent de la
  chair de l'homme car tu lui as arraché cette proie, et maintenant il a
  enfoncé ses crocs venimeux dans la chair de mon cœur et il en paralyse les
  palpitations, la force et la chaleur. Dieu ! Dieu ! Dieu ! Ne permets pas que
  je me méfie ! Ne laisse pas le doute me glacer ! Ne donne pas à Satan la
  liberté de m'amener au désespoir ! Fils ! Fils ! Mets ta main sur mon cœur.
  Elle chassera Satan. Mets-la sur ma tête. Elle y ramènera la Lumière.
 
 Haut
  de page.
 
 159> Sanctifie mes lèvres par une caresse
  pour qu'elles aient la force de dire : "Je crois" même contre tout
  un monde qui ne croit pas. Oh ! quelle douleur c'est de ne pas croire ! Père
  ! Il faut beaucoup pardonner à celui qui ne croit pas. Car, quand on ne croit
  plus... quand on ne croit plus... toute horreur devient facile. Je te le
  dis... moi qui éprouve cette torture. Père, pitié des sans foi ! Donne-leur,
  Père saint, donne-leur, au nom de cette Hostie consumée et de moi, hostie qui
  se consume encore, donne ta foi aux sans foi !"
 
 
  610.14 – Un
  long silence. 
 Nicodème et Joseph font un signe à Jean et à la Madeleine.
 
 "Viens. Mère." C'est la Magdeleine qui parle pour chercher à
  éloigner Marie de son Fils et à séparer les doigts de Jésus entrelacés dans
  ceux de Marie qui les baise en pleurant.
 
 La Mère se redresse. Elle est solennelle. Elle étend une dernière fois les
  pauvres doigts exsangues, pose la main inerte le long du corps. Puis elle
  abaisse les bras vers la terre, et bien droite, la tête légèrement renversée,
  elle prie et offre. On n'entend pas de parole. Mais par toute son attitude,
  on comprend qu'elle prie. C'est vraiment la Prêtresse à l'autel, la Prêtresse
  au moment de l'offertoire. "Offerimus praeclarae majestati tuae de tuis donis, ac datis,
  hostiam puram, hostiam sanctam, hostiam immaculatam..."
 
 Puis elle se tourne :
 
 "Faites-le donc. Mais Lui ressuscitera. C'est inutilement que
  vous vous défiez de ma raison et que vous êtes aveugles à la vérité que Lui
  vous a dit. C'est inutilement que Satan cherche à attaquer ma foi. Pour
  racheter le monde, il manque aussi la torture que Satan vaincu donne à mon
  cœur. Je la subis et l'offre pour ceux qui viendront. Adieu, Fils ! Adieu,
  mon Enfant ! Adieu, mon Petit ! Adieu... Adieu... Saint... Bon... Très aimé
  et aimable... Beauté... Joie... Source de salut... Adieu... Sur tes yeux...
  sur tes lèvres... sur tes cheveux d'or... sur tes membres glacés... sur ton
  cœur transpercé... oh ! sur ton cœur transpercé... mon baiser... mon
  baiser... mon baiser... Adieu... Adieu !... Seigneur ! Pitié pour moi !"
 
 Haut
  de page.
 
 160>
 Le 19 février 1944.  610.15 – Une
  fois la préparation des bandes achevée, Nicodème et Joseph s’approchent de la
  table et dénudent Jésus même de son voile. Ils passent une éponge, me semble-t-il, ou un morceau de lin sur les membres en
  une préparation très rapide des membres qui dégouttent de mille endroits.
  Puis ils enduisent d'onguents tout le Corps. Ils l'ensevelissent vraiment
  sous une couche de pommade. Auparavant ils l'ont soulevé pour nettoyer aussi
  la table de pierre sur laquelle ils posent le linceul, qui pend de la tête du
  lit. Ils le reposent sur la poitrine, et enduisent tout le dos, les cuisses,
  les jambes, toute la partie postérieure. Puis ils le tournent délicatement,
  en faisant attention à ce que ne s'en aille pas la couche de pommade et puis
  ils font aussi l'onction de la partie antérieure. D'abord le tronc, puis les
  membres. D'abord les pieds, et en dernier lieu les mains qu'ils joignent sur
  le bas ventre. La mixture des arômes doit être collante comme de la gomme,
  car je vois que les mains restent en place alors qu'avant elles glissaient
  toujours à cause de leur poids de membres morts. Les pieds, non. Ils
  conservent leur position: l'un plus droit, l'autre plus allongé. Pour finir,
  la tête. Après l'avoir enduite avec soin, de manière que les traits
  disparaissent sous la couche d'onguents, ils lient le menton avec une bande
  pour maintenir la bouche fermée. 
 Marie gémit plus fort. Puis ils soulèvent le côté du Linceul qui pend et le
  replient sur Jésus. Il disparaît sous la grosse toile du linceul. Ce n'est
  plus qu'une forme couverte par une toile.
 
 Joseph regarde que tout soit bien en place et appuie encore sur le Visage un
  suaire de lin et d'autres linges, qui ressemblent à de courtes et larges
  bandes rectangulaires, qui vont de droite à gauche, au-dessus du Corps et
  tiennent en place le Linceul, bien adhérent au Corps. Ce n'est pas le bandage
  que l'on voit dans les momies, ni même dans la résurrection de Lazare. C'est
  un embryon de bandage.
 
 Jésus désormais est annulé. Même sa forme est confondue sous les linges. Cela
  ressemble à un long paquet de toile, plus étroit aux extrémités et plus large
  au milieu, appuyé sur la pierre grise. Marie pleure plus fort.
 
 Haut
  de page.
 
 161>
 Le 4 octobre 1944.  610.16 – Jésus dit : 
 "Et la torture a continué avec des assauts périodiques jusqu'à l'aube du
  Dimanche. J'ai eu, dans la Passion, une seule tentation. Mais la Mère,
  le Femme, a expié pour la femme, coupable de tout mal, de très nombreuses fois.
  Et Satan sur la Victorieuse s'est acharné avec une férocité centuplée. Marie
  l'avait vaincu, Sur Marie la plus atroce tentation. Tentation contre la chair
  de la Mère. Tentation contre le cœur de la Mère. Tentation contre l'esprit de
  la Mère. Le monde croit que la Rédemption prit fin avec mon dernier soupir.
  Non. La Mère l'a accomplie, en y ajoutant sa triple torture pour racheter la
  triple concupiscence, en luttant pendant trois jours contre Satan qui voulait
  l'amener à nier ma Parole et à ne pas croire en ma Résurrection. Marie fut
  la seule qui continua de croire. Elle est grande et
  bienheureuse aussi à cause de cette foi.
 
 Tu as connu aussi cela. Tourment qui se retrouve dans le tourment de mon
  Gethsémani. Le monde ne comprendra pas cette page. Mais "ceux qui sont
  dans le monde sans être du monde" la comprendront et auront un amour
  plus fort pour la Mère Douloureuse. C'est pour cela que je te l'ai donnée.
 |