289> Voilà Sichem, toute
belle et ornée. Elle est pleine de gens de la Samarie qui se rendent au
temple samaritain,
pleine de pèlerins de toutes les régions qui vont au Temple de Jérusalem. Le
soleil l'inonde toute entière, étendue comme elle l'est sur les pentes est du
Garizim qui la domine à l'ouest, tout vert autant qu'elle est blanche. À son
nord-est l'Ebal, encore plus sauvage à le voir,
semble la protéger contre les vents du nord. L'endroit est fertile, enrichi
par les eaux qui descendent des monts. Elles se partagent entre deux petits
fleuves riants, nourris par cent rivières et qui descendent vers le Jourdain.
La magnificence de la fertilité déborde hors des murs des jardins et des
haies des cultures maraîchères. Chaque maison est enguirlandée de verdure, de
fleurs, de branches où se gonflent les petits fruits. L'œil, en se tournant
vers les alentours bien visibles à cause de la configuration du sol, ne voit
que le vert des oliviers, des vignobles, des vergers et la couleur blonde des
champs qui quittent chaque jour davantage le ton glauque du grain en herbe
pour se donner un jaune délicat de paille, d'épis mûrs, que le soleil et le
vent, en les enveloppant et les courbant, rendent presque de la couleur de
l'or blanc.
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290> Vraiment les grains
"blondissent" comme dit Jésus; ils sont maintenant vraiment blonds,
après avoir été "blanchissants" à leur naissance, puis d'un vert de
joyau précieux pendant qu'ils grandissaient et épiaient. Maintenant le soleil
les prépare à la mort après les avoir préparés à la vie. Et on ne sait pas
quand il faut le bénir davantage maintenant qu'il les conduit au sacrifice,
ou quand, paternel, il échauffait les sillons pour faire germer le grain et
peignait la pâleur de la tige, qui venait de percer, d'un beau vert plein de
vigueur et de promesses.
Jésus, qui
a parlé de cela en entrant dans la ville et en montrant l'endroit de la
rencontre avec la Samaritaine et en
faisant allusion à cette lointaine conversation, s'adresse à ses apôtres, à
tous sauf Jean qui a déjà pris sa place de consolateur auprès de Marie, si
affligée : "Est-ce que ne s'accomplit pas maintenant ce que j'ai dit
alors ? Nous sommes entrés ici, inconnus et isolés. Nous avons semé.
Maintenant : regardez ! Une moisson abondante est née de cette semence. Et
elle grandira encore et vous la moissonnerez. Et d'autres moissonneront plus
que vous..."
"Et Toi, Seigneur ?" demande Philippe.
"Moi, j'ai moissonné où avait semé mon Précurseur et
puis j'ai semé pour que vous moissonniez et semiez la semence que je vous ai
donnée. Mais comme Jean n'a pas moissonné ce qu'il avait semé, ainsi je ne
ferai pas cette moisson. Nous sommes..."
"Quoi, Seigneur ?" demande Jude d'Alphée
troublé.
"Les victimes, mon frère. Il faut de la sueur pour rendre les champs
fertiles, maïs il faut le sacrifice pour rendre fertiles les cœurs. On se
lève, on travaille, on meurt. Quelqu'un après nous, nous succède, se
lève, travaille, meurt... Et il y a quelqu'un qui moissonne ce que nous avons
abreuvé de notre mort."
"Oh ! non ! Ne le dis pas, mon Seigneur !" s'écrie Jacques de Zébédée.
"Et c'est toi, disciple de Jean avant d'être le mien, qui dis cela ? Tu
ne te rappelles pas les paroles de ton premier maître ? "Il faut que Lui
grandisse et que moi je diminue". Lui comprenait la beauté et la
justice de mourir pour donner aux autres la justice. Je ne lui serai pas
inférieur."
"Mais Toi, Maître, c'est Toi : Dieu ! Lui était un homme."
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291> "Je suis le Sauveur. En tant
que Dieu, je dois être plus parfait que l'homme. Si Jean, qui était un homme,
sut diminuer pour faire lever le vrai Soleil, Moi je ne dois pas offusquer la
lumière de mon soleil par un nuage de lâcheté. Je dois vous laisser un
limpide souvenir de Moi. Pour que vous, vous alliez de l'avant. Pour que
le monde grandisse dans l'Idée chrétienne. Le Christ s'en ira, retournera là
d'où il est venu, et c'est de là qu'il vous aimera en vous suivant dans votre
travail, en vous préparant la place qui sera votre récompense. Mais le
Christianisme reste. Le Christianisme grandira par mon départ... et par celui
de tous ceux qui, sans s'attacher au monde et à la vie terrestre, sauront
comme Jean et comme Jésus, s'en aller... mourir pour faire vivre."
"Alors tu trouves juste que l'on te donne la mort ?..." demande l'Iscariote comme
s'il était angoissé.
"Je ne trouve pas juste qu'on me donne la mort. Je trouve juste de
mourir pour ce qu'amènera mon sacrifice. L'homicide sera toujours homicide
pour celui qui l'accomplît, même s'il a une valeur et un aspect différent
pour celui que l'on tue."
"Que veux-tu dire ?"
"Je veux dire que celui qui est homicide parce qu'on le lui commande
ou qu'on l'y force, comme un soldat dans la bataille, ou un bourreau qui doit
obéir au magistrat, ou quelqu'un qui se défend contre un larron, n'a pas du
tout de crime sur la conscience ou n'a que le crime relatif de tuer un de ses
semblables, mais celui qui sans en avoir l'ordre et sans y être contraint tue
un innocent, ou coopère à son meurtre, va devant Dieu avec le visage horrible
de Caïn."
"Mais ne pourrions-nous pas parler d'autre chose ? Le Maître en souffre,
tu as les yeux de quelqu'un que l'on tourmente, il nous semble être à
l'agonie, si la Mère
entend, elle pleure. Déjà elle pleure tant derrière son voile ! Il y a tant
de choses dont on peut parler !... Oh ! voilà ! Les notables arrivent. Cela
vous fera taire. Paix à vous ! Paix à vous !" Pierre, qui était un peu
en avant et s'était retourné pour parler, s'incline pour saluer devant un
groupe serré de sichémites pompeux qui viennent
vers Jésus.
"Paix à Toi, Maître. Les maisons qui t'ont reçu l'autre fois sont toutes
disposées à te recevoir et beaucoup d'autres avec elles, pour les femmes
disciples et ceux qui sont avec Toi. Vont venir ceux qui ont reçu tes
bienfaits récemment ou la première fois. Une seule
manquera, car elle s'est éloignée de l'endroit pour mener une vie
d'expiation. C'est ce qu'elle a dit, et je le crois. En effet, quand une
femme se dépouille de tout ce qu'elle aimait, et repousse le péché et donne
ses biens aux pauvres, c'est signe que vraiment elle veut suivre une vie
nouvelle. Mais je ne saurais te dire où elle est. Personne ne l'a plus vue
depuis qu'elle a quitté Sichem.
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292> Quelqu'un de nous a cru la
voir en qualité de servante dans un village près du Fialé. Un
autre jure l'avoir reconnue vêtue misérablement à Bersabée. Mais
leurs affirmations manquent de certitude. Appelée par son nom, elle n'a pas répondu,
et la femme répondait au nom de Jeanne dans un endroit, et au nom de Agar
dans l’autre."
"Il n'est pas nécessaire de savoir autre chose sinon qu'elle s'est
rachetée. Toute autre connaissance est vaine et toute recherche est une
curiosité indiscrète. Laissez votre compatriote dans sa paix secrète,
satisfaits seulement qu'elle ne donne plus de scandale. Les anges du Seigneur
savent où elle est pour lui donner l'unique secours dont elle a besoin,
l'unique qui ne puisse pas lui faire du mal à l'âme... Aux femmes qui sont
fatiguées, faites la charité de les conduire dans les maisons. Demain je vous
parlerai. Aujourd'hui je vais tous vous écouter et j'accueillerai les
malades."
"Tu ne restes pas beaucoup avec nous ? Ne feras-tu pas le sabbat ici
?"
"Non. Le sabbat, je le ferai ailleurs, en prière."
"Nous espérions t'avoir longuement avec nous..."
"J'ai à peine le temps de retourner en Judée pour les fêtes. Je vous
laisserai les apôtres et les femmes, s'ils veulent rester jusqu'au soir du
sabbat. Ne vous regardez pas ainsi. Vous le savez que je dois honorer le
Seigneur notre Dieu plus que tout autre. En effet d'être ce que je suis ne
m'exempt pas d'être fidèle à la Loi du Très-Haut."
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