Vision
du mardi 2 octobre 1945
465>...Et le monde est aussi
tellement voisin avec ses flots de haine, de trahison, de douleur, de besoin,
de curiosité. Et les flots viennent, comme ceux de la mer dans un port,
mourir ici dans la cour de l'hôtellerie de Bozra
que le respect de l'hôtelier, dont le cœur est meilleur que ne le laisse
supposer sa figure, a nettoyé des excréments et des ordures. Des tas de gens
de l'endroit ou d'ailleurs, mais pourtant de la région, et des gens dont les
conversations me font comprendre qu'ils viennent de loin, des rives du lac ou
d'au-delà du lac. Des noms de pays, témoignages de douleurs qui s'expriment
dans les conversations qui s'entremêlent pendant que l'on attend Jésus.
Gadara, Ippo, Gerghesa, Gamala, Afeca, et Naïm, Endor, Jezraël, Magdala et Corozaïn
passent de bouche en bouche et, avec eux, l'explication des motifs pour
lesquels ils sont venus de si loin jusque-là.
"Quand j'ai su qu'il était venu à travers les pays d'au-delà du Jourdain
je me suis découragé. Mais alors que j'allais retourner à Jezraël, des
disciples sont venus et nous ont dit à nous qui attendions à
Capharnaüm : "À cette heure-ci il est certainement au-delà de
Gerasa. Ne perdez pas de temps pour aller à Bozra
ou à Arbela, et je suis venu avec eux..."
"Moi, de mon côté, venant de Gadara, j'ai vu passer des pharisiens. Ils
demandaient si c'était Jésus de Nazareth qui était dans la région. J'ai ma
femme malade. Je me suis uni à eux. Puis, hier à Arbela, j'ai appris qu'il
venait d'abord à Bozra et je suis venu ici."
"Moi, je viens de Gamala à cause de cet enfant. Il a été frappé par une
vache furieuse. Il est resté dans cet état…" et il montre son enfant
tout recroquevillé, incapable même de remuer librement les bras.
"Moi, je n'ai pas pu amener le mien. Je
viens de Mageddo.
Qu'en dites-vous ? Me le guérira-t-il aussi de cet endroit ?" dit
en gémissant une femme au visage rougi par les pleurs.
"Mais il faut le malade !"
"Non. Il suffit d'avoir foi."
"Non. S'il n'impose pas les mains, pas de guérison. C'est ce que font
aussi ses disciples."
"Tu as fait tant de chemin pour rien, femme !"
La femme se met à pleurer en disant : "Oh ! Malheureuse que je
suis ! Et je l'ai laissé presque moribond,
espérant… Il ne le guérira pas et moi, je ne le consolerai pas au moment de
la mort..."
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466> Une autre femme la console.
"Ne le crois pas, femme. Moi, je viens le remercier car il m'a fait un
grand miracle sans quitter la montagne sur laquelle il parlait."
"Quel mal avait ton enfant ?"
"Ce n'était mon enfant, c'était mon mari qui était devenu fou..."
et les deux femmes continuent de parler à voix basse.
"C'est vrai. Même la mère d’Arbela eut son fils racheté sans que
le Maître l'ait vu" dit quelqu'un d'Arbela, et il continue de parler
avec ses voisins...
"Place, par pitié ! Place !" crient des gens qui portent
une litière toute couverte.
La foule s'ouvre et la litière passe avec sa charge de souffrance. Ils vont
se mettre au fond, presque derrière une meule de paille. Homme ou femme, la
personne étendue sur la litière ? Qui sait !
Entrent deux pharisiens hautains et bien portants, fiers plus que jamais. Ils
assaillent le pauvre hôtelier comme deux fous en criant : "Maudit
menteur ! Pourquoi nous as-tu dit qu'il n'était pas ici ? Tu es son
complice ? Te moquer ainsi de nous, les saints d'Israël, pour
favoriser... Qui ? Que sais-tu de Lui ? Qu'est-ce qu'il est pour
toi ?"
"Qu'est-ce qu'il est ? Ce que vous n'êtes pas. Mais je n'ai pas
menti. Il est venu peu de temps après votre arrivée. Il ne s'est pas caché et
moi, je ne le cache pas. Mais comme ici je suis le maître, je vous dis à
l'instant : "Sortez de ma maison !" Ici on ne fait pas
injure au Nazaréen. Vous comprenez ? Et si vous ne comprenez pas les
paroles, je pourrai vous parler par des gestes, chacals que vous
êtes !"
L'hôtelier musclé paraît si décidé à l'action que les deux pharisiens
changent de ton et se font rampants comme des chiens menacés de la cravache.
"Mais nous le cherchions pour le vénérer ! Que crois-tu ? Ce
qui nous a rendus furieux, c'est la pensée de ne pouvoir le voir par ta
faute. Nous, nous savons qui il est. Le Messie saint et béni vers lequel nous
ne sommes pas dignes de lever le regard. Nous la poussière, Lui la gloire
d'Israël. Conduis-nous à Lui. Notre cœur brûle du désir d'entendre sa parole."
L'hôtelier leur rend la monnaie de leur pièce en répondant :
"Oh ! tiens donc ! Comment ai-je pu penser qu'il n'en était
pas ainsi, moi qui connais de réputation la justice des pharisiens !
Mais bien sûr, vous êtes venus pour l'adorer ! Vous brûlez de ce désir !
Je vais le Lui dire. J'y vais... Non, par Satan ! Ne me suis pas !
Et toi non plus, ou je vous cogne l'un contre l'autre, vieilles momies
venimeuses, au point de vous faire rentrer l'un dans l'autre.
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467> Restez ici. Toi, ici où je te
plante, et toi là. Je regrette de ne pouvoir vous enfoncer dans la terre
jusqu'au cou afin de me servir de vous comme d'un pieu pour y attacher les
porcs qu'il me faut tuer" et unissant le geste à la parole, il prend
d'abord le pharisien le plus maigre par-dessous les bras, le soulève, et puis
le plante par terre si violemment que si le sol n'avait pas été aussi dur il
y aurait pénétré au moins jusqu'à la cheville. Mais le sol est dur et, après
une forte secousse, 'homme reste debout comme un pantin. Puis l'hôtelier
s'empare de l'autre et, bien qu'il soit plutôt obèse, il le soulève et le
redescend avec la même furie et comme il réagit et se débat, au lieu de le
planter debout, il le plaque, assis, par terre : un vrai paquet de chair
et d'étoffes... Et il s'en va, en disant un vilain mot qui se perd dans les
lamentations des deux et les éclats de rire d'un grand nombre de gens.
Il entre dans un couloir, passe dans une petite cour, monte un escalier, pose
le pied sur une galerie à portique et de là, dans une vaste pièce où Jésus,
avec tous les siens et le marchand, achève le repas.
"Il est arrivé deux des quatre pharisiens. Vois un peu. Pour l'instant,
je les ai remis en place. Ils voulaient me suivre, je n'ai pas voulu. Ils
sont maintenant en bas, dans la cour, où il y a beaucoup de malades et
d'autres aussi."
"J'y vais tout de suite. Merci, Fara. Tu peux
aller." Tout le monde se lève, mais Jésus ordonne aux disciples de
rester où ils sont et de même les femmes, sauf sa Mère, Marie de Cléophas,
Suzanne et Salomé. Voyant la peine qui paraît sur les visages de ceux qui
sont exclus, il dit : "Allez sur la terrasse, vous entendrez aussi
bien."
Il sort avec les et les quatre femmes. Il refait le chemin fait par
l'hôtelier et entre dans la grande cour. Les gens lèvent la tête pour voir et
les plus malins montent sur le tas de paille, sur les chars arrêtés sur un
côté, sur le bord des bassins...
Les deux pharisiens vont à sa rencontre tout obséquieux. Jésus les salue de
son salut habituel, comme s'ils étaient ses plus fidèles amis. Cependant il
ne s'arrête pas pour répondre à leurs questions onctueuses :
"Êtes-vous si peu nombreux ? Et sans disciples ? Ils t'ont
donc abandonnés ?"
Jésus, tout en marchant, répond avec sérieux : "Pas d'abandon. Vous
venez d'Arbela où vous avez rencontré ceux qui m'ont précédé, et en Judée
vous avez rencontré Judas de Simon, Thomas, Nathanaël et Philippe."
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468> Le pharisien corpulent
n'ose plus le suivre et il s'arrête tout à coup, rouge comme de la braise.
L'autre, plus effronté, insiste : "C'est vrai. Mais justement nous
savions que tu étais avec des disciples fidèles et avec les femmes et nous
étions étonnés de te voir avec si peu de monde. Nous voulions voir tes
nouvelles conquêtes pour nous féliciter avec Toi" et il rit d'un rire
faux.
"Mes nouvelles conquêtes ? Les voilà !" et Jésus trace
devant Lui un demi-cercle montrant les foules venant pour la plus grande
partie de l'au-delà du Jourdain, c'est-à-dire de ces régions où se trouve Bozra. Et puis sans laisser au pharisien le temps de
répliquer, il commence à parler.
"Des gens m'ont cherché qui d'abord ne s'enquéraient pas de Moi. Des
gens m'ont trouvé, qui d'abord ne me cherchaient pas. Et j'ai dit :
"Me voici, me voici" à une nation qui n'invoquait pas mon Nom.
Gloire au Seigneur qui met la vérité sur la bouche des prophètes !
Vraiment, en voyant cette foule qui se serre autour de Moi, j'exulte dans le
Seigneur parce que je vois accomplies les promesses que l'Eternel m'a faites
quand Il m'a envoyé dans le monde. Ces promesses que Moi-même j'ai allumées,
avec le Père et le Paraclet, dans la pensée, dans la bouche, dans le cœur des
prophètes, ces promesses que j'ai connues avant d'être Chair et qui m'ont
encouragé à revêtir une chair. Et qui me donnent la force. Oui. Me
réconfortent contre toute haine, rancœur, doute et mensonge. Ils m'ont
cherché ceux qui d'abord ne s'enquéraient pas de Moi. Ils m'ont trouvé ceux
qui ne me cherchaient pas. Pourquoi, au contraire, m'ont-ils repoussé ceux
auxquels j'avais tendu les mains en leur disant : "Me
voici" ? Et pourtant ces derniers me connaissaient alors que les
premiers ne me connaissaient pas. Et alors ?
Voici la clef du mystère. Ce n'est pas une faute d'ignorer, mais c'est
une faute de renier. Et trop de ceux qui étaient informés sur mon compte et
auxquels j'ai tendu les mains, m'ont renié comme si j'étais un bâtard ou un
voleur, un satan corrupteur, parce que dans leur
orgueil ils ont éteint la foi et se sont égarés dans des chemins qui
n'étaient pas bons, tortueux, coupables en quittant la route que ma voix leur
indiquait. Le péché est dans le cœur, dans les plats, dans les lits, dans les
cœurs, dans les esprits de ce peuple qui me repousse et qui, voyant partout
le reflet de sa propre impureté, la voit même sur Moi, et sa haine l'accumule
encore plus et alors il me dit : "Eloigne-toi, Toi qui es
impur".
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469> Et que dira alors Celui qui vient avec ses vêtements
teints de rouge, beau dans ses vêtements, et qui marche dans la grandeur de
sa force ? Accomplira-t-il ce que dit Isaïe, et ne se taira
pas, mais versera dans leur sein ce qu'ils méritent ? Non. Il faut
d'abord qu'il pile dans son pressoir, tout seul, abandonné de tous, pour
faire le vin de la Rédemption. Le vin qui enivre les justes pour en faire des
bienheureux, le vin qui enivre ceux qui sont coupables de la grande faute
pour mettre en miettes leur sacrilège puissance. Oui. Mon vin, qui mûrit
heure par heure au soleil de l'Éternel Amour, sera ruine et salut pour
beaucoup comme il est dit dans une prophétie qui n'est pas encore écrite mais
déposée dans la roche sans fissure d'où est jaillie la Vigne qui donne le Vin
de la Vie éternelle.
Vous comprenez ? Non, vous ne comprenez pas, ô docteurs d'Israël. Peu
importe que vous compreniez. Elles vont descendre sur vous les ténèbres dont
parle Isaïe : "Ils ont des yeux et ils ne voient pas. Ils ont des
oreilles et ils n'entendent pas". Vous faites écran à la Lumière par votre
haine, et pour cela on peut dire que la Lumière a été repoussée
par les ténèbres et que le monde n'a pas voulu la connaître.
Mais vous, vous exultez ! Vous qui, étant dans les ténèbres, avez su croire à
la Lumière qui vous était annoncée, vous qui l'avez désirée, cherchée,
trouvée. Exulte, ô peuple des fidèles, qui par monts, vallées, fleuves et
lacs, es venu au Salut sans tenir compte de la fatigue du long chemin. Il en
sera de même pour l'autre, le chemin spirituel qui, des ténèbres de
l'ignorance, te conduira, ô peuple de Bozra, à la
lumière de la Sagesse.
Exulte, ô peuple de l'Auranitide ! Exulte dans
la joie de la connaissance. Vraiment il est dit aussi de toi, et des peuples
qui t'entourent, quand le Prophète chante que vos chameaux et vos dromadaires
se presseront sur les chemins de Nephtali et de Zabulon pour
apporter l'adoration au vrai Dieu, et pour être ses serviteurs dans la sainte
et douce loi qui n'impose pas autre chose pour donner la paternité divine et
la béatitude éternelle que d'observer les dix commandements du Seigneur :
aimer le vrai Dieu avec tout soi-même, aimer le prochain comme soi-même,
respecter les sabbats sans les profaner, honorer les parents, ne pas tuer, ne
pas voler, ne pas commettre l'adultère, n'être pas faux dans les témoignages,
ne pas désirer la femme ni les biens d'autrui.
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470> Oh ! vous êtes bienheureux si, venant de plus loin, vous
surpassez ceux qui étaient de la maison du Seigneur et qui en sont sortis, aiguillonnés
par les dix commandements de Satan de l'inimitié avec Dieu, de l'amour
propre, de la corruption du culte, de la dureté pour les parents, du désir de
l'homicide, de l'essai de voler la sainteté d'autrui, de la fornication avec
Satan, des témoignages faux, de l'envie pour la nature et la mission du
Verbe, et du péché horrible qui fermente et mûrit au fond des cœurs, de
trop de cœurs.
Exultez, vous qui avez soif ! Exultez,
vous qui avez faim ! Exultez, vous qui êtes affligés ! Vous étiez
rejetés ? Vous étiez proscrits ? Vous étiez méprisés ? Vous
étiez étrangers ? Venez ! Exultez ! Maintenant ce n'est plus
vrai. Moi, je vous donne maison, biens, paternité, patrie. Je vous donne le
Ciel. Suivez-moi, Moi qui suis le Sauveur ! Suivez-moi, Moi qui suis le Rédempteur ! Suivez-moi, Moi qui suis la Vie ! Suivez-moi,
Moi qui suis Celui auquel le Père ne refuse pas de grâces !
Exultez dans mon amour ! Exultez ! Et pour que vous voyiez que je
vous aime, ô vous qui m'avez cherché avec vos souffrances, ô vous qui avez
cru en Moi avant même de m'avoir connu, pour que ce jour soit un vrai jour
d'exultation, je prie ainsi : "Père ! Père Saint ! Que
sur toutes les blessures, les maladies, les plaies des corps, les angoisses,
les tourments, les remords des cœurs, sur toutes les fois qui naissent, sur
celles qui vacillent, sur celles qui se raffermissent, descende, oh !
descende salut, grâce, paix ! Paix en mon nom ! Grâce en ton
nom ! Salut pour notre amour réciproque ! Bénis, ô Père Très
Saint ! Rassemble et fond en un seul troupeau tous ces fils, miens et
tiens, dispersés ! Fais que où je suis, eux y soient, une seule chose
avec Toi, Père Saint, avec Toi, avec Moi, avec le très Divin Esprit".
Jésus, les bras en croix, les paumes tournées en haut vers le Ciel, le visage
levé, la voix éclatante comme une trompette d'argent, est irrésistible dans
ses paroles... Il reste ainsi, en silence, pendant quelques minutes. Puis ses
yeux de saphir cessent de regarder le ciel pour regarder la vaste cour pleine
d'une foule qui soupire émue, ou frémit d'espérance, ses mains se joignent
comme pour se porter en avant, et avec un sourire qui le transfigure, il
jette le dernier cri : "Exultez, ô vous qui croyez et
espérez ! Peuple des souffrants, Lève-toi et aime le Seigneur ton
Dieu !"
C'est la guérison simultanée et complète de
tous les malades. Des cris délirants, un tonnerre de voix qui chantent
l'hosanna au Sauveur. Et du fond de la cour, traînant encore le drap qui la
couvrait, une femme fend la foule en tombant aux pieds du Seigneur. La foule
pousse un autre cri, un cri de terreur : "Marie, la
lépreuse. La femme de Joachim !"
et on fuit dans toutes les directions.
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471> "Ne craignez pas ! Elle est guérie. Son
contact ne peut plus vous faire de mal" rassure Jésus et puis il dit à
la femme prosternée : "Lève-toi, femme. Ta grande espérance t'a
récompensée et te fait pardonner d'avoir manqué à la prudence envers tes
frères. Retourne à ta maison après les purifications salutaires."
La femme, jeune et assez belle, pleure en se levant. Jésus la montre à la
foule qui s'approche un peu et admire le miracle en criant son
émerveillement.
"Son mari, qui l'adorait, lui avait construit un refuge au fond de ses
terres et chaque soir il allait vers son enclos et, en pleurant, lui
apportait la nourriture..."
"Elle était tombée malade à cause de sa pitié, en soignant un mendiant
qui ne s'était pas déclaré lépreux."
"Mais comment est venue la brave Marie?"
"Sur ce brancard. Comment n'avons-nous pas pensé que c'étaient des
serviteurs de Joachim ?"
"Pour cela, ils ont risqué la lapidation."
"Leur maîtresse ! Ils l'aiment, elle sait se faire aimer, plus
qu'on ne s'aime soi-même…"
Jésus fait un geste et tout le monde se tait. "Vous voyez que l'amour et
la bonté amènent miracle et joie. Sachez donc être bons. Va, femme. Personne
ne te fera du mal. La paix soit avec toi et dans ta maison."
La femme, suivie de ses serviteurs qui ont brûlé le brancard au milieu de la
cour, sort suivie de nombreuses personnes.
Jésus congédie la foule et, après avoir écouté quelques personnes, se retire
suivi de ceux qui étaient avec Lui.
"Quelles paroles, Maître !"
"Comme tu étais transfiguré !"
"Quelle voix !"
"Et quels miracles !"
"Tu as vu quand les pharisiens se sont enfuis ?"
"Ils s'en sont allés en rampant comme deux lézards après les premières
paroles."
"Les gens de Bozra et des autres pays ont de
Toi un souvenir merveilleux..."
"Mère, et toi, que dis-tu ?"
"Je te bénis, Fils, pour moi et pour eux."
"Eh bien, ta bénédiction me suivra jusqu'à ce que nous nous
retrouvions."
"Pourquoi dis-tu cela, Seigneur ? Les femmes nous quittent
donc ?"
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472> "Oui, Simon. Demain, au point du jour, Alexandre
part pour Aëra. Nous irons avec lui jusqu'à la
route d'Arbela et puis nous le quitterons. Et c'est avec peine, crois-le
Alexandre Misace, toi qui as été un guide courtois
du Pèlerin. Je me souviendrai toujours de toi, Alexandre..."
Le vieillard est profondément ému. Il reste, les bras croisés sur la
poitrine, dans le profond salut oriental, un peu courbé en face de Jésus.
Mais en entendant ces paroles, il dit : "Surtout, souviens-toi de
moi, quand tu seras dans ton Royaume."
"Tu le désires, Misace ?"
"Oui, mon Seigneur."
"Moi aussi, je désire une chose de toi."
"Quoi, Seigneur ? Seulement que je puisse, je te la donnerai,
fût-ce la plus précieuse des choses que je possède."
"C'est la plus précieuse. C'est ton âme que je veux. Viens à Moi. Je
t'ai dit, au commencement du voyage, que j'espérais te donner un don à la
fin. Le don, c'est la Foi. Crois-tu en Moi, Misace ?"
"Je crois, Seigneur."
"Alors sanctifie ton âme pour que la foi ne soit pas pour toi un don non
seulement inerte mais dommageable."
"Elle est vieille mon âme. Mais je m'efforcerai de la rendre neuve.
Seigneur, je suis un vieux pécheur. Mais Toi absous-moi et bénis-moi pour qu'à
partir de maintenant je commence une vie nouvelle. J'emporterai avec moi ta
bénédiction comme la meilleure escorte dans mon chemin vers ton Royaume...
Nous nous reverrons jamais plus, Seigneur ?"
"Jamais plus sur cette terre. Mais tu auras de
mes nouvelles et tu croiras encore davantage parce que je ne te laisserai pas
sans évangélisation. Adieu, Misace. Demain nous
aurons peu de temps pour le faire. Faisons-le maintenant, avant de prendre
ensemble, pour la dernière fois, notre nourriture."
Il l’embrasse et le baise. Les apôtres et aussi les disciples le font. Les
femmes lui adressent un salut unique. Mais Misace
s'agenouille presque devant Marie en disant : "Que ta lumière de
pure étoile du matin resplendisse dans ma pensée jusqu'à la mort."
"À la Vie, Alexandre. Aime mon Fils et tu m'aimeras et moi, je
t'aimerai."
Simon Pierre demande : "Mais d'Arbela, nous irons à Aëra ? J'ai peur que nous soyons surpris par le
mauvais temps. Tant de brouillard... Cela fait trois jours qu'il y en a à
l'aube et au crépuscule..."
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473> "C'est parce que nous sommes descendus ici. Il ne
te semble pas être descendu beaucoup ? Mais, c'est ainsi. À partir de
demain tu remonteras vers les monts de la Décapole et tu n'auras plus de
brouillard" explique Misace.
"Descendus ? Quand ? La route était plane..."
"Oui, mais en continuelle descente. Oh ! si lente qu'on ne s'en
aperçoit pas. Mais sur des milles et des milles !..."
"À Arbela, combien de temps nous y restons ?"
"Toi, Jacques et Jude, pas même une heure" tranche Jésus.
"Moi... Jacques et Jude... pas même une heure ? Et où est-ce que je
vais, si je ne reste pas avec vous tous ?"
"En route, jusqu'aux terres dont Chouza a la garde. Tu accompagneras,
avec les autres, ma Mère et les femmes jusque-là. Puis elles iront seules
avec les serviteurs de Jeanne et vous reviendrez me rejoindre à Aëra."
"Oh ! Seigneur ! Tu es en colère contre moi et tu me punis.
..Quelle douleur tu me donnes, Seigneur !"
"Simon, se sent puni celui qui est
en faute. Cette culpabilité doit te donner de la douleur mais pas la punition
en elle-même. Mais je ne crois pas que ce soit une punition d'accompagner
ma Mère et les femmes disciples sur le chemin du retour."
"Mais ne valait-il pas mieux que tu viennes avec nous ? Laisse
tomber Aëra et ces localités, et viens avec
nous."
"J'ai promis d'y aller et j'y vais."
"Alors j'y viens moi aussi."
"Obéis comme, sans protester, le font mes frères."
"Et si tu trouves les pharisiens ?"
"Tu n'es certainement pas le plus indiqué pour les convertir. Mais c'est
justement parce que je les trouverai que je veux que toi avec Jacques et Jude
vous vous écartiez d'Arbela avec les femmes et avec Jean d’Endor et
Margziam."
"Ah !... j'ai compris ! C'est bon."
Jésus se tourne vers les femmes et il les bénit une à une, en donnant à
chacune les conseils qui conviennent.
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