| Le samedi 31 août 1946. 435/436>  484.1 - Jésus croit en effet pouvoir traverser,
  aux premières lueurs de l'aube, Éphraïm encore silencieuse et avec ses rues
  désertes, sans que personne le voie. Par prudence, il fait le tour de la
  ville sans y entrer, malgré l'heure plus que matinale. 
 Mais quand du petit chemin qu'ils ont parcouru, en arrière
  du village, ils débouchent sur la grand-route, ils se trouvent en face tout
  le village pourrait-on dire et, avec le village, d'autres venus d'autres
  lieux déjà dépassés, qui montrent Jésus dès son arrivée aux gens d'Éphraïm.
  Heureusement les pharisiens, les scribes et leurs pareils, sont absolument
  absents.
 
 Ceux d'Éphraïm envoient en avant les notables du village dont l'un, après un
  solennel salut, dit au nom de tous :
 
 "Nous avons su que tu étais parmi nous et que tu n'avais pas dédaigné
  d'avoir pitié de certains. Nous savions déjà que tu avais été plein de pitié
  pour ceux de Sichem, et nous avons désiré te voir. Or Celui qui voit les
  pensées des hommes t'a conduit parmi nous. Séjourne et parle, car nous aussi
  nous sommes les fils d'Abraham."
 
 
  484.2 - "Il ne m'est pas permis de
  séjourner..." 
 "Oh! Nous savons qu'ils te cherchent. Mais pas de ce côté. Cette ville est
  à la limite du désert et des Montagnes du sang. Ils ne passent pas ici
  volontiers. Et puis cette fois, après les premiers, nous n'en avons plus vu
  un seul."
 
 "Je ne puis rester..."
 
 "Le Temple t'attend, nous le savons. Mais crois à nous. Vous nous
  regardez comme des proscrits, parce que nous ne nous inclinons pas devant les
  Pontifes d'Israël. Mais est-il Dieu, par hasard, le Pontife ? Nous sommes
  loin. Mais pas assez pour ne pas savoir que vos prêtres ne sont pas moins
  indignes que les nôtres. Et nous pensons que Dieu ne peut plus être avec eux.
  Non, le Très-Haut ne se cache plus dans la fumée de l'encens. On pourrait
  cesser de le brûler, et on pourrait entrer dans le Saint des Saints sans
  avoir peur d'être réduit en cendres par la splendeur de Dieu qui repose sur
  sa gloire. Et nous adorons Dieu le sentant hors des pierres qui ne sont plus
  habitées des temples vides. Et nous ne disons pas que notre temple est plus
  vide que le vôtre, si vous voulez nous accuser d'avoir un temple d'idoles. Tu
  vois que nous sommes équitables, mais pour cette raison, écoute-nous".
 
 Il prend un ton solennel :
 
 "Il vaudrait mieux que tu t'arrêtes pour adorer le Père parmi ceux qui,
  au moins, reconnaissent qu'ils ont un esprit de religion vide de vérité comme
  les autres qui ne veulent pas le reconnaître et nous offensent. Seuls,
  repoussés comme des lépreux, sans prophètes et sans docteurs, au moins nous
  avons su être unis en sentant que nous étions frères.
 
 Et notre loi c'est de ne pas trahir, car il est écrit : "Ne suis pas la
  foule pour faire le mal, et quand tu juges, ne dévie pas de la vérité pour
  t'en tenir à l'avis du plus grand nombre".
  Il est écrit; "Ne fais pas mourir l'innocent et le juste car j'ai en
  haine l'impie. N'accepte pas de cadeaux qui aveuglent même les sages et
  troublent les paroles des justes. Ne tourmentez pas l'étranger, car vous
  savez ce que cela veut dire d'être étranger sur la terre d'autrui".
 
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  Et dans les bénédictions dites justement du Garizim, montagne chère au
  Seigneur puisqu'il l'a choisie comme montagne de bénédiction, tout bien est
  promis à celui qui s'en tient à la vraie Loi qui se trouve dans le
  Pentateuque.
  Or, si nous repoussons comme idolâtres les paroles des hommes mais gardons
  celles de Dieu, pouvons-nous, peut-être, être appelés idolâtres ? La
  malédiction de Dieu est sur celui qui frappe en cachette le prochain et
  accepte une récompense pour condamner à mort un innocent. Nous ne voulons pas
  être maudits par Dieu à cause de nos actions. Car nous ne serons pas maudits
  parce que nous sommes samaritains, car Dieu est le Juste qui récompense le
  bien là où Il le trouve. C'est ce que nous espérons du Seigneur."
 
 Il se recueille un instant, puis il reprend :
 
 "C'est à cause de tout cela que nous te disons : il vaudrait mieux pour
  Toi rester parmi nous. Le Temple te hait et il te cherche pour te faire
  souffrir. Et pas lui seulement. Tu resteras toujours trop parmi ceux qui te
  rejettent comme un opprobre. Ce n'est pas des juifs que te viendra
  l'amour."
 
 
  484.3 - "Je ne puis rester, mais je me
  rappellerai vos paroles. Je vous dis, de toute façon, de persévérer dans
  l'observance des lois de justice que vous avez rappelées et qui découlent du
  précepte d'amour du prochain. Le précepte qui, avec celui de l'amour pour
  Dieu, forme le commandement principal de la Religion ancienne et de la
  mienne. Pour celui qui vit en juste, il n'est pas loin le chemin du Ciel. Il
  suffira d'un pas pour amener ceux qui sont sur le sentier voisin, séparés
  seulement désormais par un point d'honneur, plus que par conviction, sur le
  chemin du Royaume de Dieu." 
 "Le tien !"
 
 "Le mien. Mais non pas le Royaume tel que l'imaginent les hommes,
  royaume de pouvoir temporel juste, et à l'occasion violent pour être
  puissant. Mais plutôt le Royaume qui commence dans le cœur des hommes
  auxquels le Roi spirituel donne un code spirituel, et donnera une récompense
  spirituelle. Il donnera le Royaume. Ce Royaume dans lequel il n'y aura pas
  exclusivement des juifs, ou des galiléens, ou des samaritains, mais où seront
  tous ceux qui sur la Terre auront eu une foi unique : la mienne, et qui dans
  le Ciel porteront un nom unique : saints.
 
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  Les races et les divisions entre races restent sur la Terre, limitées à elle.
  Dans mon Royaume, il n'y aura pas des races différentes, mais uniquement
  celle des fils de Dieu. Les fils d'Un Seul ne peuvent appartenir qu'à une
  seule souche.
 
  484.4 - Maintenant laissez-moi aller. Long
  encore est le chemin que je dois parcourir avant la nuit." 
 "Tu vas à Jérusalem ?"
 
 "À Ensémès."
 
 "Alors nous allons t'indiquer un chemin que nous sommes seuls à
  connaître pour aller au gué, sans halte et sans risques. Tu n'as pas de
  charges ni de chars, et tu peux le suivre. À none, tu y seras, et il te sera
  utile de connaître ce sentier. Mais repose-toi une heure parmi nous et
  accepte le pain et le sel, et donne-nous en échange ta parole."
 
 "Qu'il en soit comme vous voulez, mais restons là où nous sommes. La
  journée est si douce et l'endroit si beau."
 
 En effet ils sont dans une conque qui est toute en vergers. Au milieu coule
  un petit torrent que les premières pluies ont alimenté et qui s'en va bruyant
  et éclairé par le soleil, descendant entre les pierres qui le brisent en
  écume nacrée, vers le Jourdain. Les arbustes, qui ont résisté à l'été,
  semblent jouir sur les deux rives des embruns de l'eau réduite en écume, et
  brillent en frémissant doucement sous un vent tempéré qui apporte un parfum
  de pommes mûres et de moût en fermentation.
 
 Jésus va justement près du torrent et s'assoit sur un rocher, ayant sur la
  tête l'ombre légère d'un saule et à côté les eaux riantes qui descendent dans
  la vallée. Les gens s'installent sur l'herbe qui a poussé sur les deux rives.
 
 Entre-temps, on apporte du village du pain, du lait qu'on vient de traire,
  des fromages, des fruits et du miel, et on offre le tout à Jésus pour qu'il
  se restaure avec les siens. Et on le regarde manger, après qu'il ait offert
  et béni la nourriture, simple comme un mortel, souverainement beau, et
  spirituellement imposant comme un dieu. Il a un vêtement en laine de couleur
  blanche tirant sur l'ivoire comme celle de la laine filée à la maison, et un
  manteau bleu foncé jeté sur ses épaules. Le soleil, qui filtre à travers le
  feuillage du saule, fait briller dans ses cheveux des étincelles d'or qui se
  déplacent en même temps que les feuilles légères du saule.
 
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  Un rayon réussit à Lui caresser la joue gauche en faisant de la boucle souple
  qui termine la mèche retombant le long de la joue, un écheveau de fils d'or
  dont la couleur se retrouve plus pâle dans la barbe soyeuse et légère qui
  couvre le menton et le bas du visage. La peau, couleur d'ivoire ancien, fait
  voir dans la lumière du soleil la délicate broderie des veines sur les joues
  et sur les tempes et l'une d'elles traverse du nez aux cheveux le front lisse
  et haut...
 
 Je pense que c'est justement de cette veine que j'ai vu couler tant de sang à
  cause d'une épine qui la transperçait durant la Passion... Toujours, quand je
  vois Jésus si beau et si ordonné dans sa tenue virile, je me rappelle à quoi
  l'ont réduit les souffrances et les insultes qui Lui sont venues des
  hommes...
 
 
  484.5 - Jésus mange et il sourit à des
  enfants qui se sont serrés contre ses genoux y posant leurs têtes, ou le
  regardant manger comme s'ils voyaient je ne sais quoi, Jésus, arrivé aux
  fruits et au miel, leur en donne, en mettant dans la bouche des plus petits
  des grains de raisin ou des bouchées couvertes de miel filant, comme si
  c'étaient des oisillons. 
 Un enfant — manifestement, elles lui plaisent et il
  espère en avoir — s'en va en courant à travers les gens vers un verger et il
  revient avec les bras serrés contre sa petite poitrine pour en faire un petit
  panier vivant ou reposent trois grenades d'une beauté et d'une grosseur
  merveilleuses, et il les offre avec insistance à Jésus.
 
 Jésus prend les fruits et il en ouvre deux pour faire autant de parts qu'il a
  de petits amis, et il les distribue. Puis, prenant dans la main la troisième,
  il se lève et commence à parler en tenant dans la main gauche bien en vue, la
  magnifique grenade.
 
 
  484.6 - "À quoi comparerai-je le monde
  en général, et en particulier la Palestine, autrefois, et dans la pensée de
  Dieu, unie en une Nation unique et puis séparée par une erreur et une haine
  opiniâtre entre frères ? À quoi comparerai-je Israël comme il s'est réduit
  volontairement ? Je le comparerai à cette grenade. 
 Et en vérité je vous dis que les dissentiments qui existent entre juifs et
  samaritains, se reproduisent sous des formes et dans des mesures différentes,
  mais avec un même fond de haine, entre toutes les nations du monde, et
  parfois entre les provinces d'une même nation.
 
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  Et on dit que ces dissentiments sont insurmontables comme si c'étaient des
  choses créées par Dieu Lui-même. Non. Le Créateur n'a pas fait autant d'Adam
  et autant d'Ève qu'il y a de races opposées l'une à l'autre, qu'il y a de
  tribus, qu'il y a de familles qui sont dressées l'une contre l'autre comme
  des ennemis.
 
 Il a fait un seul Adam et une seule Ève, et d'eux sont venus tous
  les hommes, qui se sont répandus ensuite pour peupler la Terre, comme si
  c'était une seule maison qui s'enrichit de plus en plus de pièces à mesure
  que grandissent les enfants et qu'ils contractent mariage pour procréer des
  descendants à leurs pères.
 
 Pourquoi alors tant de haine entre les hommes, tant de barrières, tant
  d'incompréhensions ? Vous avez dit : "Nous savons être unis, en sentant
  que nous sommes frères". Ce n'est pas assez. Vous devez aimer aussi ceux
  qui ne sont pas samaritains.
 
 Regardez ce fruit : vous en connaissez la saveur et non seulement la beauté.
  Fermé comme il l'est, il vous promet déjà le doux suc de son intérieur. Une
  fois ouvert, il réjouit aussi la vue avec ses rangées serrées de grains
  semblables à autant de rubis enfermés dans un coffre-fort. Mais malheur à
  l'imprudent qui le mord sans l'avoir débarrassé des séparations très amères
  qui se trouvent entre les familles de grains. Il s'empoisonnerait les lèvres
  et les viscères, et il rejetterait le fruit en disant: "C'est du
  poison".
 
 Il en est de même des séparations et des haines entre un peuple et un autre
  peuple, entre une tribu et une autre tribu, elles rendent "poison'' ce
  qui avait été créé pour être douceur. Elles sont inutiles et elles ne font,
  comme dans ce fruit, que créer des limites qui réduisent l'espace, compriment
  et font souffrir. Elles sont amères et à celui qui mord, ou à celui qui mord
  le voisin qu'il n'aime pas, pour l'offenser et le faire souffrir, elles
  donnent une amertume qui empoisonne l'esprit. Sont-elles ineffaçables ? Non.
  La bonne volonté les supprime, comme la main d'un enfant enlève ces
  séparations amères qui se trouvent dans le doux fruit que le Créateur a fait
  pour les délices de ses enfants.
 
 Et la bonne volonté, le premier à l'avoir, c'est le même Unique Seigneur qui
  est le Dieu des Juifs comme des Galiléens, et des Samaritains comme des Batanéens .
  Il le montre en envoyant l'Unique Sauveur qui sauvera les uns et les autres
  sans demander autre chose que la foi dans sa Nature et sa Doctrine. Le
  Sauveur qui vous parle passera pour abattre les barrières inutiles, pour
  effacer le passé qui vous a divisé, pour mettre à la place un présent qui
  vous rend frères en son Nom. Vous tous d'ici et d'au-delà des frontières,
  vous n'avez qu'à le seconder, et la haine tombera, et tombera l'avilissement
  qui suscite la rancœur, et tombera l'orgueil qui suscite l'injustice.
 
 Voici mon commandement : que les hommes s'aiment comme des frères qu'ils
  sont. Qu'ils s'aiment comme le Père des Cieux les aime et comme les aime le
  Fils de l'homme  qui, par la nature humaine qu'il a
  prise, se sent frère des hommes, et qui par sa Paternité se sent maître de
  vaincre le Mal avec toutes ses conséquences. Vous avez dit: "C'est notre
  loi de ne pas trahir". Alors commencez par ne pas trahir vos âmes en les
  privant du Ciel. Aimez-vous les uns les autres, aimez-vous en Moi, et la paix
  arrivera aux esprits des hommes, comme il a été promis. Et il viendra le
  Règne de Dieu qui est un Règne de paix et d'amour pour tous ceux qui ont la
  volonté sincère de servir le Seigneur leur Dieu.
 
 
  484.7 - Je vous quitte. Que la Lumière de
  Dieu illumine vos cœurs... Allons..." |