Vision
du jeudi 4 octobre 1945
477> À la première personne à laquelle
ils s'adressent pour demander des nouvelles de Philippe de Jacob, ils
se rendent compte du travail qu'a fait le jeune disciple. Celle qu'ils
interrogent, une vieille femme ridée qui porte avec beaucoup de peine un broc
plein d'eau, fixe de ses yeux creusés par l'âge le beau visage de Jean. Il lui a posé en souriant la question, en disant
auparavant : "La paix soit avec toi" si doux que la vieille en
a été conquise, elle dit : "Tu es le Messie ?"
"Non, mais son apôtre. Le voici qui vient." La petite vieille met
par terre son broc et s'en va dans la direction indiquée pour ensuite
s'agenouiller devant Jésus.
Jean, resté seul avec Simon devant le broc qui s'est renversé en répandant la moitié
de son contenu, sourit en disant à son compagnon: "Il convient de
prendre ce broc et d'aller retrouver la petite vieille." Et il le fait
en se mettant en route, alors que son compagnon ajoute : "Et il
servira pour boire, nous avons tous soif."
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478> Ils rejoignent la petite vieille qui, ne sachant ce
qu'elle doit dire précisément, continue de répéter : "Beau, saint
Fils de la plus sainte Mère !" Elle se tient à genoux buvant des
yeux le visage de Jésus qui lui sourit en disant à son tour :
"Lève-toi, mère. Mais lève-toi donc !" Quand ils la
rejoignent, Jean lui dit : "Nous avons pris ton broc, mais il s'est
renversé. Il y a peu d'eau. Mais si tu le permets, nous boirons cette eau et
puis nous remplirons le broc."
"Oui, fils, oui. Et il me déplaît de n'avoir
que de l'eau pour vous. Je voudrais avoir du lait, comme quand je nourrissais
mon Jude, pour vous donner la chose la plus douce qui existe sur la
terre : le lait d'une mère. Je voudrais avoir du vin, du meilleur; pour
vous donner des forces. Mais Marianne
d'Élisée est vieille et
pauvre..."
"Ton eau est pour Moi du vin et du lait,
mère, parce qu'il est donné avec amour" répond Jésus en buvant le
premier au broc que Jean Lui présente. Puis les autres boivent.
La petite vieille, qui à la fin s'est levée, les
regarde comme elle regarderait le Paradis. Elle s'aperçoit quand ils ont tous
bu qu'ils vont jeter l'eau qui reste pour aller à la fontaine qui coule au
bout de la route, voilà qu'alors la petite vieille se jette en avant en
défendant le broc et en disant : "Non, non. Plus que de l'eau
lustrale cette eau est sainte dont Lui a bu. Je la garderai soigneusement
pour qu’on me purifie avec elle, après ma mort." Et elle saisit son broc
en disant : "Je l’emporte à la maison. J'en ai d'autres, je les
remplirai. Mais viens d'abord ? Saint, que je te montre la maison de Philippe"
et elle trottine toute courbée avec un sourire sur son visage ridé et dans
ses yeux que la joie ravive. Elle trottine en tenant un pan du manteau de
Jésus entre ses doigts, comme si elle craignait qu'il puisse lui échapper, et
elle défend son broc contre l'insistance des apôtres qui voudraient la
décharger de ce poids. Elle trottine bienheureuse, regardant la route déserte
et les maisons d'Arbela qui sont fermées dans le soir qui descend, avec le
regard d'un conquérant heureux de sa victoire.
Finalement on passe de ce chemin secondaire à un
autre plus central où il y a des gens qui se hâtent de rentrer chez eux. Les
gens l'observent étonnés, la montrent du doigt et l'interpellent. Elle, après
avoir attendu qu'il y ait un cercle assez important de gens, crie : "J'ai
avec moi le Messie de Philippe. Courez en donner la nouvelle partout et
d'abord à la maison de Jacob. Qu'ils soient prêts à honorer le Saint."
Elle crie à en perdre haleine. Elle sait se faire obéir. C'est son heure de
commandement, à la pauvre petite vieille du peuple, seule, inconnue. Et elle
voit toute la ville s'ébranler à son commandement.
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479> Jésus, tellement plus grand qu'elle, lui sourit quand
elle le regarde de temps à autre, et pose sa main sur sa tête sénile en la
caressant comme un fils, ce qui la fait presque s'évanouir de joie.
La maison de Jacob est dans une rue du centre.
Toute ouverte et illuminée, elle présente après le portail une longue entrée
où des gens s'agitent avec des lampes et sortent joyeux dès que Jésus
apparaît sur le chemin. Le jeune disciple Philippe, puis la mère et le père,
les parents, les serviteurs, les amis.
Jésus s'arrête et répond avec majesté au salut
profond de Jacob,
puis il s'incline sur la mère de Philippe qui le vénère à genoux, il la fait
lever la bénit et lui dit : "Sois toujours heureuse pour ta
foi." Puis il salue le disciple qui est accouru avec son ami, que Jésus
salue aussi.
La vieille Marianne, malgré tout, ne lâche pas le
pan du manteau et sa place à côté de Jésus jusqu'à ce qu'ils vont poser le pied dans l'atrium. Alors elle gémit :
"Une bénédiction pour que je sois heureuse ! Maintenant tu restes
ici... moi, je vais dans ma pauvre maison et... toute cette belle chose est
finie !" Quel chagrin dans la voix sénile !
Jacob, auquel sa femme a parlé doucement,
dit : "Non, Marianne d'Elisée. Reste toi aussi dans ma maison comme
si tu étais une disciple. Reste tant que le Maître
sera avec nous et sois heureuse."
"Dieu te bénisse, homme. Tu comprends la
charité."
"Maître... Elle t'a conduit dans ma maison.
Tu m'as fait grâce et charité. Je ne fais que rendre, et toujours d'une
manière mesquine, le beaucoup que j'ai reçu de Toi. Entre, entrez et que ma
maison vous soit accueillante."
La foule, de dehors sur le chemin, le voit entrer
et elle crie : "Et nous ? Nous voulons entendre ta
parole."
Jésus se retourne : "Il fait nuit. Vous
êtes fatigués, Préparez votre âme par un saint repos et demain vous entendrez
la Voix de Dieu. Pour l'instant que soient avec vous paix et
bénédiction." Et le portail se ferme sur la félicité de cette maison.
Jacques de Zébédée dit au
Seigneur pendant la purification qui suit le voyage : "Peut-être il
aurait mieux valu parler tout de suite et partir à l'aube. Les pharisiens
sont dans la ville. Philippe me l'a dit. Ils vont te causer des
ennuis."
"Ceux qui auraient pu être ennuyés par eux
sont loin d'ici. Les ennuis qu'ils pourront me causer n'ont pas de valeur.
Il y a l'amour pour les annuler."
Le lendemain matin... La sortie joyeuse parmi les
familiers de Philippe et les apôtres. La petite vieille est derrière. La
rencontre avec ceux d'Arbela qui attendent patiemment. L'arrivée à la place
principale où Jésus commence à parler.
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480> "On lit au huitième chapitre du second livre
d'Esdras ce que maintenant je vous répète ici : "Au début
du septième mois..." (Jésus me dit: "N'ajoute rien d'autre. Je
répète intégralement les paroles du livre").
Quand est-ce qu'un peuple est rapatrié ?
Quand il revient dans les terres de ses pères. Moi, je viens vous ramener
dans les terres de votre Père, dans le Royaume du Père. Et je le puis parce
que j'ai été envoyé pour cela. Je viens donc vous amener au Royaume de Dieu
et par conséquent il est juste de vous comparer à ceux qui furent rapatriés
avec Zorobabel à Jérusalem, la cité du Seigneur, et il est juste de faire
avec vous comme le scribe Esdras fit avec le peuple rassemblé de nouveau dans
les murs sacrés. Car reconstruire une cité en la dédiant au Seigneur, mais ne
pas reconstruire les âmes qui sont semblables à autant de petites cités de
Dieu, c'est une sottise sans pareille.
Comment reconstruire ces petites cités spirituelles que
tant de raisons ont démolies ? Quels matériaux employer pour les faire
solides, belles, durables ?
Les matériaux
sont dans les préceptes du Seigneur. Les dix commandements, et vous les
connaissez parce que Philippe, votre fils et mon disciple, vous les a
rappelés. Les deux saints parmi les saints préceptes : "Aime Dieu
avec tout toi-même. Aime le prochain comme toi-même". C'est l'abrégé de
la Loi et ce sont ceux-ci que je prêche parce que, avec eux,
on est sûr de conquérir le Royaume de Dieu. Dans l'amour se trouve la force
de se conserver saint ou de le devenir, la force de pardonner, la force de
l'héroïsme dans la vertu. Tout se trouve dans l'amour.
Ce n'est pas la
peur qui sauve. La peur du jugement de Dieu, la peur des sanctions humaines,
la peur des maladies. La peur n'est jamais constructive. Elle provoque
l'éboulement, l'effritement, la dislocation, la ruine. La peur porte au
désespoir, elle porte aux astuces pour cacher la mauvaise conduite, elle
porte seulement à craindre quand la crainte est désormais inutile parce que
le mal est désormais en nous. Qui pense, pendant qu'il est en bonne santé, à
agir avec prudence par pitié pour son corps? Personne. Mais dès que le premier
frisson de fièvre court dans les veines, ou qu'une tache fait penser à des
maladies immondes, voici alors qu'arrive la peur, tourment qui s'ajoute à la
maladie, force de désagrégation dans un corps que déjà la maladie désagrège.
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481> L'amour au
contraire est constructeur. Il construit, affermit, maintient compact,
préserve. L'amour apporte l'espérance en Dieu. L'amour fait fuir le mal.
L'amour porte à la prudence envers sa propre personne qui n'est pas le centre
de l'univers, comme le croient et le font les égoïstes, les faux amoureux
d'eux-mêmes car ils n'aiment qu'une partie d'eux-mêmes : la moins noble,
au détriment de la partie immortelle et sainte; mais c'est un devoir,
cependant, de toujours en prendre soin pour la conserver en bonne santé tant
qu'il plaira à Dieu, pour être utile à soi-même, aux parents, à sa cité, à
son pays tout entier. Il est inévitable que surviennent les maladies. Il
n'est pas dit que toute maladie soit la conséquence d'un vice ou d'une
punition.
Il y a les
saintes maladies envoyées par le Seigneur à ses justes pour que dans le monde,
qui fait du plaisir son tout et qui lui fait tout servir, il y ait des saints
qui sont comme des otages de guerre pour le salut des autres, et qui paient
de leur personne pour que soit expiée par leurs souffrances la masse de
fautes que le monde accumule journellement et qui finirait par s'écrouler sur
l'Humanité en l'ensevelissant sous sa malédiction. Vous vous souvenez de
Moïse devenu vieux et qui priait pendant que Josué combattait au nom du
Seigneur ? Vous devez savoir que celui qui souffre saintement
livre la plus grande bataille au plus féroce guerrier qui existe dans le
monde, caché sous les apparences des hommes et des peuples, à Satan, le
Tortionnaire, l'Origine de tout mal, et qu'il se bat pour tous les autres
hommes. Mais quelle différence entre ces maladies saintes que Dieu envoie et
celles qui proviennent du vice par suite d'un amour coupable pour les
plaisirs sensuels ! Les premières, preuves de la volonté bienfaisante de
Dieu; les secondes, preuves de la corruption satanique.
Il faut donc aimer pour être saints parce que
l'amour crée, préserve, sanctifie.
Moi aussi, en vous annonçant cette vérité, je vous
parle comme Néhémie et Esdras : "Ce jour est consacré au Seigneur
notre Dieu. Pas de deuil, pas de pleurs". Car tout deuil cesse quand on vit le jour du
Seigneur. La mort perd sa dureté, car la perte d'un fils, d'un époux, d'un
père, d'une mère ou d'un frère, devient une séparation momentanée et limitée.
Momentanée parce qu'elle cesse avec notre propre mort. Limitée parce qu'elle
se limite au corps, au sens. L'âme ne perd rien par la mort d'un parent qui
s'est éteint.
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482> Mais au contraire, la liberté n'est limitée que d'un
côté : celui du survivant dont l'âme est encore enserrée dans la chair, alors que l'autre côté, celui qui est passé
à une seconde vie, jouit de la liberté et de la possibilité de veiller sur
nous et de nous obtenir davantage, bien davantage que quand il nous aimait
dans la prison du corps.
Je vous dis comme Néhémie et Esdras :
"Allez manger de la viande grasse et boire du vin doux, et envoyez-en
des parts a ceux qui n'en ont pas, car c'est un jour saint pour le Seigneur
et personne ne doit souffrir ce jour-là. Ne vous attristez pas, car la joie
.du Seigneur qui est parmi vous est la force de celui qui reçoit la grâce du
Seigneur Très-Haut dans ses murs et dans son cœur".
Vous ne pouvez plus faire les Tabernacles. Le
temps en est passé, mais élevez-en de spirituels dans vos cœurs. Gravissez la
montagne, c'est-à-dire montez vers la Perfection. Cueillez des branches
d'oliviers, de myrtes, de palmiers, de chênes, d'hysopes, de tous les arbres
les plus beaux. Rameaux des vertus de paix, de pureté, d'héroïsme, de
mortification, de force, d'espérance, de justice, de toutes, toutes les
vertus. Ornez-vous l'esprit en célébrant la fête du Seigneur. Ses tabernacles
vous attendent. Les siens. Et ils sont beaux; saints, éternels,
ouverts à tous ceux qui vivent dans le Seigneur. Et avec Moi, aujourd'hui,
proposez-vous de faire pénitence pour le passé et de commencer une vie
nouvelle.
Ne craignez rien
du Seigneur. Lui vous appelle parce qu'il vous aime. Ne craignez pas. Soyez ses
fils comme tous ceux d'Israël. C'est aussi pour vous qu'Il a fait la Création
et le Ciel, qu'il a suscité Abraham et Moïse, qu'il a ouvert la mer et créé
la nuée qui indique la route, et qu'il est descendu du Ciel pour donner la
Loi, qu'il a ouvert les nuées pour faire pleuvoir la manne, et qu'il a rendu
le rocher fécond pour qu'il vous donne de l'eau. Et maintenant, oh !
maintenant que pour vous aussi, il envoie le Pain vivant du Ciel pour votre
faim, la vraie Vigne et la Source de la Vie éternelle pour votre soif. Et par
ma bouche il vous dit : "Entrez pour posséder la Terre sur laquelle
J'ai levé la main pour vous la donner". Ma Terre spirituelle : le
Royaume des Cieux." La foule échange des paroles enthousiastes. ..Puis
voilà les malades. Si nombreux. Jésus les fait ranger sur deux files et,
pendant que cela se fait, il demande à Philippe d'Arbela :
"Pourquoi ne les as-tu pas guéris ?"
"Pour qu'ils aient ce que moi j'ai eu :
la guérison par tes mains." Jésus passe en bénissant, un par un, les
malades et c'est le prodige habituel qui se répète : des aveugles qui
voient et des sourds qui entendent, des muets qui parlent, des bossus qui se
redressent, des fièvres qui tombent, des faiblesses qui disparaissent.
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483> Les guérisons sont terminées. Puis, après le dernier
malade, il y a les deux pharisiens qui étaient allés à Bozra et deux autres. "La paix à Toi, Maître. Et à nous,
tu ne dis rien ?"
"J'ai parlé, pour tout le monde."
"Mais nous n'avions pas besoin de ces
paroles. Nous sommes les saints d'Israël."
"À vous qui êtes des maîtres, je dis :
commentez entre vous le chapitre suivant, le neuvième du second livre
d'Esdras, en vous rappelant combien de fois Dieu a usé jusqu'ici de miséricorde
envers vous, et dites en vous frappant la poitrine, comme si c'était une
prière, la conclusion du chapitre."
"Bien dit, bien dit, Maître ! Et tes
disciples, ils le font ?"
"Oui. C'est la première chose que
j'exige."
"Tous ? Même les homicides qui sont dans
tes rangs ?"
"Vous sentez l'odeur du sang ?"
"C'est une voix qui crie vers le Ciel."
"Efforcez-vous alors de ne pas imiter ceux
qui le répandent."
"Nous ne sommes pas des
assassins !"
Jésus les fixe en les transperçant de son regard.
Ils n'osent pas ajouter un mot pendant quelque temps, mais ils suivent le
groupe qui revient à la maison de Philippe qui croit devoir les inviter à
entrer en prenant part au banquet.
"Très volontiers ! Nous serons plus longtemps
avec le Maître" disent-ils avec de grandes révérences.
Mais arrivés dans la maison, ils semblent des
limiers... Ils regardent, jettent dans toutes les directions des regards
furtifs, posent des questions astucieuses aux serviteurs et jusqu'à la petite
vieille qui me semble attirée par Jésus comme le fer par l'aimant. Mais elle
répond vivement : "Moi, hier, je n'ai vu qu'eux. Vous rêvez. Moi,
je les ai accompagnés ici, et en fait de Jean, il n'y avait que ce garçon
blond et bon comme un ange."
Ils foudroient la petite vieille en l'insultant et
se tournent dans une autre direction. Mais un serviteur, sans leur répondre
directement, se penche sur Jésus qui est assis et parle avec le maître de
maison, et il Lui demande : "Où est Jean d'Endor ? Ce seigneur
le cherche."
Le pharisien foudroie du regard le serviteur et le traite d'imbécile. Mais Jésus est au courant de leurs
intentions et il faut y remédier comme on peut. Le pharisien dit donc :
"C'était pour nous féliciter de ce miracle de ton enseignement, Maître,
et te faire honneur pour cette conversion."
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484> "Jean est pour toujours au loin et le sera de plus
en plus."
"Il est retombé dans son péché ?"
"Non. Il monte vers le Ciel. Imitez-le, et
dans l'autre vie vous le trouverez."
Les quatre ne savent plus que dire et prudemment
parlent d'autre chose. Les serviteurs annoncent que les tables sont prêtes et
tout le monde passe dans la salle du festin.
C'est vrai. L'espoir s'allume plus
vivement... Et par qui serai-je recueillie ? Moi qui suis si mal et qui
suis rongée par la torture de Satan comme par un ver rongeur ? Il ne me
donne pas de trêve. Ne pouvant me prendre autrement, il me prend ainsi :
il insinue que c'est moi qui écris et que ce n'est pas Jésus qui montre et
qui dicte. Il sait que s'il pouvait me persuader je me replierais dans la
désolation et dans la terreur d'avoir péché et que j'aurais peur de la mort
et du Jugement. Oh ! s'il me torture ! Il m'abasourdit tellement
par ses propos ininterrompus que moi, lorsque Jésus met fin à la vision et à
ses paroles, je perds toute possibilité de jouir de ce qui est ma vie,
c'est-à-dire de ce surnaturel qui m'enveloppe et fait de moi un "porte-parole".
À vous qui lisez, paraissent-ils
si beaux ces épisodes ? Autrefois, j'avais aussi ces impressions.
Maintenant, à part le côté artistique, je n'éprouve rien d'autre. C'est
inutilement que je cherche et cherche encore les phrases qui au moment où
elles m'étaient dites m'élevaient vers la béatitude. C'est inutilement que je
pense et repense aux attitudes dont la douceur m'avait tant frappée pendant
que je les voyais... Tout est éteint, tout est cendre. Le Paradis, car c'est
un paradis, a perdu sa splendeur ou plutôt il s'ouvre tant que dure mon
service journalier de porte-parole, en m'inondant de toute sa lumière, de son
chant, de sa douceur, de sa joie. Et puis, le travail terminé, voilà que tout
se ferme hermétiquement et que je suis enveloppée et submergée par la brume
et l'obscurité sans autre voix que celle du Doute et de la Négation qui me
pique et me raille, N'est-ce pas une grande peine cela ?
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