| Le jeudi 19 juillet 1945. 502>  223.1 – "À l'endroit où nous
  allons nous rendre, je vais parler" dit le Seigneur pendant que la
  troupe s'enfonce toujours plus dans des vallées qui montent à l'assaut de la
  montagne par des chemins difficiles, caillouteux, étroits, et qui montent et
  descendent en perdant de vue l'horizon, en le retrouvant jusqu'à ce que,
  arrivée à une vallée profonde par une descente très rapide sur laquelle,
  comme dit Pierre, seul le bouc se sent à l'aise, la troupe se repose et prend
  son repas près d'une source au débit abondant. 
 D'autres personnes sont dispersées dans les prés et les bosquets et prennent
  leur repas comme Jésus et les siens. C'est un endroit où l'on s'arrête parce
  qu'il est à l'abri des vents, avec des prés agréables et de l'eau. Il y a des
  pèlerins qui vont vers Jérusalem, des voyageurs qui se rendent peut-être au
  Jourdain, des marchands d'agneaux destinés au Temple, des bergers avec leurs
  troupeaux. Certains font le voyage sur des montures, la plupart à pied.
 
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 503>
  223.2 – Voilà qu'arrive même une
  caravane nuptiale toute en fête. L'or brille sous les voiles dont s'enveloppe
  l'épouse qui sort de l'enfance, accompagnée de deux matrones toutes
  scintillantes de bracelets et de colliers et d'un homme, peut-être le paranymphe,
  sans compter deux serviteurs. Ils sont arrivés sur des ânes couverts de
  bouffettes et de grelots et se retirent dans un coin pour manger comme s'ils
  avaient peur qu'un regard des gens viole la petite épouse. Le paranymphe, ou
  peut-être un parent, monte la garde, l'air menaçant, pendant que les femmes
  mangent. Ils sont, en fait, l'objet d'une curiosité très vive, et sous
  prétexte de demander du sel, un couteau, une goutte de vinaigre, il y a
  toujours quelqu'un qui va trouver l'un ou l'autre pour savoir si l'épouse est
  connue et où elle va et tant de belles choses du même genre... 
 Il y a quelqu'un, en effet, qui sait d'où elle vient et où elle va et qui est
  bien content de raconter tout ce qu'il sait, excité par un autre qui le fait
  parler en lui versant un vin généreux. Par moments on étale jusqu'aux plus
  secrets détails des deux familles, du trousseau que l'épouse emporte dans ses
  coffres, des richesses qui l'attendent dans la maison de l'époux, et ainsi de
  suite. On arrive ainsi à savoir que l'épouse est la fille d'un riche marchand
  de Joppé et qu'elle va épouser le fils d'un riche marchand de Jérusalem, et
  que l'époux l'a précédée pour décorer la maison nuptiale, vu l'imminence de
  son arrivée et que celui qui l'accompagne, l'ami de l'époux est,
  lui aussi, fils d'un marchand, Abraham,
  qui travaille les diamants et les perles, alors que l'époux est orfèvre et le
  père de l'épouse marchand de laine, toile, tapis, rideaux...
 
 
  223.3 – Comme le bavard est tout
  proche du groupe apostolique, Thomas l'entend et lui demande : 
 "Mais ce n'est pas Nathanaël
  de Lévi, l'époux ?"
 
 "C'est justement lui. Tu le connais ?"
 
 "Je connais bien le père avec qui j'ai fait des affaires, un peu moins
  Nathanaël. C'est un riche mariage !"
 
 "Et l'épouse est heureuse ! Elle est couverte d'or. Abraham, parent
  de la mère de l'épouse et père de l'ami de l'époux, s'en est fait un point
  d'honneur, et de même l'époux et son père. On dit que dans ces coffres, il y
  a la valeur de plusieurs talents d'or."
 
 "Bigre !" s'exclame Pierre en sifflotant.
 
 Et il ajoute :
 
 "Je vais voir de près si la principale marchandise correspond au
  reste."
 
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 504> Il se lève avec Thomas et ils s'en
  vont faire un petit tour, autour du groupe nuptial et ils regardent
  attentivement les trois femmes, amas d'étoffes et de voiles d'où émergent les
  mains et les poignets couverts de joyaux et d'où filtrent des scintillements
  aux oreilles et au cou, et ils dévisagent le paranymphe fanfaron qui semble
  repousser des corsaires partis à l'assaut de la jeune fille tant il fait le
  bravache.
 
 Il regarde aussi de travers les deux apôtres. Mais Thomas le prie de saluer Nathanaël de Lévi au nom de Thomas dit
  Didyme. Et la paix est faite, si bien faite que, pendant qu'ils bavardent, la
  petite épouse trouve le moyen de se faire admirer en se levant de façon que
  tombent le manteau et le voile et qu'elle apparaisse dans toute sa grâce
  physique et vestimentaire et dans sa richesse d'idole. Elle peut avoir quinze
  ans au maximum, et des yeux malicieux ! Elle fait la belle, malgré la
  désapprobation des matrones. Elle défait ses tresses et les réajuste avec des
  épingles précieuses, elle serre sa ceinture ornée de pierreries, délace, ôte
  ses chaussures et les remet bien serrées par des boucles en or et, entre
  temps, trouve le moyen de montrer ses magnifiques cheveux noirs, ses belles
  mains et ses bras gracieux, sa taille fine, sa poitrine et ses hanches bien
  formées, son petit pied parfait et tous ses colliers qui tintent et qui
  brillent aux dernières lueurs du jour et aux flammes du premier feu de bois.
 
 
  223.4 – Pierre et Thomas reviennent.
  Thomas dit : 
 "C'est une belle enfant."
 
 "C'est une parfaite coquette. Elle sera... mais ton ami Nathanaël saura bien vite qu'il y a quelqu'un qui lui tient chaud le lit
  pendant que lui tient chaud l'or pour le travailler, et son ami est un
  parfait imbécile. Il a bien confié la petite épouse !" achève
  Pierre en s'asseyant parmi ses compagnons.
 
 "À moi, il ne m'a pas plu cet homme qui faisait parler l'autre imbécile,
  bougonne Barthélemy.
  Quand il a su tout ce qu'il voulait savoir, il est parti du côté de la
  montagne... C'est une mauvaise place que celle-là. Et c'est un temps idéal
  pour les coups de mains des brigands. Nuits de lune. Chaleur épuisante.
  Arbres couverts de feuilles. Hum ! cet endroit ne me plaît pas. Il
  valait mieux poursuivre la route."
 
 "Et cet imbécile qui a parlé de tant de richesses ! Et cet autre
  qui joue au héros et au gardien devant les ombres et qui ne voit pas les
  corps réels !... Eh bien, je veillerai sur les feux. Qui vient avec
  moi ?" dit Pierre.
 
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 505> "Moi, Simon, répond le Zélote.
  Je résiste bien au sommeil".
 
 Plusieurs, surtout des voyageurs isolés, se sont levés et sont partis par
  petits groupes. Il reste des bergers avec leurs troupeaux, la troupe nuptiale
  et celle des apôtres et trois marchands d'agneaux qui dorment déjà. La petite
  épouse aussi dort avec les matrones, sous une tente montée par les
  serviteurs. Les apôtres se cherchent une place, Jésus s'isole pour prier. Les
  bergers font un grand feu au milieu de l'emplacement où ils se trouvent.
  Pierre et Simon en font un autre sur le sentier escarpé par lequel s'est
  éclipsé l'homme qui a donné des soupçons à Barthélemy.
 
 
  223.5 – Les heures passent, et ceux
  qui ne ronflent pas somnolent. Jésus prie. Le silence est total. Elle semble
  se taire elle aussi la fontaine qui resplendit sous les rayons de la lune
  déjà haute dans le ciel et qui éclaire parfaitement le campement alors que
  les pentes restent à l'ombre sous les feuillages épais. 
 Un gros chien de berger gronde. Un berger lève la tête. Le chien se redresse,
  et son poil se hérisse sur son échine. Il reste en arrêt et écoute. Il
  tremble même quand se fait plus fort le sourd grondement qui trahit son
  émotion. Simon aussi lève la tête et secoue Pierre qui somnole. Un
  bruissement presque imperceptible vient du bois.
 
 "Allons trouver le Maître et amenons-le avec nous" disent les deux.
 
 Et en même temps le berger éveille ses compagnons. Ils sont tous à l'écoute,
  sans faire de bruit. Jésus aussi s'est levé, avant même qu'on l'appelle et il
  va vers les deux apôtres. Ils se réunissent près de leurs
  compagnons, et donc près des bergers dont le chien donne des signes de plus
  en plus manifestes d'agitation.
 
 "Appelez ceux qui dorment, tous. Dites-leur qu'ils viennent ici
  sans bruit, et spécialement les femmes et les serviteurs avec les coffres.
  Dites-leur que peut-être il y a des brigands, mais pas aux femmes. À tous les
  hommes."
 
 Les apôtres se dispersent pour obéir au Maître qui dit aux bergers :
 
 "Alimentez fortement le feu, qu'il donne une flamme très vive."
 
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 506> Les bergers obéissent, et comme ils
  paraissent agités, Jésus leur dit :
 
 "Ne craignez pas. On ne vous enlèvera pas un flocon de laine."
 
 Les marchands surviennent et ils murmurent :
 
 "Oh ! nos bénéfices !"
 
 Et ils ajoutent une litanie de reproches à l'adresse des gouvernants romains
  et juifs "qui ne débarrassent pas le monde des voleurs".
 
 "Ne craignez pas. Vous ne perdrez pas une seule pièce de monnaie"
  dit Jésus pour les réconforter.
 
 Les femmes arrivent, en pleurs, effrayées, car le courageux paranymphe, tout
  tremblant et apeuré les effraye en disant :
 
 "C'est la mort ! La mort par main des brigands !"
 
 "Ne craignez pas. On ne vous effleurera pas, même d'un regard" dit
  Jésus pour les réconforter, et il les conduit au milieu du petit peuple
  d'hommes et d'animaux effrayés.
 
 Les ânes braient, le chien hurle, les brebis bêlent, les femmes sanglotent,
  les hommes poussent des imprécations et défaillent plus que les femmes. C'est
  une cacophonie produite par l'épouvante. Jésus est calme comme si de rien
  n'était. Au milieu de ce bruit, on n'entend plus le bruissement dans le bois.
  Mais, que dans le bois il y ait des brigands qui s'approchent, c'est ce
  qu'indiquent des branches que l'on brise ou des pierres qui dévalent.
 
 "Silence !" impose Jésus et il le dit de telle façon que le
  silence se fait.
 
 
  223.6 – Jésus quitte sa place et va
  vers le bois à la limite du campement. Il tourne le dos au bois et commence à
  parler. 
 "La faim maudite de l'or entraîne les hommes dans des
  sentiments abjects. C'est par l'or que l'homme se dévoile plus que par toute
  autre chose. Regardez combien de maux sème ce métal, par son fascinant et
  inutile éclat. Je crois que l'air de l'Enfer a la même couleur tant il
  possède une nature infernale depuis que l'homme est pécheur.
 
 Le Créateur l'avait laissé à l'intérieur de cet énorme lapis-lazuli qu'est la
  terre, créée par sa volonté, pour qu'il fût utile à l'homme avec ses sels et
  servît à la décoration des temples. Mais Satan, en baisant
  les yeux d'Ève et en mordant le moi de l'homme, donna une saveur malfaisante au métal innocent. Et depuis on tue et
  on pèche pour l'or. Pour lui la femme devient coquette et se laisse entraîner
  au péché de la chair.
 
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 507> Par lui l'homme devient voleur,
  usurpateur, homicide, dur à l'égard de son prochain et à l'égard de son âme
  qu'il dépouille de son véritable héritage pour se donner une chose éphémère,
  à l'égard de son âme à laquelle il dérobe son trésor éternel pour lui donner
  quelques écailles brillantes qu'il devra quitter à sa mort.
 
 
  223.7 – O vous, qui à cause de l'or,
  péchez plus ou moins légèrement, plus ou moins gravement et plus vous péchez
  et plus vous riez de ce que vous ont enseigné vos mères et vos maîtres, à
  savoir qu'il existe une récompense et un châtiment pour ce qu'on a fait
  durant l'existence. Vous ne réfléchissez donc pas qu'à cause de ce péché,
  vous perdrez la protection de Dieu, la vie éternelle, la joie, et aurez des
  remords, des malédictions plein le cœur, la peur pour compagne, la peur des
  châtiments des hommes qui n'est rien en comparaison de la peur que vous
  devriez avoir et que vous n'avez pas, de la peur sainte des punitions de
  Dieu ? Vous ne réfléchissez pas que vous pouvez avoir une fin terrible à
  cause de vos méfaits, s'ils sont joints au crime, et une fin encore plus
  redoutable parce qu'éternelle, si les fautes que vous avez commises par amour
  de l'or, n'ont pas provoqué l'effusion de sang mais ont méprisé la loi
  d'amour et du respect dû au prochain en refusant par avarice des secours à
  ceux qui ont faim, en volant des situations, de l'argent, en trompant sur le
  poids, par avidité ? 
 Non. Vous n'y pensez pas. Vous dites : "Ce sont des idées
  folles ! Je les ai écrasées sous le poids de mon or. Et elles ne vivent
  plus". Ce ne sont pas des idées folles. C'est la vérité. Ne dites
  pas : "Une fois que je suis mort, tout est fini". Non. Tout
  commence. L'autre vie n'est pas un abîme sans pensée et sans souvenir de ce
  que l'on a vécu, ni non plus sans aspiration vers Dieu, telle que vous
  l'imaginez. Ce sera une pause dans l'attente de la libération par le Rédempteur.
  L'autre vie est une attente bienheureuse pour les justes, une attente
  patiente pour ceux qui ont à expier, une attente affreuse pour les damnés.
  Pour les premiers dans les Limbes, pour les seconds au Purgatoire, pour les
  derniers en Enfer. Et alors que pour les premiers l'attente cessera avec
  l'entrée aux Cieux à la suite du Rédempteur, pour les seconds après cette
  heure, l'attente sera réconfortée par l'espérance, pour les troisièmes elle
  assombrira la terrible certitude de leur malédiction éternelle.
 
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 508> Pensez-y, vous qui péchez.  Il
  n'est jamais trop tard pour se repentir. Changez par un vrai
  repentir le verdict qu'on est en train d'écrire aux Cieux pour vous. Que le
  schéol
  soit pour vous non pas l'enfer, mais une attente pénitente,
  cela au moins, grâce à votre volonté. Non pas l'obscurité, mais un
  crépuscule. Non pas déchirement, mais nostalgie. Non pas désespoir, mais
  espérance.
 
 
  223.8 – Allez. Ne cherchez pas à
  lutter avec Dieu. Lui est le Fort et le Bon. Ne méprisez pas le nom de vos
  parents. Écoutez le gémissement de cette fontaine, un gémissement semblable à
  celui qui brise le cœur de vos mères en vous sachant assassins. Écoutez la
  plainte du vent dans cette gorge. Elle semble menacer et maudire. Comme vous
  maudit votre père pour la vie que vous menez. Écoutez comment le remords crie
  en vos cœurs. Pourquoi voulez-vous souffrir, alors que vous pourriez jouir
  d'une tranquille satisfaction avec le peu qui suffit sur la terre et le tout
  que vous aurez au Ciel ? Donnez la paix à votre esprit ! Donnez la
  paix aux hommes qui craignent, qui doivent tout craindre de vous comme des
  fauves ! Donnez-vous la paix à vous-mêmes, pauvres malheureux !
  Levez vos regards vers le Ciel, débarrassez votre bouche de la nourriture
  empoisonnée, purifiez vos mains qui ruissellent du sang de vos frères,
  purifiez votre cœur. 
 J'ai foi en vous. C'est pour cela que je vous parle. Car, si le monde entier
  vous hait et vous craint, Moi je ne vous hais ni ne vous crains. Mais je vous
  tends seulement les mains pour vous dire : "Levez-vous. Venez.
  Redevenez doux parmi les hommes, hommes parmi les hommes". Je vous
  crains si peu, que maintenant je dis à tous ceux-ci : "Retournez vous reposer, sans rancœur pour les pauvres
  frères. Priez pour eux. Moi je reste à les regarder d'un regard d'amour et je
  vous jure qu'il n'arrivera plus rien. Car l'amour désarme les violents et
  rassasie ceux qui sont avides. Que soit béni l'Amour, vraie force du
  monde. Force inconnue et puissante. Force qui est Dieu"
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