19 juillet 1945
520> "À l'endroit où nous allons
nous rendre, je vais parler" dit le Seigneur
pendant que la troupe s'enfonce toujours plus dans des vallées qui montent à
l'assaut de la montagne par des chemins difficiles, caillouteux, étroits, et
qui montent et descendent en perdant de vue l'horizon, en le retrouvant
jusqu'à ce que, arrivée à une vallée profonde par une descente très rapide
sur laquelle, comme dit Pierre, seul le bouc se sent à l'aise, la troupe se
repose et prend son repas près d'une source au débit abondant.
D'autres personnes sont dispersées dans les prés et les bosquets et prennent
leur repas comme Jésus et les siens. C'est un endroit où l'on s'arrête parce
qu'il est à l'abri des vents, avec des prés agréables et de l'eau. Il y a des
pèlerins qui vont vers Jérusalem, des voyageurs qui se rendent peut-être au
Jourdain, des marchands d'agneaux destinés au Temple, des bergers avec leurs
troupeaux. Certains font le voyage sur des montures, la plupart à pied. Voilà
qu'arrive même une caravane nuptiale toute en fête. L'or brille sous les
voiles dont s'enveloppe l'épouse qui sort de l'enfance, accompagnée de deux
matrones toutes scintillantes de bracelets et de colliers et d'un homme,
peut-être le paranymphe, sans
compter deux serviteurs. Ils sont arrivés sur des ânes couverts de bouffettes
et de grelots et se retirent dans un coin pour manger comme s'ils avaient
peur qu'un regard des gens viole la petite épouse. Le
paranymphe, ou peut-être un parent, monte la garde, l'air menaçant, pendant
que les femmes mangent.
Ils sont, en fait, l'objet d'une curiosité très vive, et sous prétexte de
demander du sel, un couteau, une goutte de vinaigre, il y a toujours
quelqu'un qui va trouver l'un ou l'autre pour savoir si l'épouse est connue
et où elle va et tant de belles choses du même genre... Il y a quelqu'un, en
effet, qui sait d'où elle vient et où elle va et qui est bien content de
raconter tout ce qu'il sait, excité par un autre qui le fait parler en lui
versant un vin généreux. Par moments on étale jusqu'aux plus secrets détails
des deux familles, du trousseau que l'épouse emporte dans ses coffres, des
richesses qui l'attendent dans la maison de l'époux, et ainsi de suite. On
arrive ainsi à savoir que l'épouse est la fille d'un riche marchand de Joppé
et qu'elle va épouser le fils d'un riche marchand de Jérusalem, et que
l'époux l'a précédée pour décorer la maison nuptiale, vu l'imminence de son
arrivée et que celui qui l'accompagne, l'ami de l'époux est,
lui aussi, fils d'un marchand, Abraham, qui
travaille les diamants et les perles, alors que l'époux est orfèvre et le
père de l'épouse marchand de laine, toile, tapis, rideaux...
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521> Comme le bavard est tout
proche du groupe apostolique, Thomas
l'entend et lui demande : "Mais ce n'est pas Nathanaël de Lévi,
l'époux ?"
"C'est justement lui. Tu le connais ?"
"Je connais bien le père avec qui j'ai fait des affaires, un peu moins
Nathanaël. C'est un riche mariage !"
"Et l'épouse est heureuse ! Elle est couverte d'or. Abraham, parent
de la mère de l'épouse et père de l'ami de l'époux, s'en est fait un point d'honneur,
et de même l'époux et son père. On dit que dans ces coffres, il y a la valeur
de plusieurs talents d'or."
"Chapeau !" s'exclame Pierre en sifflotant, et il
ajoute : "Je vais voir de près si la principale marchandise
correspond au reste." Il se lève avec Thomas et ils s'en vont faire un
petit tour, autour du groupe nuptial et ils regardent attentivement les trois
femmes, amas d'étoffes et de voiles d'où émergent les mains et les poignets
couverts de joyaux et d'où filtrent des scintillements aux oreilles et au
cou, et ils dévisagent le rodomont
paranymphe qui semble repousser des corsaires partis à l'assaut de la jeune
fille tant il fait le bravache. Il regarde aussi de travers les deux apôtres.
Mais Thomas le prie de saluer Nathanaël de Lévi au nom de Thomas dit Didyme.
Et la paix est faite, si bien faite que, pendant qu'ils bavardent, la petite
épouse trouve le moyen de se faire admirer en se levant de façon que tombent
le manteau et le voile et qu'elle apparaisse dans toute sa grâce physique et
vestimentaire et dans sa richesse d'idole. Elle peut avoir quinze ans au
maximum, et des yeux malicieux ! Elle fait la belle, malgré la
désapprobation des matrones. Elle défait ses tresses et les réajuste avec des
épingles précieuses, elle serre sa ceinture ornée de pierreries, délace, ôte
ses chaussures et les remet bien serrées par des boucles en or et, entre
temps, trouve le moyen de montrer ses magnifiques cheveux noirs, ses belles
mains et ses bras gracieux, sa taille fine, sa poitrine et ses hanches bien
formées, son petit pied parfait et tous ses colliers qui tintent et qui
brillent aux dernières lueurs du jour et aux flammes du premier feu de bois.
Pierre et Thomas reviennent. Thomas dit : "C'est une belle enfant."
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522> "C'est une parfaite
coquette. Elle sera... mais ton ami Nathanaël saura bien vite
qu'il y a quelqu'un qui lui tient chaud le lit pendant que lui tient chaud
l'or pour le travailler, et son ami est un parfait imbécile. Il a bien confié
la petite épouse !" achève Pierre en s'asseyant parmi ses
compagnons.
"À moi, il ne m'a pas plu cet homme qui faisait parler l'autre imbécile,
bougonne Barthélemy.
Quand il a su tout ce qu'il voulait savoir, il est parti du côté de la
montagne... C'est une mauvaise place que celle-là. Et c'est un temps idéal
pour les coups de mains des brigands. Nuits de lune. Chaleur épuisante.
Arbres couverts de feuilles. Hum ! cet endroit ne me plaît pas. Il
valait mieux poursuivre la route."
"Et cet imbécile qui a parlé de tant de richesses ! Et cet autre
qui joue au héros et au gardien devant les ombres et qui ne voit pas les
corps réels !... Eh bien, je veillerai sur les feux. Qui vient avec
moi ?" dit Pierre.
"Moi, Simon, répond le Zélote. Je résiste bien au
sommeil".
Plusieurs, surtout des voyageurs isolés, se sont levés et sont partis par
petits groupes. Il reste des bergers avec leurs troupeaux, la troupe nuptiale
et celle des apôtres et trois marchands d'agneaux qui dorment déjà. La petite
épouse aussi dort avec les matrones, sous une tente montée par les
serviteurs.
Les apôtres se cherchent une place, Jésus s'isole pour prier. Les bergers
font un grand feu au milieu de l'emplacement où ils se trouvent. Pierre et
Simon en font un autre sur le sentier escarpé par lequel s'est éclipsé
l'homme qui a donné des soupçons à Barthélemy.
Les heures passent, et ceux qui ne ronflent pas somnolent. Jésus prie. Le
silence est total. Elle semble se taire elle aussi la fontaine qui resplendit
sous les rayons de la lune déjà haute dans le ciel et qui éclaire
parfaitement le campement alors que les pentes restent à l'ombre sous les
feuillages épais.
Un gros chien de berger gronde. Un berger lève la tête. Le chien se redresse,
et son poil se hérisse sur son échine. Il reste en arrêt et écoute. Il
tremble même quand se fait plus fort le sourd grondement qui trahit son
émotion. Simon aussi lève la tête et secoue Pierre qui somnole. Un
bruissement presque imperceptible vient du bois.
"Allons trouver le Maître et amenons-le avec nous" disent les deux.
Et en même temps le berger éveille ses compagnons. Ils sont tous à l'écoute,
sans faire de bruit. Jésus aussi s'est levé, avant même qu'on l'appelle et il
va vers les deux apôtres. Ils se réunissent près de leurs
compagnons, et donc près des bergers dont le chien donne des signes de plus
en plus manifestes d'agitation.
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523> "Appelez ceux qui dorment, tous. Dites-leur
qu'ils viennent ici sans bruit, et spécialement les femmes et les serviteurs
avec les coffres. Dites-leur que peut-être il y a des brigands, mais pas aux
femmes. À tous les hommes."
Les apôtres se dispersent pour obéir au Maître qui dit aux bergers :
"Alimentez fortement le feu, qu'il donne une flamme très vive." Les
bergers obéissent, et comme ils paraissent agités, Jésus leur dit :
"Ne craignez pas. On ne vous enlèvera pas un flocon de laine."
Les marchands surviennent et ils murmurent: "Oh ! nos
bénéfices !" et ils ajoutent une litanie de reproches à l'adresse
des gouvernants romains et juifs "qui ne débarrassent pas le monde des
voleurs".
"Ne craignez pas. Vous ne perdrez pas une seule pièce de monnaie"
dit Jésus pour les réconforter.
Les femmes arrivent, en pleurs, effrayées, car le courageux
paranymphe, tout tremblant et apeuré les effraye en disant : "C'est
la mort ! La mort par main des brigands !"
"Ne craignez pas. On ne vous effleurera pas, même d'un regard" dit
Jésus pour les réconforter, et il les conduit au milieu du petit peuple d'hommes
et d'animaux effrayés.
Les ânes braient, le chien hurle, les brebis bêlent, les femmes sanglotent,
les hommes poussent des imprécations et défaillent plus que les femmes. C'est
une cacophonie produite par l'épouvante. Jésus est calme comme si de rien
n'était. Au milieu de ce bruit, on n'entend plus le bruissement dans le bois.
Mais, que dans le bois il y ait des brigands qui s'approchent, c'est ce
qu'indiquent des branches que l'on brise ou des pierres qui dévalent.
"Silence !" impose Jésus et il le dit de telle façon que le
silence se fait. Jésus quitte sa place et va vers le bois à la limite du
campement. Il tourne le dos au bois et commence à parler.
"La
faim maudite de l'or entraîne les hommes dans des
sentiments abjects. C'est par l'or que l'homme se dévoile plus que par toute
autre chose. Regardez combien de maux sème ce métal, par son fascinant et
inutile éclat. Je crois que l'air de l'Enfer a la même couleur tant il
possède une nature infernale depuis que l'homme est pécheur. Le Créateur
l'avait laissé à l'intérieur de cet énorme lapis-lazuli qu'est la terre,
créée par sa volonté, pour qu'il fût utile à l'homme avec ses sels et servît
à la décoration des temples. Mais Satan, en baisant les yeux d'Ève et en
mordant le moi de l'homme, donna une saveur malfaisante au métal innocent.
Et depuis on tue et on pèche pour l'or.
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524> Par lui la femme devient
coquette et se laisse entraîner au péché de la chair. Par lui l'homme devient
voleur, usurpateur, homicide, dur à l'égard de son prochain et à l'égard de
son âme qu'il dépouille de son véritable héritage pour se donner une chose
éphémère, à l'égard de son âme à laquelle il dérobe son trésor éternel pour
lui donner quelques écailles brillantes qu'il devra quitter à sa mort.
O vous, qui à cause de l'or vous péchez plus ou moins légèrement, plus ou
moins gravement et plus vous péchez et plus vous riez de ce que vous ont
enseigné vos mères et vos maîtres, à savoir qu'il existe une récompense et un
châtiment pour ce qu'on a fait durant l'existence. Vous ne réfléchissez donc
pas qu'à cause de ce péché, vous perdrez la protection de Dieu, la vie
éternelle, la joie, et aurez des remords, des malédictions plein le cœur, la
peur pour compagne, la peur des châtiments des hommes qui n'est rien en
comparaison de la peur que vous devriez avoir et que vous n'avez pas, de la
peur sainte des punitions de Dieu ? Vous ne réfléchissez pas que vous
pouvez avoir une fin terrible à cause de vos méfaits, s'ils sont joints au
crime, et une fin encore plus redoutable parce qu'éternelle, si les fautes
que vous avez commises par amour de l'or, n'ont pas provoqué l'effusion de
sang mais ont méprisé la loi d'amour et du respect dû au prochain en refusant
par avarice des secours à ceux qui ont faim, en volant des situations, de
l'argent, en trompant sur le poids, par avidité ? Non. Vous n'y pensez
pas. Vous dites : "Ce sont des idées folles ! Je les ai
écrasées sous le poids de mon or. Et elles ne vivent plus". Ce ne sont
pas des idées folles. C'est la vérité.
Ne dites pas : "Une fois que je suis mort, tout est fini".
Non. Tout commence. L'autre vie n'est pas un abîme sans pensée et sans
souvenir de ce que l'on a vécu, ni non plus sans aspiration vers Dieu, telle
que vous l'imaginez. Ce sera une pause dans l'attente de la libération par le
Rédempteur. L'autre vie est une attente bienheureuse pour les justes, une
attente patiente pour ceux qui ont à expier, une attente affreuse pour les
damnés. Pour les premiers dans les Limbes, pour les seconds au Purgatoire,
pour les derniers en Enfer. Et alors que pour les premiers l'attente cessera
avec l'entrée aux Cieux à la suite du Rédempteur, pour les seconds après
cette heure, l'attente sera réconfortée par l'espérance, pour les troisièmes
elle assombrira la terrible certitude de leur malédiction éternelle.
Pensez-y, vous qui péchez.
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525> Il n'est jamais trop tard pour se repentir. Changez par un vrai repentir le verdict qu'on
est en train d'écrire aux Cieux pour vous. Que le schéol soit pour vous non
pas l'enfer, mais une attente pénitente, cela au moins, grâce à votre
volonté. Non pas l'obscurité, mais un crépuscule. Non pas déchirement, mais
nostalgie. Non pas désespoir, mais espérance.
Allez. Ne cherchez pas à lutter avec Dieu. Lui est le Fort et le Bon. Ne
méprisez pas le nom de vos parents. Écoutez le gémissement de cette fontaine,
un gémissement semblable à celui qui brise le cœur de vos mères en vous sachant
assassins. Écoutez la plainte du vent dans cette gorge. .Elle semble menacer
et maudire. Comme vous maudit votre père pour la vie que vous menez. Écoutez
comment le remords crie en vos cœurs. Pourquoi voulez-vous souffrir, alors
que vous pourriez jouir d'une tranquille satisfaction avec le peu qui suffit
sur la terre et le tout que vous aurez au Ciel ? Donnez la paix à votre
esprit ! Donnez la paix aux hommes qui craignent, qui doivent tout
craindre de vous comme des fauves ! Donnez-vous la paix à vous-mêmes,
pauvres malheureux ! Levez vos regards vers le Ciel, débarrassez votre
bouche de la nourriture empoisonnée, purifiez vos mains qui ruissellent du
sang de vos frères, purifiez votre cœur.
J'ai foi en vous. C'est pour cela que je vous parle. Car, si le monde entier
vous hait et vous craint, Moi je ne vous hais ni ne vous crains. Mais je vous
tends seulement les mains pour vous dire : "Levez-vous. Venez.
Redevenez doux parmi les hommes, hommes parmi les hommes". Je vous
crains si peu, que maintenant je dis à tous ceux-ci: "Retournez vous
reposer, sans rancœur pour les pauvres frères. Priez pour eux. Moi je reste à
les regarder d'un regard d'amour et je vous jure qu'il n'arrivera plus rien. Car
l'amour désarme les violents et rassasie ceux qui sont avides. Que
soit béni l'Amour, vraie force du monde. Force inconnue et puissante. Force
qui est Dieu"
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