Le mardi 1er janvier
1946,
à 6,35 heures du matin.
11> 364.1 - Jésus
dit :
"Lève-toi, Maria (Valtorta).
Sanctifions le jour par une page d'Évangile. Car ma Parole est
sanctification. Regarde, Maria. Parce que regarder les jours du Christ sur la
terre, c'est sanctification. Écris, Maria. Parce qu'écrire sur le Christ,
c'est sanctification. Parce que répéter ce que dit Jésus, c'est
sanctification. Parce que prêcher Jésus, c'est sanctification. Parce
qu'instruire les frères, c'est sanctification. Il te sera donné une grande
récompense pour cette charité."
364.2 - Jésus a
quitté Rama (vision du 17 décembre 1945) et il est déjà en vue de Jérusalem. Il avance, comme
l'année précédente,
en chantant les psaumes prescrits.
Beaucoup de gens, sur la route très fréquentée, se
retournent pour regarder le groupe apostolique qui passe. Certains saluent
respectueusement ; d'autres se bornent à jeter un coup d’œil en souriant avec
vénération, ce sont surtout des femmes ; il y en a qui se contentent de
regarder ; d'autres qui ont un sourire ironique et méprisant ; d'autres enfin
passent hautains et manifestement malveillants. Jésus avance tranquillement,
habillé proprement et convenablement. Comme tous les autres, Lui aussi a changé
de vêtement en vue d'une entrée convenable et, je dirais, correcte, dans la
cité sainte.
Marziam aussi est cette année à la hauteur des circonstances avec
ses habits neufs et il marche à côté de Jésus chantant de bon cœur d'une voix
plutôt désagréable car elle est en mue. Mais sa tonalité imparfaite se perd
dans le chœur fourni des voix de ses compagnons. Elle s'élève seule et
argentine dans les notes élevées qu'il décroche encore avec netteté et
sûreté. Il est heureux, Marziam...
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12> Ils vont entrer par la Porte de Damas qui est déjà en vue mais il leur faut s'arrêter et
interrompre les chants à cause d'une pompeuse caravane qui occupe toute la
route et interrompt la circulation en obligeant de rester sur le bord du
chemin. Mais cet itinéraire est le plus court. Marziam demande alors :
"Mon Seigneur, ne vas-tu pas dire une autre belle parabole pour ton fils
absent ? Je voudrais la joindre aux autres écrits que je
possède, parce que sûrement nous trouverons à Béthanie ses envoyés et ses
nouvelles. Et je désire lui donner une joie comme je l'ai promis et comme son
cœur et le mien le désirent..."
"Oui, mon fils. Bien sûr que je vais te la donner."
"Une qui vraiment le console et qui lui dise qu'il est toujours aimé de
Toi..."
"J'en parlerai ainsi et j'en aurai de la joie parce que ce sera une
vérité qui sera dite."
"Quand la diras-tu, Seigneur ?"
"Tout de suite. Nous allons tout de suite au Temple comme on le doit, et
là je parlerai avant qu'on ne m'empêche de le faire."
"Et tu parleras pour lui ?"
"Oui, mon fils."
"Merci, Seigneur ! Ce doit être tellement douloureux d'être
ainsi séparés..." dit Marziam
Une larme brille dans ses yeux noirs.
Jésus lui met la main sur les cheveux,
364.3 - se
retourne pour faire signe aux douze de s'approcher pour reprendre la marche. Les douze, en
effet, s'étaient arrêtés pour écouter des gens dont je ne sais s'ils
croyaient au Maître ou s'ils désiraient le connaître, et qui s'étaient
arrêtés eux aussi pour la même raison que Jésus et les siens.
"Nous arrivons, Maître. Nous écoutions ces gens parmi lesquels il y a
des prosélytes venus de loin, qui nous demandaient où ils auraient pu
t'approcher" dit Pierre en accourant.
"Pour quel motif le désiraient-ils ?"
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13> Et Pierre,
maintenant aux côtés de Jésus qui reprend la marche, dit :
"Par le désir d'entendre ta parole et aussi pour être guéris de
certaines infirmités. Tu vois ce char couvert, tout en arrière ? Ce sont
des prosélytes de la Diaspora, venus par mer ou par un long voyage, poussés
par la foi en Toi en plus que par le respect pour la Loi, à faire ce voyage.
Il y en a d'Éphèse, de Pergé et d'Iconium, et il y en a un, pauvre, de Philadelphie, qu'eux, riches marchands pour la plupart, ont accueilli
par pitié sur leur char, en pensant se rendre propice le Seigneur."
"Marziam, va leur dire de me suivre au Temple. Et ils auront l'une et
l'autre chose : la santé pour l'âme par la parole, et la santé pour
leurs corps s'ils savent avoir foi."
L’adolescent s'en va rapidement, mais des douze s'élève un chœur de
désapprobation pour "l'imprudence" de Jésus qui veut se mettre en
évidence au Temple...
"Nous y allons justement pour leur faire voir que je n'ai pas peur. Pour
montrer qu'aucune menace ne peut me faire désobéir au précepte. Mais vous
n'avez pas encore compris leur jeu ? Toutes ces menaces, tous ces
conseils qui ne sont amicaux qu'en apparence, ont pour but de me faire
pécher, pour avoir un véritable élément d'accusation. Ne soyez pas lâches.
Ayez foi. Ce n'est pas mon heure."
"Mais pourquoi ne vas-tu pas d'abord rassurer ta Mère ? Elle
t'attend..." dit Judas Iscariote.
"Non. Je vais d'abord au Temple qui, jusqu'au moment marqué par
l'Éternel, est la Maison de Dieu. Ma mère souffrira moins, en
m'attendant, qu'elle ne souffrirait en sachant que je suis à prêcher au
Temple. Et de cette façon j'honore mon Père et ma Mère en donnant au Premier
les prémices de mes heures pascales, et à la seconde la tranquillité. Allons,
ne craignez pas. Du reste si quelqu’un a peur, qu'il aille au Gethsémani pour couver sa peur parmi les femmes."
Les apôtres, fouettés par cette dernière observation, ne parlent plus. Ils se
remettent en rangs, trois par trois, et ils sont quatre seulement au premier
rang où se trouve Jésus, jusqu'à ce que Marziam vienne la compléter à cinq,
si bien que le Thaddée et le Zélote passent derrière Jésus, resté au milieu
entre Pierre et Marziam.
364.4 - À la
Porte de Damas, ils voient Manahen.
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14> "Seigneur, j'ai pensé qu'il valait mieux me faire
voir pour enlever tout doute sur la situation. Je t'assure qu'il n'y a rien,
en dehors de l'animosité des pharisiens et des scribes, de dangereux pour
Toi. Tu peux aller en toute sûreté."
"Je le savais, Manahen. Mais je te suis reconnaissant. Viens avec Moi au
Temple, si cela ne te pèse pas..."
"Me peser ? Mais, pour Toi je défierais le monde entier ! Rien
ne me fatiguerait !"
L'Iscariote marmonne quelque chose.
Manahen se retourne fâché. Il dit d'une voix assurée : "Non, homme,
ce ne sont pas des "paroles". Je prie le Maître d'éprouver ma
sincérité."
"Il n'en est pas besoin, Manahen. Allons."
Ils avancent à travers une foule serrée et, arrivés à une maison amie, ils se
débarrassent des sacs que Jacques, Jean et André déposent pour tous dans un
atrium long et sombre. Puis ils rejoignent leurs compagnons.
364.5 - Ils
entrent dans l'enceinte du Temple en passant près de l'Antonia. Les soldats
romains regardent mais ne bougent pas. Ils parlent entre eux. Jésus les
observe pour voir s'il y a quelqu'un de sa connaissance, mais il ne voit ni Quintilien
ni le soldat Alexandre.
Les voilà dans le Temple, dans le grouillement peu sacré des premières cours
où sont les marchands et les changeurs. Jésus regarde et frémit. Il pâlit et paraît grandir
encore tant est solennelle sa démarche sévère.
L'Iscariote le tente :
"Pourquoi ne répètes-tu pas le geste saint ? Tu le vois ? Ils ont oublié... et la
profanation est de nouveau dans la Maison de Dieu. Tu ne t'en émeus
pas ? Tu ne te dresses pas pour la défendre ?"
Le visage brun et beau, mais ironique et faux malgré les efforts que fait
Judas pour qu'il ne paraisse pas tel, est presque celui d'un renard quand,
une peu penché comme par un respect plein de vénération, il dit ces paroles à
Jésus en le scrutant par en-dessous.
"Ce n'est pas l'heure. Mais tout cela sera purifié. Et pour toujours !..."
dit Jésus avec décision.
Judas sourit et commente :
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15> "Le "pour toujours" des hommes !!
Beaucoup trop précaire, Maître ! Tu le vois !..."
Jésus ne lui répond pas, absorbé comme il l'est à saluer de loin Joseph d'Arimathie qui passe, enveloppé
dans son riche manteau, suivi par d'autres.
Ils font les prières rituelles et puis reviennent à la Cour des Gentils, sous
les portiques de laquelle se pressent les gens.
364.6 - Les
prosélytes rencontrés en route ont suivi Jésus. Ils ont traîné
leurs malades avec eux, et maintenant ils les étendent à l'ombre sous les portiques,
près du Maître. Leurs femmes, qui les attendent ici, s'approchent tout
doucement. Toutes voilées. Mais une, peut-être malade, est déjà assise et ses
compagnes la conduisent près des autres malades. D'autres gens se serrent
autour de Jésus. Je vois que les groupes de rabbins sont stupéfaits et
désorientés par la venue publique et la prédication de Jésus.
"La paix soit avec vous, ô vous tous qui m'écoutez ! La Pâque
sainte ramène les fils fidèles dans la Maison du Père. Elle semble, notre
Pâque bénie, une mère soucieuse du bien de ses fils. Elle les appelle à haute
voix pour qu'ils viennent, qu'ils viennent de partout, laissant en suspens
tout souci pour un souci plus grand, l'unique vraiment grand et utile :
celui d'honorer le Seigneur et Père. Cela fait comprendre comment nous sommes
frères ; et de cela, par un suave témoignage, surgit l'ordre et l'engagement
d'aimer le prochain comme soi-même. Nous ne nous sommes jamais vus ?
Nous nous ignorions ? Oui. Mais si nous sommes ici, car fils d'un Unique
Père qui nous veut dans sa Maison pour le banquet pascal, voilà que, si ce
n'est par nos sens matériels, certainement par la partie supérieure, nous
nous sentons des êtres égaux, des frères, venus d'Un Seul, et nous nous
aimons comme si nous avions grandi ensemble. C'est une anticipation, cette
union d'amour qui est la nôtre, de l'autre plus parfaite dont nous jouirons
dans le Royaume des Cieux, sous le regard de Dieu, tous embrassés par son
Amour : Moi, Fils de Dieu et de l'Homme, avec vous, hommes fils de Dieu.
Moi, le Premier-né, avec vous, frères, aimés au-delà de toute mesure humaine,
jusqu'à me faire Agneau pour les péchés des hommes.
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16> Mais nous qui jouissons au moment présent de notre
fraternelle union dans la Maison du Père, souvenons-nous aussi de ceux qui
sont loin et qui pourtant sont nos frères dans le Seigneur ou par l'origine.
Ayons-les dans notre cœur. Portons-les dans notre cœur, eux, les absents,
devant l'autel saint. Prions pour eux en recueillant avec l'esprit leurs voix
lointaines, leur nostalgie d'être ici, leurs soupirs. Et comme nous
recueillons ces soupirs conscients des Israélites absents, recueillons aussi
ceux des âmes qui appartiennent à des hommes qui ne savent même pas qu'ils
ont une âme et qu'ils sont les fils d'Un Seul. Toutes les âmes du monde
crient dans la prison de leurs corps vers le Très-Haut. Dans leurs
sombres prisons elles gémissent vers la Lumière. Nous, qui sommes dans la
lumière de la vraie Foi, ayons pitié d'eux.
364.7 - Prions : Notre Père qui es dans les Cieux, que ton Nom soit sanctifié par toute l'Humanité !
Le connaître, c'est aller vers la sainteté. Fais que les gentils et les
païens connaissent ton existence, ô Père saint, et, comme les trois sages
d'un temps désormais lointain mais pas inerte, car rien n'est inerte de ce
qui se rapporte à l'avènement de la Rédemption dans le monde, qu'ils viennent
vers Dieu, vers Toi, Père, guidés par l'Etoile de Jacob, par l'Etoile du
Matin, par le Roi et le Rédempteur de la race de David, par Celui que Tu as
oint, déjà offert et consacré afin d'être Victime pour les péchés du monde.
Que vienne ton Règne en tout lieu
de la terre où on te connaît et on t'aime, où encore on ne te connaît pas. Et
qu'il vienne surtout pour ceux qui sont trois fois pécheurs, qui tout en te
connaissant ne t'aiment pas dans tes œuvres et manifestations de Lumière, et
qui cherchent à repousser et à étouffer la Lumière venue dans le monde parce
que ce sont des âmes de ténèbres, qui préfèrent les œuvres de ténèbres et ne
savent que vouloir étouffer la Lumière du monde et t'offenser Toi-même, car
Tu es la Lumière très Sainte et le Père de toutes les lumières, en commençant
par celle qui s'est faite Chair et Parole pour apporter ta Lumière à toutes
les âmes de bonne volonté.
Que soit faite, Père très Saint, ta
Volonté en tout cœur qui existe dans le monde, c'est-à-dire que tout cœur
se sauve et que pour aucun ne soit sans fruit le Sacrifice de la Grande
Victime, parce que telle est ta Volonté : que l'homme se sauve et
jouisse de Toi, Père Saint, après le pardon qui va être donné.
Donne-nous tes secours, ô
Seigneur, tous tes secours. Et donne-les à tous ceux qui attendent, à
ceux qui ne savent pas qu'ils attendent, donne-les aux pécheurs avec le
repentir qui sauve, donne-les aux païens avec la blessure de ton appel qui
secoue, donne-les aux malheureux, donne-les aux reclus, aux exilés, à ceux
qui sont malades du corps ou de l'esprit, donne-les à tous, Toi qui es le
Tout, parce que le temps de la Miséricorde est venu.
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17> Pardonne, ô Père
Bon, les péchés de tes fils. De ceux de ton peuple qui sont les plus
graves, de ceux qui sont coupables de vouloir rester dans l'erreur, alors que
ton amour de prédilection a justement donné à ce peuple la Lumière. Et donne
le pardon à ceux qu'abrutit un paganisme corrompu qui enseigne le vice, et
qui se noient dans ce paganisme lourd et méphitique, alors qu'il y a parmi
eux des âmes de valeur elles aussi, et que Tu aimes puisque Tu les as créées.
Nous pardonnons, Moi le premier je pardonne, pour que Tu puisses pardonner,
et sur la faiblesse des créatures nous invoquons ta protection pour que Tu
délivres du Principe du Mal, duquel viennent tous les crimes, toutes les
idolâtries, toutes les fautes, toutes les tentations et erreurs, ceux que Tu
as créés. Ô Seigneur, délivre-les du Prince horrible pour qu'ils puissent
venir à la Lumière éternelle."
364.8 – L’assistance
a suivi avec attention cette solennelle prière. Des rabbins célèbres se sont
approchés, parmi lesquels, tenant pensivement dans la main son menton barbu,
il y a aussi Gamaliel... Un groupe de femmes se sont approchées, toutes
enveloppées dans des manteaux avec une sorte de capuchon qui leur cache le
visage. Et les rabbins se sont écartés dédaigneusement... Sont accourus
aussi, attirés par la nouvelle de l'arrivée du Maître, de nombreux disciples
fidèles parmi lesquels Hermas, Etienne, le prêtre Jean. Et puis Nicodème et
Joseph, deux inséparables, et d'autres de leurs amis qu'il me semble avoir
déjà vus.
Pendant la pause qui succède à la prière du Seigneur, qui se recueille en
Lui-même avec une austérité solennelle, on entend Joseph d'Arimathie qui
dit :
"Eh bien, Gamaliel ? Cela ne te paraît, ne te paraît pas encore,
une parole du Seigneur ?"
"Joseph, il m'a été dit : "Ces pierres frémiront au son de mes
paroles" répond Gamaliel.
Étienne crie avec impétuosité :
"Accomplis le prodige, Seigneur ! Commande, et elles
s'ébranleront ! Que croule l'édifice, mais que s'élèvent dans les cœurs
les murs de la Foi en Toi, ce serait un grand don ! Fais-le pour mon
maître !"
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18> "Blasphémateur !" crie un groupe furieux
de rabbins et de leurs élèves.
"Non" crie à son tour Gamaliel. "Mon disciple parle en disant
une parole inspirée. Mais nous nous ne pouvons l'accepter parce que l'Ange de
Dieu ne nous a pas encore purifiés du passé avec le charbon pris à l'Autel de
Dieu... Et peut-être, même si son cri - et il montre Jésus -
arrachait les gonds de ces portes, nous ne saurions pas encore
croire..."
Il relève un pan de son ample manteau très blanc, et s'en couvre la tête en
cachant presque son visage, et il s'en va.
Jésus le regarde partir...
364.9 - Puis il
reprend la parole pour répondre à certains qui murmurent entre eux et qui
paraissent scandalisés et qui, pour rendre plus explicite leur scandale, s'en
déchargent sur Judas de Kérioth avec toute une suite de plaintes que l'apôtre
subit sans réagir en haussant les épaules et en montrant un visage pas du
tout satisfait.
Jésus dit :
"En vérité, en vérité je vous dis que ceux qui paraissent bâtards sont
de vrais fils et ceux qui sont de vrais fils deviennent bâtards.
Écoutez, vous tous, une parabole.
Il y avait une fois un homme qui pour ses
affaires dut s'absenter longtemps de sa maison en laissant des fils encore
enfants. De l'endroit où il se trouvait, il écrivait des lettres à ses fils
aînés pour les garder toujours dans le respect du père absent et pour leur
rappeler ses instructions. Le dernier, qui était né après son départ, était
encore en nourrice chez une femme éloignée de l'endroit et qui était du pays
de son épouse, femme d'une autre race. L'épouse mourut alors que ce fils
était encore petit et loin de la maison. Les frères dirent :
"Laissons-le là où il est, chez les parents de notre mère. Peut-être le
père l'oubliera et ce sera à notre avantage, ayant à partager l'héritage avec
un de moins, quand notre père viendra à mourir". Et ils agirent ainsi.
De cette façon, l'enfant qui était au loin, vécut, élevé par ses parents
maternels, ignorant les instructions du père, ignorant qu'il avait un père et
des frères ou, ce qui est pire, connaissant l'amertume de cette réflexion :
"Tous m'ont repoussé comme si j'étais un bâtard", et il en arriva à
croire qu'il l'était, tant il se sentait rejeté par son père.
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19> Devenu homme il prit un emploi. En effet, aigri comme
il l'était par ces pensées, il avait pris en haine même la famille de sa mère
qu'il pensait coupable d'adultère. Le hasard voulut que ce jeune homme s'en
allât dans la ville où était son père. Et sans savoir qui il était, il le
fréquenta et il eut l'occasion de l'entendre parler. L'homme était un sage.
Et comme il n'avait pas de satisfactions avec ses fils éloignés de lui —
désormais ils agissaient à leur guise, ne maintenant que des rapports conventionnels
avec leur père qui vivait au loin, tout juste pour qu'il se rappelât qu'ils
étaient "ses" fils et pour qu'il s'en souvienne dans son testament
— il donnait des conseils raisonnables à des jeunes qu'il avait l'occasion
d'approcher dans la ville où il était. Le jeune homme fut attiré par cette
droiture toute paternelle à l'égard de tant de jeunes et non seulement il le
fréquenta mais il se fit un trésor de toutes ses paroles et en rendit
meilleur son esprit aigri.
L'homme tomba malade, et il dut se décider à retourner dans sa patrie. Le
jeune homme lui dit : "Seigneur, toi seul m'as parlé avec justice
en élevant mon âme. Permets-moi de te suivre comme serviteur. Je ne veux pas
retomber dans le mal où j'étais". "Viens avec moi. Tu prendras la
place du fils dont je n'ai pu avoir de nouvelles". Et ils retournèrent
ensemble à la maison paternelle.
Ni le père, ni les frères, ni le jeune homme lui-même, ne se rendirent compte
que le Seigneur avait réuni de nouveau ceux d'un même sang sous un même toit.
Mais le père dut beaucoup pleurer pour les fils qu'il connaissait, car il les
trouva oublieux de ses enseignements, avides, le cœur dur, sans plus de foi
en Dieu, mais au contraire avec beaucoup d'idolâtries dans le cœur :
orgueil, avarice et luxure étaient leurs dieux, et ils ne voulaient pas
entendre parler d'autre chose que d'intérêts humains. L'étranger, au
contraire, s'approchait toujours plus du Seigneur, devenait juste, bon,
affectueux, obéissant. Les frères le haïssaient parce que le père aimait cet
étranger. Lui pardonnait et aimait car il avait compris que c'est dans
l'amour que réside la paix.
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20> Un jour le père, dégoûté de la conduite de ses fils,
leur dit : "Vous vous êtes désintéressés des parents de votre mère
et jusque de votre frère. Vous me rappelez la conduite des fils de Jacob
envers leur frère Joseph.
Je veux aller dans ce pays pour avoir de ses nouvelles ; il peut se
faire que je le retrouve et que j'en sois réconforté". Et il prit congé
tant de ses fils que du jeune inconnu, en donnant à ce dernier un petit
capital pour qu'il pût retourner à l'endroit d'où il était venu et y monter
un petit commerce.
Lorsqu’il fut arrivé à la ville de l'épouse qu'il avait perdue, les parents
de celle-ci lui racontèrent que le fils abandonné, qui portait d'abord le nom
de Moïse, avait pris le nom de Manassé parce que lui en naissant avait fait oublier à son père
d'être juste puisqu'il l'avait abandonné.
"Ne me faites pas tort ! On m'avait dit que l'on avait perdu les
traces de l'enfant, et je n'espérais même plus trouver quelqu'un d'entre
vous. Mais parlez-moi de lui. Comment est-il ? Est-il devenu fort ?
Ressemble-t-il à mon épouse aimée, qui mourut en me le donnant ? Est-il
bon ? M'aime-t-il ?"
"Pour être fort, il l'est, et il est beau comme sa mère, à part qu'il a
les yeux franchement noirs. Mais de sa mère il a pris jusqu'à son envie de
caroube au côté. De toi, au contraire, il a le léger zézaiement. Devenu
adulte il est parti d'ici, aigri par sa situation, ayant des doutes sur
l'honnêteté de sa mère et de la rancœur à ton égard. Il aurait été bon s'il
n'avait pas eu cette rancœur dans l'âme. Il est parti au-delà des monts et du
fleuve à Trapezius pour..."
"À Trapezius, vous dites ? Dans le Sinope ? Oh !
dites-moi ! Là-bas j'y étais et j'ai connu un jeune homme qui zézayait un
peu, seul et triste, et si bon sous son apparente dureté. C'est lui ?
Dites ?"
"C'est peut-être lui. Recherche-le. Au côté droit il a une caroube en
relief et sombre comme l'avait ta femme".
L'homme partit précipitamment dans l'espoir de retrouver encore l'étranger
chez lui. Il était parti pour retourner à la colonie de Sinope. Et l'homme y
revint... Il le trouva. Il le fit venir pour découvrir son côté. Il le
reconnut. Il tomba à genoux en louant Dieu de lui avoir rendu son fils qui
était meilleur que les autres qui s'abêtissaient de plus en plus alors que
lui, pendant les mois qui s'étaient écoulés, était devenu de plus en plus
saint. Et il dit à son bon fils : "Tu auras la part de tes frères,
puisque toi, sans amour de la part de personne, tu t'es rendu plus juste que
tout autre".
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21> Et n'était-ce pas justice ? Bien sûr que si. En
vérité je vous dis que sont de vrais fils du Bien ceux qui, rejetés par le
monde, méprisés, haïs, critiqués, abandonnés comme bâtards, considérés comme
une honte et une mort, savent surpasser les fils qui ont grandi dans la
maison mais qui sont rebelles à ses lois. Ce n'est pas d'appartenir à Israël
qui donne droit au Ciel, ni d'être pharisien, scribe ou docteur qui assure ce
sort. C'est d'avoir une volonté bonne et de venir généreusement à la Doctrine
de l'amour, de se renouveler en elle, pour devenir par elle fils de Dieu en
esprit et en vérité.
Vous tous qui écoutez, sachez que beaucoup qui se croient sûrs en Israël
seront supplantés par ceux qui sont pour eux des publicains, des prostituées,
des gentils, des païens et des galériens. Le Royaume des Cieux appartient à
ceux qui savent se renouveler en accueillant la Vérité et l'Amour."
364.10 - Jésus se
retourne et il va vers le groupe des malades prosélytes. "Savez-vous
croire en ce que j'ai dit ?" demande-t-il à haute voix.
"Oui, ô Seigneur !" répondent-ils en chœur.
"Voulez-vous accueillir la Vérité et l'Amour ?"
"Oui, ô Seigneur."
"Si je ne vous donnais que cela, seriez-vous contents ?"
"Seigneur, tu sais ce dont nous avons le plus besoin. Donne-nous surtout
ta paix et la Vie éternelle."
"Levez-vous et allez louer le Seigneur ! Vous êtes guéris au Nom
saint de Dieu."
Et rapidement il se dirige vers la première porte qu'il trouve, en se mêlant
à la foule qui remplit Jérusalem, avant même que la foule exaltée et
stupéfaite qui se trouve dans la Cour des Païens puisse le rechercher en
criant des hosannas...
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