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   Le mardi 24
  octobre 1944. 
    
  (édition de 1985) 
  358>   53.1 - Je vois Jésus entrer dans l’enceinte du Temple
  avec Pierre, André, Jean et Jacques, Philippe et Barthélemy.         
   
  Il y a une très grande foule à l’intérieur et à l’extérieur, des pèlerins qui
  arrivent par bandes de tous les coins de la ville. Du haut de la
  colline sur laquelle le Temple est construit, on voit les rues de la ville, étroites
  et sinueuses, qui fourmillent de passants. On dirait qu’un ruban mouvant de
  mille couleurs s’est déroulé entre le blanc cru des maisons. Oui, la cité a
  l’aspect d’un jouet bizarre fait de rubans multicolores entre deux
  alignements de maisons blanches, et tous convergent vers le point où
  resplendissent les dômes de la Maison du Seigneur.          
   
  Mais à l’intérieur, c’est une vraie foire. Plus aucun
  recueillement dans le lieu saint. On court, on appelle, on achète des
  agneaux, on crie et on maudit à cause du prix exagéré, on pousse les pauvres
  bêtes bêlantes dans des parcs – ce sont de rudimentaires enclos délimités par
  des cordes et des pieux, aux entrées desquelles se tient le marchand ou
  éventuellement le propriétaire qui attend des acheteurs –. Coups de bâtons,
  bêlements, jurons, appels, insultes contre les serviteurs peu pressés de
  rassembler et d’enclore les animaux, ou contre les acheteurs qui lésinent sur
  le prix ou qui s’éloignent, insultes plus fortes contre les gens prévoyants
  qui ont amené l’agneau de chez eux.      
   
  Autour des comptoirs de change, autre vacarme. Je
  ne sais si c’est toujours ainsi ou seulement à l’occasion de la Pâque ; on se
  rend compte que le Temple fonctionnait comme… la Bourse ou le marché noir. La
  valeur des monnaies n’était pas fixée. Il y avait le cours légal qui était
  certainement déterminé, mais les changeurs en imposaient un autre, en
  s’appropriant un pourcentage arbitraire pour le change. Et je vous assure
  qu’ils s’y entendaient à étrangler les clients … ! Plus un client était
  pauvre, plus il venait de loin, plus on le volait : les vieux plus que les
  jeunes, ceux qui arrivaient d’au-delà de la Palestine plus que les vieux.     
   
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  359> De pauvres petits vieux regardaient et regardaient
  encore leur pécule mis de côté, avec combien de peine, tout le long de
  l’année, le sortaient et le rentraient cent fois en tournant autour des
  changeurs et finissaient enfin par revenir au premier qui se vengeait de leur
  éloignement temporaire en augmentant l’agio du change… Les grosses pièces
  quittaient alors avec force soupirs les mains de leur propriétaire pour
  passer dans les griffes de l’usurier en échange de pièces de monnaie plus
  légères. Et au moment du choix, nouvelle tragédie de comptes et de soupirs
  devant les marchands d’agneaux qui refilaient aux petits vieux, à moitié
  aveugles, les agneaux les plus chétifs.     
   
    53.2 - Je vois
  revenir deux petits vieux, lui et elle, qui poussent un frêle agnelet que les
  sacrificateurs ont dû trouver défectueux. Pleurs, supplications,
  impolitesses, grossièretés se croisent sans que le vendeur s’en émeuve.    
   
  "Pour ce que vous voulez payer, Galiléens, ce
  que je vous ai donné est déjà trop beau ! Allez-vous-en ! Ou ajoutez cinq
  autres deniers pour en avoir un plus beau !           
   
  – Au nom de Dieu ! Nous sommes pauvres et vieux !
  Veux-tu nous empêcher de faire la Pâque, la dernière, peut-être ? Est-ce que
  ce que tu nous as pris ne suffit pas pour une petite bête ?           
   
  – Faites place, crasseux que vous êtes ! Voici que
  vient à moi Joseph l'Ancien. Il m’honore de sa préférence. Dieu soit avec toi ! Viens,
  choisis !"      
   
  Celui qu’on appelle Joseph l’Ancien ou Joseph
  d’Arimathie entre dans l’enclos et prend un magnifique agneau. Il passe avec
  un riche habit, tout fier, sans un coup œil pour les pauvres qui gémissent à
  la porte et même à l’entrée de l’enclos. Il les bouscule, pour ainsi dire, en
  sortant avec l’agneau gras qui bêle.      
   
    53.3 - Mais Jésus
  également s’est approché. Il a lui aussi fait son achat et Pierre, qui a
  probablement négocié à sa place, tire derrière lui un agneau convenable.   
   
  Pierre voudrait aller tout de suite
  vers le lieu du sacrifice. Mais Jésus tourne à droite vers les deux petits
  vieux effarés, en larmes, indécis, que la foule bouscule et que le vendeur
  insulte.            
   
  Jésus, si grand que la tête des deux vieux lui
  arrive à la hauteur du cœur pose une main sur l’épaule de la femme et demande
  :        
   
  "Pourquoi pleures-tu, femme ? "            
   
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  page.         
   
  360> La petite vieille se retourne et voit cet homme grand
  et jeune, solennel dans son bel habit blanc et son manteau couleur de neige
  tout neuf et propre. Elle doit le prendre pour un docteur à cause de son
  habit et de son aspect et, stupéfaite, car les docteurs et les prêtres ne
  font aucun cas des gens et ne protègent pas les pauvres contre la rapacité
  des marchands, elle dit les raisons de leur chagrin.      
   
  Jésus s’adresse à l’homme aux agneaux :         
   
  "Change cet agneau à ces fidèles. Il n’est
  pas digne de l’autel comme il n’est pas digne que tu profites de deux pauvres
  vieux parce qu’ils sont faibles et sans défense.       
   
  – Et toi, qui es-tu ?           
   
  – Un juste.  
   
  – Ton accent et celui de tes compagnons indique que tu es galiléen. Peut-il
  donc y avoir un juste en Galilée ?        
   
  – Fais ce que je te dis et sois juste, toi.  
   
  – Écoutez cela ! Écoutez le Galiléen défenseur de ses pairs ! Il veut nous
  faire la leçon, à nous qui sommes du Temple !"           
   
  L’homme rit et se moque en contrefaisant l’accent galiléen, qui est plus
  chantant et plus doux que celui de Judée, du moins à ce qu’il me semble.     
   
  Des gens font cercle et d’autres marchands et changeurs prennent la défense
  de leur complice contre Jésus.         
   
  Au nombre des assistants se trouvent deux ou trois rabbins ironiques. L’un
  d’eux demande :    
   
  "Es-tu docteur ?" sur un ton qui ferait perdre patience à Job.         
   
  "Tu l’as dit.  
   
  – Qu’enseignes-tu ?          
   
  – Voici ce
  que j’enseigne : que la Maison de Dieu doit redevenir une maison de
  prière et non pas
  une place d’usuriers et de marchands. Voilà mon enseignement"     
   
    53.4 - Jésus est
  terrible. On dirait l’archange posté au seuil du paradis perdu. Il ne tient
  pas d’épée flamboyante, mais ses yeux rayonnent de lumière et foudroient les
  moqueurs et les sacrilèges. Il n’a rien à la main, rien d’autre que sa sainte
  colère. Marchant d’un pas rapide et imposant au milieu des comptoirs, il
  éparpille les pièces de monnaie méticuleusement rangées selon leur valeur,
  renverse tables petites et grandes, de sorte que tout tombe avec fracas sur
  le sol au milieu d’un grand bruit de métaux qui rebondissent et de bois
  bousculés, avec cris de colère, d’effarement ou d’approbations.  
   
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  page.         
   
  361> Puis il
  arrache des mains des gardiens de bestiaux des cordages qui attachaient
  bœufs, brebis et agneaux et en fait un martinet très dur dont les nœuds
  coulants assemblent les lanières. Il le lève, le fait tournoyer et l’abaisse
  sans pitié. Oui, je vous l’assure, sans pitié.      
   
  Cette grêle imprévue s’abat sur les têtes et les dos. Les fidèles
  s’esquivent, admirant la scène. Les coupables, poursuivis jusqu’en dehors de
  l’enceinte, se sauvent à toutes jambes, laissant par terre l’argent et
  derrière eux les bêtes de toutes tailles, dans une grande confusion de
  pattes, de cornes et d’ailes. Les unes courent, les autres s’échappent en
  volant. Mugissements, bêlements, roucoulements de colombes et de tourterelles
  unis aux rires et aux cris des fidèles derrière les usuriers en fuite, couvrent
  jusqu’au lamentable chœur des animaux qu’on égorge certainement dans une
  autre cour.    
   
      
   
    53.5 - Des prêtres
  accourent, accompagnés de rabbins et de pharisiens.   
   
  Jésus est encore au milieu de la cour, revenant de sa poursuite. Il a encore
  en main le martinet.   
   
  "Qui es-tu ? Comment te permets-tu de faire cela et de troubler les
  cérémonies prescrites ? De quelle école proviens-tu ? Nous ne te connaissons
  pas. Nous ne savons pas qui tu es.         
   
  – Je suis Celui qui peut. Je peux tout. Détruisez ce Temple vrai, et je le relèverai pour rendre gloire à Dieu. Je ne trouble pas, moi, la sainteté de la Maison de Dieu ni
  les cérémonies. C’est vous qui la troublez en permettant que les usuriers et
  les marchands s’installent dans sa demeure. Mon école, c’est l’école de Dieu,
  la même école qui fut celle de tout Israël, par la bouche de l’Eternel
  parlant à Moïse. Vous ne me connaissez pas ? Vous me connaîtrez. Vous ne
  savez pas d’où je viens ? Vous le saurez."            
   
    53.6 - Se
  tournant alors vers le peuple sans plus s’occuper des prêtres, dominant
  l’entourage par sa taille, revêtu de son habit blanc, le manteau ouvert et
  flottant derrière ses épaules, les bras étendus comme un orateur au moment le
  plus pathétique de son discours, il parle :     
   
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  page.         
   
  362> "Écoutez, hommes d’Israël ! Dans le Deutéronome,
  il est dit : “Tu établiras des juges et des scribes en chacune des villes…
  Ils jugeront le peuple avec justice. Tu ne feras pas dévier le droit, tu n’auras pas égard aux
  personnes. Tu n’accepteras pas de présents, car le présent aveugle les yeux
  des sages et ruine les causes des justes. C’est la stricte justice que tu rechercheras, afin de vivre
  et de posséder le pays que Yahvé ton Dieu te donne.”         
   
  Écoutez, hommes d’Israël ! Dans le Deutéronome il est
  dit : “Les prêtres lévites, toute la tribu de Lévi n’auront point de part ni
  d’héritage avec Israël : ils vivront des mets offerts à Yahvé et de son
  patrimoine ; cette
  tribu n’aura pas d’héritage au milieu de ses frères : c’est Yahvé qui sera
  son héritage.”   
   
  Écoutez, hommes d’Israël ! Dans
  le Deutéronome il est dit : “Tu ne prêteras pas à intérêt à ton frère, qu’il
  s’agisse de prêt d’argent ou de vivres, ou de quoi que ce soit dont on exige
  intérêt. À
  l’étranger tu pourras prêter à intérêt, mais tu prêteras sans intérêt à ton
  frère.”      
   
  Voilà ce qu’a dit le Seigneur.       
   
  Vous voyez maintenant que c’est sans justice à l’égard du pauvre que les
  juges siègent en Israël. On ne penche pas en faveur du juste, mais de celui
  qui est fort. Être pauvre, appartenir au petit peuple, cela veut dire subir
  l’oppression. Comment le peuple peut-il dire : “Celui qui nous juge est
  juste”, s’il voit que seuls les puissants sont respectés et écoutés, alors
  que le pauvre ne trouve personne qui veuille l’entendre ? Comment le peuple
  peut-il respecter le Seigneur s’il voit que ceux qui en ont plus que d’autres
  le devoir ne le respectent pas ? Est-ce respecter le Seigneur que de violer
  son commandement ? Et pourquoi, en Israël, les prêtres ont-ils des propriétés
  et reçoivent-ils des cadeaux de la part des publicains et des pécheurs, qui
  agissent ainsi pour avoir la bienveillance des prêtres, de même que ceux-ci
  les acceptent pour avoir un coffret bien garni ?            
   
  C’est Dieu qui est l’héritage de ses prêtres. Lui, le Père d’Israël, est plus Père pour eux qu’aucun
  autre père ne l’a jamais été, et il pourvoit à leur nourriture comme cela est
  juste. Mais pas plus. Il n’a promis aux serviteurs de son Sanctuaire ni
  richesses ni propriétés. Dans l’éternité, ils auront le Ciel pour récompenser
  leur justice, comme l’ont Moïse et Elie, Jacob et Abraham ; mais sur cette
  terre ils ne doivent posséder qu’un vêtement de lin et un diadème d’or
  incorruptible : pureté et charité. Le corps doit être le
  serviteur de l’âme, qui est le serviteur du Dieu vrai. Ce n’est pas le corps
  qui doit dominer l’âme et s’opposer à Dieu.   
   
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  363> On m’a demandé de quelle autorité je fais cela. Et eux,
  de quelle autorité profanent-ils le commandement de Dieu et permettent-ils, à
  l’ombre des murs sacrés, l’usure au détriment des frères d’Israël venus obéir
  au commandement de Dieu ? On m’a demandé de quelle école je viens et j’ai
  répondu : “De l’école de Dieu. ” Oui, Israël. Je viens te ramener à cette école
  sainte et immuable.        
   
    53.7 - Que celui
  qui veut connaître la lumière, la vérité, la vie, qui veut entendre la voix
  de Dieu parlant à son peuple, vienne à moi. Vous avez suivi Moïse à travers
  les déserts, hommes d’Israël. Suivez-moi, que je vous conduise, à travers un
  désert bien plus dépouillé, à la véritable Terre bienheureuse. A travers la
  mer qui s’ouvre au commandement de Dieu, c’est vers elle que je vous
  entraîne. En élevant mon Signe, je vous guéris de tout mal.            
   
  L'heure
  de la Grâce est venue. Les patriarches
  l’ont attendue, et ils sont morts en l’attendant. Les prophètes l’ont prédite,
  et ils sont morts avec cette espérance. Les justes l’ont vue en songe, et ils
  sont morts réconfortés par ce songe. Maintenant, elle est venue.         
   
  Venez. “Le Seigneur va juger son peuple et faire
  miséricorde à ceux qui le servent”, comme il l’a promis par la bouche de
  Moïse."    
   
  Les gens qui font cercle autour de Jésus sont restés bouche bée à l’écouter.
  Puis, ils commentent l’enseignement du nouveau Rabbi et interrogent ses
  compagnons. 
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