284> Par un petit sentier, à travers des
champs brûlés, tout en chaume et cricris, Jésus chemine avec, à ses côtés, Lévi et Jean. En
arrière, formant un groupe, Joseph, Judas et Simon.
285> Il fait nuit. Mais aucune
fraîcheur. La terre est un feu qui continue de brûler, même après l'incendie
du jour - La rosée ne peut rien sur ces terres desséchées. Je crois qu'elle
s'évapore avant de toucher le sol, si grande est la chaleur qui se dégage des
sillons et des crevasses du sol - Tous se taisent épuisés et en sueur. Mais je
vois Jésus sourire. La nuit est claire, bien que la lune, qui va se coucher,
soit à peine visible à l'orient.
"Tu crois qu'il sera là ?" demande Jésus a Lévi.
"Il y sera certainement. À cette époque, les moissons sont rentrées et
la récolte des fruits n'est pas encore commencée. Les paysans sont donc
occupés à surveiller les vignobles et les pommeraies contre les voleurs, et
ne s'écartent pas, surtout quand les patrons sont exigeants comme celui de Jonas. La Samarie est proche
et quand ces renégats le peuvent... oh ! ils nous pillent volontiers, nous
d'Israël. Ils ne savent pas qu'après cela les serviteurs passent à la
bastonnade? Oui, qu'ils le savent, mais ils nous haïssent, voilà."
"N'aie pas de rancœur, Lévi" dit Jésus.
"Non. Mais tu verras comment par leur faute Jonas fut
mis à mal il y a cinq ans. Depuis lors il passe la nuit à monter la garde,
car la flagellation est un supplice cruel..."
"Il y a encore loin pour arriver ?"
"Non, Maître, regarde, là où finit cette terre désolée et où se trouve
une tache sombre. Ce sont les pommeraies de Doras, le dur pharisien. Si tu
permets, je te précède pour me faire reconnaître par Jonas."
"Va."
"Mais sont-ils tous comme çà les pharisiens, mon Seigneur ?"
demande Jean.
"Oh ! je ne voudrais pas être à leur service ! Je préfère ma
barque."
"La barque, c'est ta préférée ?" demande Jésus à moitié sérieux.
"Non, c'est Toi ! La barque c'était quand je ne savais pas ce que c'est
que l'Amour sur la terre" répond Jean vivement. Jésus rit de sa
vivacité.
"Tu ne savais pas que sur la terre il y avait l'amour ? Et comment es-tu
né alors, si ton père n'a pas aimé ta mère ?" demande Jésus comme pour
plaisanter.
"Cet amour est beau, mais ne me séduit pas. Tu es mon amour Toi, sur la
terre, tu es l'Amour pour le pauvre Jean."
Haut de page
286> Jésus le serre contre Lui et
dit : "Je voulais te l'entendre dire l'Amour est avide d'amour et l'homme donne
et donnera toujours à son avidité d'imperceptibles gouttes comme celles qui
tombent du ciel et sont si insignifiantes qu'elles s'évaporent dans
l'atmosphère, dans l'embrasement de l'été. Même les gouttes d'amour des
hommes se consumeront dans l'air, tuées par la fièvre de trop de choses. Le
cœur encore les produira... mais les intérêts, les amours, les affaires, les
désirs avides, tant, tant de choses humaines les vaporiseront. Et qu'est-ce
qui montera vers Jésus ? Oh ! trop peu de choses ! Les restes de toutes les
palpitations du cœur humain, ce qui peut bien encore en survivre, les
palpitations intéressées pour demander, demander, demander quand le besoin se
fait sentir. M'aimer uniquement par amour sera le propre d'un petit nombre :
des Jean… Regarde un épi poussé hors saison, C'est
peut-être une graine
tombée au
moment de la moisson, Elle a su naître, résister au soleil, à la sécheresse,
grandir, épier... Regarde : l'épi est déjà formé. Il n'y a que lui de vivant
dans ces champs dépouillés. D'ici peu les grains mûrs tomberont sur le sol en
rompant l'enveloppe lisse qui les rattachait à la tige, et ce sera charité
pour les oiseaux, ou bien, donnant le cent pour un, ils repousseront encore
et, avant le labour d'hiver, ils arriveront de nouveau à maturité et
rassasieront une foule d'oiseaux déjà tenaillés par la faim de la saison plus
triste... Vois-tu, mon Jean, tout ce que peut réaliser une graine courageuse
?
Ainsi seront les hommes peu nombreux qui m'aimeront d'amour. Un seul suffira
pour apaiser la faim d'un si grand nombre. Un seul embellira la région, où
est l'horrible, où il n'y avait d'abord que néant. Un seul fera surgir la vie
là où était la mort et vers lui viendront les affamés. Ils mangeront un grain
de son amour. Laborieux et puis, égoïstes et distraits, ils s'envoleront
ailleurs. Mais, même à leur insu, ce grain déposera un germe vital dans leur
sang, dans leur esprit... et ils reviendront... Et, aujourd'hui, et demain,
et après-demain encore, comme disait Isaac, la connaissance de l'Amour
se développera dans les cœurs. La tige, dépouillée, ne sera plus rien. Un
brin de paille brûlé. Mais que de bien naîtra de son sacrifice et quelle
récompense pour lui !"
Jésus qui s'était arrêté un instant devant un maigre épi, né au bord du
sentier, dans un berceau qui au temps des pluies était peut-être un
ruisselet, a continué de parler, toujours écouté, par Jean dans son attitude
habituelle d'énamouré qui boit non seulement les paroles mais les gestes de
l'aimé. Les autres, qui parlent entre eux, ne s'aperçoivent pas de ce doux
colloque. Maintenant ils sont arrivés à la pommeraie, ils s'arrêtent et se
groupent. La chaleur est telle qu'ils sont en sueur bien que sans manteau.
Ils se taisent et attendent.
Haut de page
287> De la sombre plantation, qu'à
peine éclaire un rayon de lune émerge la tâche claire que fait Lévi et,
derrière, une ombre plu sombre.
"Maître, voici Jonas."
"Que ma paix vienne à toi !" dit Jésus en le saluant, avant encore
que Jonas l'ait rejoint.
Mais Jonas ne répond pas. Il court, se jette
en pleurant à se pieds et les baise, Quand il peut parler il dit : "
Combien je t'ai attendu ! Combien ! Quel découragement de voir la vie passer,
la mort arriver et devoir dire : " Je ne l'ai pas vu ! " Et
pourtant non, toute mon espérance ne mourait pas. Même quand je fus sur le
point de mourir. Je disais : "Elle me
l'a dit : 'Vous le servirez encore' et Elle n'a pu me dire une chose qui ne
soit pas vrai C'est la Mère de l'Emmanuel. personne donc, plus qu'Elle, n'a
Dieu avec soi, et qui a Dieu sait ce qui est de Dieu"
"Lève-toi, Elle te salue. Tu l'as eue et tu l'as pour voisine. Elle
habite Nazareth."
"Toi ! Elle ! À Nazareth ? Oh ! Si je l'avais su ! La nuit, dans les
mois gelés de l'hiver, quand la campagne sommeille et que les méchants ne
peuvent nuire aux cultivateurs, je serais venu en hâte baiser vos pieds et je
serais rentré avec mon trésor de certitude. Pourquoi ne t'es-tu pas
manifesté, Seigneur ?"
"C'est que ce n'était pas l'heure. Maintenant l'heure est venue. Il faut
savoir attendre. Tu l'as dit : "Aux mois de gel, quand la campagne
sommeille". Et pourtant, elle est déjà ensemencée, n'est-ce pas? Eh
bien, Moi aussi, j'étais comme le grain déjà semé. Tu m'avais vu au moment
des semailles. Puis j'étais disparu, enseveli dans un silence nécessaire.
Pour croître et arriver au temps de la moisson et briller aux yeux de ceux
qui m'avaient vu Nouveau-Né et aux yeux du monde. Ce temps est venu.
Maintenant le Nouveau-Né est prêt pour être le Pain du monde. Et avant tous
les autres je cherche mes fidèles, et à eux je dis : "Venez,
rassasiez-vous de Moi"
L'homme l'écoute en souriant, bienheureux et ne cesse de dire comme au dedans
de lui-même : "Oh ! c'est bien Toi ! C'est bien Toi !"
"Tu as été sur le point de mourir ? Quand ?"
Haut de page
288> "Quand je fus fustigé à mort
parce qu'on avait dépouillé deux vignes. Regarde combien de blessures !
" Il descend son vêtement et montre ses épaules toutes marquées de
cicatrices irrégulières. " Il m'a frappé avec un fouet garni de fer. Il
a compté les grappes enlevées : cela se voyait par la trace du pédoncule
arraché, et m'a assené un coup pour chaque grappe. Et puis, il m'a laissé sur
place, à moitié mort. J'ai été secouru par Marie, la
jeune femme d'un compagnon à moi. Elle m'a toujours été secourable. Son père
était régisseur avant moi, et lorsque je suis arrivé ici, je me suis attaché
à cette petite parce qu'elle s'appelait Marie. Elle m'a soigné, et je suis
guéri depuis deux mois car, par la chaleur, les plaies s'étaient envenimées
et me donnaient une forte fièvre. J'ai dit au Dieu d'Israël : "
N'importe. Fais-moi revoir ton Messie. Et ce mal ne m'importe pas. Accepte-le
comme sacrifice. Je ne peux jamais aller t'offrir un sacrifice. Je suis le
serviteur d'un homme cruel et Tu le sais. Même à la Pâque, il ne me laisse
pas venir à ton autel. Prends-moi comme hostie, mais donne-le-moi, Lui
!"
"Et le Très-Haut t'a rendu content. Jonas, veux-tu me servir comme tes
compagnons le font déjà ?"
"Oh ! Comment faire ?"
"Comme eux. Lévi sait,
et il te dira combien il est simple de Me servir. Je ne veux que la bonne
volonté."
"Je te l'ai donnée quand tu n'étais qu'un bébé vagissant. Par elle, j'ai
triomphé de tout, aussi bien du découragement que des haines. C'est que...
ici je ne puis que peu parler... Le patron, une fois m'a donné un coup de
pied, parce que j'affirmais avec insistance que tu existais. Mais quand il
était loin et avec des gens à qui je pouvais me fier, oh ! je le disais, le
prodige de cette nuit-là !"
"Et maintenant, parle du prodige de ma rencontre. Je vous ai retrouvés
presque tous, et tous fidèles. N'est-ce pas un prodige ? Pour m'avoir
contemplé uniquement avec foi et amour vous êtes devenus justes aux regards
de Dieu et des hommes."
"Oh ! maintenant, j'aurai un courage ! Un courage ! Maintenant que je
sais que tu es là et que je puis dire : "Il est là. Allez à Lui !
.." Mais où, mon Seigneur ?"
"Par tout Israël. Jusqu'à Septembre, je serai en Galilée. Nazareth ou Capharnaüm m'auront souvent et,
d'ici, on pourra venir me trouver. Puis... je serai partout. Je suis venu
rassembler les brebis d'Israël."
"Oh ! Mon Seigneur, tu trouveras beaucoup de boucs. Défie-toi des
grands, en Israël !"
Haut de page
289> "Ils ne me feront pas de
mal, si ce n'est pas l'heure. Toi, aux morts, à ceux qui dorment, aux
vivants, dis : "Le Messie est parmi nous"
"Aux morts, Seigneur ?"
"Aux âmes mortes. Les autres, ceux qui sont morts dans le Seigneur, déjà
tressaillent de joie pour leur prochaine libération des Limbes. Dis aux morts que Je suis la
Vie, à ceux qui dorment que Je suis le Soleil qui se lève pour les tirer du
sommeil. Dis aux vivants que Je suis la Vérité qu'ils cherchent."
"Et tu guéris aussi les malades? Lévi m'a parlé d'Isaac. Pour lui, seul le miracle, parce
qu'il est ton berger, ou bien pour tous ?"
"Pour les bons, le miracle est une juste récompense. Pour
les moins bons, c'est pour les amener à une bonté véritable. Pour les
mauvais, aussi parfois, c'est pour les secouer, pour les persuader que
j'existe et que Dieu est avec Moi. Le miracle est un don et ce don est pour
les bons. Mais Celui qui est Miséricorde et qui voit combien les hommes sont
lourds et que seul un événement prodigieux peut les secouer, y recourt aussi
pour pouvoir dire : "J'ai tout fait pour vous, et cela n'a servi à rien.
Dites-moi donc vous-mêmes, ce que je dois faire de plus"
"Seigneur, ne dédaignes-tu pas d'entrer dans ma maison ? Si tu m'assures
que le voleur ne pénétrera pas dans le domaine, je voudrais te donner
l'hospitalité et appeler autour de Toi les quelques-uns qui te connaissent
par ma parole. Le patron nous a foulés aux pieds et brisés comme des herbes
vulgaires. Nous n'avons que l'espérance d'une récompense éternelle. Mais si
tu te montres à des cœurs méprisés, ils auront en eux une autre force. "
"Je viens. Ne crains pas pour les
arbres et les vignes. Peux-tu croire que les Anges feront pour toi une garde
fidèle ?"
"Oh ! Seigneur ! Je les ai vus, tes serviteurs célestes. Je crois et je
viens avec Toi en toute sécurité. Bénis soient-ils ces arbres et ces vignes
dont la brise est le vol des ailes d'anges et les chants des voix angéliques
! Béni soit-il ce sol que tu sanctifies de ton pied ! Viens, Seigneur Jésus !
Écoutez arbres et vignes. Écoutez campagnes. Maintenant, ce Nom que je vous
avais confié pour ma tranquillité, je le Lui dis à Lui. Jésus est ici.
Écoutez et que dans les branches et les sarments tressaille la sève. Le
Messie est avec nous."
Tout se termine avec ces joyeuses paroles.
________________________________________
Soir
du même jour 26-1-45, 20h.
Si ce n'était pas un temps de couvre-feu, je vous aurais envoyé chercher,
tellement j'ai été terrorisée par l'apparition du démon.
Le démon en personne, sans camouflages
d'aucune sorte. C'est un personnage de grande taille, mince, fumeux, au front
bas et étroit, visage pointu, aux yeux renfoncés, au regard tellement
méchant, ironique, faux que pour un peu j'aurais appelé au secours. J'étais
en train de prier, dans l'obscurité de ma pièce, pendant que Marthe était
dans la cuisine, et c'était exactement le Cœur Immaculé de Marie que je
priais, quand près de la porte fermée, il m'est apparu, lui. Noir sur noir et
pourtant j'ai vu tous les détails de son corps nu, affreux, non par l'effet
d'une difformité, mais par un je ne sais quoi de féroce, d'horrible de
serpentin qui se dégageait de tous ses membres. Je n'ai vu ni cornes, ni
queue, ni pieds fourchus, ni autres détails sous lesquels on le représente
habituellement. Mais toute sa monstruosité était dans son expression. Pour
exprimer ce qu'il était, je devrais dire : Fausseté, Ironie, Férocité, Haine,
Embuscade. C'était ce qu'exprimait son expression rusée et méchante. Il se
moquait de moi et m'insultait, mais n'osait approcher davantage. Il était là,
cloué près de l'entrée. Il est resté, l'espace de dix bonnes minutes, et puis
il s'en est allé. Mais il me passait des sueurs à la fois froides et chaudes.
Pendant qu'effrayée, je me demandais le pourquoi de cette venue, Jésus m'a
dit : "Parce que tu l'avais durement repoussé dans son élément principal."
(Pendant que je priais Marie, quelque chose tournoyait avec insistance en mon
esprit... je ne sais comment appeler cette chose car ce n'est pas une voix,
ce n'est pas une idée, ce n'est rien, et c'est pourtant quelque chose qui dit
: "Sans toi, ici, quelque chose allait arriver. À cause de tes mérites,
elle n'est pas arrivée. Parce que tu es tant aimée de Dieu." Moi - je ne
sais si je fais bien ou mal, mais il me semble que je fais bien - quand
j'entends cela, je dis : "Va-t-en Satan. Ne me
tente pas. Car si c'est Jésus qui me parle, je l'accepte, mais personne
d'autre ne doit le dire pour aiguiser la complaisance envers moi-même."
Jésus m'a donc dit : "C'est parce que tu l'avais repoussé durement en
son principal élément : l'orgueil. Oh ! s'il pouvait te faire tomber sur ce
point ! L'as-tu bien vu ?
|