Vision du mercredi 15
mai 1946
322> Je ne sais pas si c'est le soir du même
sabbat. Je sais que je vois Jésus et Marie, assis
sur un banc de pierre contre la maison, près de la porte de la salle à manger
de laquelle sort la légère clarté d'une lampe à huile placée près de la
porte. La lueur palpite à l'air avec des hauts et des bas comme si elle était
animée par un mouvement de respiration. Unique clarté dans la nuit sans lune.
Un tout petit peu de lumière qui sort dans le jardin, qui éclaire une petite
bande de terrain devant la porte et qui meurt sur le premier rosier du
parterre, mais ce peu de lumière suffit pour éclairer les deux profils des
Deux unis dans un colloque intime dans la nuit sereine embaumée par les
jasmins et d'autres fleurs d'été.
Ils parlent entre eux des parents... de Joseph d'Alphée
toujours têtu, de Simon pas très courageux dans sa profession de foi, dominé comme il
l'est par l'aîné des frères, qui est autoritaire et obstiné dans ses idées
comme l'était le père. La grande douleur de Marie qui voudrait que tous ses
neveux soient disciples de son Jésus...
Jésus la réconforte et pour excuser son cousin met en lumière sa forte foi
israélite : "Un obstacle, sais-tu ? Un véritable obstacle. En
effet toutes les formules et les préceptes font obstacle à l'acceptation de l'idée messianique dans sa vérité.
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323> Il est plus facile de convertir
un païen, pourvu que ce soit un esprit pas complètement corrompu. Le païen
réfléchit et il voit la grande différence entre son Olympe et mon Royaume.
Mais Israël... Israël, dans sa partie la plus cultivée... a
du mal à suivre la pensée nouvelle !..."
"Et pourtant, c'est toujours la même pensée !"
"Oui. C'est toujours le Décalogue, ce sont toujours les prophéties. Mais
l'homme les a dénaturés, et des sphères surnaturelles où ils se trouvaient,
il les a amenés au niveau de la Terre, dans le climat du monde ; son
humanité a tout manipulé et tout altéré... Le Messie, Roi spirituel du grand
Royaume, qui s'appelle Royaume d'Israël parce que le Messie naît du
trône d'Israël, mais qu'il est plus juste de nommer Royaume du Christ, parce
que le Christ centralise ce qu'il y a et ce qu'il y a eu de meilleur en
Israël, et l'élève à sa perfection de Dieu-Homme.
Le Messie, pour
eux, ne peut être l'homme doux, pauvre, qui n'aspire pas au pouvoir et à la
richesse, qui obéit à ceux qui nous dominent par suite d'un châtiment divin,
parce que l'obéissance est sainteté quand elle n'infirme pas la grande Loi. À
cause de cela, on peut dire que leur foi travaille contre la vraie Foi. De
ces gens entêtés et qui sont convaincus d'être justes, il y en a tant... dans
toute classe... et même parmi les parents et les apôtres. Crois, ô Mère, que
leur aveuglement pour croire à ma Passion vient de cela. C'est l'origine de
leur erreur d'appréciation... Et aussi leur répugnance obstinée à apprécier
les gentils les idolâtres en regardant non pas l'homme, mais l'esprit de
l'homme, cet esprit qui a une seule Origine et auquel Dieu voudrait
donner un seul Destin : le Ciel. Tu vois Barthélemy... C'est un exemple. Il est très bon, sage, prêt à tout
pour me donner honneur et réconfort... Mais devant, je ne dis pas une Aglaé ni une Sintica, qui est déjà une fleur en comparaison de la pauvre
Aglaé que seule la pénitence fait fleurir hors de la boue, mais pas même
devant une fillette, une pauvre fillette dont le sort provoque la pitié et
dont la pudeur instinctive attire l'admiration, même devant cela son dégoût
pour les gentils ne tombe pas, et même mon exemple ne le convainc pas, ni mon
affirmation que c'est pour tous que je suis venu."
"Tu as raison. Et même justement Barthélemy et Judas
de Kériot, les plus instruits ou
au moins : le docte Barthélemy et Judas de Kériot dont je ne sais pas au
juste à quelle classe il peut se rattacher, mais dont on peut dire qu'il est
imbu, saturé de l'air du Temple, ce sont ceux qui résistent le plus.
Pourtant... Barthélemy est bon et sa résistance est encore excusable.
Judas... non.
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324> Tu as entendu ce qu'a dit Matthieu, allé exprès à Tibériade... Et Matthieu connaît la vie,
cette vie-là surtout... Et Jacques de Zébédée a
observé justement : "Mais qui donne tant d'argent à
Judas ?" Car cette vie coûte... Pauvre Marie de Simon !"
Jésus fait avec les mains son geste, pour dire : "C'est
ainsi..." et il soupire. Puis il dit : "As-tu entendu ?
Les romaines sont à Tibériade... Valeria ne m'a rien fait
savoir. Mais je dois savoir avant de reprendre mon chemin. Je veux t'avoir
avec Moi à Capharnaüm quelque temps, Maman... Puis tu reviendras ici. Moi,
j'irai vers les confins syro-phéniciens, et ensuite je reviendrai te saluer,
avant de descendre vers la Judée, la brebis têtue d'Israël..."
"Fils, demain soir, j'irai… Je prendrai avec moi Marie d'Alphée. Aurea ira chez Simon d'Alphée parce
qu'on ne serait pas sans critiquer qu'elle reste ici avec vous plusieurs
jours... Le monde est ainsi... Et moi j'irai... À Cana comme première étape,
et puis à l'aube je partirai pour m'arrêter chez la mère de Salomé de Simon, et
puis au crépuscule je repartirai et nous arriverons alors qu'il fera encore
jour à Tibériade. J'irai chez le disciple Joseph, car
je veux aller moi, personnellement, chez Valeria, et si j'allais chez Jeanne, elle
voudrait y aller... Non, moi, Mère du Sauveur, à ses yeux je serai différente
de la disciple du Sauveur... et elle ne me dira pas
non. Ne crains pas, mon Fils !"
"Je ne crains pas, mais cela me désole que tu te fatigues."
"Oh ! pour sauver une âme ! Qu'est-ce qu'une vingtaine de
milles faits
à la belle saison ?"
"Ce sera aussi une fatigue morale. Demander... être humiliée
peut-être..."
"Peu de chose et qui passe. Mais une âme reste !"
"Tu seras comme une hirondelle égarée dans Tibériade corrompue... Prends
Simon avec toi."
"Non, mon Fils, Nous deux seules, deux pauvres femmes... Mais deux mères
et deux disciples, et donc deux grandes forces morales... J'aurai vite fait.
Laisse-moi aller... Bénis-moi seulement."
"Oui, Maman, avec tout mon cœur de Fils, et avec toute ma puissance de Dieu.
Va et que les anges t'accompagnent le long du chemin."
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