173> Le Temple est encore plus
bondé que la veille. Et dans la foule qui l'emplit et s'agite dans la
première cour, je vois beaucoup de gentils, beaucoup plus qu'hier. Ils sont
tous dans une attente anxieuse, tant les Israélites que les gentils. Et ils
parlent, les gentils avec les gentils, les hébreux avec les hébreux, en groupes
disséminés ça et là, sans perdre de vue les portes.
Les docteurs, sous les portiques, se fatiguent à élever la voix pour attirer
et faire étalage d'éloquence. Mais les gens sont distraits, et ils parlent à
des élèves peu nombreux. Gamaliel est
là, à sa place. Mais il ne parle pas. Il va et vient sur son somptueux tapis,
les bras croisés, la tête inclinée, méditant, et son long vêtement, son
manteau encore plus long qu'il a ouvert et qui pend retenu aux épaules par
deux agrafes d'argent, lui font par derrière une traîne qu'il repousse du
pied quand il revient sur ses pas. Ses disciples, les plus fidèles, adossés
au mur, le regardent en silence, craintifs, et ils respectent la
méditation de leur maître.
Haut
de page
174> Des pharisiens, des prêtres,
font semblant d'avoir beaucoup à faire et ils vont et viennent... Les gens,
qui comprennent leurs véritables intentions, se les montrent du doigt, et
quelque commentaire part comme une fusée allumée pour brûler leur hypocrisie.
Mais ils font semblant de ne pas entendre. Ils sont peu nombreux par rapport
au grand nombre de ceux qui ne haïssent pas Jésus et
qui par contre les haïssent eux. Aussi ils trouvent prudent de ne pas réagir.
"Le voilà ! Le voilà ! Il vient par la Porte Dorée aujourd'hui !"
"Courons !"
"Je reste ici. C'est ici qu'il viendra parler. Je garde ma place."
"Et moi de même, et même ceux qui s'en vont font place à nous qui
restons."
"Mais le laisseront-ils parler ?"
"S'ils l'ont laissé entrer !..."
"Oui, mais c'est autre chose. Comme fils de la Loi, ils ne peuvent
l'empêcher d'entrer, mais en tant que rabbi, ils peuvent le chasser, s'ils le
veulent."
"Que de différences ! S'ils le laissent aller pour parler à Dieu,
pourquoi ne devraient-ils pas le laisser parler à des hommes?" (c'est un
gentil qui parle).
"C'est vrai" dit un autre gentil. "Nous, parce que nous sommes
impurs, ils ne nous laissent pas aller là, mais ici, oui, dans l'espoir qu'on
devienne circoncis..."
"Tais-toi, Quintus.
C'est pour cela qu'ils le laissent nous parler, espérant nous tailler comme
si nous étions des arbres. Au contraire, nous venons prendre ses idées comme
des greffes pour les sauvageons que nous sommes."
"Tu dis bien. Le seul qui ne nous dédaigne pas !"
"Oh ! pour cela ! Quand on va faire des achats avec une bourse pleine,
les autres non plus ne nous dédaignent pas."
"Regarde ! Nous gentils, nous sommes restés maîtres de la place. Nous
entendrons bien ! Et nous verrons mieux ! Il me plaît de voir le visage de
ses ennemis. Par Jupiter ! Un combat de visages..."
"Tais-toi ! Qu'on ne t'entende pas nommer Jupiter. C'est défendu
ici."
"Oh ! entre Jupiter et Jéhovah, il
n'y a que peu de différence. Et entre dieux, on ne s'en offense pas... Je
suis venu avec un vrai désir de l'entendre, pas pour me moquer. On en parle
tant partout de ce Nazaréen ! J'ai dit : la saison est bonne, et je vais
l'entendre. Il y en a qui vont plus loin pour entendre les oracles..."
Haut
de page
175> "D'où viens-tu ?"
"De Pergé"
"Et toi?"
"De Tarse"
"Je suis presque juif. Mon père était un helléniste d'Iconium. Mais
il épousa une romaine à Antioche de Cilicie, et il mourut avant ma naissance.
Mais la semence est hébraïque." "Il tarde à venir... L'auraient-ils
pris ?"
"Ne crains pas. Les cris de la foule nous le diraient. Ces hébreux
crient comme des pies inquiètes, toujours..."
"Oh ! le voilà justement. Va-t-il venir vraiment ici ?"
"Tu ne vois pas qu'ils ont occupé exprès tous les endroits sauf ce coin
? Entends-tu toutes ces grenouilles qui coassent pour faire croire qu'elles
sont les maîtresses ?"
"Celui-là se tait, cependant. Est-il vrai que c'est le plus grand
docteur d'Israël ?"
"Oui, mais... quel pédant ! Je l'ai écouté un jour, et pour digérer sa
science, j'ai dû boire plusieurs coupes de Falerne de
Tito à Bézéta." Ils rient entre eux.
Jésus approche lentement. Il passe devant Gamaliel, qui ne lève même pas la
tête, et puis il va à sa place de la veille.
Les gens, maintenant un mélange d'Israélites, de prosélytes et de gentils,
comprennent qu'il va parler et ils murmurent : "Voilà qu'il parle en
public, et ils ne Lui disent rien."
"Peut-être que les Princes et les Chefs ont reconnu en Lui le Christ.
Hier, Gamaliel, après le départ du Galiléen, a parlé longuement avec des
Anciens."
"Est-ce possible ? Comment ont-ils fait pour le reconnaître tout d'un
coup, alors qu'il y a peu de temps, ils le considéraient comme méritant la
mort ?"
"Peut-être Gamaliel possédait-il des preuves..."
"Et quelles preuves ? Quelles preuves voulez-vous qu'il ait en faveur de
cet homme ?" réplique quelqu'un.
"Tais-toi, chacal. Tu n'es que le dernier des copistes. Qui t'a
questionné?" et ils se moquent de lui. Il s'en va.
Mais d'autres surviennent, qui
n'appartiennent pas au Temple, mais qui sont certainement des juifs
incrédules : "Les preuves, nous les avons, nous. Nous savons d'où il
vient, Lui. Mais le Christ, quand il viendra, personne
ne saura d'où il vient. Nous n'en connaîtrons pas
l'origine. Mais de Lui !!! C'est le fils d'un menuisier de Nazareth, et tout
son village peut apporter ici son témoignage contre nous, si nous
mentons..."
Haut
de page
176> À ce moment on entend la voix
d'un gentil qui dit : "Maître, parle-nous un peu, aujourd'hui. On a dit
que tu affirmes que tous les hommes sont venus d'un seul Dieu, le tien. Au point
que tu les appelles fils du Père. Des poètes stoïques de chez nous ont eu
aussi cette même idée. Ils ont dit : "Nous sommes de la race de
Dieu". Tes compatriotes nous disent plus impurs que des bêtes. Comment
concilies-tu les deux tendances ?"
La question est posée conformément aux coutumes des discussions
philosophiques, du moins je le crois. Et Jésus va répondre, quand s'élève
avec plus de force la discussion entre les juifs incrédules et ceux qui
croient, et une voix perçante répète : "Lui est un homme ordinaire. Le
Christ ne sera pas comme cela. Tout sera exceptionnel en Lui : forme, nature,
origine..."
Jésus se tourne dans cette
direction et il dit à haute voix : "Vous
me connaissez donc et vous savez d'où je viens ? En
êtes-vous bien sûrs ? Et même ce peu que vous savez ne vous dit rien ? Il ne
vous confirme pas les prophéties ? Mais vous ne connaissez pas tout de Moi.
En vérité, en vérité je vous dis que je ne suis pas venu de Moi, et d'où vous
croyez que je suis venu. C'est la Vérité elle-même, que vous ne connaissez
pas, qui m'a envoyé."
Un cri d'indignation s'élève du côté des ennemis.
"La Vérité elle-même. Mais vous ne connaissez pas ses œuvres, vous ne
connaissez pas ses chemins, les chemins par lesquels je suis venu. La Haine
ne peut connaître les voies et les œuvres de l'Amour. Les Ténèbres ne peuvent
supporter la vue de la Lumière. Mais Moi je connais Celui qui m'a envoyé
parce que je suis sien, je fais partie de Lui, et je suis un Tout avec Lui.
Et Il m'a envoyé, pour que j'accomplisse ce que veut sa Pensée."
Un tumulte se produit. Les ennemis se précipitent pour mettre la main sur
Lui, s'emparer de Lui, le frapper. Les apôtres, les disciples, le peuple, les
gentils, les prosélytes, réagissent pour le défendre D'autres assaillants
accourent au secours des premiers et peut-être réussiraient, mais Gamaliel,
qui jusqu'à ce moment paraissait étranger à tout, quitte son tapis et vient
vers Jésus, poussé sous le portique par ceux qui veulent le défendre, et il
crie : "Laissez-le tranquille. Je veux entendre ce qu'il
dit."
Plus que le détachement des légionnaires qui accourent de l'Antonia pour
apaiser le tumulte, agit la voix de Gamaliel. Le
tumulte tombe comme un tourbillon qui se brise, et les cris s'apaisent pour devenir
un simple bourdonnement. Les légionnaires, par prudence, restent près de
l'enceinte extérieure, mais sont désormais inutiles.
Haut
de page
177> "Parle, ordonne Gamaliel
à Jésus. Réponds à ceux qui t'accusent." Le ton est impérieux mais pas
méprisant.
Jésus s'avance vers la cour. Tranquille, il recommence à parler. Gamaliel
reste où il est, et ses disciples s'affairent à lui apporter son tapis et son
siège pour qu'il soit plus à l'aise, mais il reste debout, les bras croisés,
la tête penchée, les yeux fermés, tout concentré pour écouter.
"Vous m'avez accusé sans raison, comme si j'avais blasphémé au lieu de
dire la vérité. Moi, ce n'est pas pour me défendre mais pour vous donner la
Lumière, afin que vous puissiez connaître la Vérité, que je parle. Et ce
n'est pas pour Moi-même que je parle, mais je parle pour vous rappeler les
paroles auxquelles vous croyez et sur lesquelles vous jurez. Elles témoignent
de Moi. Vous, je le sais, vous ne voyez en Moi qu'un homme qui vous
ressemble, qui vous est inférieur. Et il vous paraît impossible qu'un homme
puisse être le Messie. Vous pensez du moins qu'il devrait être un ange, ce
Messie, d'une origine tellement mystérieuse qu'il ne pourrait être roi qu'à
cause de l'autorité que le mystère de son origine suscite. Mais
quand donc dans l'histoire de notre peuple, dans les livres qui renferment
cette histoire - et qui seront des livres éternels autant que le monde car c'est
à eux que les docteurs de tous les pays et de tous les temps s'adresseront
pour fortifier leur science et leurs recherches sur le passé à l'aide des
lumières de la vérité - quand donc est-il dit dans ces livres que Dieu ait
parlé à un de ses anges pour lui dire : "Tu seras dorénavant pour Moi un
Fils, parce que Je t'ai engendré ?"
Je vois Gamaliel qui se fait donner une petite table et des parchemins et qui
s'assoit pour écrire...
"Les anges, créatures spirituelles, servantes
du Très-Haut et ses messagères, ont été créées par Lui comme l'homme, comme
les animaux, comme tout ce qui fut créé. Mais elles n'ont pas été engendrées
par Lui. Car Dieu engendre uniquement un autre Lui-même, car
le Parfait ne peut engendrer qu'un Parfait, un autre Être semblable à
Lui-même, pour ne pas avilir sa perfection par la génération d'une créature
inférieure à Lui-même.
Si donc Dieu ne peut engendrer les anges, ni non plus les élever à la dignité
d'être ses fils, quel sera le Fils auquel Il dit: "Tu es mon Fils.
Aujourd'hui Je t'ai engendré ?" Et de quelle nature sera-t-il si, en
l'engendrant, Il dit à ses anges en le montrant : "Et que l'adorent tous
les anges de Dieu"
?"
Haut
de page
178> Et comment sera ce Fils, pour
mériter de s'entendre dire par le Père, par Celui par la grâce duquel les
hommes peuvent le nommer avec un cœur qui s'anéantit dans l'adoration: "Assieds-toi
à ma droite, jusqu'à ce que je fasse de tes ennemis l'escabeau de tes
pieds" ? Ce
Fils ne pourra être que Dieu comme le Père, dont Il partage les attributs et
la puissance, et avec qui II jouit de la Charité qui les réjouit dans les
ineffables et inconnaissables amours de la Perfection pour Elle-même.
Mais si Dieu n'a pas jugé
convenable d'élever un ange au rang de Fils, aurait-Il jamais pu dire d'un
homme ce qu'il a dit de Celui qui ici vous parle — et plusieurs d'entre vous
qui me combattez, étiez présent quand Il l'a dit — là-bas, au gué de Béthabara à la fin des deux années qui ont précédé
celle-ci ? Vous
l'avez entendu et avez tremblé. Car la voix de Dieu ne
peut se confondre avec nulle autre, et sans une grâce spéciale de Lui, elle
terrasse celui qui l'entend et ébranle son cœur.
Qu'est donc l'Homme qui vous parle ? Serait-il né de la semence et du vouloir
de l'homme comme vous tous ? Et le Très-Haut pourrait-Il avoir placé son
Esprit pour habiter une chair, privée de la grâce comme l'est celle des
hommes nés d'un vouloir charnel ? Et le Très-Haut pourrait-Il, pour payer la
grande Faute, être satisfait du sacrifice d'un homme ? Réfléchissez. Il n'a
pas choisi un ange pour être Messie et Rédempteur, pourrait-Il alors choisir
un homme pour l'être ? Et le Rédempteur pouvait-il être seulement Fils du
Père sans assumer la Nature humaine, mais avec des moyens et des pouvoirs qui
surpassent les raisonnements humains ? Et le Premier-né de Dieu pouvait-il
avoir des parents, s'il est le Premier-né éternel ?
Ne se bouleverse-t-elle pas la pensée orgueilleuse devant ces interrogations
qui montent vers les royaumes de la Vérité, toujours plus proches d'elle, et
qui ne trouvent une réponse que dans un cœur humble et plein de foi?
Qui doit être le Christ ? Un
ange ? Plus qu'un ange. Un homme ? Plus qu'un homme. Un Dieu ? Oui, un Dieu.
Mais avec une chair qui Lui est unie, pour
pouvoir accomplir l'expiation de la chair coupable. Toute chose doit être
rachetée par la matière avec laquelle elle a péché. Dieu aurait dû par
conséquent envoyer un ange pour expier les fautes des anges tombés, et qui
expiât pour Lucifer et pour ses disciples angéliques. Car, vous le savez, Lucifer aussi a péché. Mais Dieu
n'envoie pas un esprit angélique pour racheter les anges ténébreux. Ils n'ont
pas adoré le Fils de Dieu, et Dieu ne pardonne pas le péché contre son Verbe
engendré par son Amour. Pourtant Dieu aime l'homme et Il envoie l'Homme,
l'Unique parfait, pour racheter l'homme et obtenir la paix avec Dieu. Et il
est juste que seul un Homme-Dieu puisse accomplir la rédemption de l'homme et
apaiser Dieu.
Haut
de page
179> Le Père et le Fils se sont
aimés et compris. Le Père a dit : "Je veux". Et le Fils a dit :
"Je veux". Et puis le Fils a dit : "Donne-moi". Et le
Père a dit : "Prends", et le Verbe eut une chair dont la formation
est mystérieuse, et cette chair s'appela Jésus Christ, Messie, Celui qui doit
racheter les hommes, les amener au Royaume, vaincre le démon, briser
l'esclavage.
Vaincre le démon ! Un ange ne le pouvait pas, ne peut pas, accomplir ce que
le Fils de l'homme peut accomplir. Et pour cela, voilà que Dieu appelle pour
la grande œuvre non pas les anges, mais l'Homme. Voici l'Homme de l'origine
duquel vous êtes incertains, ou négateurs, ou pensifs. Voici l'Homme. L'Homme
que Dieu accepte. L'Homme qui représente tous ses frères. L'Homme comme vous
pour la ressemblance, l'Homme supérieur et différent de vous pour la provenance,
qui non d'homme, mais de Dieu engendré et consacré pour son ministère, se
tient devant l'autel élevé, afin d'être Prêtre et Victime pour les péchés du
monde, Pontife éternel et suprême, Souverain Prêtre selon l'ordre de
Melchisédech.
Ne tremblez pas ! Je ne tends pas les mains vers la tiare pontificale. Un
autre diadème m'attend. Ne tremblez pas ! Je ne vous enlèverai pas le
Rational. Un autre est déjà prêt pour Moi. Mais tremblez seulement que pour
vous ne serve pas le Sacrifice de l'Homme et la Miséricorde du Christ. Je
vous ai tant aimés, je vous aime tant que j'ai obtenu du Père de m'anéantir
Moi-même. Je vous ai tant aimés, je vous aime tant que j'ai demandé de
consumer toute la Douleur du monde pour vous donner le salut éternel.
Pourquoi ne voulez-vous pas me croire ? Ne pouvez-vous croire encore ?
N'est-il pas dit du Christ : "Tu es Prêtre
éternellement selon l'ordre de Melchisédech" ?
Mais quand a commencé le sacerdoce ? Peut-être au temps d'Abraham ? Non. Et
vous le savez. Le Roi de Justice et de Paix qui apparaît pour m'annoncer, par
une figure prophétique, à l'aurore de notre peuple, ne vous avertit-il pas
qu'il y a un sacerdoce plus parfait, qui vient directement de Dieu, de même
que Melchisédech dont personne n'a jamais pu donner l'origine et que l'on
appelle "le prêtre" et qui demeurera prêtre éternellement ? Ne
croyez-vous plus aux paroles inspirées ? Et si vous y croyez, comment donc, Ô
docteurs, ne savez-vous pas donner une explication acceptable aux paroles qui
disent, et elles parlent de Moi : "Tu es prêtre éternellement selon
l'ordre de Melchisédech"?
Haut
de page
180> Il y a donc un autre sacerdoce,
en outre, avant celui d'Aaron. Et de ce sacerdoce il est dit "tu
es", non pas "tu as été", non pas "tu seras". Tu
es prêtre pour l'éternité. Voilà alors que cette phrase annonce que l'éternel
Prêtre ne sera pas de la souche connue d'Aaron, ne sera d'aucune souche
sacerdotale, mais sera d'une provenance nouvelle, mystérieuse comme
Melchisédech. Il appartient à cette provenance. Et si la Puissance de Dieu
l'envoie, c'est le signe qu'il veut rénover le Sacerdoce et le Rite pour
qu'il devienne utile à l'Humanité.
Connaissez-vous mon origine ? Non. Connaissez-vous mes œuvres ? Non.
Voyez-vous leurs fruits ? Non. Vous ne connaissez rien de Moi. Vous voyez
donc qu'en cela aussi, je suis le "Christ" dont l'Origine, la
Nature et la Mission doivent être inconnues jusqu'au moment où il plaira à
Dieu de les révéler aux hommes. Bienheureux ceux qui sauront, qui savent
croire avant que la Révélation terrible de Dieu ne les écrase de son poids
contre le sol et ne les y cloue et ne les brise sous la fulgurante, puissante
vérité tonnée par les Cieux, criée par la Terre: "Lui était le Christ de
Dieu".
Vous dites : "Lui est de Nazareth. Son père, c'était Joseph. Sa Mère,
c'est Marie". Non, je n'ai pas de père qui m'ait engendré comme homme.
Je n'ai pas de mère qui m'ait engendré comme Dieu. Et pourtant j'ai une chair
et je l'ai assumée par l'œuvre mystérieuse de l'Esprit, et je suis venu parmi
vous en passant par un tabernacle saint. Et je vous sauverai, après m'être
formé Moi-même par la volonté de Dieu, je vous sauverai, en faisant sortir
mon véritable Moi-même du Tabernacle de mon Corps pour consommer le grand
Sacrifice d'un Dieu qui s'immole pour le salut de l'homme.
Père, mon Père ! Je te l'ai dit au commencement des jours: "Me voici
pour faire ta Volonté" . Je
te l'ai dit à l'heure de grâce avant de te quitter pour me revêtir de la
chair pour pouvoir souffrir : "Me voici pour faire ta Volonté". Je
te le dis encore une fois pour sanctifier ceux pour lesquels je suis venu :
"Me voici pour faire ta Volonté". Et je te le dirai encore,
toujours, jusqu'à ce que ta Volonté soit accomplie..."
Jésus, qui a levé les bras vers le ciel pour prier, les abaisse maintenant,
les croise sur sa poitrine et incline la tête, ferme les yeux et s'abîme dans
une prière secrète.
Haut
de page
181> Les gens chuchotent. Pas tous
ont compris, même la plupart (et je suis du nombre) n'ont pas compris. Nous
sommes trop ignorants. Mais nous avons l'intuition qu'il a énoncé de grandes
choses, et nous nous taisons pleins d'admiration.
Les malveillants, qui n'ont pas compris ou n'ont pas voulu comprendre,
raillent : "II délire !" Mais ils n'osent pas en dire davantage et
ils s'écartent ou bien se dirigent vers les portes en secouant la tête. Tant
de prudence je crois qu'elle vient des lances et des dagues romaines qui
brillent au soleil au bout du mur.
Gamaliel se fraie un passage parmi ceux qui sont restés. Il arrive près de
Jésus qui prie encore, absorbé, loin de la foule et de cet endroit, et il
l'appelle : "Rabbi Jésus!"
"Que veux-tu, rabbi Gamaliel ?" demande Jésus en levant la tête,
les yeux encore absorbés dans une vision intérieure.
"Une explication de Toi."
"Parle."
"Retirez-vous tous !" commande Gamaliel, et sur un tel ton que les
apôtres, les disciples, les partisans, les curieux et les disciples eux-mêmes
de Gamaliel, s'écartent en vitesse. Ils restent, seuls l'un en face de
l'autre, et ils se regardent. Jésus toujours plein d'une suave douceur,
l'autre autoritaire sans le vouloir, et l'air involontairement orgueilleux.
Expression qui lui est certainement venue d'années d'obséquiosité exagérée.
"Maître... on m'a rapporté certaines de tes paroles dites à un
banquet... que j'ai désapprouvé parce qu'il manquait de sincérité
. Moi,
je combats ou je ne combats pas, mais c'est toujours ouvertement... J'ai
médité ces paroles. Je les ai confrontées avec celles qui sont dans mon souvenir … Et
je t'ai attendu, ici, pour t'interroger sur elles... Et auparavant, j'ai
voulu t'écouter parler... Eux n'ont pas compris. Moi, j'espère pouvoir
comprendre. J'ai écrit tes paroles pendant que tu les disais. Pour les
méditer, non pas pour te nuire. Me crois-tu ?"
"Je te crois. Et veuille le Très-Haut les faire flamboyer à ton
esprit."
"Qu'il en soit ainsi. Écoute. Les pierres qui doivent frémir, sont
peut-être celles de nos cœurs ?"
"Non, rabbi. Celles-ci (et dans un geste circulaire, il indique les
murailles du Temple). Pourquoi le demandes-tu ?"
"Parce que mon cœur a frémi quand m'ont été rapportées tes paroles du
banquet et tes réponses aux tentateurs. Je croyais
que ce frémissement était le signe..."
Haut
de page
182> "Non, rabbi. C'est trop
peu que le frémissement de ton cœur et celui de quelques autres pour être le
signe qui ne laisse pas de doutes... Même si toi, grâce à un rare jugement
d'humble connaissance de toi-même, tu donnes à ton cœur le nom de pierre. Oh
! Rabbi Gamaliel, ne peux-tu pas vraiment faire de ton cœur de pierre un
lumineux autel pour accueillir Dieu ? Non dans mon intérêt, rabbi, mais pour
que ta justice soit complète..."
Et Jésus regarde avec douceur l'ancien maître qui tourmente sa barbe et passe
ses doigts sous son couvre-chef en serrant son front et en murmurant, et il
baisse la tête pour le dire : * Je ne puis... Je ne puis encore... Mais
j'espère... Ce signe, est-ce que tu le donneras toujours ?"
"Je le donnerai."
"Adieu, rabbi Jésus."
"Que le Seigneur vienne à toi, rabbi Gamaliel."
Ils se séparent. Jésus fait signe aux siens et avec eux il se dirige hors du
Temple.
Scribes, pharisiens, prêtres, disciples de rabbis, se précipitent comme
autant de vautours autour de Gamaliel, qui est en train de passer dans sa
large ceinture les feuilles qu'il a écrites.
"Eh bien ? Qu'en penses-tu ? Un fou ? Tu as bien fait d'écrire ces
divagations. Elles nous serviront. As-tu décidé ? Es-tu convaincu ? Hier...
aujourd'hui... Plus qu'il n'en faut pour te convaincre." Ils parlent
tumultueusement et Gamaliel se tait pendant qu'il rajuste sa ceinture,
renferme l'encrier qu'il y a suspendu, rend à son disciple la petite table
sur laquelle il s'est appuyé pour écrire sur les parchemins.
"Tu ne réponds pas ? Depuis hier, tu ne parles pas..." lui dit pour
le décider un de ses collègues.
"J'écoute. Pas vous. Lui. Et je cherche à reconnaître dans les paroles
de maintenant la parole qui m'a parlé un jour. Ici."
"Et tu y réussis, peut-être ?" disent plusieurs en riant.
"C'est comme le tonnerre dont la voix est différente selon que l'on est
plus proche ou plus loin. Mais c'est toujours le bruit du tonnerre."
"Un bruit qui ne permet pas de conclure, alors" plaisante
quelqu'un.
"Ne ris pas, Lévi. Dans le bruit peut se trouver aussi la voix de Dieu
et nous pouvons être assez sots pour croire que c'est le bruit de nuages qui
se déchirent... Ne ris pas non plus toi, Elchias, et
toi, Simon, de
peur que le tonnerre ne vienne à se changer en foudre et ne vous réduise en
cendres..."
Haut
de page
183> "Alors... toi... tu dis
quasi que le Galiléen c'est cet enfant qu'avec Hillel vous
croyiez prophète, et que cet enfant et cet homme soit le Messie..."
demande des railleurs, bien qu'en sourdine car Gamaliel se fait respecter.
"Je ne dis rien. Je dis que le bruit du tonnerre est toujours le bruit
du tonnerre."
"Plus proche ou plus lointain ?"
"Hélas ! Les paroles sont plus fortes comme l'âge le comporte. Mais les
vingt années écoulées ont rendu mon intelligence vingt fois plus fermée sur
le trésor qu'elle possède. Et le son pénètre plus faiblement..." Et
Gamaliel laisse retomber sa tête sur sa poitrine, pensif.
"Ha ! Ha ! Ha ! Tu vieillis et tu deviens sot, Gamaliel ! Tu prends des
fantômes pour des réalités. Ha ! Ha ! Ha !" et tous se mettent à rire.
|